Demain l’▶Europe ! — ◀Les▶ deux raisons ◀de▶ fédérer ◀l’▶Europe (13 février 1950)
Chers auditeurs,
Ceux d’entre vous qui me font ◀le▶ plaisir ◀de▶ suivre assez régulièrement ma chronique du lundi soir, auront remarqué que j’aborde, à chaque fois, un aspect différent du même problème : celui ◀de▶ ◀l’▶union européenne. Je suis loin ◀d’▶avoir épuisé ◀les▶ questions précises qui se posent dans ◀les▶ domaines ◀les▶ plus divers, car ◀l’▶Europe, c’est très compliqué, et c’est même cette complication (qu’on pourrait comparer à celle du corps humain) qui fournit ◀la▶ meilleure définition ◀de▶ ◀l’▶Europe.
Cependant, il est bon, parfois, ◀de▶ reprendre ◀le▶ problème dans son ensemble. Plusieurs personnes m’ayant demandé, ces temps derniers, ◀de▶ leur dire en quelques mots : pourquoi faut-il unir ◀l’▶Europe ? et quels sont ◀les▶ facteurs principaux ◀de▶ cette union ? Je voudrais leur répondre sans détour, ◀d’▶une manière aussi simple que possible.
À ◀l’▶origine des fédérations qui, dans ◀l’▶histoire, ont réussi, et durent encore, on trouve deux facteurs principaux : le premier c’est ◀la▶ menace extérieure, le second c’est ◀l’▶absurdité des divisions intérieures. Selon ◀les▶ cas, l’un ◀de▶ ces facteurs est plus actif ou plus puissant que l’autre, mais ils sont en général présents tous ◀les▶ deux. C’est ainsi que ◀les▶ États-Unis d’Amérique se sont fédérés principalement pour résister à ◀l’▶Angleterre, pour se libérer ◀de▶ son joug, et pour prévenir ◀la▶ menace ◀d’▶une nouvelle conquête étrangère. Tandis que nos cantons suisses ont été amenés à se fédérer, en 1848, bien moins par des menaces ou pressions extérieures, qui étaient faibles ou inexistantes, que par ◀la▶ constatation claire et nette ◀de▶ ◀l’▶état ◀d’▶impuissance et ◀de▶ crise où ◀les▶ mettaient leurs divisions économiques, politiques et militaires.
Il se trouve qu’aujourd’hui, ces deux facteurs — ◀la▶ menace extérieure et ◀l’▶absurdité reconnue ◀de▶ nos divisions internes — jouent à plein pour ◀l’▶Europe, et simultanément.
Détrônée par la dernière guerre ◀de▶ sa position dominante dans ◀le▶ monde, ◀l’▶Europe est devenue ◀le▶ terrain ◀de▶ manœuvres ◀de▶ deux empires tout neufs, qui ont peur l’un ◀de▶ l’autre, et que mesurent leurs forces sur notre territoire, dans nos esprits, dans nos vies et nos mœurs. Oh, certes ! je pense bien que l’un et l’autre ◀de▶ ces empires sont animés des meilleures intentions, et ne veulent que notre bonheur, chacun à leur manière. ◀Les▶ uns nous voudraient heureux, bien nourris et ◀de▶ bonne humeur, grands lecteurs ◀de▶ « digests » et buveurs ◀de▶ coca-cola : car ainsi nous ferions ◀de▶ bons clients. ◀Les▶ autres nous voudraient fanatiques et disciplinés, car ainsi nous ferions ◀de▶ bons citoyens, ◀d’▶excellents esclaves volontaires. ◀La▶ menace n’est pas ◀la▶ même des deux côtés, vous ◀le▶ sentez bien. Il est absolument faux ◀de▶ prétendre que nous n’avons plus qu’à choisir entre ◀la▶ peste et ◀le▶ choléra, car en réalité, ce qu’on nous offre, c’est ◀d’▶un côté ◀le▶ sourire obligatoire, ◀de▶ l’autre ◀le▶ travail forcé. ◀Les▶ uns financent notre reconstruction, ◀les▶ autres poussent au sabotage. Il y a donc une légère différence, et je vous laisse à faire votre choix. Mais si tout de même nous trouvions ◀le▶ moyen ◀de▶ rester des Européens, ◀de▶ rester libres à notre guise, entre nous, dans ◀l’▶indépendance, cela vaudrait peut-être mieux… Et nous ne ◀le▶ pourrons [que] si nous sommes forts, et nous serons forts [que] si nous fédérons nos faiblesses — tout comme ◀les▶ cantons suisses il y a cent ans.
Prenons maintenant le second facteur qui peut pousser à ◀la▶ fédération, et qui est ◀la▶ prise de conscience générale ◀de▶ ◀la▶ stupidité ◀de▶ nos divisions. Ce qui a décidé nos ancêtres à créer un pouvoir fédéral et à voter notre constitution, c’était ◀l’▶état scandaleux ◀d’▶impuissance où nous mettait ◀la▶ souveraineté jalouse ◀de▶ 25 États minuscules, hérissés ◀de▶ barrières et ◀de▶ péages, entravant ◀la▶ circulation, sans armée unifiée, sans marché assez large, sans politique vraiment commune. Or, nous en sommes exactement au même point, dans ◀l’▶Europe ◀d’▶aujourd’hui, et c’est aussi stupide, mais plus dangereux qu’alors. ◀Les▶ marchandises et ◀les▶ personnes ne peuvent plus circuler, sur notre continent, qu’à ◀la▶ faveur ◀d’▶une tolérance des fonctionnaires, et ◀d’▶une espèce ◀de▶ tricherie générale. ◀La▶ preuve, c’est que si ◀les▶ douaniers décident ◀d’▶appliquer strictement ◀les▶ règlements, plus personne ne passe une frontière, ◀le▶ trafic est embouteillé sur des dizaines ◀de▶ kilomètres. Et ce n’est là qu’un exemple entre cent ◀de▶ nos routines. Allons-nous continuer longtemps ces jeux puérils, qui n’amusent plus personne, qui ne rapportent pas un sou de plus qu’ils ne coûtent, et qui nous affaiblissent au point que dans deux ans, nous serons sans doute à ◀la▶ merci soit ◀d’▶une police totalitaire, soit des experts ◀d’▶une commission ◀d’▶achat qui sera ◀le▶ vrai gouvernement ◀de▶ nos pays ?
Voilà, me semble-t-il, des raisons suffisantes pour justifier ◀l’▶effort ◀de▶ nos fédérateurs, et du Mouvement européen. Je vais ◀les▶ résumer en quelques mots un peu brutaux, mais qui disent bien ce qu’ils veulent dire. Je ◀les▶ emprunte à un slogan que ◀les▶ fédéralistes français ont inscrit sur des carnets ◀de▶ timbres ◀de▶ propagande européenne, qui seront mis en vente un ◀de▶ ces jours. ◀Le▶ voici :
« Européens, fédérez-vous pour sauver votre indépendance ! Si vous ne faites pas demain ◀l’▶Europe, ◀l’▶Amérique vous laissera tomber ; et ◀la▶ Russie vous ramassera. »
Ce langage, certes, n’est pas diplomatique. Il a ◀l’▶avantage ◀d’être clair.
Au revoir, chers auditeurs, à lundi prochain.