(1951) Demain l’Europe ! (1949-1951) « Demain l’Europe ! — Une enquête chez les étudiants (16 janvier 1950) » pp. p. 1

Demain l’Europe ! — Une enquête chez les étudiants (16 janvier 1950)

Chers auditeurs,

À l’occasion de la récente Conférence européenne de la culture, un groupe d’étudiants de Lausanne a pris une initiative qui mérite d’être signalée, commentée, et partout où cela sera possible imitée.

Ce groupe de jeunes gens désirait participer, sous une forme ou une autre, à la conférence culturelle. Mais comment faire ? Le nombre des délégués était strictement limité — six ou sept seulement pour la Suisse, par exemple — , et d’autre part il eût été difficile de faire admettre des représentants des étudiants, car en somme, qu’eussent-ils représenté ? En effet, personne ne connaissait l’opinion, ou plus probablement les opinions diverses des étudiants sur les problèmes européens. Ne fallait-il donc pas commencer par les découvrir ? C’est ainsi qu’a germé l’idée d’une enquête à l’Université. Quelques camarades se sont réunis pour en rédiger le texte, celui-ci a été approuvé par le recteur, M. Cosandey, et les réponses, recueillies auprès de 700 étudiants environ, en peu de jours, ont été communiquées à la conférence, au cours de sa dernière séance plénière.

Quelles étaient les questions posées ? Elles consistaient essentiellement à demander aux étudiants s’ils croyaient à la réalisation de l’Europe unie, à l’utilité de l’Assemblée de Strasbourg, ou de la conférence de Lausanne, et enfin s’ils avaient eu connaissance jusqu’ici de l’activité du Mouvement européen.

Je ne puis vous donner ce soir une analyse détaillée des réponses. Je souhaite vivement que notre presse publie tout au moins le texte des questions et le nombre des oui et des non qui leur répondent. Dans l’ensemble, il apparaît qu’une assez nette majorité des étudiants croit à la nécessité d’unir nos pays ; qu’une petite moitié environ croit à l’utilité de Strasbourg et de la conférence de Lausanne, mais qu’une très grande majorité demande surtout à être mieux informée de ce qui est en train de se faire, et révèle son ignorance de ce qui s’est déjà fait, c’est-à-dire avoue n’avoir pas connaissance du Mouvement européen, par exemple.

Ces résultats sont intéressants à divers titres. Certes, certains d’entre eux sont provisoires par définition. En effet, si je demande à quelqu’un, à brûle-pourpoint : avez-vous jamais entendu parler du pithécanthrope ? et qu’il me réponde non je n’en ai jamais entendu parler, je devrai faire une coche dans la colonne des réponses négatives à mon enquête ; mais un autre enquêteur, posant la même question le lendemain, à la même personne devra faire une coche dans la colonne des réponses positives, nécessairement, puisque j’aurai passé la veille à parler du pithécanthrope… Ainsi, les étudiants qui ont répondu que non, qu’ils n’avaient jamais entendu parler de notre Mouvement, seraient obligés de répondre aujourd’hui que oui, puisqu’ils en ont eu connaissance justement par cette enquête. Voilà qui montre bien l’utilité d’une pareille initiative : en questionnant les étudiants sur le Mouvement européen, elle leur en révèle l’existence, elle les invite à prendre position, ou tout au moins à s’informer, — et elle constitue par elle-même une première information.

Il faut donc espérer que des enquêtes du même genre se multiplieront désormais, tout d’abord dans les universités, en Suisse et à l’étranger, mais aussi, et en même temps, dans d’autres milieux, plus larges et aussi variés que possible : dans les ateliers et entreprises comme dans les bureaux, dans les quartiers de grandes villes comme dans les villages, et enfin dans les sociétés de tout genre dont vous faites partie, vous qui m’écoutez ce soir… Et pourquoi n’en prendriez-vous pas l’initiative ? Cela ne coûte rien, c’est souvent amusant, et c’est la propagande la plus honnête qui soit, puisqu’elle consiste simplement à attirer l’attention des gens sur les questions qui se posent aujourd’hui, — sans forcer les réponses ou les prises de parti.

Je voudrais insister enfin sur ce qui ressort le plus nettement de l’enquête des étudiants lausannois : sur cette demande générale de documentation, d’information. Je crois ce besoin très répandu, bien au-delà des milieux de l’Université, dans toutes les couches de la population. Comment le satisfaire ?

On ne peut pas se contenter de renvoyer tout le monde à une lecture plus attentive de la presse. Car la presse, en Europe, manque de place pour publier des documents de première main, des textes complets — comme cela se fait en Amérique. Elle doit se borner à résumer en quelques lignes les travaux d’une longue conférence de 5 jours et 4 nuits, et souvent l’essentiel se perd, un détail pittoresque accapare l’attention… D’autre part, on ne peut pas non plus écrire à chacun, visiter chaque foyer, parler individuellement à des millions.

Je suggère donc à tous ceux d’entre vous qui auraient le désir de savoir mieux ce qui se passe deux moyens assez simples.

Le premier, c’est de vous mettre en rapport, personnellement ou par écrit, avec le groupe le plus proche de l’Union européenne, organisation suisse rattachée au Mouvement européen et qui vous donnera les informations précises que vous souhaitez.

Le second moyen d’information, c’est tout bonnement d’ouvrir les yeux, de voir la situation de l’Europe divisée entre les deux grands blocs hostiles, et de vous demander quelles sont les mesures qu’appelle d’urgence une pareille situation. Vous rejoindrez ainsi par vous-même j’en suis sûr, les positions de notre Mouvement. Ces positions, en effet, ne sont pas théoriques, ni subtiles : elles sont dictées par les grands faits que tout le monde connaît. Prenez la peine d’y réfléchir : vous vous trouverez naturellement à nos côtés.

Le temps me manque ce soir pour commenter les très nombreuses remarques personnelles que les étudiants lausannois ont jointes à leurs réponses à l’enquête. Je me promets d’y revenir la prochaine fois, et d’en discuter quelques-unes, car elles me paraissent bien typiques des réactions infiniment diverses, parfois savoureuses, souvent encourageantes, que l’on peut observer dans le grand public, et que beaucoup de vos lettres m’apportent chaque semaine. En répondant aux étudiants, c’est donc à beaucoup d’entre vous que je me trouverai répondre du même coup, personnellement.

Au revoir, à lundi prochain.