Demain l’▶Europe ! — ◀La▶ dévaluation et ◀la▶ bombe soviétique (26 septembre 1949)
Chers auditeurs,
Merci, tout d’abord, pour ◀les▶ chaleureux encouragements que plusieurs d’entre vous m’ont envoyé soit individuellement, soit en famille, à ◀l’▶occasion ◀de▶ ◀la▶ reprise ◀de▶ cette chronique.
Ces messages témoignent ◀de▶ ◀l’▶intérêt croissant qu’éveille ◀l’▶effort pour ◀l’▶union ◀de▶ nos peuples, tant en Suisse que dans ◀les▶ pays voisins.
Et merci tout autant pour vos questions. Je comptais commencer ◀d’▶y répondre, dès aujourd’hui, et vous parler, en conséquence, des premiers résultats acquis par ◀l’▶Assemblée consultative ◀de▶ Strasbourg. Mais deux événements importants se sont produits ◀la▶ semaine dernière, deux événements qui affectent ◀l’▶Europe dans son ensemble, et qu’il est nécessaire ◀de▶ commenter sans plus attendre, du point de vue ◀de▶ notre action fédéraliste. Vous avez deviné qu’il s’agit ◀de▶ ◀la▶ dévaluation ◀de▶ ◀la▶ livre anglaise, et ◀de▶ ◀la▶ bombe atomique fabriquée par ◀les▶ Russes.
Au lendemain ◀de▶ la première session ◀de▶ Strasbourg, devant ◀le▶ bilan positif ◀de▶ cette première expérience, beaucoup de gens ont pu croire que ◀la▶ partie était plus qu’à moitié gagnée, que ◀l’▶unité européenne allait s’organiser toute seule, que pour leur part, ils n’avaient plus qu’à se tourner ◀les▶ pouces.
Mais ◀les▶ deux événements ◀de▶ ◀la▶ semaine dernière arrivent à point pour nous rappeler, d’une part, ◀les▶ grands obstacles qu’il reste à surmonter, d’autre part, ◀la▶ grave menace qui pèse sur nous tous, et ◀l’▶urgence ◀d’▶y répondre. ◀La▶ dévaluation britannique signifie : union difficile. ◀La▶ possession ◀de▶ ◀la▶ bombe atomique par ◀les▶ Soviets signifie : union nécessaire.
Je ne suis pas un expert économique, loin de là. Je ne saurais donc juger ◀la▶ valeur technique ◀de▶ ◀l’▶opération monétaire décidée par ◀les▶ Anglais. Mais je puis dire ceci, sans crainte ◀de▶ me tromper : toute ◀l’▶Europe vient ◀d’▶être secouée par une mesure prise par un seul pays, lequel s’était gardé ◀d’▶avertir ses voisins. Ainsi ◀la▶ solidarité économique ◀de▶ toute ◀l’▶Europe bon gré mal gré, est démontrée ◀d’▶une manière éclatante quoique négative et coûteuse pour certains. Ceux qui s’obstinaient à ◀la▶ nier sont placés devant ◀l’▶évidence. Nous dépendons tous, étroitement, ◀les▶ uns des autres. Et s’il plaît à un peuple isolé ◀de▶ se serrer encore plus ◀la▶ ceinture pour sauver son régime ◀de▶ travaillisme austère, nous voici tous forcés, dans toute ◀l’▶Europe, ◀de▶ participer aux frais ◀de▶ ◀l’▶opération, que cela nous plaise ou non. Eh bien ! il est grand temps que cette solidarité économique cesse ◀d’▶être purement négative, cesse ◀d’▶être une solidarité dans ◀la▶ misère ou dans ◀les▶ catastrophes seulement. Il faut désormais ◀la▶ vouloir ◀d’▶une manière positive et pour ◀le▶ bien commun, c’est-à-dire qu’il faut ◀l’▶organiser entre nous tous, et reprendre en main nos destins.
Encore une fois, je n’ai pas à juger ◀de▶ ◀la▶ valeur en soi des décisions britanniques, mais j’ai à dire ceci : c’est que ◀la▶ manière dont elles ont été prises est scandaleuse, du point de vue ◀de▶ ◀l’▶Europe en général. Que s’est-il passé en effet ? Sir Stafford Cripps est parti seul pour Washington, s’est enfermé dans une salle ◀de▶ comité avec ◀les▶ experts américains, tandis que ◀les▶ représentants français, italien et belge attendaient derrière ◀la▶ porte. Chacun voulait faire valoir son point de vue purement national ; un seul y a réussi ; mais ◀l’▶Europe, ◀l’▶Europe solidaire et qui allait payer ◀les▶ frais ◀de▶ ◀l’▶opération, je ◀le▶ répète, ◀l’▶Europe était absente, personne ne parlait en son nom.
C’est à cela que Strasbourg doit remédier ◀d’▶urgence, dans ◀l’▶intérêt ◀de▶ chacun d’entre nous.
Je dis ◀d’▶urgence. Car on vient de nous apprendre que ◀les▶ Russes, à leur tour, ont trouvé ◀le▶ secret ◀de▶ ◀la▶ bombe atomique. On peut s’en réjouir, pour certaines raisons psychologiques d’abord.
◀La▶ possession ◀de▶ ◀la▶ fameuse bombe peut en effet diminuer, chez ◀les▶ Russes, leur crainte presque morbide ◀d’▶être encerclés et vulnérables. Il y a là, si paradoxal que cela paraisse, un élément ◀de▶ détente dans ◀la▶ situation internationale. Beaucoup des réactions russes étaient inspirées jusqu’ici par une peur exagérée ◀de▶ ◀la▶ puissance américaine. Se sentant désormais plus forts, qu’avant, ◀les▶ Soviets se montreront peut-être moins négatifs dans ◀les▶ négociations. Mais ◀le▶ fait brutal qui demeure, c’est qu’entre ◀les▶ Américains et ◀les▶ Russes également armés ◀de▶ ◀la▶ Bombe, voici ◀l’▶Europe encore désunie, totalement désarmée, et toute prête à servir ◀de▶ champ clos pour ◀le▶ duel atomique des deux Grands, c’est-à-dire : prête à être rasée.
Ceux qui trouveraient encore que ◀la▶ situation « n’est pas mûre », pour nous fédérer, qu’il faut y aller bien doucement, bien lentement, et sans rien bousculer surtout, ces prudents m’apparaissent désormais comme des rêveurs ◀de▶ ◀la▶ plus dangereuse espèce, des utopistes impénitents, ou ◀d’▶irrémédiables nigauds.
Pour tous ◀les▶ autres, Strasbourg vient ◀d’▶apporter un message ◀d’▶espoir et ◀d’▶action. Nul ne ◀l’▶a mieux dit que M. Spaak, ◀le▶ président ◀de▶ ◀l’▶Assemblée, lorsqu’il s’est écrié dans son discours final : « Je suis venu ici parce que j’étais convaincu ◀de▶ ◀la▶ nécessité des États-Unis d’Europe, je repars convaincu ◀de▶ leur possibilité. »
Il me plaît ◀de▶ vous quitter ce soir sur ces paroles, que je me réjouis ◀de commenter et confirmer, lundi prochain : au revoir mes chers auditeurs.