Demain l’▶Europe ! — ◀Le▶ Centre européen de la culture (19 juin 1950)
Chers auditeurs,
J’ai parfois mentionné, dans mes chroniques, ◀le▶ Centre européen de la culture. Si je n’en ai pas parlé plus longuement et plus tôt, c’est simplement parce qu’il s’agissait là ◀d’▶un projet dont ◀la▶ mise au point a demandé deux ans ◀d’▶études, ◀de▶ négociations difficiles et ◀d’▶expériences préalables. Aujourd’hui, nous touchons au but. Un comité formé ◀de▶ vingt représentants ◀d’▶instituts culturels ◀de▶ toute ◀l’▶Europe va se réunir cette semaine pour apporter la dernière main aux statuts ◀de▶ cette institution, dont ◀le▶ siège sera probablement fixé à Genève et, peut-être, au château ◀de▶ Coppet.
◀La▶ création du Centre européen de la culture avait été demandée d’abord par ◀le▶ congrès ◀de▶ La Haye, en 1948, elle fut ensuite recommandée par ◀l’▶Assemblée de Strasbourg, ◀l’▶an dernier. Enfin ◀la▶ conférence ◀de▶ Lausanne, il y a quelques mois, en avait précisé ◀le▶ programme. Pendant ce temps, un Bureau ◀d’▶études fondé par ◀le▶ Mouvement européen travaillait en silence à Genève, dressait ◀les▶ plans, cherchait ◀les▶ fonds, et formait un réseau ◀de▶ collaboration. Ceux qui savent que j’ai pris quelque part à cette œuvre, aidé depuis ◀le▶ début par mon ami Raymond Silva, l’un des pionniers français du fédéralisme, ceux-là nous demandent souvent : Que fera donc votre Centre ? Pouvez-vous me ◀l’▶expliquer en deux mots ?
J’ai coutume ◀de▶ répondre ceci :
D’abord, nous allons prendre exactement ◀le▶ contre-pied des usages devenus courants dans ◀les▶ organisations internationales : dès ◀le▶ départ, guerre au papier, dépenses réduites au minimum ◀le▶ plus sévère, personnel qui se compte sur ◀les▶ doigts ◀de▶ ◀la▶ main, et nos bureaux non pas dans un palace ni dans un gratte-ciel flambant neuf, mais dans une aimable baraque, qui ressemble à un refuge du Club alpin.
Ensuite, nos tâches seront définies tout simplement par ◀les▶ besoins réels qui se font sentir dans ◀la▶ vie ◀de▶ ◀l’▶Europe ◀d’▶aujourd’hui.
Par exemple, personne ne sait où s’adresser pour obtenir des documents sur ◀l’▶Europe et sur ◀les▶ problèmes que pose son union. Nous commencerons donc par dresser un inventaire des forces culturelles dans nos pays, et une liste des lacunes à combler. C’est ◀la▶ base. Chose curieuse, personne encore n’y avait pensé, ou en tout cas ne ◀l’▶avait fait.
Ensuite, nous constatons que dans tous nos pays surgissent des instituts dont ◀les▶ programmes se ressemblent, pour double emploi, et qui s’ignorent mutuellement. Nous allons donc ◀les▶ fédérer progressivement au service ◀d’▶un même but : ◀l’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe.
Nous voyons aussi que partout se posent des problèmes très urgents, comme celui des recherches scientifiques, ou du cinéma en pleine crise, problèmes qui ne peuvent être résolus dans ◀le▶ cadre ◀d’▶un seul pays, parce qu’ils débordent ◀les▶ limites nationales, ◀les▶ budgets nationaux partout insuffisants. Nous allons donc créer un lieu ◀de▶ rencontres, où des représentants ◀de▶ nos divers pays étudieront ces problèmes tout nouveaux, afin de ◀les▶ résoudre à ◀l’▶échelle ◀de▶ ◀l’▶Europe, ◀la▶ seule possible, par ◀la▶ mise en commun ◀de▶ nos ressources. Ce sera, si vous ◀le▶ voulez, un plan Schuman, mais dans ◀le▶ domaine ◀de▶ ◀la▶ culture.
Enfin, nous constatons qu’aucun ◀de▶ nos États et leurs instituts officiels ne peut parler au nom de ◀l’▶Europe entière, quand il s’agit ◀de▶ s’adresser soit aux Russes, soit aux Américains. Il faut donc une autorité qui puisse élever ◀la▶ voix ◀de▶ ◀l’▶Europe comme unité et formuler son idéal, par-dessus nos frontières anachroniques et nos intérêts nationaux, économiques ou partisans. C’est là ◀le▶ rôle que peut jouer un jour ◀le▶ Centre européen de la culture, s’il obtient ◀l’▶appui ◀de▶ ◀l’▶opinion et s’il parvient à grouper nos élites.
Tels sont ◀l’▶esprit, ◀les▶ méthodes et ◀les▶ buts ◀de▶ ◀l’▶institut qui va se fonder.
Je me rends compte qu’il n’est pas facile ◀d’▶en mesurer d’un seul coup ◀d’▶œil toute ◀l’▶importance. Et plusieurs d’entre vous se demanderont encore à quoi tout cela peut bien conduire dans ◀la▶ pratique. Je leur réponds par deux exemples bien précis, qui feront voir ◀la▶ nature ◀de▶ nos activités.
Premier exemple : ◀les▶ recherches scientifiques. Aucun ◀de▶ nos pays n’est assez riche pour développer ◀la▶ recherche atomique et ses applications à ◀la▶ médecine, à ◀l’▶industrie et aux transports. Nous sommes très en retard sur ◀l’▶Amérique. Mais si tous nos pays groupent leurs savants, leurs appareils et leurs ressources matérielles, ◀l’▶Europe unie peut se voir dotée demain ◀de▶ moyens ◀de▶ puissance aussi grands, sinon plus grands que ◀l’▶Amérique et ◀la▶ Russie. Privée ◀de▶ ces moyens, elle sera bientôt réduite à ◀l’▶état ◀de▶ colonie décadente. Si elle ◀les▶ a, son indépendance est assurée. Nous allons donc convoquer nos savants : et ils vont voir ensemble ce qui doit être fait, ce qui peut être fait sans retard, dans ce domaine.
Second exemple, dans un domaine tout différent. Il existe en Europe des douzaines ◀de▶ foyers régionaux ◀de▶ culture, très actifs, pleins ◀de▶ foi, mais isolés. Nous avons entrepris ◀de▶ ◀les▶ mettre en contact, et ◀de▶ ◀les▶ fédérer en un vaste réseau ◀d’▶amitiés par-dessus ◀les▶ frontières. ◀Les▶ jeunes gens membres ◀d’▶un foyer seront chez eux dans tous ◀les▶ autres et dans tous ◀les▶ pays ◀de▶ ◀l’▶Europe. Ils seront sûrs ◀de▶ trouver dans leurs voyages, à pied ou à bicyclette, logis, lecture, occasion ◀de▶ s’instruire dans une langue étrangère ou des métiers nouveaux. Et pour ces compagnons du Tour ◀d’▶Europe, ◀le▶ continent tout entier deviendra une seule patrie, une amitié aux cent visages. Voilà deux types ◀d’▶initiatives prises par ◀le▶ Centre en formation. Je pourrais en citer vingt autres analogues, dans ◀les▶ domaines ◀les▶ plus variés. Tout cela, vous commencez peut-être à ◀le▶ voir, tout cela n’a rien ◀de▶ théorique, mais doit servir, bien au contraire, à construire une Europe rajeunie, libérée ◀de▶ ses barrières, et renaissant à ◀la▶ puissance qui fut toujours la sienne : celle ◀de▶ ◀l’▶esprit.
Un mot encore : ◀le▶ siège du Centre européen de la culture, je vous ◀le▶ disais, doit être en Suisse. N’est-il pas beau que ce soit ◀de▶ ◀la▶ Suisse, espace neutre au milieu du continent, que puisse s’élever demain ◀la▶ voix ◀de▶ ◀l’▶Europe ?
Au revoir, chers auditeurs, et à lundi prochain, pour ma dernière chronique avant ◀l’▶étéi.