Demain l’▶Europe ! — ◀Le▶ Centre européen de la culture (9 octobre 1950)
Chers auditeurs,
Avant-hier soir, à Genève, ◀le▶ Centre européen de la culture était officiellement inauguré, au cours ◀d’▶une cérémonie très simple suivie ◀d’▶une réception qui permit aux autorités, aux diplomates, aux journalistes, ◀de▶ rencontrer ◀les▶ quelque 25 membres du conseil supérieur du Centre, ainsi que ◀les▶ responsables ◀de▶ ses groupes ◀de▶ travail. Dès ◀le▶ lendemain, ◀la▶ villa Mon Repos (siège ◀de▶ ce nouvel institut) faisait mentir son joli nom : on y travaillait ferme, dans toutes ◀les▶ langues. Et certes, c’est très mal ◀de▶ travailler ◀le▶ dimanche, mais il fallait profiter ◀de▶ ◀la▶ présence des nombreuses personnalités venues ◀de▶ Rome, ◀de▶ Londres, ◀de▶ Paris, ◀de▶ Vienne, ◀de▶ Bruxelles pour cette occasion. ◀Le▶ spectacle ◀de▶ ◀la▶ villa en ce premier jour ◀d’▶activité ne manquait pas ◀de▶ pittoresque. Dans une salle, un groupe ◀d’▶historiens sérieux et méthodiques ; dans une deuxième, des cinéastes exubérants, italiens, français et allemands ; plus loin, ◀les▶ directeurs des instituts qui se consacrent, dans divers pays, à ◀l’▶étude et à ◀l’▶enseignement des grandes questions européennes ; enfin, au coin ◀d’▶une table, cinq personnages discrets, traçaient ◀les▶ plans ◀d’▶une collaboration qui peut avoir ◀de▶ vastes conséquences : il s’agissait des administrateurs ◀de▶ ◀la▶ recherche scientifique en France, en Italie et en Belgique, décidés à mettre en commun au service ◀de▶ ◀l’▶Europe entière, ◀les▶ travaux actuellement en cours sur ◀l’▶énergie atomique, dont chacun sait quelles merveilleuses révolutions elle est capable ◀de▶ produire bientôt, dans ◀la▶ médecine et ◀l’▶industrie pour ◀la▶ prospérité des hommes cette fois-ci, non pour leur évaporation instantanée.
◀Le▶ rassemblement ◀de▶ ces groupes composés moins ◀de▶ grandes vedettes que ◀de▶ techniciens passionnés, donnait immédiatement au spectateur une première idée ◀de▶ ◀l’▶ampleur du programme assumé par notre Centre. Mais ceux qui ne ◀l’▶ont pas vu sont en droit ◀de▶ se demander pourquoi cet institut nouveau, quel est son but, et quelle est sa nécessité ? Il y a déjà, n’est-ce pas, surtout à Genève, tant ◀d’▶organismes internationaux !
À cette question bien naturelle, je suis heureux ◀de▶ vous répondre ce soir.
◀Le▶ Centre européen de la culture correspond à une double exigence : d’une part, il voudrait réveiller notre opinion européenne ; d’autre part, il entend regrouper ◀les▶ forces culturelles, ◀les▶ puissances ◀d’▶invention, qui ont fait ◀la▶ vraie richesse ◀de▶ ce vieux continent. Pour faire ◀l’▶Europe, ◀les▶ constructions politiques ou économiques, et même sociales, ne peuvent suffire. On plutôt, elles ne réussiront que dans ◀la▶ mesure où ◀les▶ esprits seront préparés à ◀les▶ faire vivre. Et c’est à cette préparation que ◀la▶ culture doit apporter dorénavant toutes ses ressources. Certes, ◀le▶ matériel est important. Mais un grand réaliste, Napoléon, avait coutume ◀de▶ répéter : ◀le▶ moral est au matériel comme 3 est à 1. Tout le monde applaudit à cette phrase, mais en fait, bien peu de gens y croient vraiment. ◀Le▶ Centre européen de la culture a décidé ◀de▶ ◀la▶ prendre au sérieux. Il ne croit pas que ◀la▶ culture est un luxe, une distraction réservée aux élites. Il ne ◀la▶ compare pas à ◀de▶ ◀la▶ broderie, comme ◀le▶ faisait récemment à Strasbourg un illustre homme d’État français. Au contraire, il estime que ◀la▶ culture est notre atout majeur dans ◀la▶ lutte engagée entre deux conceptions du monde : celle des totalitaires et celle des démocrates. ◀Les▶ totalitaires ◀le▶ savent bien ! Ils prennent ◀le▶ moral au sérieux. Lorsque Staline rédige lui-même ◀les▶ directives ◀de▶ ◀la▶ science linguistique dans son empire, ou lorsqu’il lance une offensive contre ◀la▶ conception chrétienne du monde, avec ◀l’▶aide ◀de▶ 500 000 propagandistes entraînés, munis ◀de▶ films et ◀de▶ 20 millions ◀de▶ brochures, lorsqu’il déclenche ces deux campagnes culturelles, soyons certains qu’il ne pense pas un seul instant qu’il perd son temps, qu’il fait ◀de▶ ◀la▶ broderie. Il sait qu’une fois gagnés ◀les▶ esprits et ◀les▶ cœurs, ◀le▶ reste sera conquis sans résistance sérieuse.
◀Le▶ Centre européen de la culture ne va pourtant pas opposer ◀le▶ fanatisme au fanatisme. ◀La▶ propagande massive et mécanique n’est pas son but, car il ne veut pas endormir ou paralyser ◀les▶ consciences : il entend au contraire ◀les▶ réveiller. Il n’est pas là pour répandre une mystique qui promet ◀la▶ lune pour demain et ◀la▶ police en attendant, mais pour rappeler ◀les▶ hommes à leur réalité, à leur responsabilité. Certes, nos libertés sont loin ◀d’▶être parfaites. Mais si nous ◀les▶ perdons un jour, nous penserons, dans ◀les▶ camps, qu’elles valaient bien qu’on ◀les▶ défende. Et ◀la▶ démocratie n’est pas une panacée, elle ne résout aucun ◀de▶ nos grands problèmes, mais s’ils sont un jour résolus sans réplique, derrière ◀les▶ barbelés, nous comprendrons qu’il eût peut-être mieux valu protéger ces problèmes pendant qu’on ◀le▶ pouvait, sauver au moins ◀la▶ possibilité ◀de▶ ◀les▶ vivre à notre manière…
Pour cette action ◀de▶ réveil des consciences, ◀de▶ défense et ◀d’▶illustration ◀de▶ nos libertés, ◀le▶ Centre européen de la culture utilisera ce qu’on appelle ◀les▶ grands moyens : ◀la▶ radio, ◀le▶ film, et ◀la▶ presse. Mais il utilisera aussi ◀les▶ cerveaux ◀de▶ nos meilleurs savants, ◀les▶ foyers ◀de▶ culture populaire, et ◀les▶ travaux patients ◀de▶ chercheurs isolés, qui vont trouver, par ◀le▶ moyen ◀de▶ cet institut, ◀la▶ possibilité ◀d’▶entrer dans une communauté vivante et militante.
Mais tout cela, pensez-vous, va coûter des fortunes ? Je vais vous dire exactement combien : tout cela coûtera ◀le▶ tiers du prix ◀d’▶un char ◀d’▶assaut — et vous savez que ◀la▶ Suisse veut en acheter 500… De plus nous espérons que ◀l’▶action du Centre européen contribuera à empêcher que ◀l’▶on ait un jour à se servir des chars. ◀La▶ villa Mon Repos ne sera certes pas notre repos, mais nous voulons qu’elle soit un jour — le vôtre, et celui ◀de nos enfants. Au revoir, chers auditeurs, à lundi prochain.