Reynold et l’▶avenir de ◀la▶ Suisse (1941)a
◀Le▶ grand service que nous aura rendu ◀l’▶auteur de Conscience de ◀la▶ Suisse, c’est d’avoir osé porter sur ◀l’▶avenir immédiat de ce pays un jugement pessimiste. ◀Les▶ plus graves faiblesses, morales et matérielles, dans ◀le▶ domaine de ◀la▶ « défense spirituelle » comme dans celui de ◀la▶ défense du territoire, proviennent chez nous d’une incapacité congénitale à prévoir ◀le▶ pire, à ◀l’▶admettre, et à se préparer en conséquence. Nous n’avons pas encore su prendre ◀le▶ tempo de ce xxe siècle. C’est que nous sommes devenus un peuple de bourgeois. ◀L’▶ère de ◀la▶ bourgeoisie, ère du « confort moderne » et de ◀l’▶absence d’imagination réaliste, prolonge encore dans ◀la▶ vie de nos cantons une existence condamnée ailleurs par des faits que je n’ai pas à rappeler. ◀La▶ faiblesse du bourgeois réside dans son refus de prendre au sérieux ce qui ◀l’▶étonne. « Trop beau pour être vrai », disait-il au siècle dernier ; et aujourd’hui : « Trop affreux pour être vrai. » Cette double méfiance, cette double incrédulité à l’endroit de « ce qui nous dépasse » par en haut comme par en bas, traduit un seul et même refus de voir ◀le▶ monde tel qu’il est : pécheur et racheté, condamné et sauvé. Qui ne croit pas en Dieu ne saurait croire au diable. Qui ne croit pas au pardon ne saurait mesurer ◀les▶ profondeurs et ◀les▶ puissances du mal. Et c’est pourquoi ◀les▶ chrétiens seuls savent reconnaître ◀les▶ démons et déjouer à temps leurs calculs.
Reynold a ◀le▶ courage d’envisager — de regarder en plein visage — ce qui nous ruine. Non qu’il soit pessimiste par tempérament — ce n’est pas ◀l’▶impression qu’il donne, pas du tout — mais il est simplement lucide. Il a su voir plus loin que ◀le▶ bout de ◀la▶ Suisse. Il a su voir ◀l’▶Europe en pleine révolution. Il a montré l’un des premiers, chez nous, que ◀la▶ vraie fin, même inconsciente de ◀l’▶étatisme disciplinaire, dépourvu d’idéal directeur, n’était autre que ◀la▶ mise au pas du pays, sa mise en marche vers ◀le▶ nihilisme — ou ◀l’▶annexion. « Faire du socialisme, écrit-il, c’est faire ◀la▶ moitié du national-socialisme. » Certes, on peut lui répondre que faire du nationalisme, c’est faire l’autre moitié de ce tout. Mais enfin, ◀l’▶important c’est que chacun commence par dire ◀la▶ vérité dans son patois, et celui de Reynold est « de droite ». Le mien passa souvent pour être de « gauche », comme si je croyais encore aux vaines distinctions qui chatouillent ◀les▶ politiciens ! Laissons tout cela et avançons ! ◀La▶ claire vision d’un but commun et d’un péril qui se désigne lui-même comme total (ou totalitaire) doit bien suffire à fédérer nos vérités partielles en une force vivante. Allons-y viribus unitis ! Car cela est clair : ni ◀les▶ gauches ni ◀les▶ droites seules, ni ◀les▶ catholiques ni ◀les▶ protestants seuls ne pourront rien faire chez nous. S’ils veulent rester eux-mêmes, il faut que leurs diversités se fédèrent au service du pays. Quand ◀le▶ temps presse, comme aujourd’hui, ◀l’▶on voit ce qui compte, et c’est cela qui unit. Pour ◀le▶ reste, si sérieux soit-il, on en reparlera plus tard. Faisons d’abord en sorte qu’il y ait un « plus tard ».
En campagne, ◀le▶ jour de ◀la▶ capitulation de ◀la▶ Hollande.