Trois paraboles (1er octobre 1941)b
I. À la▶ porte du jardin
Il y a mille chambres au Palais, mille lits pour y rêver, mille pour y souffrir, il n’y a qu’un Amant : tu t’égares, il s’enfuit.
— « En vérité, vous vous cherchiez d’abord. À force de vous fuir, vous échangerez tout ! »
Pour mieux courir, elle a jeté ses voiles, et sa pudeur est dévoilée, ô folle ! Mais lui ◀les▶ trouve et s’en revêt : voiles ◀de▶ nuit. Elle a passé tout près, ne ◀l’▶a pas vu. C’est pourtant ◀le▶ désir qui ◀les▶ presse, et ◀l’▶amour appelant ◀l’▶amour aux chambres vides, dans ◀la▶ sonorité glaciale des appartements du Pouvoir. Lui, ◀la▶ voyant passer, s’offusque, ou c’est ◀le▶ désir qui ◀l’▶aveugle ? Elle est nue, ses jambes ont fui.
— Toi qui connais ◀le▶ maître du palais, dis-moi s’il vit, s’il règne encore aux solitudes.
Car sinon, tu m’entends, je suis ◀le▶ Prince ! Et quelle est ◀la▶ femme égarée qui ne voudrait aimer ◀le▶ Prince ◀de▶ ces Lieux ?
— Mais on m’appelle, écoute, ◀la▶ voix venait du parc ? — Es-tu bien sûr que c’était une voix ?
Ils y couraient. ◀La▶ nuit pleuvait dans ◀les▶ futaies épaisses, et ◀les▶ herbes sauvages fouettaient ◀les▶ jambes nues. Au fond du parc, près de ◀la▶ porte démolie, là où ◀les▶ murs ne cachent plus que ◀les▶ abords désertiques ◀de▶ ◀la▶ ville, ils se sont vus ! ◀Le▶ jour naît dans ◀la▶ pluie. ◀Le▶ Palais disparu, ◀les▶ jardins dévastés, il est vêtu des voiles, elle tremble nue.
— Où se cacher encore ? dit-elle.
— Dans tes voiles.
— Viens dans mes bras, ma fille.
II. ◀Le▶ marché ◀de▶ ◀l’▶aube
— Choisis ◀la▶ pierre ◀de▶ tes vœux, lui disait ◀le▶ petit marchand à ◀la▶ barbiche ◀de▶ prêtre oriental.
◀L’▶homme choisit ◀la▶ plus terne, il était triste et présomptueux.
À mesure qu’avec ◀les▶ années, il se persuadait que sa pierre était bonne, étant bien celle ◀de▶ ses vœux, ◀la▶ pierre se mit à luire davantage ; et davantage encore il ◀l’▶aimait, plus il luttait contre ◀la▶ vie, plus il vivait. Un soir, émerveillé ◀de▶ ◀la▶ revoir, il dit : — Je suis un homme heureux, j’ai su choisir ◀la▶ pierre ◀de▶ mes vœux, car seul j’ai deviné ◀le▶ cher secret ◀de▶ son éclat. Et maintenant, ma pierre, luis ◀de▶ ton propre éclat ! Qu’une fois au moins je te contemple en mon repos.
Elle s’éteignit. Il ◀la▶ jeta dans ◀le▶ brasier cendreux. Pendant ◀la▶ nuit — grande était sa douleur — ◀la▶ pierre se mit à luire sous ◀la▶ cendre, et ◀le▶ grand feu flamba soudain toute ◀la▶ pièce.
Il dit à sa pierre : — Ô ma pierre, luis dans ◀le▶ feu ! Je ne puis te toucher, mais ◀la▶ chaleur est bonne.
Tout un hiver, il vécut ◀de▶ ce feu. ◀Le▶ printemps vint.
— Aurai-je encore besoin du feu ? Je reprendrai ma pierre et me reposerai dans ◀la▶ fraîcheur ◀de▶ son éclat.
Il ◀la▶ prit. Elle était brûlée. — ◀L’▶hiver a fait son temps, songea-t-il, dans ma vie.
Pour la deuxième fois, il alla au marché ◀de▶ ◀l’▶aube.
— Choisis ◀la▶ pierre ◀de▶ tes vœux, lui dit ◀l’▶homme à barbiche ◀de▶ prêtre, je me souviens ◀de▶ ta jeunesse.
Il choisit ◀la▶ plus éclatante. Et vois : quand il était heureux, elle luisait ◀d’▶une froide splendeur, et quand il était triste, elle était consolante. Mais c’était l’autre qu’il prenait alors entre ses mains, ◀la▶ pierre du vœu triste et présomptueux ◀de▶ sa jeunesse. Et il pleurait.
Une troisième fois, il se leva pour aller au marché ◀de▶ ◀l’▶aube.
— Tu n’as plus rien, lui dit ◀le▶ petit vieillard, je ne te vendrai rien à crédit. Tu possèdes ta Vie, et tu possèdes aussi ton Bien. Veux-tu davantage ? Voici, l’une des deux pierres sera ta pierre ◀de▶ Mort, si tu ◀la▶ choisis seule, et ne veux plus souffrir.
III. ◀Le▶ coup de pistolet
Évidemment, je n’aurais pas dû entrer. On fait ◀de▶ ces bêtises, par négligence, croit-on. Bref, je suis entré, c’était juste pour voir si par hasard elle était là. Vous savez que c’est compliqué, ce bâtiment. Des couloirs et des escaliers partout, un labyrinthe. Je suivais ◀les▶ tapis rouges, et ◀les▶ lampes rouges, comme lorsqu’on choisit une couleur au jeu ◀de▶ cartes, rouge ou noir. J’arrive à ◀la▶ salle ◀de▶ lecture. Il n’y avait que des feuilles ◀de▶ papier blanc sur ◀les▶ tables, et tout le monde lisait. Je dis : — Est-elle ici ? Quelqu’un ◀l’▶a-t-il vue ?
Ils me regardent ◀d’▶un air vexé. Un valet s’approche rapidement et me dit à voix basse : — Puisque Monsieur est venu, et puisque Monsieur demande si elle est ici, elle y est évidemment. Mais je rappelle à Monsieur ◀la▶ règle du club : Ni Questions Ni Réponses.
Je ne savais plus que dire, parce que j’avais une chose à dire. D’ailleurs, même si je n’avais dit que : Fine day to day, c’eût été une sorte ◀de▶ question ou ◀de▶ réponse. Je pensais que ◀le▶ mieux serait ◀de▶ m’en aller sans bruit. Mais vous connaissez ces couloirs. Et je ne voulais pas être mis à ◀la▶ porte ! Naturellement, j’aurais dû pousser la première porte venue, sans y penser, et je serais sorti comme j’étais entré. Mais ◀le▶ fait est que je pensais à sortir, et par ◀la▶ bonne porte. Voilà ◀la▶ faute. ◀L’▶inévitable se produisit au bout de quelques heures. J’étais épuisé, j’avais faim et soif, je ne rencontrais plus personne. Je suis un fumeur invétéré. Ma dernière cigarette était brûlée. Je me dis : — Puisque c’est absurde, pourquoi ménager quoi que ce soit ?
C’était ◀la▶ question par excellence ! ◀Le▶ résumé ◀de▶ toutes mes erreurs, si vous voulez. Je trouve ◀la▶ porte du bureau directorial. J’entre comme un fou et je crie : — Pourquoi ?
◀Le▶ directeur était assis face à ◀la▶ porte et me regardait comme s’il n’avait rien entendu. Nous nous sommes dévisagés un certain temps ; je ne trouvais pas son regard, il me semblait que ce regard fuyait très loin dans ses yeux et me rejoignait par-derrière, je ne puis ◀l’▶expliquer autrement. ◀D’▶une certaine manière, c’était mon propre, regard qui traversait ses yeux et revenait sur ma nuque. À l’instant où je ◀l’▶ai compris, il a tiré.
— Eh bien oui, je suis là, dit-elle. (Je tenais sa main. Je sentis qu’elle avait ◀de▶ ◀la▶ fièvre.) Je suis là parce que tu es venu, tout simplement.
Nous étions couchés chez nous. Je ne sais combien ◀de▶ temps cela va durer. Elle délire et j’ai cette balle dans ◀le▶ cœur.
Et voici que maintenant, je ne puis plus poser ◀de▶ questions.
Car si vous me dites que c’est une vraie balle que j’ai dans ◀le▶ cœur, il est évident que je suis mort. Et si vous me dites que ◀la▶ balle n’est pas plus réelle que ce qui s’est passé dans ◀la▶ maison, vous supprimez à la fois toutes ◀les▶ questions possibles et donc toute possibilité ◀de▶ réponse à quoi que ce soit. Laissez-moi donc seul. C’est mon ordre. Et si vous ne me croyez pas, je vais tirer !