Demain l’▶Europe ! — Avant Strasbourg (26 juin 1950)
Chers auditeurs,
Voici ◀l’▶été ; pour beaucoup d’entre vous, ◀les▶ vacances ; pour ◀le▶ studio ◀de▶ Genève ◀l’▶interruption normale ◀de▶ plusieurs émissions, dont la mienne en juillet et août si bien que ce soir, je vous présente la dernière chronique ◀d’▶une série qui aura duré près ◀d’▶une année.
Il est bien naturel que je m’interroge sur ◀la▶ portée des événements qui ont marqué ◀la▶ vie ◀de▶ ◀l’▶Europe durant ces mois, et sur ◀l’▶avenir immédiat. Avons-nous avancé vers ◀l’▶union ?
Prenons d’abord notre Mouvement européen, qui fut depuis deux ans ◀le▶ moteur ◀de▶ ◀l’▶action. Depuis son grand succès ◀de▶ ◀l’▶an dernier, ◀la▶ création du Conseil de l’Europe, il faut avouer qu’il n’a pas déployé ◀d’▶activités spectaculaires. Cependant, en sourdine, il travaillait sur le plan politique, il a fait sienne ◀l’▶exigence ◀de▶ son aile fédéraliste, il a demandé ◀la▶ création ◀d’▶une véritable Autorité européenne, dotée ◀de▶ pouvoirs limités, mais réels. Nous verrons à Strasbourg, cet été, si ce projet peut passer dans ◀les▶ faits, malgré ◀l’▶opposition tenace des Anglais et des Scandinaves.
Sur le plan ◀de▶ ◀la▶ culture, dont je vous disais, dans mes deux dernières chroniques, qu’il est ◀le▶ vrai fondement ◀de▶ toute ◀l’▶Europe, et même ◀de▶ sa puissance matérielle, ◀les▶ projets ont été décisifs. ◀Le▶ Centre européen de la culture, dont ◀les▶ statuts et ◀le▶ programme ont été mis au point il y a trois jours, sera inauguré ◀l’▶automne prochain à Genève. Et peu après, ◀le▶ Collège ◀de▶ ◀l’▶Europe, sorte ◀d’▶école des sciences politiques pour ◀l’▶Europe fédérée ◀de▶ demain, ouvrira ses portes en Belgique, dans ◀la▶ très vieille cité ◀de▶ Bruges, ressuscitée pour un avenir continental. Voilà deux créations qui marqueront une date : elles signifient que nos élites intellectuelles ont enfin réussi à grouper leurs efforts par-dessus ◀les▶ frontières nationales ; qu’elles ont pris ◀la▶ tête du mouvement, et sont prêtes à réaliser ◀l’▶union des esprits et des cœurs, sans laquelle aucune autre n’est possible.
Enfin, dans ◀le▶ domaine économique, ◀le▶ plan Schuman pose ◀les▶ bases matérielles ◀d’▶une renaissance ◀de▶ notre continent. Né ◀d’▶un projet conçu par ◀les▶ fédéralistes, il restera ◀l’▶honneur du gouvernement français, qui osa ◀le▶ prendre en charge et ◀le▶ proposer au monde, en dépit de toutes ◀les▶ intrigues ◀d’▶intérêts, ◀de▶ partis, et ◀d’▶égoïsmes nationaux. Ainsi ◀la▶ France aura montré que son génie domine encore ◀les▶ jeux ◀de▶ ses politiciens. Et maintenant, tournons-nous vers ◀l’▶avenir.
La deuxième session ◀de▶ Strasbourg s’ouvrira ◀le▶ 8 août. Elle sera décisive. Formée ◀de▶ députés régulièrement élus par 15 parlements ◀de▶ ◀l’▶Europe, cette Assemblée consultative porte ◀le▶ grand espoir fédéraliste : on verra, cet été, si elle s’en montre digne. On ◀le▶ verra ◀d’▶une manière précise. Car ◀l’▶Assemblée sera saisie ◀d’▶une proposition capitale, tendant à instituer, au-dessus des États, un Pacte européen et une Autorité dotée ◀de▶ pouvoirs bien réels. Si elle recule, si elle refuse ◀l’▶obstacle, nous cesserons non pas certes ◀d’▶espérer, ni ◀de▶ lutter, mais ◀de▶ croire à son existence.
Je ne suis pas député, et mon pays d’ailleurs n’est pas représenté à Strasbourg. Je n’ai donc pas ◀de▶ titre à y parler. Si j’en avais, voici quel serait mon discours :
Messieurs ◀les▶ députés européens ! vous êtes ici pour faire ◀l’▶Europe, et non pour faire semblant ◀de▶ ◀la▶ faire. Faire ◀l’▶Europe signifie ◀la▶ fédérer. Comment fédérer des nations qui se croient encore souveraines ? Voyons ◀l’▶histoire. ◀Les▶ Suisses ont réussi. Voyons ◀la▶ Suisse. Son exemple vivant suffit à démontrer que ◀la▶ solution fédéraliste est non seulement praticable en principe, mais pratique. Vous allez m’objecter que ◀les▶ Suisses sont les premiers à se montrer réservés quand il s’agit ◀de▶ faire ◀l’▶Europe. C’est qu’ils sont déjà fédérés. Ils vous attendent. Vous dites encore qu’il faut être prudent quand on s’engage dans une entreprise aussi vaste. C’est aller trop vite en besogne : car vous ne vous êtes, jusqu’ici, engagés dans rien que ◀l’▶on sache. Quand vous y serez, il sera temps ◀de▶ voir si ◀la▶ prudence, ou au contraire un peu de hâte, conviennent à nos calamités.
Vous dites qu’il y a ◀de▶ grosses difficultés. Vous êtes-là pour ◀les▶ surmonter, — sinon, pour quoi ?
Vous m’assurez enfin ◀de▶ vos bonnes intentions. Prouvez-◀les▶ ! Je n’ai jamais rencontré personne qui ose se dire contre ◀la▶ paix ou contre ◀la▶ vertu en général, ou contre ◀l’▶union ◀de▶ nos peuples. Nous sommes tous ◀de▶ bonne volonté, à nous en croire… Mais certains souhaitent un peu ◀d’▶union, bien sûr, tandis que d’autres veulent ses conditions. Certains préfèrent s’en tenir au possible — et presque rien ne leur paraît possible — , tandis que d’autres veulent ◀le▶ nécessaire. Certains déplorent éloquemment nos divisions, tandis que d’autres veulent abolir ◀la▶ cause du mal, qui est ◀la▶ souveraineté nationale. ◀Les▶ autres, qui savent ce qu’ils veulent, je ◀les▶ nomme ◀les▶ fédéralistes. Eh bien ! Messieurs ◀les▶ députés européens, si vous n’êtes pas fédéralistes, allez-vous-en ! Si vous ◀l’▶êtes, osez ◀le▶ dire, prouvez-◀le▶, faites ◀la▶ nuit du 4 août des souverainetés, bousculez ◀le▶ Comité des ministres, prenez ◀le▶ pouvoir et donnez-nous ◀l’▶Autorité européenne.
Tel serait mon discours, chers auditeurs, et je ne pourrai pas ◀le▶ prononcer, mais ◀la▶ voix ◀de▶ ◀l’▶opinion parlera dans ◀le▶ même sens, et je voudrais vous avoir convaincu, depuis un an, que c’est ◀la▶ vôtre.
Nous nous retrouverons, je ◀l’▶espère, au mois ◀de▶ septembre, et je vous dirai si nous avons gagné. Merci ◀de▶ m’avoir suivi si fidèlement, merci pour toutes vos lettres, et ◀de▶ ◀l’▶invisible appui que vous m’avez donné dans vos pensées. C’est avec cet appui ◀de▶ ◀l’▶âme que nous ferons demain ◀l’Europe.
Mes chers auditeurs, au revoir !