Présentation du tarot (printemps 1945)n
1. Origines
Tarot, tarok ou taroc, est le nom donné par les Italiens à l’une des figures du paquet de▶ 78 cartes tel qu’il existait au xiiie siècle. Ce nom fut attribué par la suite à l’ensemble du jeu. Un des premiers témoignages historiques que l’on possède sur le tarot remonte à 1393. Cette année-là, Jacquemin Gringonneur, peintre français, dessina et enlumina des cartes pour Charles VI, le roi fou, liant ainsi le tarot à l’un des moments les plus violemment poétiques ◀de▶ l’histoire ◀de▶ France. Ces cartes à fond doré, à bord ◀d’▶argent, ne portent ni inscriptions ni nombres, et s’inspirent ◀de▶ modèles vénitiens. Dix-sept d’entre elles sont conservées à la Bibliothèque Nationale. ◀D’▶un autre jeu, faussement attribué à Mantegna, et daté ◀de▶ 1400, subsistent aujourd’hui quatre exemplaires ◀de▶ 50 cartes chacun. Ce jeu se compose ◀de▶ cinq séries ◀de▶ 10 cartes, nommées les Conditions ◀de▶ la vie, les Muses, les Arts libéraux, les Vertus, le Système céleste.
Michel-Ange est supposé avoir inventé un jeu ◀de▶ tarot pour enseigner l’arithmétique. Et Gargantua jouait au « Tarau » selon Rabelais. Au xve siècle, l’invention ◀de▶ l’imprimerie multiplia les cartes en circulation, mais jusqu’au xviiie siècle, le tarot n’est guère connu que chez les princes et chez les gipsys, tout en haut ◀de▶ l’échelle sociale et tout en bas, passe-temps noble et magique ou rituel ◀de▶ science maudite, et prêtant aux abus les plus puérils ou les plus démoniaques, bien entendu.
L’origine du tarot est obscure. Vers le milieu du xviiie siècle, l’occultiste suisse Court ◀de▶ Gébelin émit l’hypothèse que le tarot dérivait du Livre ◀de▶ Toth, livre sacré ◀de▶ l’Égypte. Mais il crut aussi en retrouver les équivalents dans une inscription chinoise, datant ◀de▶ 1120, et dans les tablettes hindoues représentant les avatars ◀de▶ Vishnu. L’origine égyptienne du tarot est soutenue par Etteilla, dont nous allons parler, par ◀d’▶Odoucet son premier disciple, et par Éliphas Levi. Elle a été contestée par W. A. Chatto, anglais, en 1848, et par Boiteau, français, en 1854. Ce dernier attribue au tarot une origine hindoue ; et ce sont les gipsys, selon lui (et d’ailleurs aussi selon Lévi) qui l’auraient transmis à l’Europe. Mais on sait que le peuple tzigane ne vint en Europe qu’en 1417 sous la conduite du « Duc d’Égypte » ; et qu’on lui suppose une ascendance hindoue. Or nous possédons des cartes ◀de▶ tarot plus anciennes, comme on vient de le voir.
Les origines du tarot, selon nous, se perdent littéralement dans la nuit des temps. Nous soutiendrons cette thèse au paragraphe 5.
2. Etteilla (1750-1810, environ)
Nous lisons le jugement suivant sur Etteilla dans un petit ouvrage intitulé Le Nouvel Etteilla (Paris 1922) :
Cet auteur, en rendant justice au génie et à la science ◀de▶ Court ◀de▶ Gébelin, terrassa ce que ce grave antiquaire avait transcrit dans son huitième volume du Monde primitif, d’après un amateur qui, lui-même, n’avait pu copier l’art ◀de▶ tirer les cartes, dont il est question, que d’après sa cuisinière.
Il était perruquier et se nommait ◀de▶ son vrai nom, Alliette. Il redécouvrit le tarot pendant la seconde moitié du xviiie siècle. Sa prose est vague, ses interprétations sont hasardeuses, mais il a le mérite ◀d’▶en avoir proposées. Ses disciples, dont le plus grand fut Éliphas Lévi (l’abbé Alphonse Louis Constant), ne se privent pas ◀de▶ dénoncer ses erreurs, mais se montrent enclins aux mêmes complaisances interprétatives que le maître. La lecture ◀de▶ leurs textes est généralement exaspérante, à cause de leur propension à ramener tout à tout, et réciproquement. En voici un exemple :
Etteilla a placé le Fou à la fin du jeu, c’est-à-dire au nombre 78, et a mis au nombre 21 la figure qu’il nomme le Despote africain, qui n’est autre que l’arcane 7, 1e Chariot… Mais en fait cette lame n’a pas ◀de▶ nombre autre que le zéro. Ce nombre 21 appartient à la lettre Schin ◀de▶ l’alphabet hébreu… Le véritable 21 est aussi 22, ainsi que nous le verrons. Etteilla place le Fou sous le nombre 78 qui est enfin notre zéro, et voici son intéressante analyse ◀de▶ ce nombre. (Elie Alta, Le Tarot égyptien, ou Etteilla restitué, Vichy, 1922.)
On peut juger d’après ce texte (et son contexte) que selon Etteilla et son disciple Elie Alta, l’un corrigeant l’autre. 0 = 78 = (77) = 21 = 22 = (20) = 0. Telles sont les brimades que doit subir le débutant dans l’étude du tarot.
3. Variations
Selon les pays et les temps : quant au dessin des cartes, et quant à leur interprétation, les variations paraissent avoir été aussi nombreuses que les familles ◀d’▶esprits, les hérésies chrétiennes, ou les écoles marxistes. Non moins valables. Car le tarot représente le Monde : on peut le voir de plus ◀d’▶une façon.
A) Pays. Citons Elie Alta :
Etteilla a composé un jeu dans lequel les figures des arcanes majeurs ont été déplacées ou transformées. Seuls les arcanes mineurs sont exacts, mais malgré ces changements on peut se servir ◀de▶ son jeu. Il est préférable ◀d’▶employer les suivants, mais en numérotant les arcanes mineurs :
1. Le tarot ◀de▶ Marseille où les arcanes majeurs sont exacts ;
2. Le tarot suisse ◀de▶ Schaffhouse ;
3. Le tarot italien où seulement deux arcanes sont différents :
(a) Le pape qui est remplacé par Jupiter, ce qui est la même chose, car Jupiter étant symboliquement principe ◀de▶ vie, fait fonction ◀de▶ Dieu dans l’Humanité ;
(b) La papesse, remplacée par Junon qui est l’espace ou sanctuaire ◀de▶ la vie, ce qui est le même symbole ;
4. Le tarot ◀de▶ Francfort, qui est entièrement défiguré, mais qui peut également servir en tenant compte que les Bâtons sont remplacés par les Carreaux ; les Épées par les Piques et les Deniers par les Trèfles.
En France nous trouvons difficilement le tarot ◀de▶ Marseille. La Maison Grimaud l’a remplacé par le tarot italien ; celui ◀de▶ Schaffhouse ne se trouve qu’en Suisse, de même celui ◀de▶ Francfort en Allemagne ; ils n’ont pas droit ◀d’▶entrée en France. Quant à celui ◀d’▶Etteilla, on le trouve partout. (E. Alta, op. cit., p. 27).
B) Dessin. La plupart des jeux qu’on trouve aujourd’hui en circulation (si l’on peut dire, car leur vente est interdite dans ◀de▶ nombreux pays), s’inspirent ◀de▶ modèles du xviiie siècle avec plus ou moins ◀de▶ fidélité. Défaut courant : une simplification intempérante des symboles. Comparez par exemple les cartes que nous reproduisons à la suite de cet article, les unes selon Court ◀de▶ Gébelin, les autres selon des modèles plus anciens, restitués par l’érudition. Et depuis Court ◀de▶ Gébelin, la décadence s’est accentuée. On trouve même aujourd’hui des cartes ◀de▶ tarot à figures redoublées (tête en haut et tête en bas) à l’instar du jeu ◀de▶ cartes moderne. C’est un abus inqualifiable, si l’on sait que l’interprétation ◀de▶ chaque lame ou arcane majeur peut être profondément différente selon que la carte apparaît dans le jeu droite ou renversée. Il en résulte aussi que le manque ◀de▶ place, dans le cas ◀d’▶une figure doublée, oblige le dessinateur à expulser ◀de▶ la carte les symboles qu’il juge superflus (tel que l’oiseau ◀de▶ l’immortalité dans l’arcane 17, petit exemple, ou les lettres T-A-R-O et J-H-V-H dans l’arcane 10, c’est-à-dire simplement le sens ◀de▶ la lame — Taro ou Rota — et le nom ◀de▶ Dieu — Jahvé). On voudrait conseiller au lecteur ◀de▶ détruire radicalement tout jeu ◀de▶ ce genre sur lequel il pourrait mettre la main, si l’on ne craignait ◀de▶ donner à ces contrefaçons la valeur tout accidentelle qui s’attache aux raretés monstrueuses.
C) Significations. Nous donnons en regard des lames reproduites ci-après quelques exemples ◀d’▶interprétations fort diverses : il serait aisé (et désirable) ◀de▶ les multiplier à propos de ces mêmes cartes. Peut-être alors une certaine cohérence transparaîtrait-elle lentement au travers de ces modifications kaléidoscopiques. Celles-ci sont en nombre infini, ainsi qu’on en pourra juger par l’examen du tableau suivant.
En effet, chacune des lames du tarot (arcanes majeurs) s’identifie à :
1. une planète
2. un signe du zodiaque
3. une lettre ◀de▶ l’alphabet hébreu (sens exotérique et sens ésotérique)
4. un nombre (interprété par la Cabbale)
5. un élément (selon l’alchimie)
6. une couleur
8. un nom
à quoi l’occultiste Lenain a cru pouvoir ajouter :
9. un jour
10. une heure
11. un degré
12. un génie
13. un verset des psaumes ◀de▶ David
et les psychanalystes modernes :
14. une des quatre facultés (pensée, intuition, sentiment, sensation)
15. un des archétypes ◀de▶ l’inconscient collectif.
De plus, ces significations sont organisées en structures ou rythmes, et non pas simplement juxtaposées. Prenons l’exemple des lettres. D’après Elie Alta (et donc Etteilla), « les Égyptiens ont attaché à chaque carte des 22 atouts majeurs une lettre ◀de▶ l’alphabet hébreu… Ces lettres ont apporté avec elles les signatures célestes. Il y a 7 lettres appelées doubles qui figurent le monde des planètes ; puis 12 lettres dites simples qui figurent les 12 signes du zodiaque que parcourt le soleil pendant les 4 saisons. Enfin il reste les 3 lettres dites les 3 Mères, qui sont attachées à nos trois cartes majeures : l’Homme (Le Bateleur), le Fou, et la Mort. »
4. Correspondances avec les cartes modernes
Les interprètes contemporains diffèrent ◀d’▶une manière décourageante quant au parallélisme à établir entre les quatre couleurs des tarots et les quatre couleurs du jeu ◀de▶ cartes moderne. Bornons-nous à livrer à l’étude du lecteur les hypothèses suivantes :
Selon A. E. White (Key to the Tarot) :
les Bâtons du Tarot = les Carreaux du jeu ◀de▶ cartes
les Coupes = les Cœurs
les Épées = les Trèfles
les Deniers = les Piques
Selon les tarots ◀de▶ Francfort :
Bâtons = Carreaux
Coupes = Cœurs
Épées = Piques
Deniers = Trèfles
Selon A. E. Thierens (The General Book of the Tarot) :
Bâtons = Trèfle = Air
Coupes = Carreau = Eau
Épées = Pique = Terre
Deniers = Cœur = Feu
Selon le Dr Elizabeth Whitney (Tarot, private publication in Spring 1942) :
Bâtons = Carreau = Intuition = Air
Coupes = Cœur = Sentiment = Feu
Épées = Trèfle = Pensée = Eau
Deniers = Pique = Sensation = Terre
Enfin, selon R. M. ◀de▶ Marinis (dans un ouvrage à paraître en 1945) :
Bâtons = Trèfle = Sexualité = Sensation = Terre
Coupes = Cœur = Mariage = Sentiment = Eau
Épées = Pique = Sociabilité = Intuition = Air
Deniers = Carreau = Création = Pensée = Feu
Il semblerait, à lire cette liste, que les arcanes représentent, grosso modo, les autorités religieuses et sociales au Moyen Âge, et quelques-unes des situations élémentaires ◀de▶ l’existence, signifiées par allégories. Il n’en est rien. Tout est symbole dans le Tarot, jusqu’au moindre détail, si le dessin est exact. Et ces symboles, à l’examen ◀d’▶une attention qui consent à se laisser docilement absorber, ne tardent pas à révéler deux caractères généraux : ils sont tantôt hiératiques, tantôt dramatiques, comme le sont les symboles ◀de▶ nos « grands rêves ». ◀De▶ fait, chacun des arcanes majeurs est une apparition, un grand rêve fixé, et peut être analysé à ce titre. Les figures ◀de▶ la papesse, ◀de▶ l’empereur, ◀de▶ la Justice, ◀de▶ l’Ermite, nous apparaissent comme ◀de▶ véritables Archétypes ◀de▶ l’inconscient, dans leur immobilité insondable et infiniment allusive. Cependant que la Roue ◀de▶ Fortune, le, Jugement dernier, la Lune ou la Tour décapitée sont ◀de▶ grands événements psychiques et cosmiques, tantôt clichés dans leur moment ◀d’▶extrême tension, tantôt largement résumés ◀de▶ leur naissance à leurs possibles conclusions.
Nous pouvons donc considérer les arcanes majeurs du tarot comme un véritable Alphabet ◀de▶ la grande poésie universelle.
Leur attribuer un auteur, une date fixe, un usage limité, serait méconnaître leur nature. Les arcanes sont issus ◀de▶ la nuit des Mères, et ◀de▶ l’Underground éternel.
Peut-être même faudrait-il voir dans les lames les plus anciennes les signes ◀d’▶un langage secret, communiquant sous la forme anodine ◀d’▶un jeu, les doctrines manichéennes ◀de▶ la secte des cathares ou albigeois, persécutée par l’inquisition. (La croisade contre les albigeois commença en 1209.) Les troubadours cathares, initiateurs ◀de▶ toute la poésie occidentale, auraient pris le maquis dans plusieurs pays, mais n’auraient pas cessé ◀de▶ répandre leur croyance et leur sagesse par l’entremise des tireurs ◀de▶ cartes. Cette hypothèse a été formulée par le grand indianiste Heinrich Zimmer, dont nous traduisons ci-après quelques pages remarquables sur « Le Fou ».
6. ◀De▶ l’usage des tarots
Nous avons pris l’habitude ◀de▶ considérer les tarots avant tout comme un moyen ◀de▶ divination ◀de▶ l’avenir. Si l’on en croit les plus récents travaux, ceux en particulier du professeur Tassin, ◀de▶ Columbia, et ◀de▶ Paul Foster Case, le tarot aurait été, originellement, une méthode ◀de▶ psychothérapie comparable à notre psychanalyse. Ses lames seraient en vérité autant ◀de▶ thèmes ◀de▶ méditations prolongées — la cure ou yoga durait plusieurs années — et marqueraient les étapes ◀d’▶une « voie hermétique » aboutissant à la réalisation intime du Grand Œuvre des alchimistes. Il s’agirait ◀de▶ passer, à travers ce yoga, ◀de▶ l’illusion à la réalité, et des choses telles qu’elles nous apparaissent aux choses telles qu’elles sont. Les 22 arcanes décriraient l’histoire ◀de▶ l’homme qui part dans la vie comme un Fol (arcane zéro) et aboutit à la connaissance ◀de▶ soi et du Monde (arcane 21) en passant par tous les stades du développement collectif, puis individuel, ◀de▶ la psyché humaine.
Chacune des cartes était utilisée par l’étudiant en occultisme comme sujet ◀de▶ méditations et ◀de▶ contemplation, au cours ◀d’▶exercices poursuivis aux fins ◀d’▶arriver à l’illumination. L’avantage particulier ◀de▶ cette technique, comparée à d’autres, résidait dans le fait qu’elle combinait plusieurs modes ◀d’▶entraînement dans une seule activité. Ainsi, tandis que l’étudiant apprenait les symboles, il s’exerçait inconsciemment à la concentration, à la visualisation, à l’exactitude, à l’analyse et à la synthèse, à l’évaluation des couleurs et des formes, et surtout il entraînait cette faculté maîtresse qui établit des corrélations entre les idées abstraites. Le schème ◀d’▶études était en général le suivant : l’étudiant commençait par la contemplation ◀d’▶une carte isolée, puis il la reliait graduellement à d’autres cartes, disposées autour de la première selon des structures de plus en plus complexes. (Berthe MacMonnies Hazard)
Cette très brève indication peut suffire à faire entrevoir au lecteur l’importance réelle du tarot, indépendamment des usages pittoresques, secondaires, dérivés, et le plus souvent charlatanesques, dont les modernes ont cru pouvoir se rendre maîtres.
Terminons sur une anecdote. Le lendemain ◀de▶ la libération ◀de▶ Paris, le peintre Emlen Etting, attaché aux forces américaines, et son ami André Lhote, furent les premiers à pénétrer dans le Palais du Luxembourg, abandonné la veille par les Allemands. Au milieu du désordre indescriptible ◀de▶ la salle du Sénat, meubles brisés, papiers épars, une table au tapis vert était seule restée debout. Les deux peintres s’étant approchés y virent « jetées comme par la main du destin » une séquence ◀de▶ lames ◀de▶ tarot. Dernier message des occupants. Message suspect, ajouterons-nous : il s’agissait ◀de▶ cartes allemandes portant au lieu des coupes, bâtons, deniers, épées : des cœurs, des cloches, des feuilles et des glands.
Le Fou, arcane 0
a) Interprétation ◀d’▶Elie Alta d’après Etteilla :
Le grelot ◀de▶ la Folie s’adapte indistinctement à tous les anneaux ◀de▶ notre chaîne. La surface entière du globe (le 0) n’est que le théâtre ◀de▶ nos extravagances. Retraçons d’ailleurs aux yeux du sage l’emblème ◀d’▶un voyageur, qui symbolise l’homme. Cette vie n’est qu’un court trajet dont nous pouvons adoucir les peines en nous comportant d’après les plus saines aspirations du rayon divin qui nous anime.
Synonymes : Droite. Folie, démence, extravagance, égarement ivresse, délire, enthousiasme, aveuglement, ignorance, déraisonnable, simple, niais.
Renversée. Folie, imbécillité, insouciance, bêtise, imprudence, négligence, absence, distraction, nullité, vain.
b) Interprétation ◀de▶ E. Whitney, d’après diverses traditions :
Vue sous un certain angle (si l’on place l’arcane à la fin du jeu) cette carte est une image ◀de▶ l’inconscience, des occasions manquées, ◀de▶ la vie ◀d’▶illusion. Le Fou, dans ce sens, est la passion subie sans résistance, la vie vécue au niveau animal. Rien n’a été appris ou gagné par la traversée du Jeu. La vie a vécu cet homme, ce n’est pas lui qui l’a vécue. Aussi la somme ◀de▶ ce qu’il a réalisé est-elle zéro.
Vu sous l’angle ◀de▶ A. E. Waite, le Fou est un homme richement habillé, portant une rose à la main, et qui s’arrête au bord d’un précipice pour contempler l’espace au-dessous et au-dessus ◀de▶ lui. L’abîme ne lui inspire pas ◀de▶ terreur. Son visage est plein ◀d’▶intelligence, ◀de▶ rêve et ◀d’▶attente. C’est un prince ◀de▶ l’autre monde en voyage ici-bas. Sous cet aspect, il est la conscience individuelle libérée ◀de▶ l’illusion, et poursuivant sa route sans craindre les dangers que court l’homme collectif ou purement instinctif. Plus petit que le petit, plus grand que le grand, tenu pour néant par la raison et le monde, symbolisé par le cercle, il est l’expression ◀de▶ la volonté ◀d’▶individuation dans l’homme. Du point de vue ◀de▶ l’égo, cette quête n’est que folie et non-sens.
c) Interprétation moderne ◀de▶ B. McM. Hazard (résumé)
La clef 0 doit exprimer un état ◀de▶ préparation, avant la conscience et l’individuation. Les symboles ◀de▶ la carte le confirment : le grand soleil blanc, en haut à droite, contient toutes les couleurs du spectre encore indifférenciées ; la couleur jaune du fond est celle ◀de▶ l’intellect, ◀de▶ l’air, ◀de▶ la respiration ; le Fou lui-même est peint comme l’Éternelle Jeunesse, prête à pénétrer dans l’abîme ◀de▶ la manifestation terrestre. Il porte les deux symboles féminin et masculin : ses cheveux clairs dénotent la conscience (par opposition à l’inconscient). Sa robe blanche (pureté) porte autour du col les lettres du grand tétragramme hébreu, le nom imprononçable ◀de▶ Dieu, J H V H. Par-dessus cette robe, il porte la cape noire ◀de▶ l’ignorance, bordée ◀de▶ rouge — c’est le désir —, ornée ◀de▶ trèfles verts — la nature créatrice — et ◀de▶ disques jaunes sur lesquels sont brodées des roues rouges à 8 rayons, annonçant l’accomplissement futur, l’intégration et la conscience individuelle.
Les arcanes majeurs qui suivent montrent ce qu’il adviendra du Fou à mesure qu’il traversera les collines, vallées et montagnes indiquées dans le fond ◀de▶ cette carte, jusqu’à ce qu’il revienne au grand soleil ou « Père » dont il est « tombé ». Il sera représenté successivement comme homme, ou femme, ou objet, ou animal, ou même abstraction, dans une suite ◀de▶ symboles qui expriment d’abord les archétypes ◀de▶ l’homme collectif, puis les symboles plus subjectifs ◀de▶ l’homme individualisé.
d) Interprétation ◀de▶ Heinrich Zimmer (extraite ◀d’▶un ouvrage posthume, non encore publié)
Dernière carte ◀de▶ la série ◀de▶ 78, la seule qui ne porte pas ◀de▶ symboles ou ◀de▶ nombre qui la relie à une des couleurs…
Cette figure solitaire montre un vagabond errant sans but, avec la démarche ◀d’▶un fou… et un regard qui perce toutes choses sans s’arrêter à aucune. (Le Fou) exprime le type du pèlerin-sage (selon la sagesse ◀de▶ l’Est) parvenu au terme ◀de▶ l’initiation. Semblable à un fou, à un mendiant, à un hors-caste : car c’est ainsi que le saint, l’homme parfait, doit apparaître aux yeux des autres. Il s’est libéré des systèmes ◀de▶ castes, des hiérarchies sociales. Il n’a plus besoin ◀de▶ la puissance terrestre (les épées) ; des sacrements, rites et prêtres des religions établies (les coupes) ; des biens qu’on peut acheter et vendre (les deniers) ; du sol et du foyer (les bâtons).
Il n’a plus ◀d’▶attaches, ni ◀de▶ nom. Il est la carte anonyme. Il n’est qu’un fol errant.
Comment a-t-il atteint le stade suprême, bien au-dessus des rois, des reines, des as, des chevaliers et des valets, au-dessus des 21 symboles qui décrivent la hiérarchie des essences et des sphères surhumaines ? En passant à travers eux tous, mais sans être pris par un seul… Ayant accompli son être dans la coïncidence des contraires, pour lui l’univers ambiant perd son poids. Sa réalité visible et tangible continue ◀d’▶exister, mais elle a perdu son pouvoir magique.
Voici l’expérience du Fou : le monde extérieur n’a pas plus ◀de▶ signification réelle que l’ego, dont il s’est débarrassé depuis longtemps. L’une et l’autre sont les illusions qui s’interposent entre l’homme et son essence divine innée… Le fol errant n’a ni famille, ni possessions, ni lieu où reposer sa tête. Cependant, il ne se sent frustré ◀de▶ rien ◀de▶ tout cela. Il est en union avec l’Univers, sa vraie maison. L’univers participe à sa nature même. D’autre part, le divin, dans son essence transcendantale, au-delà ◀de▶ tout changement ou forme, se trouve être aussi son essence propre. Car il est la coincidentia oppositorum. La forme suprême ◀de▶ cette union est Dieu, déployant constamment son essence dans les aspects ◀de▶ l’univers et ◀de▶ ses créatures, et cependant restant le « Dieu caché », deus absconditus, éternellement… Le fol errant voit en toutes choses la manifestation ◀de▶ Dieu, c’est-à-dire ◀de▶ lui-même, et en même temps il voit à travers toutes les choses : elles ne sont que néant, elles ne sont qu’un mirage, il les a dépassées…
Il est le mendiant qui possède l’univers, et toutes ses richesses, qui ne sont rien ◀d’▶autre que le déploiement ◀de▶ sa propre nature.
Vous pourrez donc le traiter ◀de▶ fou. Il l’est en effet, mais il n’est pas un lunatique quelconque, un idiot ou un simple ◀d’▶esprit. C’est ce qu’il paraît. Si quelque étranger aux habits sales et déchirés, au regard bizarre, entrait chez vous et vous tapait gentiment sur l’épaule en murmurant à votre oreille : « Je suis le Père, et le Fils, et le Saint-Esprit ! » — la plupart d’entre vous, sans plus ◀d’▶enquête, le conduiraient tranquillement à l’asile.
C’est pourquoi le parfait initié ne condescend pas à desserrer ses lèvres et à révéler le scandaleux secret ◀de▶ sa perfection. Dans la sagesse du Saint-Esprit incarné, il passe, étranger, silencieux. Étant tout et toutes choses, il ne lui reste plus qu’à feindre ◀de▶ n’être rien. Et de même, il convient que la séquence des arcanes, grâce aux symboles graphiques desquels nous sont dévolus l’initiation et l’accomplissement, apparaisse simplement comme une série ◀de▶ cartes à jouer plutôt bizarres et démodées…
Le Parfait sous l’aspect ◀d’▶un fol errant, a dépassé la possibilité ◀d’▶être aucune des réalités particulières exprimées par les quatre couleurs et les arcanes. C’est pourquoi, prenons garde, s’il nous advient jamais ◀de▶ rencontrer quelqu’un qui ne soit rien, ni homme d’affaires, ni professeur, ni garçon ◀d’▶ascenseur, — quelqu’un qui ne professe aucune profession, un spirituel sans emploi, un vagabond cosmique. Prenons bien garde à la manière dont nous le traiterons ! Il se pourrait qu’il soit le Saint-Esprit incarné, le Christ errant de nouveau parmi les hommes Et de plus, s’il y condescendait, il pourrait bien être capable ◀de▶ nous révéler le dernier mot sur les symboles du tarot !
La Roue ◀de▶ Fortune, arcane 10
a) Interprétation ◀d’▶Elie Alta, d’après Etteilla :
La lettre Iod se rapporte à la plupart des idées du nombre 10. Elle a le sens ◀de▶ main, les deux mains, les 10 doigts. Elle symbolise la manifestation qui va se produire, la potentialité ◀d’▶un événement. Idée ◀d’▶eau, ◀de▶ liquide.
Astrologie. La Vierge, maison ◀de▶ Mercure. On y considère la santé, si l’absent se porte bien… On demande quant à la femme si elle est impudique.
Figure. Elle représente une roue sur son axe, elle entraîne ◀d’▶un côté un singe, un lapin ou un diable, et ◀de▶ l’autre côté un homme. Elle nous indique simplement le mouvement ◀de▶ la vie dans tous les règnes, — leur destinée. Le sphinx placé au sommet ◀de▶ la roue, figure la loi universelle des transmutations matérielles ou physiques… Celui qui s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé.
Synonymes. Droite : Fortune, bonheur, bonification, bénédiction, prospérité, biens, richesses, grâces, sort, destin, aventure, bonne fortune.
Renversée : Augmentation, accroissement, surcroît, croissance, végétation, production.
b) Interprétation ◀de▶ B. McM. Hasard (résumé) :
La clef 10 termine le cycle collectif et inaugure le cycle individuel. Aux 4 coins ◀de▶ la carte, les figures symboliques — un homme, ou ange, un lion, un taureau, un aigle — signifient les 4 divisions du cosmos auxquelles faisaient allusion les 4 lettres I H V H brodées sur la robe du Fou, et représentent les 4 signes fixes du zodiaque. L’Ange (Aquarius) est l’Air (Verseau, Gémeaux, Balance) ; l’Aigle (Scorpion) est l’Eau (Scorpion, Poissons, Cancer) ; le Taureau (Taureau) est la Terre (Taureau, Vierge, Capricorne) ; le Lion (Lion) est le Feu (Lion, Sagittaire, Bélier). Rappelons les 4 parties ◀de▶ l’homme : Corps (Terre), Émotions (Eau), Intelligence (Air), Esprit (Feu), les 4 emblèmes chérubiniques dans Ézéchiel, les 4 évangélistes et leurs emblèmes, les 4 rivières du Paradis, et le Tétragramme.
Ces 4 symboles cosmiques sont entourés ◀de▶ nuages ◀de▶ tempête suggérant les luttes nécessaires pour arriver à les harmoniser dans le Grand Œuvre. Cependant le fond bleu pâle du ciel indique que la paix spirituelle s’établira finalement quand les tensions entre les éléments seront équilibrées.
Au centre ◀de▶ la carte, un large cercle orangé indique que le Grand Œuvre est une activité solaire. Trois cercles concentriques s’y inscrivent : Père, Mère, Fils. Au milieu, une roue à 8 rayons signifie la manifestation parfaite, résultant du mouvement ◀de▶ 2 roues ◀de▶ 4 rayons tournant en sens inverse l’une ◀de▶ l’autre : équilibre entre les aspects positifs et négatifs des 4 instruments (bâtons, épées, coupes, deniers), c’est-à-dire entre l’évolution et l’involution. L’une des roues porte les signes alchimiques du Mercure (Intellect) ; Sel (Corps) ; Soufre (Esprit) ; et Dissolution (Émotions). L’autre roue ne porte pas ◀de▶ signes, mais il se peut qu’elle en ait porté autrefois.
À l’extrémité ◀de▶ chacun des rayons ◀de▶ la première roue est placée une des lettres du mot T A R O, qui doit se lire dans le sens des aiguilles ◀d’▶une montre. À l’extrémité ◀de▶ chacun des rayons ◀de▶ la seconde roue, sont les lettres Yod, Heh, Vav, Heh, qui doivent être lues en sens inverse des aiguilles ◀d’▶une montre, étant hébraïques. La division quaternaire du cosmos se retrouve ici au plus bas niveau ◀de▶ la conscience, encore solaire et collective (symboles abstraits).
Autour de la roue, trois symboles concrets : le Serpent, le Sphinx, l’Anubis, représentent le niveau ◀de▶ la conscience collective humaine. Le Serpent est jaune (activité ◀de▶ l’intellect) dirigé vers le bas (involution dans la matière) et ondulant (action vibratoire ◀de▶ l’intellect créateur). L’Anubis, ou Hermanubis, mi-loup mi-homme, coloré en rouge (désir), s’élève ◀de▶ la matière et évolue vers le Père : c’est l’homme qui s’éveille des profondeurs, et qui commence à monter vers l’appel du Sphinx, symbole ◀de▶ l’homme parfait ou conscient et individualisé. Le Sphinx est bleu (spiritualisé, re-né) et porte sur la tête des ornements noirs et blancs : équilibre des contradictions. Il tient l’épée ◀de▶ la discrimination. Son corps est mi-féminin, mi-léonin, hermaphrodite, équilibré.
Bibliographie sommaire
— Le Livre ◀de▶ Thot.
— Clefs majeures et clavicules ◀de▶ Salomon, 1895.
— Le Grand Arcane, 1898.
— Transcendental Magic, New York, 1938.
— Two Courses of the Tarot, Washington, 1928.
— The Book of Tokens, Washington, 1934.