Neutralité (3 mai 1940)e
M. Denis de Rougemont a eu l’aimable pensée de nous communiquer le « billet » ci-dessous qui paraîtra prochainement dans un volume intitulé : Mission ou démission de la Suisse .
Pendant tout l’hiver, nous avons pu lire dans les journaux cet avertissement sybillin : « Température maximum : 18° ». Il s’agissait sans doute d’inciter le public à des économies de charbon. On nous recommandait la tiédeur…
Mais voici nos voisins belligérants qui viennent nous dire : « Ceux qui ne sont ni froids ni bouillants seront vomis ».
Qu’est-ce que cela signifie, pratiquement ?
Que ceux qui sont froids ou bouillants seront mangés !
Je demande à voir ce qui vaut le mieux.
Il ne faut pas parler de neutralité en général, dans l’absolu et dans l’abstrait. Car tout dépend de ceci : vis-à-vis de quoi, ou de Qui, est-on tiède, est-on neutre ?
Si c’est vis-à-vis du Christ, la parole évangélique nous apprend que cette neutralité est suprêmement désavantageuse : elle entraîne notre expulsion violente hors du Royaume de Dieu. « Je vous vomirai », dit le Christ.
Si c’est vis-à-vis de la guerre des autres que l’on reste tiède, cette neutralité peut être avantageuse dans certains cas, dans la mesure où elle nous exclut, précisément, d’un conflit▶ que nous jugeons mauvais.
Reste à savoir si le ◀conflit actuel est « mauvais ». Puis, si notre tiédeur suffira pour que le monstre de la guerre nous vomisse…
Mais ceci est une autre histoire que je n’ai pas à conter maintenant. Et nous avons d’ailleurs, à mon avis, d’autres raisons de rester neutres que celles qu’on peut tirer de considérations opportunistes.
Je voulais simplement rappeler ceci : c’est qu’on ferait bien de ne pas utiliser comme des proverbes généraux certaines paroles du Christ qui n’ont de sens que par rapport à sa Personne, à son Royaume, à son Éternité. Répéter que les tièdes seront vomis, en détournant ce verset de son sens spirituel, c’est toujours un blasphème, et c’est souvent une grosse sottise.