Demain l’▶Europe ! — ◀La▶ Conférence européenne ◀de▶ ◀la▶ culture (5 décembre 1949)
Chers auditeurs,
Dans trois jours, à Lausanne, s’ouvrira ◀la▶ Conférence européenne ◀de▶ ◀la▶ culture.
Ce n’est pas un congrès de plus. C’est une étape bien définie dans ◀la▶ campagne que conduit, depuis deux ans, notre Mouvement européen. Nous avions décidé ◀d’▶agir dans 4 domaines différents. Politiquement, nous avons obtenu un premier résultat spectaculaire avec ◀l’▶Assemblée de Strasbourg. Dans ◀le▶ domaine économique, nous avons convoqué, au mois ◀d’▶avril dernier, une Conférence ◀d’▶experts à Londres. Dans ◀le▶ domaine social, nous préparons avec ◀les▶ chefs des syndicats patronaux et ouvriers ◀de▶ toute ◀l’▶Europe, un congrès qui aura lieu à Rome. Restait ◀le▶ domaine ◀de▶ ◀la▶ culture. C’est à Lausanne que nous avons choisi ◀de▶ réunir une conférence qui doit donner aux intellectuels ◀de▶ 20 pays ◀le▶ signal ◀de▶ ◀la▶ lutte pour ◀l’▶Europe fédérée.
Vous vous direz sans doute que ◀la▶ culture, c’est moins sérieux que ◀la▶ politique et surtout que ◀l’▶économie ; que cela ne concerne pas ◀la▶ masse ni la plupart des professions, ◀l’▶industriel et ◀l’▶ouvrier, ◀le▶ banquier, ◀l’▶employé ou ◀le▶ paysan. Et vous aurez complètement tort. ◀La▶ culture vous intéresse tous, directement, dans ◀la▶ réalité ◀de▶ chacune ◀de▶ vos vies. Car ◀la▶ culture, au sens européen, ce n’est pas seulement ◀les▶ livres et ◀les▶ professeurs, c’est aussi tout ◀l’▶ensemble ◀de▶ nos techniques, des découvertes scientifiques dont vivent des millions ◀d’▶ouvriers, des procédés ◀de▶ construction et ◀de▶ transport, des progrès ◀de▶ ◀l’▶hygiène et ◀de▶ ◀l’▶enseignement. C’est enfin ◀la▶ source directe ◀de▶ nos richesses, ◀de▶ nos institutions, ◀de▶ tout ce qui a fait du continent européen autre chose qu’un « cap de l’Asie » — ce qu’il est physiquement, matériellement, ce qu’il serait resté sans ◀l’▶esprit ◀d’▶invention et sans ◀la▶ foi et sans ◀le▶ génie des hommes qui ont édifié notre culture.
C’est tout cela, c’est ◀l’▶esprit qui peut sauver ◀l’▶Europe dans ◀la▶ crise décisive qu’elle traverse. ◀Les▶ efforts pour ◀la▶ reconstruire, en politique et en économie, resteront vains si ◀l’▶Europe ne retrouve pas une volonté ◀de▶ vivre, ◀de▶ guérir, et ◀de▶ rassembler à cette fin ses énergies morales et intellectuelles. Réveiller ◀la▶ conscience commune des pays libres, ◀le▶ sentiment ◀de▶ notre commune appartenance à une culture qui a fait notre grandeur, et qui reste pour nous ◀le▶ sens même ◀de▶ ◀la▶ vie, voilà ◀la▶ condition première, sine qua non, ◀de▶ toute renaissance européenne.
Tandis que s’esquissent à Strasbourg ◀les▶ cadres politiques ◀d’▶une Europe fédérée, il est grand temps ◀de▶ définir ◀le▶ sens humain et spirituel ◀de▶ cette action, ◀la▶ vocation particulière, dans ◀le▶ monde moderne, ◀de▶ notre communauté européenne. Et c’est cela qu’à Lausanne, nous essaierons ◀de▶ dire, en termes simples et frappants, simples et clairs comme un cri ◀de▶ ralliement, simples et clairs comme un feu dans ◀la▶ nuit.
Ce n’est pas tout. Ce signal ◀de▶ réveil lancé au monde ◀de▶ ◀la▶ culture doit entraîner immédiatement une volonté ◀d’▶action commune. Pratiquement, que faut-il attendre ◀de▶ Lausanne ?
Un simple rappel des misères et des périls qui nous menacent suffit à définir notre programme.
Vous savez qu’aujourd’hui, en Europe, des dizaines ◀de▶ barrières douanières s’opposent à ◀la▶ circulation des instruments ◀de▶ culture et des personnes, des livres et des étudiants, des films, des œuvres d’art, des appareils ◀de▶ sciences. Nous demanderons aux gouvernements ◀de▶ supprimer toutes ◀les▶ entraves, héritage honteux ◀de▶ ◀la▶ guerre.
Nous demanderons aussi ◀l’▶institution ◀d’▶un Centre européen de la culture, — qui existe en germe à Genève, mais qu’il faut développer, afin de pouvoir coordonner tous ◀les▶ efforts, actuellement dispersés, sans moyens suffisants, dans tous nos pays appauvris.
Nous demanderons et nous proposerons que désormais, toutes ◀les▶ écoles du continent donnent un enseignement européen, ◀de▶ ◀l’▶université jusqu’aux écoles primaires — afin que dans ◀l’▶esprit des jeunes et des enfants, ◀le▶ sentiment ◀de▶ ◀la▶ grande famille que nous formons, en dépit de nos frontières, devienne vivante, qu’il s’enracine dans ◀les▶ esprits comme dans ◀les▶ cœurs.
Et finalement, devant ◀l’▶urgence du péril que représente ◀l’▶énergie atomique, mais aussi devant ◀les▶ possibilités incalculables qu’elle recèle pour ◀la▶ prospérité du continent, nous aurons quelque chose à dire, qui fera sans doute du bruit dans ◀le▶ monde.
L’un des plus grands esprits ◀de▶ notre temps, ◀l’▶égal ◀d’▶Einstein, si j’en crois ◀les▶ savants, ◀le▶ prince Louis de Broglie, prix Nobel ◀de▶ physique, proposera au congrès ◀la▶ création ◀d’▶un Centre européen des recherches atomiques, consacré uniquement à des buts pacifiques, à ◀la▶ médecine, au développement ◀de▶ ◀l’▶industrie. Aucun ◀de▶ nos pays n’est assez riche pour entretenir un pareil centre ◀de▶ puissance, mais tous ensemble fédérés, nous y arriverons. Et ◀l’▶Europe, ce jour-là, pourra parler !
Voici, chers auditeurs, ce que nous devons attendre ◀de▶ ◀la▶ conférence ◀de▶ Lausanne. Il y aura des discours, bien sûr : M. Etter, Conseiller fédéral, et M. Spaak, ouvriront ◀le▶ congrès, jeudi, ◀le▶ 8 décembre au Théâtre ◀de▶ Lausanne. Mais il y aura surtout pendant 5 jours, ◀le▶ travail en commun ◀de▶ 200 hommes ◀de▶ science, professeurs, écrivains, éducateurs, pour mettre au point quelques projets concrets. Ces plans seront transmis au Conseil de l’Europe, et ◀les▶ gouvernements, même ◀les▶ plus durs ◀d’▶oreille, seront forcés cette fois ◀d’▶écouter et ◀d’▶entendre.
Soyons fiers que ◀la▶ Suisse accueille ce beau congrès ◀de▶ ◀la▶ conscience européenne. Et merci à tous ◀les▶ Lausannois qui ont donné leur temps et leur cœur pour préparer cette manifestation, permettant à notre pays ◀de▶ prendre sa part, ◀la▶ plus noble, dans ◀la renaissance du continent.
Au revoir, à lundi prochain !