Mémoire de▶ ◀l’▶Europe : Fragments ◀d’▶un Journal des Mauvais Temps (septembre 1943)h
I. — ◀Le▶ bon vieux temps présent
Paris, 17 mars 1939
◀Le▶ Führer a passé ◀la▶ nuit au Hradschin
Après Vienne, avec Prague, c’est une Europe qui vient de mourir. Europe du sentiment, patrie ◀de▶ nostalgie ◀de▶ tous ceux qu’a touchés ◀le▶ romantisme — encore un paradis perdu ! Mais ◀les▶ vrais paradis seront toujours perdus : ils naissent à ◀l’▶heure où on ◀les▶ perd.
Souvenirs ◀de▶ Salzbourg et ◀de▶ Prague, Mozart et Rilke, et ◀la▶ Vienne de Schubert — à ◀l’▶heure où sombrent des nations sous ◀l’▶uniforme barbarie — je ◀les▶ vois s’élever rayonnants dans ◀la▶ lueur éternisée ◀d’▶un soir ◀d’▶été, après ◀l’▶orage, avant ◀la▶ nuit, dans une gloire déchirante et délicieuse comme les secondes voix ◀de▶ Schumann. Un mythe nouveau prend son essor au sein même ◀de▶ ◀la▶ catastrophe. Tout un âge, un climat ◀de▶ musiques, soudain se fixe en nos mémoires, s’idéalise. Un « bon vieux temps » de plus, tout près de nous…
◀Le▶ bon vieux temps, pour nos ancêtres, c’était très loin dans ◀le▶ passé, dans ◀la▶ légende, si loin que nul, en vérité, ne ◀l’▶avait vu. Mais déjà, pour beaucoup d’entre nous, ce fut simplement ◀l’▶avant-guerre, ◀les▶ souvenirs ◀de▶ notre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout ◀d’▶un coup, est encore plus proche : c’est ◀l’▶an passé, c’est avant-hier, peut-être même est-ce — aujourd’hui ?
Mais oui, peut-être vivons-nous, ici, dans ce Paris ◀de▶ mars 1939, ◀les▶ derniers jours du bon vieux temps européen.
Jours ◀de▶ sursis ◀d’▶une liberté dont nous avions à peine conscience, parce qu’elle était notre manière toute naturelle ◀de▶ respirer et ◀de▶ penser, ◀d’▶aller et venir, et ◀d’▶entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels…
Combien ◀de▶ temps encore, combien ◀de▶ semaines pourrons-nous goûter ce répit, et sentir que nous prolongeons une existence que nos fils appelleront douceur ◀de▶ vivre ? Déjà nous éprouvons que ◀le▶ monde a glissé dans une ère étrange et brutale, où ces formes ◀de▶ vie qui sont encore les nôtres ne peuvent plus apprivoiser ◀le▶ destin. Soit que ◀les▶ tyrans nous accablent, soit qu’un sursaut nous dresse à résister, il faudra changer ◀le▶ rythme et rectifier ◀la▶ tenue, bander tous ◀les▶ ressorts, mobiliser ◀les▶ cœurs…
C’est ◀le▶ crime des dictatures : elles ne tuent pas ◀la▶ liberté dans ◀les▶ pays seulement où elles sévissent, mais aussi bien chez ◀les▶ voisins qu’elles secouent ◀d’▶un défi grossier. ◀La▶ liberté ne peut survivre à ◀de▶ tels chocs. Car elle est vraiment comme un rêve, un rêve heureux où ◀l’▶on circule avec aisance, gardant parfois ◀l’▶arrière-conscience ◀d’▶un miracle. Elle est encore une œuvre d’art qui n’agit que par ◀l’▶atmosphère, par ◀le▶ charme qu’elle fait régner. Des lois adroites et humaines ne suffiront jamais à ◀l’▶assurer : il y faut ce climat sentimental, cette espèce ◀de▶ naturel qui naît ◀d’▶une entente tacite, ◀d’▶une confiance, presque ◀d’▶une insouciance…
C’est tout cela que vient de mettre en question ◀l’▶usurpateur du Hradschin. Et dès lors qu’il ◀l’▶a mis en question, et qu’il nous force au réalisme à sa manière, ◀le▶ charme est détruit dans nos vies. Nous sommes pareils à celui qui s’éveille et goûte encore quelques instants ◀les▶ délices ◀d’▶un rêve inachevé. Mais il sait bien que c’est fini.
Brève dispense, ◀le▶ temps ◀d’▶un peu se souvenir… Il faut se lever. Il faut entrer résolument dans ◀le▶ grand jour du siècle mécanique, accepter pour un temps sa loi, en préservant, s’il se peut, dans nos cœurs, ce droit ◀d’▶aimer, cette bonté humaine plus inutile que jamais, dominatrice et bafouée.
II. — Le dernier printemps ◀de▶ ◀la▶ paix
En Suisse, 2 mai 1939
Combien oseraient avouer que cette menace leur rend enfin ◀le▶ goût ◀de▶ vivre ? Privilégiés qui n’éprouvent ◀de▶ désir pour leurs biens qu’à ◀la▶ veille ◀de▶ ◀les▶ perdre. Déshérités aussi, qui ne retrouvent ◀l’▶espoir qu’au seuil des catastrophes générales. Et j’en connais qui ne parviennent à leur régime normal ◀de▶ vie (comme un moteur prend son régime normal à tant à ◀l’▶heure) que dans ◀le▶ drame et ◀le▶ bouleversement des habitudes où ◀l’▶énergie s’enlise.
Ce besoin ◀d’▶être provoqué pour montrer ◀de▶ quoi ◀l’▶on est capable est si profond, peut-être si normal, que j’en viens à me demander si toutes nos crises ne seraient pas machinées par nous-mêmes, dans notre inconscient collectif. Je puis ◀l’▶avouer parce que je suis un écrivain, Il est admis que ces gens-là ont ◀le▶ droit ◀de▶ dire — pour ◀le▶ soulagement général — ce qui ferait taxer ◀l’▶homme ◀de▶ ◀la▶ rue ◀de▶ cynisme ou ◀de▶ lâcheté. Faut-il penser qu’ils sont plus courageux ? Mais non. Ils sont tout seuls devant leur papier blanc. ◀Les▶ réactions à leur parole seront lointaines, ou même ils ne ◀les▶ connaîtront jamais…
Paris, 12 mai 1939
Quatrième changement ◀de▶ domicile depuis ◀le▶ début ◀de▶ cette année. « Étranger et voyageur sur ◀la▶ terre », ainsi pensais-je d’autres fois, dans ces périodes ◀de▶ nomadisme involontaire. Aujourd’hui, je songe plutôt à quelque état ◀de▶ mobilisation permanente, préventive… Militarisation ◀de▶ nos pensées, ◀de▶ nos images.
Hier, dans ◀l’▶autobus, une petite dame assise devant moi s’écrie, voyant s’abattre une pluie ◀d’▶orage sur ◀la▶ Concorde : « Et moi qui ai oublié mon masque à gaz ! C’était pourtant ◀l’▶heure ! »
14 mai 1939
◀La▶ grande ville traversée dans ◀la▶ fatigue ◀d’▶un soir pluvieux.
Paris, souffrance des visages et des corps, exercice perpétuel ◀de▶ charité dans une atmosphère exténuante, hâte, érotisme, énervement. Paris soudain considéré comme ◀la▶ situation spirituelle ◀la▶ plus extraordinaire du siècle !
Il est des êtres et des drames dont ◀la▶ vérité n’apparaît que dans cet environnement ◀de▶ lueurs fuyantes, ◀d’▶activités apparemment désordonnées, ◀de▶ phrases entendues au passage, ◀d’▶infinis croisements ◀d’▶existences étrangères. Paris propose une liberté et un danger, une révélation totale ◀de▶ ◀l’▶humain dans tous ses risques matériels et spirituels, impossible ailleurs ◀de▶ nos jours, et peut-être à toute autre époque. Imaginer là-dessus un livre vrai, un livre où tout serait avoué, horreur et charme, à travers ◀la▶ vision ◀d’▶un saint qui vivrait sa vie consacrée dans ◀les▶ rues, ◀les▶ cafés, ◀les▶ métros. Je ◀le▶ vois sortant ◀de▶ cette église ouverte, où passe ◀le▶ bruit des autobus ; ou bien ◀de▶ ce temple, un samedi soir, où ◀la▶ Sainte-Cène est partagée dans un silence ◀de▶ catacombes.
Centre du monde ! Il s’en va, coudoyant ◀la▶ foule et traversant ◀les▶ lieux publics avec cette grande Question qu’il porte dans son être, et qui est aussi ◀la▶ grande réponse ; et ◀les▶ démons s’éveillent sur son passage, il n’y a plus nulle part ◀d’▶indifférence possible ! Ici, ◀le▶ Christ reste ◀le▶ Scandale, l’Autre, ◀l’▶Amour qui bouleverse ◀le▶ monde et fait surgir des quotidiennes apparences ◀l’▶être touchant, bizarre ou monstrueux que chacun ◀de▶ nous dissimule.
Alors, on verrait ◀le▶ réel, alors on cesserait ◀de▶ haïr, ou ◀d’▶être déçu par ◀l’▶amour, ou ◀de▶ s’inquiéter des rumeurs qui glissent au travers de propos superficiellement passionnés… Et ◀l’▶on cesserait aussi ◀de▶ redouter ◀la▶ guerre, parce qu’on ◀la▶ verrait dans ◀la▶ paix, là où chacun livre son vrai combat.
III. — Pendant ◀la▶ bataille des Flandres
En Suisse, 24 mai 1940. Poste militaire à ◀la▶ frontière
Écouté ◀la▶ radio : opéra ◀de▶ Mozart. Et dans une seule bouffée, toutes ces nuits ◀de▶ Vienne, élégantes passions égarées, musique aux jardins jusqu’à ◀l’▶aube… Un quart ◀de▶ tour, nouvelles ◀de▶ ◀la▶ bataille des Flandres, c’est ◀la▶ fin ◀d’▶un communiqué, régions perdues encore, régions perdues dans ◀le▶ passé et territoires envahis.
◀Le▶ passé, ◀le▶ présent réduits se rétrécissent vers ◀la▶ catastrophe.
Il n’est plus ◀d’▶autre issue que ◀la▶ nuit, mais viendra-t-elle après ma mort ou avec elle ? Si c’est avant, où aller, où rester, où demeurer quand tout s’en va, et que penser si je ne puis — rien dire ou faire qui s’accorde à ces temps ?
« Une nuit viendra, pendant laquelle personne ne peut agir. » C’est quelque part dans ◀l’▶Évangile.
Ou faudra-t-il enterrer nos secrets, pour d’autres qui peut-être ne viendront jamais ?
Car ◀la▶ carte des pays libres, hier encore presque aussi vaste que ◀la▶ terre, se rétrécit ◀de▶ jour en jour et ◀d’▶heure en heure, à chaque fois que j’allume cet œil vert — pays perdus, souvenirs saccagés. S’il y avait une victoire enfin, ce serait un retour du passé. Vaudrait-il mieux qu’alors ? Saurions-nous mieux ◀le▶ vivre, augmenté du souvenir ◀de▶ sa perte ? Mais ◀le▶ passé ne reviendra jamais, ce bon vieux temps que je sentais présent — un an déjà ! comme dans ◀les▶ chansons — même si ◀la▶ guerre était gagnée, même si demain nous devons vivre encore…
À quoi pensent-ils, ceux ◀de▶ ◀la▶ bataille ? Ont-ils ◀de▶ ces retours soudains vers des moments ◀de▶ tendresse banale ? Ils deviendraient fous ◀de▶ révolte… Ils en ont, ils en ont sûrement quand ils s’endorment épuisés, sur un talus, ou pire encore ! ils en ont au réveil, affreux bonheur ◀d’▶une illusion rapide, où suis-je ? Déjà tout recommence, sans relâche, et cet acharnement des choses contre moi, voulant quoi, sans relâche ? voulant ma mort à moi. C’est sérieux, cette fois-ci ça y est !…
Vivant un cauchemar qui est vrai, nous allons en désordre au réveil. ◀La▶ mort, ◀le▶ désespoir en plein midi, — ou ◀la▶ reconnaissance ◀de▶ ◀l’▶unique nécessaire ?
IV.
◀La▶ vulgarisation ◀de▶ ◀la▶ radio produisit durant cette guerre une conséquence fort imprévue : elle empêcha ◀les▶ hommes ◀de▶ se rendre compte ◀de▶ ◀l’▶ampleur et ◀de▶ ◀la▶ rapidité des bouleversements qu’ils vivaient. Aux mois ◀de▶ mai et ◀de▶ juin 1940, on entendait répéter constamment : « Je viens ◀d’▶écouter ◀la▶ radio. Rien de nouveau, toujours ◀les▶ mêmes histoires, pas ◀de▶ décision… » ◀Le▶ monde était en train de changer ◀de▶ face ◀d’▶un jour à l’autre, mais on ◀le▶ regardait ◀d’▶heure en heure, ◀de▶ trop près, on ne ◀le▶ voyait pas…
V. — Lisbonne
10 septembre 1940
Blanche et bleue dans ◀l’▶immense lumière ◀de▶ ◀la▶ liberté atlantique, avec tous ses drapeaux claquants et ses rues débouchant sur ◀le▶ ciel, ◀la▶ ville aux sept collines oublie ◀la▶ guerre, oublie ◀l’▶Europe. Dans quatre jours, nous embarquons pour ◀l’▶Amérique.
Mais ici, je fais ◀le▶ serment ◀d’▶opposer une stricte mémoire à ◀la▶ candeur intarissable ◀de▶ ◀la▶ Vie, toujours pressée ◀d’▶imaginer un monde où tout peut encore continuer. J’ai vu ◀la▶ civilisation frappée au cœur, je ◀l’▶ai vue chanceler, je sais qu’elle peut mourir.
J’ai vu ◀la▶ France, comme un homme qui vient de tomber sur ◀la▶ tête, qui se relève, se tâte, et ne sait pas encore où il a mal.
Va-t-il vivre ? A-t-il rêvé ? Serait-il déjà mort ?
J’ai vu ◀l’▶Espagne ◀de▶ cendre et ◀d’▶esprit, incapable ◀de▶ retrouver son équilibre entre ◀le▶ démoniaque et ◀le▶ surhumain.
Et j’ai vu, aux frontières ◀de▶ ◀la▶ Suisse, ◀l’▶invasion des herbes sauvages venant des terres abandonnées du Nord, et que nos paysans s’efforcent ◀d’▶arrêter avant qu’elles n’étouffent leurs champs. J’ai vu renaître ◀les▶ paniques dévastatrices du ve siècle ◀de▶ notre ère. Et je songe au bastion que mon pays élève autour du massif du Gothard, invincible et désert, cœur mystérieux du continent, dernier symbole ◀d’▶une liberté qui ne peut plus vivre que sous ◀la▶ cuirasse. Hâtons-nous, car tout peut périr.
Nous qui sommes encore épargnés, ne perdons pas notre délai ◀de▶ grâce !
VI. — Souvenir ◀de▶ ◀la▶ paix française
En Amérique, novembre 1940
Périgny… C’était bien ce nom-là ? Un long village en bordure ◀de▶ ◀la▶ route. ◀D’▶un côté, ◀les▶ maisons dominaient une vallée, ◀de▶ l’autre elles s’élevaient à peine ◀d’▶un étage au-dessus des champs ◀de▶ roses et des blés, au bord du plateau ◀de▶ ◀la▶ Brie. Je montais vers Périgny par un sentier fort raide entre ◀les▶ ronces, aboutissant à ◀de▶ vieux escaliers. Une seule rangée ◀de▶ maisons à traverser, et ◀l’▶on parvient à ◀la▶ grand-rue : comme elle est vide !
◀Les▶ toits ◀d’▶ardoises ne dépassent pas ◀les▶ façades nues, brunies par ◀l’▶âge, patinées par ◀les▶ vents. Rares sont ◀les▶ boutiques, et même ◀les▶ cafés. Et s’il passe une auto, c’est une ◀de▶ ces voitures branlantes qui semblent ne pouvoir rouler que sur ◀les▶ routes écartées, ◀d’▶une ferme au marché ◀le▶ plus proche. Nulle part au monde ◀la▶ vie n’apparaît si discrète, si pacifique et séculaire. Ce pays-là n’est qu’amitié des tons et des lignes humaines, humilité sous ◀la▶ douceur du ciel, retrait des âmes dans leur destin.
Je longeais cette rue silencieuse, imaginant ◀d’▶y vivre un jour dans une fermette aux volets pâles, sans adresse, au ras de ◀la▶ plaine.
Un peu avant ◀la▶ sortie du village, ◀la▶ rue bifurque : une route prend à droite, vers ◀la▶ plaine, escortée ◀de▶ quelques maisons ; l’autre s’incline lentement vers ◀la▶ vallée, dans ◀les▶ vergers. Je m’étais arrêté à cet endroit, hésitant sur ◀le▶ chemin à prendre.
Et soudain, je vis à mes pieds, tracé à ◀la▶ craie sur ◀le▶ sol, un grand cercle entourant une inscription en lettres capitales bien arrondies :
Martine
Je suis
Aux champs
Paix du village, silence des rues vides ouvertes sur ◀le▶ ciel et sur ◀les▶ blés. J’étais là fasciné comme par ◀la▶ découverte ◀d’▶un secret ◀de▶ pudeur naïvement dévoilé. Secret ◀de▶ ce village aux volets clos. Imaginant une idylle muette. Celui qui revient au pays après une longue absence et des déboires : il entre, ne trouve personne. Mais ses outils sont là, contre ◀le▶ mur. Il reprend ◀le▶ chemin ◀de▶ son champ. En passant au carrefour, il s’est dit : « Peut-être est-elle à Mandres, c’est donc jour ◀de▶ marché. » Il a écrit ces mots. Elle saura bien. Il a rejoint ◀l’▶usage du pays, ◀l’▶intimité des choses ◀de▶ toujours. Et ◀le▶ moindre signe suffît.
Je suis redescendu vers ◀la▶ vallée ◀de▶ ◀l’▶Yerre, qui coule entre des saules et des peupliers blancs. Il faisait lourd et doux, ◀le▶ goudron ◀de▶ ◀la▶ route sentait plus fort que ◀les▶ champs ◀de▶ roses, et des nuages noirs traînaient sur ◀les▶ vergers.
J’ai su, plus tard, que ce jour-là, j’avais fait mes adieux à ◀la▶ France.
VII. — Mémoire ◀de▶ ◀l’▶Europe
1943
Je ne savais pas que tout était si près là-bas. J’étais baigné.
J’étais fondé. Et je marchais parmi ◀les▶ signes. Sédiments séculaires, socles ◀de▶ nos patries ! Monuments que ◀l’▶on ne voit plus, mais qui renvoient ◀l’▶écho familier ◀de▶ nos pas. Et ces rues qui tournaient doucement vers une place plantée ◀d’▶arbres et déserte, aux rendez-vous manqués où je me retrouvais… « Je t’aime. J’aime ! »
J’ai tout dit. ◀L’▶Europe était patrie ◀d’▶amour. ◀Le▶ silence attendait, ◀l’▶absence était profonde, et chaque être présent questionnait, répondait. ◀La▶ force était au secret ◀de▶ nos vies, nouée parfois dans une rancune obscure, ou bien dans ◀la▶ contemplation jalouse ◀d’▶un vieil arbre — il était vieux déjà du temps ◀de▶ notre enfance, et notre possession ◀la▶ plus tenace, il nous réduisait au silence. ◀La▶ force était chanson fredonnée, sur ◀le▶ seuil, au matin ◀d’▶une journée qui se liait aux autres…
(Quand ta force devient visible, c’est comme ◀le▶ sang, c’est que tu es blessé, ta vie s’en va).
◀La▶ force était mémoire et allusion, elle était ce vieil arbre tenace. Elle était ◀la▶ douceur et ◀la▶ sagesse amère des adieux, ou ◀la▶ gaieté ◀d’▶un mot dit en passant. Elle avait ◀les▶ pudeurs ◀de▶ ◀l’▶amour…
Quand je me souviens — c’est ◀l’▶Europe.
Parce que ◀l’▶Europe est ◀la▶ mémoire du monde, parce qu’elle a su garder en vie tant de passé, et garder tant de morts dans ◀la▶ présence, elle ne cessera pas ◀d’▶engendrer. Elle a maîtrise ◀d’▶avenir.