Perspectives d’avenir du protestantisme (2 janvier 1942)g
Le▶ texte que nous publions est ◀la▶ conclusion d’une conférence que M. Denis de Rougemont a donnée en septembre à Rio de la Plata, sous ◀les▶ auspices de ◀l’▶Église évangélique de langue française.
Je vois de grandes perspectives d’avenir devant ◀le▶ protestantisme. J’en désignerai trois en guise de conclusion.
La première, c’est que ◀la▶ Réforme, et spécialement sa tendance calviniste, est appelée à figurer dans notre siècle ◀le▶ type même de ◀la▶ sûre doctrine de résistance au paganisme totalitaire. ◀La▶ foi de ◀la▶ Réforme, telle que j’ai tenté de ◀la▶ situer dans ◀l’▶évolution de ◀l’▶Europe, représente en effet ◀le▶ centre et ◀l’▶axe même de ◀la▶ notion chrétienne de personne, à la fois libre et engagée. Par ◀l’▶organisation même de ses Églises et de ses paroisses, elle offre ◀le▶ type d’une communauté libre et pourtant bien liée, fondée sur ◀l’▶espérance de ◀l’▶Esprit et non pas sur ◀les▶ fatalités du passé, ouverte à ◀la▶ volonté d’un Dieu transcendant et non pas fermée sur ◀les▶ intérêts d’un groupe. Par là, elle s’oppose radicalement à toute religion totalitaire, fondée sur ◀le▶ sang, ◀la▶ race, ◀la▶ tradition, ◀les▶ morts. ◀La▶ religion totalitaire n’admet pas que « ◀les▶ choses vieilles sont passées », selon ◀la▶ parole de ◀l’▶apôtre. Elle n’admet pas ◀la▶ conversion et ◀le▶ pardon, à partir desquels « il n’y a plus ni juif ni grec ». Elle ne demande pas « Que crois-tu ? Qu’espères-tu ? », mais elle demande « Quels sont tes morts ? ». Religion du sang, de ◀la▶ terre et des morts, religion sanglante et mortelle, religion des choses vieilles mortes et enterrées depuis des millénaires, jamais « passées ». Qui ne voit qu’une telle religion hait mortellement et de toute sa nature ◀la▶ foi chrétienne, tournée vers ◀le▶ pardon, ◀le▶ futur éternel, ◀le▶ rachat du péché d’origine ?…
Mais résister ne suffit pas, on ne se défend bien qu’en attaquant, c’est-à-dire en prenant ◀l’▶initiative. Ici, ◀la▶ perspective qui s’offre aux Églises protestantes, c’est de préparer ◀le▶ terrain pour ◀la▶ reconstruction fédéraliste du monde de demain. Si ◀les▶ totalitaires sont vaincus, ce seront ◀les▶ nations protestantes et fédéralistes d’esprit qui auront obtenu ◀la▶ victoire. Elles ne sauront ◀la▶ rendre féconde que si elles se laissent guider et inspirer par ◀la▶ tradition spirituelle qui a fait leur force : ◀la▶ tradition personnaliste et fédéraliste de ◀la▶ Réforme.
Enfin, la troisième perspective qui s’ouvre au protestantisme, c’est celle du mouvement œcuménique. Vous savez que ◀l’▶initiateur de ce vaste effort, qui tend à réunir toutes ◀les▶ Églises chrétiennes, fut un luthérien, ◀l’▶archevêque Nathan Soederblom. Il groupe aujourd’hui ◀les▶ diverses dénominations protestantes, ◀les▶ anglicans, ◀les▶ orthodoxes grecs et russes, et ◀les▶ vieilles Églises du Proche-Orient, c’est-à-dire toutes ◀les▶ Églises chrétiennes sauf celle de Rome qui se tient, par malheur, à ◀l’▶écart. Or, dans cette œuvre à laquelle collaborent ◀la▶ majorité des chrétiens du monde entier, nous voyons ◀la▶ réalisation d’un des grands idéaux calvinistes : ◀la▶ fédération organique des Églises, leur union spirituelle dans ◀la▶ diversité admise des formes de culte et d’organisation. Ce n’est point par hasard que ◀les▶ calvinistes, bien qu’ils soient une minorité, jouent un rôle de premier plan dans ◀les▶ travaux du Conseil œcuménique. Toute leur tradition ◀les▶ prépare à ce rôle de fédérateurs religieux, comme elle ◀les▶ prépare au rôle de fédérateurs politiques.
J’aime évoquer, en terminant, cette espérance d’une réunion de toutes ◀les▶ confessions chrétiennes. Car en nous faisant entrevoir ◀la▶ possibilité d’une catholicité nouvelle, elle nous délivre de ◀l’▶espèce d’étroitesse, de « nationalisme protestant », auquel nous sommes tentés de céder parfois, sous ◀l’▶effet de ◀la▶ polémique ou par un attachement excessif à certaines de nos traditions secondaires. ◀Le▶ but de nos Églises n’est pas d’imposer ◀le▶ protestantisme au monde, mais d’annoncer ◀l’▶Évangile, ◀la▶ bonne nouvelle du « salut de grâce et bonté pure » comme on disait au xvie siècle. Et c’est notre fidélité même à ◀la▶ Réforme qui nous fait nous réjouir d’une perspective où nos « ismes » disparaîtraient pour se fondre dans une Église plus vaste. S’il fallait que je dise en une phrase ce qui m’attache à ◀l’▶Église protestante, plutôt qu’à aucune autre, je dirai ceci : ◀L’▶Église protestante est justement celle qui ne se donne pas pour ◀la▶ seule forme d’Église possible ; elle est ◀l’▶Église qui accepte d’être constamment réformée et jugée par ◀la▶ Vérité même qu’elle annonce et dont elle doit se sentir responsable devant ◀le▶ monde d’aujourd’hui et pour demain.