Demain l’▶Europe ! — ◀Le▶ Statut du Conseil de l’Europe (9 mai 1949)
Chers auditeurs !
Je vous parle ce soir ◀de▶ Paris, où j’ai participé, pendant trois jours, aux réunions du Comité exécutif ◀de▶ notre grand Mouvement européen. Des comités, encore des comités ! va-t-on penser. Mais dites-vous bien ceci : c’est du travail tout désintéressé, mais acharné, ◀de▶ ces comités-là, que vient de sortir un document majeur ◀de▶ notre histoire : ◀le▶ Statut du Conseil de l’Europe, enregistré à Londres ◀le▶ 5 mai.
Il y a ce soir un an, exactement, que siégeait à La Haye ◀le▶ Congrès ◀de▶ ◀l’▶Europe. ◀La▶ principale résolution qui fut votée par ce congrès demandait ◀la▶ convocation ◀d’▶un Parlement européen. En un peu moins ◀d’▶un an, nous avons abouti. Le premier objectif est atteint. Et ce n’est pas sans émotion que je puis vous parler ce soir ◀de▶ ce premier aboutissement spectaculaire ◀d’▶un long effort, poursuivi sans relâche, contre vents et marées, par des milliers ◀de▶ militants ◀de▶ tous ◀les▶ pays ◀de▶ ◀l’▶Europe, ceux qui sont libres et ceux qui ◀le▶ seront un jour, — ceux qui veulent ensemble ◀la▶ paix, et qui veulent en créer la première condition : ◀l’▶Europe unie.
Ce Conseil de l’Europe, dont ◀les▶ statuts viennent donc ◀d’▶être signés à Londres par ◀les▶ ministres des Affaires étrangères ◀de▶ dix pays démocratiques, ce n’est, je ◀le▶ répète, qu’un premier objectif. Nous ◀l’▶avons conquis ◀de▶ haute lutte, mais non sans pertes. Ce qui est acquis est bien acquis, ou, comme ◀le▶ disait ◀la▶ manchette ◀d’▶un des grands journaux parisiens commentant cette date décisive : « Ce qui est fait ne sera pas défait ! » Mais ce qui est fait n’est pas encore ◀la▶ plénitude ◀de▶ ce qu’il faut faire et que nous voulons. Ce Conseil de l’Europe, désormais existant, c’est presque tout et ce n’est presque rien. C’est une grande porte ouverte sur ◀l’▶avenir, et maintenant, il faut franchir ◀le▶ pas. Que sera ◀le▶ Conseil, que ne sera-t-il pas ? C’est ce que je voudrais vous dire en quelques mots.
Vous savez qu’il comprend d’une part, un Conseil des ministres des Affaires étrangères, et d’autre part une Assemblée.
◀Le▶ Conseil des ministres doit siéger à huis clos, et il admet ◀le▶ droit ◀de▶ veto, puisque ses décisions ne seront prises qu’à ◀l’▶unanimité des membres. Sur ce point, nous faisons toutes réserves, et pour ◀le▶ dire avec franchise, aucun progrès réel ne semble acquis. Chaque ministre, nommé par son gouvernement, défendra ◀les▶ droits ◀de▶ son État, et nous ne dépasserons pas ◀le▶ stade ◀de▶ ◀la▶ Ligue des Nations ou ◀de▶ ◀l’▶ONU.
Mais il y a ◀l’▶Assemblée consultative, et c’est là que ◀le▶ fédéralisme européen marque un point vraiment décisif.
Cette Assemblée siégera dans trois mois à Strasbourg. Elle sera composée ◀de▶ députés désignés par ◀les▶ parlements ◀de▶ douze pays, et choisis dans ces parlements, mais aussi en dehors de leur sein. Et voici ◀le▶ fait que je voudrais souligner avec vigueur : ces députés ne voteront pas au nom de leur pays ou ◀de▶ leur gouvernement, mais au nom de leur seule conviction personnelle ◀de▶ citoyens européens. Et là, nous dépassons enfin ◀le▶ stade des intérêts nationalistes.
◀Les▶ débats ◀de▶ ◀l’▶Assemblée seront publics. ◀Les▶ décisions ◀de▶ ◀l’▶Assemblée, bien qu’elles n’aient qu’une valeur consultative, retentiront dans ◀l’▶opinion publique ◀de▶ toute ◀l’▶Europe, et seront largement conditionnées par elle. C’est dire que ◀la▶ conscience commune ◀de▶ tous nos peuples, leur volonté commune ◀de▶ paix et ◀de▶ liberté, pourront enfin se faire entendre au monde entier comme ◀la▶ voix même ◀d’▶une renaissance européenne, ◀d’▶une Troisième force, ◀d’▶une force ◀d’▶espérance. Une ère nouvelle commence ici.
Certes, nous voulons davantage ! Nous voulions une plus vaste Assemblée, comprenant 300 députés : on nous accorde avec difficulté un Parlement ◀de▶ 87 membres, c’est mesquin. Nous voulions que cette Assemblée puisse traiter librement ◀de▶ toute question intéressant ◀les▶ citoyens européens : on lui interdit ◀les▶ questions militaires, et on limite ses compétences politiques. Et nous voulions enfin, nous ◀le▶ voulons encore, une Assemblée constituante, or celle-ci ne sera qu’un corps consultatif.
Notre idéal est donc loin ◀d’▶être atteint. Il n’y a pas encore lieu, ce soir, ◀de▶ faire sonner ◀les▶ cloches dans toute ◀l’▶Europe. Mais ◀le▶ son frêle et pur ◀d’▶une petite cloche heureuse s’est fait entendre : c’est ◀la▶ voix ◀de▶ ce que Charles Péguy nommait « ◀la▶ petite espérance ». Sachez ◀l’▶entendre et ◀l’▶accueillir en votre cœur. Elle ne cessera plus ◀de▶ tinter.
Et c’est à vous, c’est à nous tous, à ◀l’▶opinion ◀de▶ tous nos peuples et ◀de▶ chacun ◀de▶ nous dans nos foyers, qu’il appartiendra désormais ◀de▶ propager ◀l’▶espoir qui vient de naître. Seule, ◀la▶ pression constante ◀de▶ ◀l’▶opinion publique pourra forcer ◀les▶ résistances égoïstes, pourra pousser ◀les▶ députés européens à proclamer un jour, à ◀la▶ face des États : nous sommes ici de par ◀la▶ volonté des peuples, et nous jurons ◀de▶ n’en sortir qu’une fois ◀l’▶Europe entièrement fédérée !
C’est pour hâter ◀la▶ venue nécessaire ◀de▶ ce nouveau Serment du Jeu ◀de▶ paume que ◀le▶ Mouvement européen va mobiliser ◀l’▶opinion.
C’est donc avec une grande confiance que dans mes prévisions du temps, valables cette fois-ci jusqu’à ◀l’▶été prochain, je puis vous annoncer ◀l’▶élévation constante ◀de▶ ◀la▶ température européenne. Et notez-◀le▶, à Berlin, cette semaine, ◀le▶ rideau ◀de▶ fer va s’entrouvrir, laissant passer une masse ◀d’▶air chaud ◀de▶ ◀l’▶Occident vers ◀l’▶Est européen. ◀Le beau temps vient ! Au revoir, à lundi prochain !