XI
D’un Cahier de▶ revendications
En décembre 1932, ◀la▶ Nouvelle Revue française publiait un ensemble ◀de▶ témoignages rédigés par ◀de▶ jeunes écrivains membres ◀de▶ groupes révolutionnaires personnalistes et marxistes.
Ce Cahier ◀de▶ revendications confrontait pour la première fois, devant ◀le▶ grand public, ◀les▶ positions du mouvement personnaliste naissant, celles ◀de▶ ◀la▶ jeune droite, et celles du communisme. Je ◀l’▶introduisais en ces termes :
Est-il possible ◀de▶ définir une cause commune ◀de▶ ◀la▶ jeunesse française, une communauté ◀d’▶attitude essentielle ? Il semble que ◀la▶ solidarité du péril crée en nous une unité que n’ont su faire ni maîtres ni doctrines, unité ◀de▶ refus devant ◀la▶ consternante misère ◀d’▶une époque où tout ce qu’un homme peut aimer et vouloir se trouve coupé ◀de▶ son origine vivante, flétri, dénaturé, inverti, saboté. Des groupes tels que l’Ordre nouveau, Esprit, Plans, Réaction, par leur volonté proclamée ◀de▶ rupture, et plus encore par leurs revendications constructives, révèlent peut-être, dans leur diversité, les premières lignes ◀de▶ force ◀d’▶une nouvelle révolution française. Leur anticapitalisme n’est pas celui ◀de▶ la Troisième Internationale. Toutefois, ◀la▶ doctrine marxiste, en dehors de laquelle s’est constitué ce nouveau front, forme l’un ◀de▶ ses points ◀de▶ repère principaux. Il se peut qu’il y trouve quelques appuis occasionnels ; et certains objectifs sont communs… Déjà s’affirme dans ◀l’▶attitude ◀de▶ tous ces groupes un acte ◀de▶ présence à ◀la▶ misère du siècle, assez nouveau parmi ◀les▶ intellectuels, et si violemment accentué qu’il peut paraître suffisant pour définir un front unique, fût-il provisoire.
C’est dans cette vue qu’ont été réunies — rapidement, car tout nous presse — ◀les▶ déclarations que ◀l’▶on va lire.
Suivaient onze « témoignages » signés par Paul Nizan, Henri Lefebvre, Philippe Lamour, Jean Sylveire, Thierry Maulnier, Emmanuel Mounier, Georges Izard, Arnaud Dandieu, Claude Chevalley, Alexandre Marc, René Dupuis, Robert Aron.
Ce concert ◀de▶ refus n’avait rien ◀d’▶harmonieux. On pouvait cependant y distinguer deux thèmes que je tentai ◀d’▶analyser dans ◀les▶ conclusions que voici.
Nous sommes une génération comblée. Comblée ◀de▶ chances ◀de▶ grandeur, et comblée ◀de▶ risques mortels. Pour ◀la▶ jeunesse ◀de▶ 1932, ◀le▶ conflit ◀de▶ vivre, ◀le▶ paradoxe fondamental ◀de▶ toute « existence » se concrétise dans une « nécessité » révolutionnaire dont ◀l’▶ampleur est sans précédent. Ce n’est plus seulement ◀de▶ conflits ◀d’▶idées qu’il s’agit, ni même ◀de▶ conflits ◀d’▶intérêts. Mais pour nous, entrés dans ◀la▶ vie sous ◀le▶ coup ◀d’▶une menace ◀de▶ faillite planétaire, il ne peut s’agir ◀de▶ rien ◀d’▶autre que ◀de▶ ceci : s’entendre sur ◀le▶ meilleur ou sur ◀le▶ seul moyen ◀d’▶en réchapper, — ◀l’▶imposer. Ce n’est plus pour quelque « idéal » que nous avons à lutter maintenant, mais pour que ◀les▶ hommes vivent et demeurent des hommes.
Il y a deux camps : ceux qui veulent en sortir, — et ceux qui voudraient bien continuer, ayant certains intérêts dans ◀l’▶affaire. Entre eux, ◀la▶ masse des braves gens persuadés qu’après tout ça va se remettre, ça va durer, puisque ça dure depuis si longtemps. Masse ◀de▶ sourds, ◀de▶ muets et ◀d’▶aveugles, mais pas si sourds qu’ils ne s’irritent ◀de▶ nos cris. Il est vrai que certains, au lendemain ◀de▶ ◀la▶ guerre, ont trop souvent crié au loup, par goût des atmosphères tragiques. Littérature et mauvais caractère. Il y avait ◀de▶ quoi vous fâcher, braves gens, vous n’aviez après tout rien ◀de▶ mieux à faire. Et vous pensiez que ◀la▶ révolution, c’était une bande ◀de▶ méchants garçons.
Puis vous avez pensé que c’étaient des gens dangereux et avides. Et maintenant, c’est vous qui glissez dans ◀l’▶angoisse. Vous et vos maîtres. Bientôt vous chercherez des équipes ◀de▶ sauvetage.
Ici paraît ◀le▶ communisme, comme une constatation ◀de▶ ◀la▶ faillite, une liquidation à un taux sous-humain. Voici ◀le▶ Plan, prêt à reprendre ◀l’▶entreprise sur des bases plus rationnelles. Mais si c’était cette « raison » déjà qui se trouvait à ◀l’▶origine ◀de▶ tout ◀le▶ mal ?
Telles sont ◀les▶ composantes ◀de▶ notre situation. Nous sommes là : n’y pouvant plus tenir longtemps ; ne pouvant accepter ◀de▶ nous battre pour un « ordre » et des « idéaux » criminels. Il y a ◀la▶ guerre proche. ◀La▶ ferons-nous ? pour qui ? Il y a ◀la▶ misère présente : pour quoi ◀la▶ supporterons-nous ? ◀La▶ révolution, ce n’est plus un état d’esprit, ni un refus des tâches ◀d’▶homme. ◀La▶ révolution est une nécessité au sens ◀le▶ plus banal du terme, et aussi à son sens ◀de▶ misère qui appelle. Nous ne sommes pas « des bourgeois-dégoûtés » ou des « prolétaires-avides-des-richesses-d’autrui », mais des hommes menacés, qui dévisagent ◀la▶ menace et contre-attaquent.
Et alors, toute une jeunesse va se dresser ? Va prendre parti, et agir ?… — Paralysie. — ◀Le▶ salut qu’on lui offre il faudrait qu’elle ◀le▶ paie du prix ◀de▶ ◀l’▶âme même.
On nous donne à choisir entre un régime bourgeois odieux, raté, dont beaucoup meurent — et d’autre part une espérance, une utopie, qu’il nous est impossible ◀d’▶accepter ◀de▶ « bon cœur », parce que nous n’y voyons qu’une réalisation épurée, tyrannique et privée ◀de▶ toute résistance interne, ◀de▶ cela justement que, dans ◀le▶ désordre régnant, nous détestons ◀de▶ toute ◀la▶ force ◀de▶ notre être : ◀la▶ primauté du matériel.
Comment penser — si penser est inséparable ◀d’▶une action — entre une bourgeoisie déchue et un marxisme faux ? Il reste à faire ◀la▶ révolution — ◀la▶ vraie.
Ni à gauche, ni à droite, il n’y a rien pour nous. Nous nous plaçons à ◀l’▶origine ◀de▶ quelque chose ◀d’▶autre, dont ◀la▶ réalité échappe encore à ceux que récitent Marx : une utopie sans doute, — du moins vraie celle-là.
◀Les▶ témoignages qu’on a pu lire dans ce Cahier définissent deux positions révolutionnaires malaisément comparables : l’une matérialiste, l’autre personnaliste ; la première en voie ◀de▶ réalisation en URSS, la seconde encore mal dégagée ◀de▶ sa période ◀de▶ gestation doctrinale. Tout le monde sait ce que signifie politiquement ◀le▶ vieil appel à ◀la▶ lutte des classes, ce pragmatisme, cet acte ◀de▶ foi optimiste dans ◀le▶ cours « dialectique » ◀de▶ ◀l’▶Histoire, qui caractérisent ◀la▶ position marxiste. Par contre, ◀les▶ bases doctrinales exposées ici par des membres ◀d’▶Esprit ou ◀de▶ L’Ordre nouveau , pour n’être pas entièrement originales, ne peuvent manquer ◀de▶ déconcerter tous ceux qui n’imaginent ◀de▶ choix possible qu’entre un capitalisme plus ou moins fascistisé, et un communisme plus ou moins fordisé.
◀Les▶ marxistes détiennent ◀l’▶avantage certain ◀de▶ tabler sur une utopie partiellement traduite en faits. C’est même, à voir ◀les▶ choses ◀de▶ près, leur meilleur argument contre ◀les▶ révolutionnaires non marxistes. Mais comment nous laisser convaincre par une réussite matérielle, temporaire, et d’ailleurs discutable ? C’est ◀l’▶homme qui se révolte en nous contre ◀le▶ marxiste. Vous n’y ferez rien. Et nous ne trahirons pas ◀l’▶homme tel qu’il est, sous prétexte qu’il faut se hâter, et qu’en Russie c’est en train de marcher. Nous jouerons tout sur une révolution vraie.
◀Les▶ catastrophes sont proches. Nous ne sommes plus ◀les▶ seuls à ◀le▶ dire. Beaucoup de capitalistes ◀l’▶ont si bien compris qu’on peut ◀les▶ voir déjà préparer en sous-main des terrains ◀d’▶entente avec ◀l’▶URSS. Nous ne pensons pas que ◀la▶ guerre soit, comme ◀l’▶écrit Henri Lefebvre, ◀la▶ seule « chance » des capitalistes. Il en est une moins coûteuse à risquer et qui consisterait à se laisser convaincre… Tout ◀les▶ y pousse, et ◀l’▶on se demande en vain quelle idéologie ◀les▶ empêcherait encore ◀de▶ répondre aux invites ◀de▶ ces parents naguère inavouables, mais qui soudain font mine ◀de▶ « réussir ».
N’est-ce donc plus qu’un conflit ◀d’▶intérêts ? Et ◀d’▶intérêts qui ne sont pas les nôtres, qui ne sont pas ◀les▶ intérêts réels ◀d’▶un être aux prises avec ◀la▶ condition humaine ? Ni pour ◀le▶ mensonge ◀d’▶hier, ni pour celui ◀de▶ demain nous ne verserons notre sang. Il y a une vérité qui domine et condamne tout cela.
Entre ◀le▶ communisme et ◀la▶ révolution personnaliste, ◀l’▶opposition doctrinale peut se définir simplement. ◀Les▶ uns croient, avec Marx, à ◀la▶ réalité ◀d’▶une dialectique ternaire ; ils placent leur espoir dans ◀l’▶avènement ◀de▶ synthèses successives, acheminant ◀l’▶espèce vers un équilibre final, triste réplique du millenium chrétien. ◀Les▶ autres, avec Proudhon, refusent toute synthèse, toute solution mécanique du conflit nécessaire et vital. Il n’y a pas ◀de▶ « troisième terme », — ou c’est ◀la▶ mort49. Mais ◀la▶ co-efficience ◀de▶ deux termes vrais, et assumés comme tels, c’est ◀la▶ personne.
◀L’▶opposition ◀de▶ Proudhon et ◀de▶ Marx, sur ◀le▶ terrain économique, traduit exactement ◀l’▶opposition ◀de▶ Kierkegaard et ◀de▶ Hegel dans ◀le▶ domaine religieux. Elle traduira demain ◀l’▶opposition des nations collectivistes et des patries personnalistes.
Mais où sont ◀les▶ motifs ◀de▶ notre choix ? J’en indiquerai trois :
1° ◀La▶ seule révolution qui nous importe concerne ◀l’▶homme, exprime ses données élémentaires : elle n’est qu’une projection du conflit ◀de▶ ◀la▶ personne. ◀Les▶ marxistes nous accusent ◀de▶ mêler des notions « morales » — ainsi désignent-ils ◀la▶ notion ◀de▶ personne ! — aux forces politiques et historiques qui, selon eux, déterminent entièrement ◀le▶ devenir révolutionnaire. Mais c’est ◀de▶ ◀la▶ mythomanie : ◀les▶ « Forces économiques », dont ils parlent avec tremblement, n’existent pas. Elles font partie ◀de▶ ces créations pseudo-mystiques qui pullulent dans un monde athée. Quelle que soit d’ailleurs ◀la▶ conception historique que ◀l’▶on ait, il faut pourtant reconnaître que ◀la▶ personne est un facteur décisif, sinon suffisant, du processus révolutionnaire, et que nier cette valeur décisive ◀de▶ ◀la▶ personne, c’est désarmer ◀la▶ révolution.
Mais il y a plus. Si ◀la▶ personne est véritablement ◀l’▶élément décisif ◀de▶ ◀la▶ réalité humaine, toute révolution est vaine qui se fonde sur des faits mortels pour ◀la▶ personne, même si « ces faits sont ◀les▶ faits » comme on voudrait nous ◀le▶ faire croire. Une révolution n’agit pas dans ◀le▶ vide, mais contre quelque chose : elle se fera contre ces faits. Elle sera « acte ».
2° ◀Le▶ matérialisme décrit un monde tel qu’on ne voit pas où ◀l’▶acte peut s’y insérer. Comment croire que ◀l’▶esprit puisse agir sur ◀les▶ faits autrement que par une suite ◀de▶ coups ◀de▶ force, ◀d’▶actes créateurs, — révolutionnant ◀le▶ déterminisme rigoureux ◀de▶ ◀la▶ matière abandonnée à elle-même ? ◀La▶ dialectique historique à trois temps est une arbitraire projection dans ◀les▶ choses ◀d’▶un mécanisme ◀de▶ « ◀l’▶intelligence-outil ». Théorie dont ◀le▶ fatalisme interne reparaît sans cesse dans ◀les▶ propos des marxistes ◀les▶ plus émancipés, ◀les▶ moins « mécanistes », théorie qui ôte à ◀l’▶acte toute efficacité créatrice et par là même doit être dénoncée comme antirévolutionnaire50. ◀Le▶ matérialisme, c’est ◀l’▶opium ◀de▶ ◀la▶ révolution.
3° ◀La▶ conception personnaliste est seule capable ◀d’▶édifier un monde culturel, économique et social qu’anime un risque permanent, essentiel. ◀L’▶État marxiste idéal ne laisse subsister que ◀les▶ risques accidentels ; il réduit ◀l’▶aventure humaine à un déroulement indéfini ◀de▶ changements, justiciables tout au plus ◀de▶ ◀la▶ statistique.
Mais ◀les▶ marxistes répugnent à nous suivre sur ce terrain. Suivons-◀les▶ donc sur ◀le▶ leur. Ils opposent à nos « rêveries » ◀l’▶action. Qu’appellent-ils ◀l’▶action ? Est-ce un opportunisme purement tactique, ◀d’▶allure électorale ? « Toutes ◀les▶ tentatives qui ne se fondent pas sur ◀la▶ classe révolutionnaire ne comportent pas ◀de▶ points ◀d’▶application », écrit Nizan. Voilà bien ◀la▶ suprême « évasion » ◀de▶ nos intellectuels, même marxistes. Abdication ◀de▶ ◀la▶ pensée entre ◀les▶ mains du prolétaire qui, justement, avait besoin ◀d’▶être conduit par ◀la▶ pensée ◀de▶ quelques-uns51 ! Mais ce sont ◀les▶ « rêveries » des « penseurs » qui ont fait toutes ◀les▶ révolutions ! Lénine réussit une révolution ◀d’▶intellectuels dans un pays qui compte à cette époque moins ◀de▶ 3 millions ◀d’▶ouvriers sur une population ◀de▶ 160 millions, et où ◀la▶ bourgeoisie existe à peine en tant que classe, d’ailleurs brimée. En février 1917, ◀les▶ bolchévistes sont 200. En octobre, ils s’emparent du pouvoir sur toutes ◀les▶ Russies. En 1932, ◀le▶ parti ne compte encore que deux millions ◀de▶ membres, sévèrement contrôlés.
« Mais, nous dit-on, ◀les▶ constructions ◀d’▶un Lénine n’étaient pas songes, elles s’appuyaient sur ◀le▶ mouvement ◀de▶ ◀l’▶histoire. » Nous avons affaire ici à un véritable mysticisme ◀de▶ ◀la▶ réussite, à un fatalisme, à un pragmatisme historique dont ◀le▶ fondement matérialiste n’exige rien ◀de▶ moins qu’un acte ◀de▶ foi. Un tel mysticisme a-t-il en France ◀la▶ moindre chance ◀de▶ succès ? Où est sa tradition vivante en ce pays ?
◀La▶ violence des communistes français reste ◀le▶ plus souvent verbale, électorale ; elle n’est pas dans leur doctrine constructive. Elle se fonde sur des apparences, voire sur des faits actuels, mais insuffisamment analysés. ◀Les▶ faits, demain, seront pour nous. L’Ordre nouveau , Esprit , travaillent dans ◀la▶ ligne des forces révolutionnaires profondes ◀de▶ ◀la▶ France. Cette révolte ◀de▶ ◀la▶ personne, c’est ◀la▶ révolte ◀de▶ 89, dans ce qu’elle garde ◀de▶ valable et ◀de▶ dynamique ; c’est dès à présent ◀le▶ ressort ◀de▶ ◀la▶ nouvelle révolution française.
◀La▶ volonté, ◀la▶ possibilité ◀de▶ rupture, affirmée par ◀les▶ politiciens marxistes, mais niée en sous-main par leur doctrine, est ◀de▶ leur part une duperie manifeste. Je ◀les▶ entends menacer ◀le▶ bourgeois : mais je ne vois pas en quoi ◀la▶ tyrannie du matériel qu’ils prônent est meilleure pour ◀les▶ hommes que ◀le▶ présent désordre. Je ne vois pas qu’ils connaissent ◀l’▶homme mieux que nous. Je ne ◀les▶ vois pas plus forts.
Je vois bien ◀l’▶accumulation ◀de▶ leurs griefs, — dont beaucoup sont les nôtres, mais nous en avons davantage. Ils jouent sur une révolte des hommes contre ◀le▶ capitalisme ; mais cette révolte va se tourner contre eux. On va voir qu’ils font ◀la▶ même chose, c’est-à-dire qu’ils font pire que ceux qu’ils attaquent52. Cela commence à se savoir. Ils promettent du pain, et croient ainsi triompher à la fois des bourgeois, et ◀de▶ ◀la▶ vérité humaine ◀de▶ nos doctrines antibourgeoises. Mais ils ne donnent pas ◀de▶ pain. Ceux qui ne promettent que du pain, finalement n’en donnent jamais.
Nous avons en commun avec eux certains mots d’ordre immédiats : lutte contre ◀le▶ capitalisme, ◀le▶ fascisme, leurs mystiques et leurs créations politiques, condamnation ◀de▶ ◀l’▶individu, ◀de▶ ◀la▶ « pensée » bourgeoise (◀la▶ pensée sans douleur !), des méthodes policières grâce auxquelles se maintient ◀le▶ désordre établi. Mais nous allons plus loin dans ◀la▶ critique ◀de▶ ce désordre : jusqu’à ce point où ◀le▶ marxisme, révélant sa vraie nature, apparaît comme un cas privilégié ◀de▶ ◀la▶ folie capitaliste-matérialiste. Non, ce n’est pas une classe que nous devons sauver, c’est ◀l’▶homme menacé dans son intégrité. Sauver ◀l’▶homme, ce n’est pas sauver des consommateurs. Ce n’est pas sauver des entreprises, des nations, ◀les▶ intérêts (?) du monde. On nous demande : que signifie « sauver ◀le▶ monde » ? Rien. Au sens fort du mot, ◀le▶ salut n’est pas à débattre sur le plan ◀de▶ ◀l’▶humanité, mais entre ◀l’▶homme, entre tel homme et ◀la▶ Réalité qui seule peut garantir son être. — Encore faut-il que ◀les▶ conditions matérielles permettent à ce suprême et quotidien débat ◀d’▶avoir un sens, un point ◀d’▶application : ◀la▶ personne. Tel est, en dernière analyse, ◀le▶ fondement, ◀l’▶enjeu ◀de▶ ◀la▶ révolution nouvelle.
Ici ; je ne dirai plus nous mais je. À ◀la▶ question « Prenez-vous au sérieux vos idées, y croyez-vous ? », ◀les▶ hommes ◀de▶ ce temps n’aiment pas répondre, car c’est une question personnelle, une mise en question réelle. Je ◀la▶ cherche.
Ce qu’il faut pour légitimer un système ◀d’▶idées en elles-mêmes justes et opportunes, c’est une violence spirituelle qui existe déjà au-delà des bouleversements nécessaires ; une substance, une exigence impossible et qui est ◀la▶ seule chose que ◀les▶ hommes éprouvent dans ◀le▶ fond ◀de▶ leur être. Il faut derrière ces idées une masse volontaire, une pesante contrainte ◀de▶ foi, une pureté terrible et humble. Loin de moi ◀la▶ pensée que par des arguments nous pourrons triompher ◀d’▶autre chose que ◀d’▶arguments. À ◀l’▶effort admirable du peuple russe retrouvant ◀la▶ grandeur des luttes élémentaires, n’aurions-nous à répondre qu’un dogmatique « Tu te trompes » ? ◀Les▶ hommes n’entendront ◀de▶ nous que notre volonté ◀de▶ sacrifice, ◀de▶ pauvreté.
C’est dangereux, c’est grave ◀de▶ penser juste. ◀La▶ vérité ne peut exister parmi nous que sous ◀la▶ forme ◀d’▶une accusation personnelle. Il faut savoir entendre ce mutisme formidable. Je crois que seule ◀la▶ foi peut en donner jusqu’au bout ◀le▶ courage. Je parle ◀de▶ ◀la▶ foi chrétienne où je veux être, ◀de▶ ce suprême « choix » qui ne vient pas de moi, mais qui soudain me choisit, me saisit. Je parle ◀de▶ cette seule chose au monde qui n’ait pas besoin ◀d’▶arguments pour juger ◀les▶ idoles du monde ; ◀de▶ cette seule chose pour laquelle j’accepterais ◀la▶ mort, parce que ce ne serait pas crever bassement dans ◀la▶ haine, mais ce serait un acte enfin dans lequel je posséderais toute ma vie, d’un seul coup, en ◀la▶ donnant.
Je n’ai pas à sauver quoi que ce soit ◀de▶ ◀la▶ terre, mais seulement à recevoir ◀le▶ pardon. Or il n’est ◀de▶ pardon que pour celui qui agit. On me dira sans doute que je me perds dans ma mystique ? Allez, vous ne vous retrouvez que trop bien dans les vôtres ! Déjà ◀les▶ hommes ◀le▶ pressentent : il n’y a rien ◀d’▶autre à attendre que cette force surhumaine ◀d’▶entrer dans ◀l’▶Ordre ◀de▶ ◀la▶ Pauvreté, qui vaincra toutes ◀les▶ révolutions — après ◀les▶ avoir faites.