(1951) Demain l’Europe ! (1949-1951) « Demain l’Europe ! — L’Assemblée européenne (27 février 1949) » pp. p. 1

Demain l’Europe ! — L’Assemblée européennee (27 février 1949)f

Je vous disais vendredi soir, en introduisant par quelques mots cette série d’émissions sur la première session du Conseil international à Bruxelles, je vous disais : c’est d’un conseil et non pas d’un congrès qu’il s’agit. On l’a bien vu et bien senti lors de la séance inaugurale. La cérémonie, certes, était spectaculaire. La seule présence sur la tribune, à la table présidentielle, d’un groupe d’hommes politiques qu’on ne pourrait voir nulle part ailleurs ensemble, le seul spectacle de M. van Zeeland assis entre les socialistes Marceau Pivert et André Philip, de M. Churchill assis entre les socialistes Spaak et Guy Mollet, donnait un sens très neuf et au moins imprévu, à la séance, mais l’atmosphère demeurait un peu froide, on ne sentait pas cette électricité, cette pulsation des enthousiasmes et des passions qui parcouraient nos rangs à La Haye et à Rome. On sentait que nous étions réunis pour travailler et pour organiser, et que les discours de circonstance se réduisaient volontairement à la plus grande sobriété.

Dès le lendemain, le ton changea, au sein des deux commissions de travail. Je n’ai pu suivre les débats de la commission juridique, chargée d’élaborer le grand projet d’une Cour suprême européenne pour la défense des droits de la personne. Je vous dirai, lundi prochain, les résultats de ses travaux. Mais j’ai été frappé par la haute tenue des débats de la commission politique chargée de rédiger les principes généraux d’une politique européenne, la doctrine politique commune aux tendances si diverses réunies à Bruxelles.

À l’heure où je vous parle, ces débats ne sont pas terminés. Mais des conclusions se dessinent au travers de contradictions passionnées et parfois dramatiques. L’Europe, c’est un dialogue, je le répète bien souvent, je ne l’avais jamais mieux senti. Et ce dialogue parfois devient un drame, mais quand il aboutit à un accord profond, et douloureusement obtenu, rien n’est plus émouvant que le concert des voix qui deviennent la voix de l’Europe.

Hier, nos débats se sont portés sur la question de l’Assemblée européenne. Comme l’ont souligné tour à tour M. Spaak et M. Churchill — et je cite ce dernier : « l’idée d’une Assemblée consultative européenne est devenue la politique adoptée par presque tous les gouvernements de l’Europe occidentale ». Il s’agit maintenant d’exploiter ce premier grand succès de notre mouvement. Il s’agit maintenant pour nous de peser sur les décisions imminentes des ministères et des parlements. Nous voulons en effet que l’Assemblée soit beaucoup plus qu’un simple corps consultatif. Nous voulons qu’elle soit dès le départ un grand symbole de l’unité confédérale pour laquelle nous luttons. Nous voulons que la voix des peuples y retentisse, couvrant les voix prudentes et parfois timorées des égoïsmes officiels. Nous voulons, en un mot, que l’Assemblée européenne ne soit pas une demi-mesure, mais l’éclatante démonstration qu’une ère nouvelle s’ouvre à l’Europe, à tout le peuple européen.

Ce n’est pas sans une joie profonde que, nous autres fédéralistes, voyons nos thèses progresser de jour en jour au sein du Conseil de Bruxelles. Ce que nous sommes en train d’obtenir peut se résumer en trois points :

1. Nous avons fait admettre la représentation, au sein de l’Assemblée, des forces vives, non politiques, de nos pays, siégeant sur pied d’égalité avec les délégués des parlements.

2. Nous proposons que des sièges soient réservés aux pays de l’Est, sièges vides pour le moment, — mais ce vide muet parlera mieux que des discours, mieux que de vaines protestations verbales, ce vide sera le symbole éloquent non seulement de notre sympathie mais de notre espoir, car nous luttons pour l’Europe intégrale, et cela veut dire que jamais nous n’abandonnerons à leur sort nos frères de l’Est, ceux qui luttent en silence.

3. Et troisièmement, nous insistons pour que l’action sur les gouvernements se double immédiatement d’une grande campagne populaire dans toute l’Europe, afin que les masses soient associées à nos efforts, et les portent au sommet d’un élan unanime.

Si nous gagnons sur ces trois points — et nous sommes en bon train de gagner — , nous pourrons répéter ces mots que Churchill prononça d’une voix tonitruante — et en français — à la fin de son premier discours : « Alors, ça ira ! »

Pour terminer, je vous donnerai deux nouvelles : Ce matin, en séance plénière, notre conseil s’est donné un président de séance pour une année sur la personne de Léon Jouhaux, le grand chef syndicaliste français. Et d’autre part, M. André Philip, ancien ministre des Finances et de l’Économie, a été élu délégué général du Mouvement européen.

Voici encore mes prévisions du temps valables jusqu’à lundi prochain : la zone de haute pression fédéraliste dont le centre se situe actuellement à Bruxelles va s’étendre rapidement à toute l’Europe, jusqu’à la Grèce au Sud et la Suède au Nord, non sans provoquer à l’Est en passant, quelques légères ondulations du rideau de fer. Au revoir, à lundi prochain !