Intermède
… mais sachez-le : nous n’étions pas absents de▶ vous plus que ◀de▶ nous-mêmes. Vous étiez « occupés », nous étions en exil, et les uns comme les autres dans l’inaccepté, dans la dépossession profonde, dans une mise en question générale au pire moment, à l’heure ◀de▶ moindre résistance.
Notre angoisse était ◀de▶ penser : parlerons-nous encore le même langage au jour ◀de▶ ce retour en France,— dans quelle France, et dans quelle Europe ?
Nous étions soumis à l’érosion ◀de▶ l’exil, moins brutale, certes, mais plus intime que celle ◀de▶ l’occupation. Un conquérant n’occupe jamais que l’extérieur, mais l’étranger s’infiltre au cœur ◀de▶ l’être. Comment lui résisterait-on ? C’est un ami.
Il vous a reçus d’abord et vous a proposé ses façons et usages qu’il convenait ◀d’▶aimer. Bientôt, s’il voit que vous restez là, il change un peu : vous ré êtes plus l’invité mais un client, et qui devrait s’arranger pour payer. Et quand vous n’avez plus ◀d’▶argent, c’est tout ◀d’▶un coup le monsieur qui ne tient pas à ce que vous causiez des ennuis. Débrouillez-vous. Et puis, vous êtes trop nombreux, on ne peut pas s’occuper ◀de▶ chacun ◀de▶ vous.
Et c’est bien vrai. Nous étions trop nombreux. En France, en Suisse aussi, avant la guerre, nous trouvions qu’il y avait trop ◀de▶ juifs réfugiés. Des gens frappés par le malheur, où que ce soit, il y en a toujours trop.
Cependant notre sort vous paraissait enviable, à juste titre. Les pires tourments ◀de l’esprit et du cœur ont toujours paru préférables à la torture physique, ou même à sa menace. Autant dire qu’on les tient pour moins sérieux. Nous étions mal placés pour discuter cela, donc en somme pour défendre l’esprit, — qui était pourtant tout ce qu’il restait à défendre par nous, dans l’exil…