Demain l’▶Europe ! — ◀Le▶ Conseil de l’Europe (28 mars 1949)
Pendant que ◀la▶ presse du monde entier discute ◀le▶ pacte ◀de▶ ◀l’▶Atlantique, un événement peut-être décisif se prépare en silence, à Londres, aujourd’hui même. Il s’agit ◀de▶ fixer ◀les▶ statuts ◀d’▶un Parlement européen. ◀Les▶ représentants ◀de▶ dix nations se sont réunis ce matin, et nous saurons peut-être en fin ◀de▶ semaine, ◀les▶ résultats ◀de▶ leurs travaux.
On peut juger bizarre qu’une telle négociation, qui engage ◀l’▶avenir ◀de▶ notre Europe, se poursuive à huis clos, et sans ◀la▶ moindre publicité. Il semblerait que ◀les▶ gouvernements n’aient pas envie qu’on sache qu’ils font ◀l’▶Europe… C’est qu’ils ◀la▶ font à leur corps défendant. On ◀les▶ y pousse, et ils n’osent pas dire non, mais ils espèrent garder aussi longtemps que possible ◀le▶ contrôle ◀de▶ ◀l’▶opération.
◀L’▶initiative, en vérité, appartient aux fédéralistes. Et, pour vous faire comprendre ◀la▶ portée ◀de▶ ◀la▶ réunion qui se tient à Londres, cette semaine, je vais résumer brièvement ◀les▶ étapes ◀de▶ sa préparation.
Au mois ◀de▶ mai 1948, il y a donc un peu moins ◀d’▶un an, nous avons convoqué un Congrès ◀de▶ ◀l’▶Europe avec ◀l’▶appui des organisations ◀les▶ plus diverses, économiques, parlementaires et religieuses, syndicales et fédéralistes. Ce congrès, présidé par Churchill, réunit 800 délégués. À ◀l’▶unanimité, il résolut ◀d’▶entreprendre une action immédiate en faveur de ◀la▶ convocation ◀d’▶une Assemblée européenne.
◀Le▶ 18 août, nos délégués remettaient aux cinq puissances signataires du pacte ◀de▶ Bruxelles un Mémorandum détaillé sur notre projet ◀d’▶Assemblée.
◀Le▶ même jour, ces propositions se voyaient acceptées sans réserve par ◀le▶ gouvernement français, bientôt suivi par ◀les▶ pays du Benelux.
Après beaucoup ◀d’▶hésitations, ◀le▶ cabinet ◀de▶ M. Bevin se résignait à suivre ses alliés.
Un comité fut alors désigné par ◀les▶ gouvernements des 5 puissances pour examiner ◀la▶ question. Ses travaux commencèrent en novembre, et ◀le▶ 29 janvier ◀de▶ cette année, ◀le▶ comité des Cinq annonçait à ◀la▶ presse qu’il venait ◀d’▶aboutir à un accord. Un Conseil de l’Europe allait être formé. Il comprendrait d’une part un Comité ◀de▶ ministres, et d’autre part un corps consultatif, désigné par ◀les▶ parlements.
Ce n’était qu’un premier pas vers ◀l’▶action, vers ◀l’▶Europe, — mais c’est le premier pas qui coûte. Peu de jours après, on annonçait que ◀la▶ ville ◀de▶ Strasbourg serait choisie comme siège du corps consultatif, et que ◀l’▶Assemblée serait convoquée dès cet automne.
Rapidement, 5 nations nouvelles sont venues s’ajouter au noyau primitif. Ce sont ◀les▶ États scandinaves, ◀l’▶Irlande, et ◀l’▶Italie. Remarquez que ◀la▶ Suède, et ◀l’▶Irlande ont refusé toutes ◀les▶ deux ◀de▶ signer ◀le▶ pacte ◀de▶ ◀l’▶Atlantique, mais qu’elles acceptent ◀de▶ collaborer quand il s’agit ◀d’▶union européenne. Elles ne considèrent pas que leur neutralité soit un obstacle à leur présence active. Cet exemple aura ◀de▶ quoi faire réfléchir ◀la▶ Suisse.
Voici donc réunis à Londres, aujourd’hui même, ◀les▶ représentants ◀de▶ 10 pays qui acceptent — non sans précautions, non sans arrière-pensées peut-être — ◀de▶ s’engager dans ◀la▶ voie que leur tracent ◀les▶ pionniers du fédéralisme.
On aura rarement vu négociation aussi lourde ◀de▶ conséquences se dérouler plus discrètement… Quels résultats faut-il en espérer ? ◀La▶ manière dont elle s’est engagée ne permet pas ◀d’▶attendre des miracles.
◀Le▶ comité ◀de▶ Londres réunit des experts et des délégués des États.
Or, ◀les▶ experts, en général, ont tendance à prouver qu’il est urgent ◀d’▶attendre. Ils connaissent ◀les▶ difficultés, c’est leur métier, et ils entendent nous ◀le▶ faire sentir. Mais il arrive qu’ils manquent ◀d’▶une vision claire et simple des grandes nécessités ◀de▶ ◀l’▶heure : or celles-ci nous commandent ◀de▶ faire ◀l’▶Europe, et ◀de▶ ◀la▶ faire à n’importe quel prix.
Mais gardons-nous aussi ◀d’▶un excès ◀de▶ pessimisme. Car si ◀l’▶on doit prévoir que ◀le▶ comité ◀de▶ Londres va limiter autant que possible ◀le▶ rôle du futur parlement européen, ◀le▶ fait est que nous aurons tout de même un parlement. Et ◀l’▶on ne voit pas ce qui retiendra cette assemblée, dès qu’elle existera et fonctionnera, ◀d’▶aller plus loin, beaucoup plus loin que ◀les▶ États n’osent ◀le▶ souhaiter, — ◀d’▶aller enfin fraîchement, courageusement, vers ◀la▶ fédération totale ◀de▶ ◀l’▶Europe.
Qu’on nous donne ◀l’▶assemblée sous n’importe quelle forme, et ◀l’▶opinion publique fera ◀le▶ reste ! C’est pourquoi ◀le▶ Mouvement européen se prépare à lancer dans tous nos pays libres une campagne ◀de▶ grande envergure, afin que ◀les▶ masses se joignent aux élites pour dire au Parlement européen : nous voulons une Europe unie, rendue dans toute son étendue à ◀la▶ libre circulation des hommes, des idées et des biens.
Et nous voulons cela, parce que ◀l’▶Europe unie sera seule assez forte pour arrêter ◀la▶ guerre et défendre nos libertés !
Voici encore mes prévisions du temps valables jusqu’à lundi prochain : brouillard épais sur Londres et ce qui s’y passe, plus chaud en Suède, menaces ◀de▶ précipitations dans ◀les Balkans — à Berne, encore doux et serein.