Demain l’▶Europe ! — ◀Les▶ résultats ◀de▶ Strasbourg (10 octobre 1949)
Chers auditeurs,
Il est temps que j’en arrive aux résultats acquis par ◀l’▶Assemblée consultative ◀de▶ Strasbourg, à ◀la▶ fin ◀de▶ sa première session. Je voudrais vous en parler sans trop ◀de▶ détails techniques, mais cependant, il est bon ◀d’▶en donner quelques-uns, pour vous faire entrevoir ◀la▶ nature et ◀le▶ nombre des difficultés qu’il faut vaincre, si ◀l’▶on veut arriver à cette chose simple et grande : ◀l’▶Europe unie, libérée des frontières, rendue, dans toute son étendue, à ◀la▶ libre circulation des hommes, des idées, et des biens.
Trente-trois jours ne pouvaient suffire pour transformer notre vieux continent. A-t-on bien dégagé, au moins ◀les▶ perspectives du travail à venir ? Je ◀le▶ crois, et j’en veux pour preuve ◀le▶ fait que ◀l’▶Assemblée, en quelques jours, a su montrer sa volonté ◀de▶ devenir un vrai parlement. En affirmant son autonomie à l’égard du Comité des ministres, qui représentait ◀les▶ États ; en prenant ◀la▶ liberté ◀de▶ fixer ses ordres du jour ; en habituant des hommes ◀de▶ pays et ◀de▶ partis différents à repenser tous ◀les▶ problèmes du point de vue ◀de▶ ◀l’▶Europe en général, et non pas du point de vue ◀de▶ leur seule nation, ◀l’▶Assemblée a ébauché ◀l’▶image ◀d’▶une communauté ◀de▶ nos peuples par-dessus ◀les▶ frontières en dépit de leurs États. Elle s’est donc affirmée dès ◀l’▶abord comme un pouvoir législatif en puissance.
Forte ◀de▶ ce succès, ◀l’▶Assemblée a aussitôt proposé ◀la▶ création ◀d’▶un pouvoir judiciaire européen. ◀De▶ quoi s’agissait-il ? ◀De▶ garantir ◀les▶ droits ◀de▶ chaque citoyen, vous ou moi, contre ◀la▶ toute-puissance des États souverains. Il s’agissait ◀de▶ donner à chacun, vous ou moi, une possibilité ◀de▶ recours contre ◀les▶ injustices commises au nom d’un gouvernement, ou au parti au pouvoir. Cette possibilité n’existe pas, aujourd’hui. Il n’y a rien, aujourd’hui, au-dessus ◀de▶ ◀l’▶État. Il faut donc créer une Cour des droits de l’homme, capable ◀d’▶intervenir dans chacun ◀de▶ nos pays pour y faire respecter ◀les▶ libertés fondamentales ◀de▶ chaque personne. C’est un jeune député et ministre français, ◀l’▶énergique Pierre-Henri Teitgen, qui a présenté à ◀l’▶Assemblée ◀le▶ projet ◀d’▶une Cour suprême des droits de l’homme, tel que notre Mouvement européen ◀l’▶avait étudié et mis au point. ◀Le▶ projet a été accepté, à ◀l’▶unanimité moins quelques abstentions, et il semble certain que la plupart des gouvernements ◀l’▶appuieront. Seul, M. Dalton, au nom des Britanniques, a déclaré qu’il n’accepterait pas qu’un citoyen anglais allât se plaindre ◀de▶ ses autorités devant une cour internationale. Pourtant, c’est bien à un tel but que tendent tous nos efforts : nous voulons qu’au-dessus ◀de▶ chacun ◀de▶ nos États, un pouvoir fédéral indépendant soit capable ◀de▶ réprimer ◀les▶ abus qui seraient commis au nom de ◀l’▶égoïsme national, ou ◀de▶ ◀la▶ volonté ◀de▶ puissance ◀d’▶un seul parti. Ce que nous voulons, c’est en somme, ◀l’▶équivalent européen du Tribunal fédéral ◀de▶ ◀la▶ Suisse.
Dans ◀le▶ domaine économique, ◀l’▶Assemblée a proposé un certain nombre ◀de▶ mesures tendant à ◀la▶ libre circulation des marchandises et des capitaux, ainsi qu’à ◀la▶ convertibilité des monnaies entre elles. Surtout, elle a proposé qu’une délégation du Conseil de l’Europe aille discuter à Washington au nom de ◀l’▶Europe tout entière. Cette proposition a été traitée ◀de▶ « billevesée » par ◀le▶ même M. Dalton. On a compris ◀les▶ raisons ◀de▶ son opposition, quelques jours plus tard, lorsqu’une délégation britannique est allée seule à Washington pour y négocier seule ◀la▶ dévaluation ◀de▶ ◀la▶ livre, au détriment du reste ◀de▶ ◀l’▶Europe. Rien ne saurait mieux illustrer ◀l’▶urgence et ◀la▶ nécessité ◀de▶ ◀l’▶union économique demandée par Strasbourg.
Enfin, ◀l’▶Assemblée a émis, à ◀l’▶unanimité, un certain nombre ◀de▶ vœux pratiques tels que ◀la▶ création ◀d’▶un Centre européen de la culture (dont ◀l’▶embryon existe à Genève) et ◀la▶ mise à ◀l’▶étude immédiate ◀d’▶un passeport européen.
Ce ne sont là que des vœux, direz-vous. Oui, certes, mais ils sont appuyés par ◀la▶ volonté unanime ◀de▶ ◀l’▶Assemblée consultative. Or celle-ci se compose ◀de▶ députés régulièrement élus par douze parlements européens. La plupart de ces délégués sont ◀les▶ chefs ◀de▶ fractions politiques importantes. Il est donc probable qu’ils arriveront à faire voter, dans chaque parlement national, ◀les▶ mesures proposées par Strasbourg. Vous voyez donc que malgré son titre modeste ◀d’▶Assemblée consultative, ◀le▶ Parlement ◀de▶ Strasbourg peut devenir un instrument très efficace ◀d’▶unification ◀de▶ ◀l’▶Europe. Ce qu’il a fait, avec beaucoup de sérieux et ◀de▶ mesure, ne restera pas sans lendemain.
Un dernier mot : presque toutes ◀les▶ propositions concrètes votées par ◀l’▶Assemblée de Strasbourg avaient été préparées par notre Mouvement européen. C’est lui qui a fait Strasbourg, en réalité. L’un des observateurs américains qui assistaient aux travaux ◀de▶ ◀l’▶Assemblée et qui ont pu voir notre Mouvement à ◀l’▶œuvre dans ◀les▶ coulisses, s’écriait un jour devant moi : « J’ai été témoin, ici, ◀de▶ choses stupéfiantes pour nous autres Américains ! ◀L’▶Assemblée existe, elle travaille, et vous avez obtenu tout cela sans moyens mesurables, sans organisation solide et lourde, à ◀la▶ yankee, et par ◀la▶ seule action, presque invisible, ◀d’▶un très petit nombre ◀d’▶hommes qui ont su voir juste ! »
Je lui ai dit : cher ami, en somme, vous venez de découvrir ◀l’Europe, — ses limitations, son génie…
Au revoir, mes chers auditeurs ! Merci pour vos questions. Continuez : je réponds.