Demain l’▶Europe ! — Suisse 1848-Europe 1949 (II) (13 juin 1949)
Chers auditeurs,
Dans ma dernière chronique, j’ai comparé ◀l’▶Europe ◀de▶ notre temps, divisée en 24 nations, avec ◀la▶ Suisse ◀d’▶il y a 100 ans, divisée en 22 petits États souverains. Du point de vue politique, ◀la▶ ressemblance était frappante : même absence ◀d’▶unité ◀d’▶action dans ◀les▶ deux cas, même impuissance vis-à-vis des grands voisins, même attachement stupide et obstiné à des souverainetés absolues que nos cantons ne pouvaient plus défendre, et qu’aucun ◀de▶ nos pays européens ne pourrait aujourd’hui défendre sérieusement. Et cette comparaison paraissait rassurante, puisque nous avons vu que nos 22 cantons, tout aussi divisés à ◀l’▶époque que ne ◀le▶ sont aujourd’hui nos 24 nations, se sont tout de même fédérés solidement en quelques mois. Si nous comparons maintenant ◀l’▶état économique ◀de▶ nos cantons avant qu’ils se soient fédérés et ◀l’▶état ◀de▶ notre Europe divisée, nous allons constater des ressemblances peut-être encore plus étonnantes. Quels sont ◀les▶ maux dont souffre ◀de▶ nos jours ◀l’▶économie européenne ? Vous ◀les▶ connaissez tous, ils sont bien évidents.
Nous avons en Europe 24 monnaies différentes, ◀de▶ valeurs inégales et constamment variables, qui transforment ◀les▶ opérations commerciales en casse-tête ◀d’▶arithmétique, où seuls ◀les▶ virtuoses du marché noir arrivent à se retrouver. ◀Les▶ barrières douanières se multiplient et s’élèvent sans cesse, à tel point que ◀la▶ traversée ◀de▶ ◀l’▶Europe devient une épuisante course ◀d’▶obstacles. Nos marchés nationaux, de plus en plus fermés, sont tous trop petits pour ◀les▶ industries modernisées, qui étouffent et se voient obligées ◀de▶ freiner secrètement ◀la▶ production.
Il en résulte que ◀le▶ prix ◀de▶ ◀la▶ vie ne cesse ◀d’▶augmenter, et que ◀le▶ chômage devient une maladie chronique.
Eh bien, nos cantons suisses, il y a 110 ou 120 ans, connaissaient tous ces maux, ◀les▶ mêmes, exactement. Il y avait alors en Suisse une douzaine ◀de▶ monnaies différentes. Il y avait des douanes intérieures, auxquelles on se heurtait tous ◀les▶ 30 kilomètres. On comptait, en 1847, plus ◀de▶ 400 taxes sur ◀le▶ trafic des marchandises à ◀l’▶intérieur du pays ! On devait payer des droits ◀de▶ péage à ◀l’▶entrée des cantons, et même parfois des communes. ◀Le▶ canton du Tessin, par exemple, prélevait treize taxes différentes sur ◀la▶ route du Gothard, avec obligation ◀de▶ décharger chaque fois ◀la▶ marchandise pour ◀la▶ peser. ◀L’▶essor ◀de▶ ◀l’▶industrie naissante et du commerce se voyait freiné, brimé, et presque paralysé, par toutes ces barrières ◀de▶ tarifs. ◀Le▶ chômage augmentait chaque année. Un canton regorgeait ◀de▶ blé, tandis que d’autres souffraient ◀de▶ ◀la▶ famine.
Voici encore une comparaison très précise entre ◀l’▶état ◀de▶ ◀la▶ Suisse avant 1848 et ◀l’▶état ◀de▶ ◀l’▶Europe ◀d’▶aujourd’hui. Un commerçant ◀de▶ Saint-Gall qui voulait vendre ses produits à Genève devait payer tant de droits pour passer à travers une demi-douzaine ◀de▶ cantons, qu’il préférait ◀les▶ éviter en faisant un grand détour par ◀l’▶Allemagne et ◀la▶ France. Il n’en va pas autrement ◀de▶ nos jours, pour ◀le▶ trafic européen.
En effet, on a calculé qu’un commerçant ◀de▶ Stockholm ou ◀d’▶Oslo qui veut vendre ses produits à Madrid ou à Athènes aurait intérêt à ◀les▶ faire passer par ◀l’▶Amérique afin d’éviter une douzaine ◀de▶ barrages douaniers longs et coûteux, en traversant ◀l’▶Europe. Tout le monde voyait très bien, il y a cent ans, que ces absurdités dépassaient toute mesure, et tout le monde ◀le▶ voit ◀de▶ nos jours. Cependant, ◀les▶ États s’obstinaient, et certains intérêts mal compris s’opposaient en ce temps comme aujourd’hui, aux réformes ◀les▶ plus urgentes. Ceux qui voulaient supprimer ◀les▶ péages à l’intérieur de ◀la▶ Suisse se faisaient traiter ◀de▶ doux rêveurs ou ◀d’▶ignorants, comme ceux qui demandent ◀la▶ suppression des douanes à l’intérieur de notre Europe.
On leur disait : vous allez provoquer des catastrophes ! vous brûlez ◀les▶ étapes ! et si vous supprimez ◀d’▶un coup ◀les▶ douanes et ◀les▶ péages, voici ◀la▶ liste des industries locales qui, du jour au lendemain, seront ruinées !
Or, que s’est-il passé ?
En moins ◀d’▶un an, ◀les▶ cantons suisses se sont unis, douanes et péages ont disparu, et pas une seule des catastrophes prévues, et dûment calculées, ne s’est produite. Au contraire, ◀l’▶essor immédiat ◀de▶ ◀l’▶industrie et du commerce nous a valu cent ans ◀de▶ prospérité. Tirons maintenant ◀la▶ leçon ◀de▶ cette comparaison.
◀La▶ Suisse, en 1847, n’était pas plus avancée que ◀l’▶Europe en 1949. C’était ◀le▶ même chaos économique, produit par ◀les▶ mêmes divisions. On répétait tous ◀les▶ mêmes arguments contre ◀la▶ suppression des frontières et des douanes. On répétait : surtout pas ◀de▶ précipitation !
Et pourtant, ◀la▶ fédération définitive ◀de▶ nos cantons s’est faite en quelques mois, avec un plein succès. Personne ne peut ◀le▶ nier, c’est un fait historique.
◀Les▶ Suisses ont donc ◀le▶ devoir ◀de▶ dire à toute ◀l’▶Europe : voici notre expérience, imitez-◀la▶ !
Et nous tous, ◀les▶ Européens ◀de▶ tout pays, il est temps que nous disions à nos gouvernements : assez ◀d’▶absurdités, assez ◀de▶ petits calculs, renvoyez vos experts planter des choux, si vous voulez faire des économies ! Ouvrez largement vos frontières et jetez-vous dans ◀la▶ prospérité ! Demain, ◀l’Europe peut être belle ! Au revoir, à lundi prochain.