Souvenir de la paix française (15 mars 1941)e
Périgny… C’était bien ce nom-là ? Un▶ long village en bordure de la route. D’◀un▶ côté, les maisons dominaient ◀une▶ vallée, de l’autre elles s’élevaient à peine d’◀un▶ étage au-dessus ◀des▶ champs de roses et ◀des▶ blés aux bords du plateau de la Brie. Je montais vers Périgny par ◀un▶ sentier fort raide entre les ronces, aboutissant à de vieux escaliers. ◀Une▶ seule rangée de maisons à traverser, et l’on parvient dans la grand-rue : comme elle est vide !
Les toits d’ardoises ne dépassent pas les façades nues, brunies par l’âge, palmées par les vents. Rares sont les boutiques, et même les cafés. Et s’il passe ◀une▶ auto, c’est ◀une▶ de ces voitures branlantes qui semblent ne pouvoir rouler que sur les routes écartées, d’◀une▶ ferme au marché le plus proche. Nulle part au monde la vie n’apparaît si discrète, si pacifique et séculaire. Ce pays-là n’est qu’amitié ◀des▶ tons et ◀des▶ lignes humaines, humilité sous la douceur du ciel, retrait ◀des▶ âmes dans leur destin.
Je longeais cette rue silencieuse, imaginant d’y vivre ◀un▶ jour, dans ◀une▶ fermette aux volets pâles, sans adresse, au ras de la plaine. ◀Un▶ peu avant la sortie du village, la route bifurque : l’une ◀des▶ routes prend à droite, vers la plaine, escortée de quelques maisons ; l’autre s’incline lentement vers la vallée, dans les vergers. Je m’étais arrêté à cet endroit, hésitant sur la route à prendre. Et soudain je vis à mes pieds, tracé à la craie sur le sol, ◀un▶ grand cercle entourant ◀une▶ inscription en lettres capitales bien arrondies :
martine
je suis
aux champs
Paix du village, silence ◀des▶ rues vides, ouvertes sur le ciel et sur les blés. J’étais là fasciné comme par la découverte d’◀un▶ secret de pudeur naïvement dévoilé. Secret de ce village aux volets clos. Imaginant ◀une▶ idylle muette. Celui qui revient au pays après ◀une▶ longue absence et ◀des▶ déboires : il entre, il ne trouve personne. Mais ses outils sont là, contre le mur. Il reprend le chemin de son champ.
En passant au carrefour, il s’est dit : Peut-être est-elle à Mandres ; c’est donc jour de marché. Il a écrit ces mots. Elle saura bien. Il a rejoint l’usage du pays, l’intimité ◀des▶ choses de toujours. Et le moindre signe suffit.
Je suis redescendu vers la vallée de l’Yerre, qui coule entre ◀des▶ saules et ◀des▶ peupliers blancs. Il faisait lourd et doux, le goudron de la route sentait plus fort que les champs de roses, et ◀des nuages noirs traînaient sur les vergers.
J’ai su, plus tard, que ce jour-là j’avais fait mes adieux à la France.