Demain l’▶Europe ! — Un Conseil européen ◀de▶ vigilance (13 novembre 1950)
Chers auditeurs,
Lorsqu’au mois ◀d’▶août dernier, ◀le▶ président ◀de▶ ◀l’▶Assemblée de Strasbourg, M. Spaak s’aperçut que ◀l’▶on n’arriverait à rien ◀de▶ positif au cours de ◀la▶ session, il décida ◀d’▶interrompre celle-ci huit jours avant ◀la▶ date prévue, et ◀de▶ ◀la▶ reporter au mois ◀de▶ novembre. Cet artifice ◀de▶ procédure présentait un double avantage. D’une part, il permettait à ◀l’▶Assemblée ◀de▶ tenir deux sessions au lieu d’une, et cela sans violer son règlement ; d’autre part, il lui donnait ◀le▶ temps ◀de▶ soumettre au Comité des ministres quelques-unes des recommandations déjà votées, et ◀de▶ forcer ainsi ces Messieurs à prendre position dans un délai rapide.
Le second objectif vient ◀d’▶être atteint à Rome. ◀Le▶ Comité des ministres a pris position, nettement, et dans ◀le▶ sens prévu. Paralysé par ◀le▶ veto des Britanniques, il a refusé ◀la▶ majorité des recommandations ◀de▶ ◀l’▶Assemblée, et renvoyé ◀le▶ reste à des experts. Ce qu’il n’ose pas tuer, il ◀l’▶enterre. C’est donc en pleine conscience ◀de▶ cet échec flagrant que va s’ouvrir, dans quelques jours, la seconde partie ◀de▶ ◀la▶ session régulière ◀de▶ ◀l’▶Assemblée européenne. Elle ne doit durer qu’une semaine. Mais c’est, au cours de cette semaine que ◀l’▶on verra si ◀le▶ Conseil de l’Europe mérite son nom, c’est-à-dire s’il est décidé à faire ◀l’▶Europe, ou s’il ne sert en somme qu’à retarder ◀l’▶union malgré ◀le▶ désir ◀de▶ tous nos peuples, et pour ◀la▶ seule raison que ◀l’▶Angleterre est une île.
On me dit que cette situation impatiente et irrite de plus en plus nombre ◀de▶ députés européens. Nous allons voir dans quelques jours s’ils ont ◀le▶ courage ◀de▶ traduire par leurs votes cette généreuse irritation, ou s’ils suivront une fois de plus, en dernière heure, ◀les▶ ordres distribués dans ◀les▶ couloirs par ◀les▶ travaillistes anglais. Je rappelle que M. Attlee, Premier ministre britannique, est ◀l’▶auteur ◀de▶ cette phrase célèbre : « ◀L’▶Europe doit se fédérer, ou périr. » Si j’étais député à Strasbourg, je me lèverais pour lui demander bien poliment ce qu’il a voulu dire au juste, puisqu’il est ◀le▶ chef du parti qui refuse notre fédération. Veut-il donc que ◀l’▶Europe périsse ? Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que ◀l’▶Assemblée fera beaucoup plus que répéter que ◀la▶ prudence est ◀la▶ mère des vertus, ce qui n’est pas neuf, et d’ailleurs faux.
C’est pourquoi ◀les▶ fédéralistes européens ont décidé ◀d’▶agir ◀d’▶une manière plus directe. Pacifiquement, comme il se doit lorsqu’on veut travailler pour ◀la▶ paix, mais non sans esprit ◀de▶ défi, ils ont organisé une marche sur Strasbourg. Ainsi, ◀les▶ députés européens ne seront plus seuls. Ils se sentiront, selon ◀les▶ cas, surveillés, dénoncés ou soutenus par plusieurs milliers ◀de▶ militants.
Voici en quelques mots, notre ordre ◀de▶ bataille, c’est-à-dire ◀la▶ composition ◀de▶ nos troupes, face à ◀l’▶Assemblée.
◀L’▶Union fédéraliste interuniversitaire, qui groupe des étudiants ◀de▶ 56 universités ◀d’▶Europe, compte amener à Strasbourg deux à trois mille jeunes gens, à pied, en camions, ou en train. Je ◀le▶ signale en passant, c’est à ◀l’▶initiative ◀de▶ cette union des étudiants qu’il faut attribuer ◀le▶ feu ◀de▶ joie ◀de▶ poteaux-frontière organisé en août dernier, et non pas à Daniel Villey, comme je ◀l’▶avais indiqué par erreur. Ainsi ◀la▶ jeunesse sera là, et j’imagine qu’on ◀l’▶entendra.
Daniel Villey sera là, lui aussi, et ses Volontaires ◀de▶ ◀l’▶Europe bouteront ◀le▶ feu — moralement s’entend — dans ◀les▶ couloirs ◀de▶ ◀l’▶Assemblée, dans ◀le▶ public des séances, et parmi ◀la▶ population. Ils forment ◀le▶ « corps franc » ◀de▶ notre mouvement.
Dès jeudi, ◀l’▶Union européenne des fédéralistes tiendra son congrès annuel à Strasbourg, amenant elle aussi plusieurs centaines des premiers militants ◀de▶ ◀la▶ lutte pour ◀l’▶Europe. On sait que ◀l’▶Union fédéraliste est ◀l’▶aile marchante du Mouvement européen. Elle groupe dans 15 pays plus ◀de▶ 120 000 membres, dont 2 000 Suisses.
Enfin pour couronner cette campagne unanime, et pour donner une voix à ◀l’▶opinion publique, une assemblée ◀d’▶un genre nouveau, et quasi révolutionnaire, s’ouvrira dès ◀le▶ 20 novembre dans ◀le▶ Palais ◀de▶ ◀l’▶Orangerie, juste en face du Palais ◀de▶ ◀l’▶Europe. Elle prendra ◀le▶ nom et ◀le▶ titre ◀de▶ Conseil européen ◀de▶ vigilance.
Ce conseil comprendra autant ◀de▶ délégués que ◀l’▶Assemblée officielle avec ses suppléants : 250. Mais ces délégués ne seront pas des parlementaires, trop habiles et prisonniers ◀de▶ leurs partis. Ils seront ◀les▶ porte-parole ◀de▶ ◀l’▶opinion publique réelle, des grandes associations syndicales et patronales, coopératives et agricoles, familiales et professionnelles ◀de▶ tous nos pays. Ces États-généraux de l’Europe vont dresser contre ◀les▶ prudences et ◀la▶ paralysie ◀de▶ ◀l’▶Assemblée, ◀la▶ revendication du réalisme et ◀de▶ ◀l’▶espoir européen : c’est-à-dire ◀la▶ revendication ◀de▶ ◀l’▶union politique du continent, ◀de▶ ◀l’▶élection ◀d’▶un véritable parlement, et ◀d’▶un gouvernement fédéral ◀de▶ ◀l’▶Europe.
◀La▶ Suisse seule n’a pas envoyé ◀de▶ délégation nationale. Mais quelques Suisses seront présents tout de même dans ce Conseil européen ◀de▶ vigilance, pour marquer, à titre privé, que malgré sa neutralité et malgré ◀les▶ problèmes urgents du prix des tomates ou du lait, ◀la▶ Suisse est située en Europe.
Vous me demanderez ce qu’on peut attendre ◀de▶ cette vaste mobilisation des énergies fédéralistes. Un simple manifeste, ou une révolution ? Je ne crois guère à une révolution contre ◀le▶ Conseil de l’Europe. Il a trop peu de pouvoir hélas, pour qu’on se fatigue à ◀le▶ lui prendre. Mais si ◀le▶ Conseil ◀de▶ vigilance est un succès, il saura faire entendre enfin ◀la▶ Voix ◀de▶ ◀l’▶Europe. Il suffit quelquefois ◀d’▶un cri pour déclencher une avalanche, et ◀l’▶opinion des peuples pouvait bien en être une, balayant ◀les▶ routines, ◀les▶ préjugés stupides, ◀les▶ astuces partisanes et ◀les▶ petits calculs qui seuls encore entravent ◀l’▶élan vers ◀la▶ fédération des nations libres.
J’espère en savoir plus lundi prochain, et vous ◀le▶ dire directement, ◀de Strasbourg même.
Au revoir, mes chers auditeurs.