Le▶ mensonge allemand (16 août 1945)g
New York, août.
« Quelques-uns ◀de▶ mes meilleurs amis sont des Juifs… » commença ◀le▶ bonhomme antisémite, affirmant son humanité et sa parfaite liberté ◀d’▶esprit. Puis s’étant excepté ◀de▶ ◀la▶ commune sottise, ayant sauvé ◀l’▶honneur pour ainsi dire, et donné à tout son discours un cachet ◀d’▶objectivité — « Je n’en fais pas une question personnelle, vous voyez bien… » — il put s’abandonner avec ivresse aux délices ◀d’▶une diatribe que chacun sait par cœur : « Some of my best friends are Jews… ». ◀La▶ phrase est devenue proverbiale en Amérique, et c’est fort bien : on ne tue ◀les▶ préjugés que par ◀le▶ ridicule ; quand on ◀les▶ tue.
Dirai-je que j’ai ◀de▶ bons amis antisémites ? Au fait, je ne voulais pas parler du peuple massacré, mais ◀de▶ ses massacreurs.
Quelques-uns des Américains que j’estime ◀le▶ plus pensent qu’il existe encore ◀de▶ « bons Allemands ». Dorothy Thompson par exemple, dont ◀l’▶influence demeure considérable dans ◀la▶ presse ◀de▶ « gauche modérée ». Et d’autres pensent que non, ainsi Glenway Wescott, qui vient de ◀le▶ démontrer dans un roman intitulé Appartements ◀d’▶Athènes (◀l’▶a-t-on publié en français ?). Nous avons en commun, d’autre part, quelques très bons amis allemands réfugiés à New York depuis ◀la▶ guerre ou depuis 1933. Nous n’en sortirons donc jamais par ce biais-là. Abandonnons toute prétention à ◀l’▶objectivité stellaire, comme tous aménagements personnels. Prenons ◀la▶ situation telle qu’elle s’offre en Allemagne et aujourd’hui, aux yeux de ceux qui doivent en décider. Une anecdote ◀la▶ résumera.
Dans une ville allemande occupée par ◀les▶ Américains, un officier chargé du gouvernement civil réunit cent personnes, au hasard ◀de▶ ◀la▶ rue, et se met à ◀les▶ interroger. « Êtes-vous nazis ? » Tous jurent que non. ◀L’▶officier s’étonne, puis se fâche. Ne sait-on pas dans ◀le▶ monde entier que ◀le▶ peuple allemand plébiscita cinq fois ◀le▶ régime hitlérien, par ◀d’▶écrasantes majorités ? Il doit donc bien y avoir des nazis en Allemagne et même en assez grande quantité… ◀Le▶ porte-parole du groupe allemand — vite désigné — interrompt à ce point ◀l’▶Américain : « Ce que vous dites là, crie-t-il, ce ne sont que des mensonges propagés à ◀l’▶étranger par ◀les▶ Juifs, ◀les▶ ploutocrates américains, ◀les▶ démocrates et ◀les▶ bolchéviques ! »
Qu’il y ait ou non ◀de▶ « bons Allemands », cette histoire vraie pose ◀le▶ vrai problème. Ce n’est pas ◀d’▶hier que je ◀l’▶ai observé : ◀les▶ Allemands ne mentent pas comme nous. Et c’est un fait fondamental dont il convient ◀de▶ tenir compte quand on parle du « problème allemand ».
Ils mentent avec sincérité, et nous mentons avec mauvaise conscience. Quand nous mentons, nous savons bien que ◀la▶ vérité ne change pas pour si peu. Elle subsiste intacte et nous juge. Eux croient, s’ils changent ◀d’▶avis par « intérêt vital », que tout a changé dans ◀le▶ monde. ◀Les▶ critères mêmes du vrai sont modifiés. Menteur, celui qui s’y réfère encore ; sincère, celui qui se conforme à ◀la▶ nouvelle vérité germanique, car ◀le▶ droit, leur a-t-on enseigné, c’est « ce qui sert ◀le▶ peuple allemand ».
Plan ◀d’▶éducation politique pour ◀les▶ nouvelles générations allemandes : leur inculquer dès ◀la▶ plus tendre enfance ◀le▶ respect sacré ◀de▶ ◀la▶ définition légale et objective ◀de▶ quelques mots. Responsable est celui qui a tiré le premier. Battu, celui qui touche des deux épaules et se met à faire ◀le▶ bon apôtre. Nazi, celui qui accuse dans ◀la▶ même phrase « ◀les▶ Juifs, ◀les▶ ploutocrates américains, ◀les▶ démocrates et ◀les▶ bolchéviques ».
Et cette définition vaut pour tous ◀les▶ pays.