Mémoire de l’▶Europe (écrit en Amérique, en 1943) (août-septembre 1946)ah
Je ne savais pas que tout était si près, là-bas. J’étais baigné. J’étais fondé. Et je marchais parmi ◀les▶ signes. Sédiments séculaires, socles de nos patries ! Monuments que ◀l’▶on ne voit plus, mais qui renvoient ◀l’▶écho familier de nos pas. Et ces rues qui tournaient doucement vers une place plantée d’arbres et déserte, aux rendez-vous manqués où je me retrouvais… « Je t’aime. J’aime ! »
J’ai tout dit. ◀L’▶Europe était patrie d’amour. ◀Le▶ silence attendait, ◀l’▶absence était profonde, et chaque être présent questionnait, répondait. ◀La▶ force était au secret de nos vies, nouée parfois dans une rancune obscure, ou bien dans ◀la▶ contemplation jalouse d’un vieil arbre — il était vieux déjà du temps de notre enfance, et notre possession ◀la▶ plus tenace, il nous réduisait au silence. ◀La▶ force était chanson fredonnée, sur ◀le▶ seuil, au matin d’une journée qui se liait aux autres…
(Quand ta force devient visible, c’est comme ◀le▶ sang, c’est que tu es blessé, ta vie s’en va !)
◀La▶ force était mémoire et allusion. Elle était ce vieil arbre tenace. Elle était ◀la▶ douceur et ◀la▶ sagesse amère des adieux, ou ◀la▶ gaieté d’un mot dit en passant. Elle avait ◀les▶ pudeurs de ◀l’▶amour…
Quand je me souviens — c’est ◀l’▶Europe.
Parce que ◀l’▶Europe est ◀la▶ mémoire du monde, parce qu’elle a su garder en vie tant de passé, et garder tant de morts dans ◀la▶ présence, elle ne cessera pas d’engendrer. Elle a maîtrise d’avenir.