Les▶ tours du diable I : « Je ne suis personne » (15 octobre 1943)h i
C’est dans ◀les▶ Petits poèmes en prose ◀de▶ Baudelaire que ◀l’▶on peut lire ◀la▶ phrase ◀la▶ plus profonde écrite par un moderne sur Satan : « ◀La▶ plus belle ruse du diable est ◀de▶ nous persuader qu’il n’existe pas. »
Reconnaissons que ce tour n’a jamais mieux réussi que dans ◀l’▶époque contemporaine. Même quand nous croyons « encore » en Dieu, nous croyons si peu au diable que ◀l’▶on m’accusera certainement ◀d’▶obscurantisme, ou simplement ◀de▶ manque ◀de▶ sérieux, si je persiste en mon projet ◀de▶ lui consacrer ◀de▶ nombreuses pages.
Le premier tour du diable est son incognito.
Dieu dit : Je suis celui qui suis. Mais ◀le▶ diable, qui a ◀la▶ manie ◀de▶ vouloir imiter ◀la▶ vérité en ◀la▶ retournant, ◀le▶ diable nous dit comme Ulysse au Cyclope : Je ne suis personne. ◀De▶ quoi aurais-tu peur ? Vas-tu trembler devant ◀l’▶inexistant ?
Une remarque en passant, mais nécessaire. C’est au sujet ◀d’▶un camouflage très élémentaire, mais fort bien adapté à ◀la▶ myopie spirituelle des temps modernes. Voici : depuis deux ou trois siècles, il a plu au diable ◀de▶ revêtir une apparence moyenâgeuse qui ◀le▶ rend inoffensif aux yeux de la plupart d’entre nous. Car si ◀le▶ diable est simplement ◀le▶ démon rouge et cornu des mystères médiévaux, ou ◀le▶ faune à barbiche ◀de▶ chèvre et à longue queue des légendes populaires, il est vraiment trop facile ◀d’▶y croire : qui s’en donnerait encore ◀la▶ peine ? ◀De▶ fait, j’ai connu beaucoup ◀d’▶hommes qui voulaient bien admettre en souriant un diable ◀de▶ ce genre, mais non pas croire en Dieu ; ce qui revient à ne pas croire au diable.
Cette mascarade anachronique et bouffonne n’a pas médiocrement contribué à ◀la▶ réussite du premier tour que dénonce Baudelaire. Beaucoup s’y arrêtent : « Comment peut-on perdre son temps à ces balivernes ◀d’▶un autre âge ? », disent-ils. Or ce sont eux qui s’y laissent prendre ! Fascinés par ◀l’▶image traditionnelle et trop évidemment puérile, ils ne se doutent pas que ◀le▶ diable agit ailleurs, sans queue ni barbe, par leurs mains peut-être…
Ce qui me paraît incroyable, ce n’est pas ◀le▶ diable, et ce ne sont pas ◀les▶ anges, mais bien ◀la▶ candeur et ◀la▶ crédulité ◀de▶ ces « sceptiques », et ◀l’▶impardonnable sophisme dont ils se montrent ◀les▶ victimes : « ◀Le▶ diable est un bonhomme à cornes rouges et à longue queue ; or je ne puis croire à un bonhomme à cornes rouges et à longue queue ; donc je ne crois pas au diable. » C’est tout ce qu’il demandait.
Et ceux qui en restent aux contes ◀de▶ bonnes femmes, ce sont ceux qui refusent ◀de▶ croire au diable à cause de ◀l’▶image qu’ils s’en font, et qui est tirée des contes ◀de▶ bonnes femmes.
Cependant ◀la▶ Bible dénonce ◀l’▶existence du diable à chaque page, ◀de▶ la première où il apparaît sous ◀la▶ forme du serpent, jusqu’à ◀l’▶avant-dernière où nous voyons Satan lié pour mille ans, puis délié et déchaîné sur ◀les▶ quatre parties du monde pour ◀les▶ tromper et pour ◀les▶ faire se battre sans raison alléguée, et finalement flamboyé par ◀le▶ feu du ciel et précipité dans un étang ◀de▶ flammes et ◀de▶ souffre avec ses faux prophètes, pour y être tourmenté nuit et jour, au siècle des siècles. ◀La▶ Bible, notez-◀le▶, parle beaucoup moins du « mal » en général que du Malin personnifié (tout au moins dans ◀les▶ textes originaux). Si ◀l’▶on croit à ◀la▶ vérité ◀de▶ ◀la▶ Bible, il est impossible ◀de▶ douter un seul instant ◀de▶ ◀la▶ réalité objective du diable.