Demain l’▶Europe ! — Faisons ◀le▶ point (4 juillet 1949)
Chers auditeurs,
Radio-Genève va prendre ses vacances, et il faudra que j’en fasse autant, un peu plus tard. Cette chronique sera donc la dernière ◀de▶ ◀la▶ saison, avant que je ne ◀la▶ reprenne, peut-être, au mois ◀de▶ septembre.
Ce soir, je voudrais faire ◀le▶ point, vous dire en quelques mots où nous en sommes dans ◀la▶ lutte pour unir ◀l’▶Europe, pour ◀la▶ sauver pendant qu’on ◀le▶ peut encore.
Au mois ◀de▶ mai ◀de▶ ◀l’▶année dernière, rien n’était fait. Un seul homme travaillait sérieusement à réveiller ◀le▶ besoin ◀d’▶unité dans nos pays occidentaux, et c’était M. Vychinski.
Il venait de réussir ◀le▶ coup ◀d’▶État de Prague, et ◀de▶ provoquer dans toute ◀l’▶Europe une vague ◀d’▶indignation et ◀de▶ peur salutaire. Vraiment, nous devons beaucoup à M. Vychinski : sans lui, notre congrès ◀de▶ La Haye n’aurait jamais si bien marché. Mais quels que soient ◀les▶ talents ◀de▶ ce ministre, on ne pouvait pas s’en remettre à lui seul du soin ◀de▶ persuader ◀l’▶Europe entière qu’elle devait s’unir, ou périr. ◀Le▶ congrès ◀de▶ La Haye demanda donc qu’une Assemblée européenne fût convoquée, comme première condition ◀de▶ ◀l’▶union. Bien peu croyaient ◀la▶ chose possible, à cette époque. On constatait seulement qu’elle était nécessaire. Et voici qu’elle se réalise : dans un mois, ◀le▶ 8 août, à Strasbourg, ◀l’▶Assemblée de l’Europe s’ouvrira, réunissant une douzaine ◀de▶ pays, appelant à elle tous ceux qui croient encore aux droits de l’homme plutôt qu’à ◀la▶ terreur, à ◀la▶ libre circulation plutôt qu’aux camps ◀de▶ concentration.
Cette Assemblée consultative ◀de▶ ◀l’▶Europe, je vous ◀l’▶ai dit lorsqu’elle fut décidée, ce n’est presque rien, mais en même temps c’est presque tout. Ce ne sera rien, si ◀l’▶opinion publique n’est pas alertée derrière elle, et ne ◀la▶ force pas à s’imposer, à bousculer ◀les▶ égoïsmes nationaux. Ce sera beaucoup, ce sera ◀le▶ début ◀d’▶une ère nouvelle pour toute ◀l’▶Europe, si elle a ◀le▶ courage ◀de▶ se proclamer Constituante, et ◀de▶ rédiger un pacte fédéral, que tous nos peuples, ensuite, auront à ratifier.
Tout dépend donc, maintenant, ◀de▶ ◀l’▶opinion publique. Et c’est elle que ◀le▶ Mouvement européen va s’efforcer ◀de▶ mobiliser. Car c’est un fait que ◀la▶ grande masse, ◀le▶ grand public européen, ne s’est pas encore rendu compte ◀de▶ ◀l’▶importance ◀de▶ ◀l’▶Assemblée. Souhaitons qu’il se réveille avant qu’il soit trop tard ! ◀L’▶Europe n’a plus que deux ans pour s’unir : et ce délai n’est pas une hypothèse, il est fixé, inexorablement, par ◀la▶ durée du plan Marshall. Quand ◀l’▶Amérique aura cessé ◀de▶ nous aider, si nous ne sommes pas unis à ce moment-là, ce sera ◀la▶ ruine certaine, — et notre ruine, ce serait ◀la▶ porte ouverte à ◀la▶ ruée des Cosaques ◀de▶ Staline1. Que pouvons-nous faire en deux ans ?
Passons rapidement en revue ◀l’▶état ◀de▶ nos forces fédéralistes dans ◀les▶ nations ◀de▶ ◀l’▶Europe libre. Nous y trouvons d’une part, une pléiade ◀de▶ grands noms, et d’autre part, des noyaux ◀de▶ militants, sans cesse croissants.
Prenons ◀l’▶exemple ◀de▶ ◀la▶ France, qui se trouve être une fois de plus, à ◀la▶ tête du mouvement novateur. ◀L’▶appui ◀de▶ M. Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères, s’est montré décisif lors des négociations ◀de▶ ◀l’▶Assemblée. Et dans nos comités européens, nous avons avec nous ◀les▶ grands aînés, Herriot, Reynaud, Ramadier, Léon Blum. Nous avons Léon Jouhaux, ◀le▶ chef syndicaliste, Georges Villiers, ◀le▶ chef du patronat. Et nous avons surtout ◀le▶ groupe des jeunes ministres sortis ◀de▶ ◀la▶ Résistance à ◀la▶ Libération : André Philip, Teitgen, Henri Frenay. Derrière eux — ou plutôt devant eux, bien souvent — marchent ◀les▶ groupes ◀de▶ militants : fédéralistes, syndicalistes et catholiques. Et nous avons enfin, au Parlement français, un groupe fédéraliste qui compte déjà plus ◀de▶ 150 députés. Parmi eux seront choisis ◀les▶ représentants français à ◀l’▶Assemblée consultative ◀de▶ Strasbourg.
Dans ◀les▶ autres pays, nous trouvons également à nos côtés, et mêlés dans nos rangs, des hommes politiques chevronnés : Churchill et Macmillan, en Grande-Bretagne ; Sforza, ◀de▶ Gasperi et Saragat en Italie ; Spaak et van Zeeland en Belgique. Mais surtout, nous trouvons des milliers ◀de▶ jeunes hommes qui furent au 1er rang ◀de▶ ◀la▶ Résistance, tels que ce jeune chef italien qui a fait 16 ans ◀de▶ prison et ◀de▶ camps sous ◀le▶ fascisme, ou ce jeune chef du mouvement en Allemagne, Eugène Kogon, qui a passé près de 8 ans à Buchenwald. Ce sont des hommes qui ont ◀le▶ droit ◀de▶ parler, maintenant ! Ils ont payé ◀le▶ droit ◀de▶ revendiquer une Europe libre, unie, libérée des cauchemars qui tourmentaient leurs nuits derrière ◀les▶ barbelés.
Voici nos chefs, voici nos troupes, et vous ◀le▶ voyez, ce ne sont pas ◀de▶ piteux idéalistes, ◀de▶ doux rêveurs ! Avec des hommes ◀de▶ cette trempe-là, nous pouvons, nous devons réussir à faire ◀l’▶Europe dans ◀le▶ délai ◀de▶ grâce qui nous est accordé par ◀le▶ destin, — et par ◀la▶ générosité ◀de▶ ◀l’▶Amérique. Mais nous n’avons pas beaucoup de mois à perdre. ◀La▶ victoire, c’est-à-dire ◀la▶ paix, dépend maintenant ◀de▶ ◀la▶ manière dont seront conduits ◀les▶ débats ◀de▶ Strasbourg. Suivez-◀les▶, dès ◀le▶ mois prochain, à ◀la▶ radio et dans ◀la▶ presse. Demandez, exigez qu’on vous en parle, et parlez-en autour de vous. ◀L’▶Assemblée de Strasbourg ne fera ◀l’▶Europe que si elle peut délibérer en votre nom, au nom des masses européennes. Alors, mais alors seulement, ◀les▶ États seront forcés ◀de▶ ◀la▶ suivre. Je vous ◀l’▶ai dit souvent, je vous ◀le▶ répète ce soir une dernière fois, en guise d’au revoir : nous voulons bien sauver ◀l’▶Europe pour vous, mais pas sans vous ! Adhérez à nos groupes fédéralistes, réveillez ceux qui dorment, ◀le▶ temps presse ! Appuyez-nous par vos espoirs, par vos dons et par vos prières. Car c’est ◀de▶ votre paix, à vous personnellement, ◀de▶ votre liberté, et ◀de▶ celle ◀de▶ vos enfants, que je vous ai parlé, depuis des mois, en vous appelant à dire et à vouloir : « Demain ◀l’▶Europe ! »
Au revoir, à ◀l’▶automne prochain !