Demain l’▶Europe ! — État ◀de▶ ◀la▶ construction européenne (4 décembre 1950)
Sur ◀le▶ fond tragique ◀de▶ ◀la▶ guerre en Asie — car il ne s’agit plus ◀de▶ ◀la▶ seule Corée ou ◀de▶ ◀la▶ seule Indochine, ou du seul Tibet, mais c’est ◀la▶ moitié ◀de▶ ◀la▶ terre qui se voit menacée — , ◀les▶ questions européennes semblent diminuer ◀d’▶importance, se perdre dans ◀la▶ brume des détails régionaux et des pluies diluviennes couvrant ◀le▶ continent. Et cependant, M. Acheson ◀d’▶un côté, M. Churchill ◀de▶ l’autre, viennent de ◀le▶ répéter avec force : c’est ◀l’▶Europe qui demeure ◀l’▶enjeu ◀de▶ ◀la▶ lutte mondiale, c’est elle qui est menacée ◀le▶ plus gravement. Oui, ◀l’▶Europe est ◀la▶ terre décisive. Et tout le monde est d’accord, en principe, qu’il n’y a plus qu’un moyen ◀de▶ ◀la▶ sauver, c’est ◀de▶ ◀l’▶unir. Qu’a-t-on fait pour cela, depuis un mois ?
◀Le▶ Comité des ministres du Conseil de l’Europe a refusé, ◀le▶ 4 novembre, toutes ◀les▶ mesures concrètes que proposait ◀l’▶Assemblée. Mais celle-ci est revenue à ◀la▶ charge, 15 jours plus tard, avec une énergie qu’on ne lui avait pas connue ◀l’▶été dernier.
Certes, ◀la▶ fraction fédéraliste du Parlement ◀de▶ Strasbourg n’est pas encore arrivée à ses fins. Ses efforts pour faire voter ◀le▶ principe ◀d’▶un Pacte fédéral du continent ne sont pourtant pas restés vains. Douze députés seulement, sur 125, avaient voté dans ce sens au mois ◀d’▶août. En novembre, leur groupe a passé à 37. Mais bien qu’ils n’aient pas encore emporté ◀la▶ décision, ◀les▶ fédéralistes ont obtenu des résultats indirects ◀d’▶une réelle importance. En demandant ◀le▶ maximum avec obstination, ils ont conduit ◀les▶ plus hésitants ◀de▶ leurs collègues à accepter au moins quelque chose.
Contre ◀les▶ fédéralistes, accusés ◀d’▶utopie et ◀d’▶impatience dangereuse quand ils exigent un Pacte fédéral, ◀la▶ majorité des prudents et des tièdes a recommandé ◀la▶ création ◀d’▶une série ◀d’▶autorités européennes spécialisées. C’est ainsi qu’elle a discuté et accepté ◀le▶ plan Schuman pour ◀le▶ charbon et ◀l’▶acier. Qu’elle a demandé une autorité commune pour ◀les▶ transports européens. Et qu’elle s’est enfin prononcée par 83 voix contre 7 en faveur d’une armée européenne. ◀L’▶Allemagne peut y participer à droits égaux, mais dans ◀le▶ cadre ◀d’▶une organisation commune, calculée de manière à interdire que se reforme une Wehrmacht autonome redoutée par ◀la▶ France, non sans raison.
Voilà du bon travail, enfin. Mais en réalité, tous ces projets ont eu pour origine nos congrès fédéralistes depuis 3 ans, et ◀les▶ travaux du Mouvement européen. Tout en persuadant qu’ils s’opposent victorieusement à nos plans excessifs, ◀les▶ tièdes et ◀les▶ prudents sont en train de réaliser ces mêmes plans un par un ! Si ◀l’▶on continue ainsi, ◀l’▶Europe se fera, sans que ses adversaires puissent ◀l’▶empêcher, et sans que ◀les▶ sceptiques s’en doutent.
Au fond, ◀la▶ querelle qui oppose à Strasbourg ◀les▶ fédéralistes, partisans ◀d’▶une constitution européenne, et ◀les▶ unionistes, partisans ◀de▶ simples accords spéciaux, est une fausse querelle. Je voudrais ◀le▶ faire voir par une image.
Il s’agit ◀de▶ construire une maison, ◀l’▶Europe. ◀Les▶ fédéralistes en ont dressé ◀les▶ plans. Mais ◀les▶ autres leur disent : bornons-nous à creuser des fondations, et à bâtir un solide rez-de-chaussée. Je ne vois pas là ◀de▶ contradiction sérieuse. Car ◀les▶ fédéralistes savent très bien qu’on ne peut bâtir tous ◀les▶ étages à la fois, et qu’il faut commencer par ◀le▶ bas. Mais ◀les▶ autres devraient bien reconnaître qu’on ne se met pas à construire une maison si ◀l’▶on n’a pas un plan ◀d’▶ensemble. Rien ne sert ◀de▶ dire comme ◀les▶ Anglais : allons-y prudemment, étage par étage, si ◀l’▶on refuse ◀de▶ saisir où ◀l’▶on va, et si ◀l’▶on n’a pas décidé que c’est une maison que ◀l’▶on bâtit.
Il faut un plan. Il faut donc que ◀les▶ fédéralistes continuent à montrer ◀le▶ but et à demander à grands cris qu’on bâtisse ◀la▶ maison tout entière, ce sont eux, et eux seuls, qui entraîneront ◀les▶ autres, comme ils ◀les▶ ont déjà forcés à commencer ◀les▶ fondations.
Je suis heureux ◀de▶ pouvoir relever ce soir deux aspects positifs des débats ◀de▶ Strasbourg. Le premier, c’est ◀l’▶attitude plus conciliante des Anglais ; ◀les▶ travaillistes, cette fois-ci, se sont abstenus dans ◀les▶ votes concernant ◀le▶ Pacte fédéral, — au lieu de voter contre, comme cet été, et ◀d’▶empêcher ◀les▶ socialistes continentaux ◀de▶ voter pour. Il y a là une promesse ◀de▶ compromis, au moins.
En second lieu, j’ai été frappé par ◀la▶ haute tenue et ◀le▶ sérieux des débats ◀de▶ ◀l’▶Assemblée sur le plan Schuman et sur ◀l’▶armée européenne. Je me disais, en ◀les▶ écoutant : nous avons vraiment dépassé ◀l’▶étape ◀de▶ ◀la▶ Société des Nations. ◀Les▶ hommes politiques et ◀les▶ économistes qui parlent ici ne se bornent plus à exposer ◀le▶ point de vue égoïste ◀de▶ leur gouvernement : ils étudient un plan ◀d’▶action commune, bien précis, et définissent ◀les▶ sacrifices que chaque nation devra faire à ◀l’▶Europe, pour qu’elle vive, et par elle, chacun ◀de▶ nos pays.
Ces progrès, plus considérables en réalité qu’ils n’apparaissent dans ◀les▶ journaux, c’est à ◀la▶ pression grandissante ◀de▶ ◀l’▶opinion qu’il faut ◀les▶ attribuer. C’est ◀l’▶impatience tant critiquée des fédéralistes, des étudiants, du Conseil ◀de▶ vigilance, qui ◀les▶ a rendus possibles, en créant ◀le▶ climat nécessaire. ◀Le▶ temps presse, vous ◀le▶ savez. Et pour que ◀les▶ pouvoirs se décident à aller moins lentement, il faut que vous exigiez tous qu’on aille vite, très vite, toujours plus vite. C’est ◀le▶ seul moyen ◀de▶ mettre en marche ◀les lambins.
Au revoir, chers auditeurs, à lundi prochain.