Demain l’▶Europe ! — Espérer, c’est agir (8 janvier 1951)
Chers auditeurs,
Je commencerai par remercier ce soir ceux d’entre vous qui ne m’ont pas oublié dans leur distribution ◀de▶ vœux pour ◀l’▶an nouveau. Plusieurs m’ont assuré qu’ils tiraient ◀de▶ mes chroniques sur ◀l’▶Europe des raisons ◀d’▶espérer. Voilà qui me touche, voilà qui m’encourage, mais aussi voilà qui m’incite à redoubler ◀de▶ prudence dans mes jugements sur notre situation réelle. Certes, nous avons tous besoin ◀d’▶espoir, et plus que jamais. Nous en avons tellement besoin, qu’il faut éviter à tout prix ◀d’▶éveiller ◀de▶ fausses espérances, qui nous laisseraient, une fois déçues, dans un état ◀de▶ fatalisme irrémédiable. Il y aura toujours ◀de▶ ◀l’▶espoir pour ceux qui veulent faire quelque chose contre ◀le▶ destin et ◀les▶ fatalités.
Mais cela ne doit pas nous faire penser qu’il y ait beaucoup à espérer ◀de▶ ◀la▶ situation présente, et des faits tels qu’ils sont. Car si on laisse ces faits tels qu’ils sont, nous courons à ◀l’▶abîme, c’est bien clair. On dit qu’il faut ◀de▶ ◀l’▶espoir pour agir, mais je dirai plutôt qu’il n’y a ◀d’▶espoir que dans ◀la▶ mesure où ◀l’▶on agit. Ce n’est pas ◀l’▶espoir qui modifie ◀les▶ faits, mais c’est ◀l’▶action. Je m’en tiens donc plus que jamais à ◀la▶ doctrine que je formulais, il y a 16 ans déjà, dans un ◀de▶ mes premiers livres : à ◀la▶ doctrine du pessimisme actif. Si nous démissionnons, si nous nous écrions : il n’y a plus rien à faire, ◀le▶ désastre est fatal, eh bien oui, ◀le▶ désastre est fatal et nous sommes sûrs ◀d’▶avoir raison. Mais, au contraire, si nous disons : « ◀La▶ situation est désastreuse, redoublons donc ◀d’▶activité ! », alors il nous reste une bonne chance ◀de▶ faire ◀l’▶Histoire, et ◀de▶ modifier notre destin.
Ce que je dis-là n’est pas ◀de▶ ◀la▶ morale en ◀l’▶air, mais se rapporte concrètement à notre situation présente, vous allez ◀le▶ voir. Je résumerai ◀la▶ chose ◀de▶ ◀la▶ façon suivante qui a ◀le▶ mérite ◀de▶ ◀la▶ simplicité :
1. ◀l’▶Europe a fait, ◀l’▶année dernière, toutes ◀les▶ bêtises imaginables, plus une ou deux qu’on ne pouvait pas imaginer.
2. Il lui reste un an pour décider ◀de▶ faire autre chose, et pour ◀le▶ faire.
Dresser ◀le▶ bilan ◀de▶ 1950, c’est énumérer des échecs. Parler ◀de▶ ◀l’▶espoir qui nous reste, c’est fixer un programme ◀d’▶action pour ◀l’▶an qui vient. J’esquisserai l’un et l’autre en trois minutes. Vous me pardonnerez, j’espère, ◀de▶ simplifier un peu…
En 1950, Strasbourg nous a déçus. Cette assemblée ◀de▶ délégués des parlements ◀de▶ 15 pays, au lieu de faire ◀l’▶Europe, a fait ◀de▶ ◀la▶ politique. Elle a voté plusieurs résolutions utiles, mais n’a pas supprimé ◀le▶ veto des ministres, qui condamne au néant toutes ces résolutions.
◀Le▶ Mouvement européen, qui avait par ses efforts et ses initiatives créé ◀l’▶Assemblée de Strasbourg, et qui devait ◀la▶ pousser dans ◀la▶ voie ◀de▶ ◀l’▶action, s’est immobilisé depuis des mois. Quant aux gouvernements européens, un seul, celui ◀de▶ ◀la▶ France, a proposé du neuf : ◀le▶ plan Schuman dans ◀le▶ domaine économique, ◀le▶ plan Pleven dans ◀le▶ domaine militaire. Mais au lieu de faire ◀l’▶union dans une action commune, ces deux plans jusqu’ici n’ont provoqué qu’un concert ◀de▶ cris discordants. ◀La▶ droite prétend que ◀le▶ plan Schuman est dirigiste, tandis que ◀la▶ gauche ◀le▶ trouve trop libéral. Personne ne veut rien sacrifier. Pour ◀la▶ défense du continent, c’est encore pire. Veut-on ou ne veut-on pas armer ◀l’▶Allemagne ? Tout le monde crie à la fois, je n’y comprends plus rien, et je crois bien que je ne suis pas ◀le▶ seul dans ce cas. En attendant ◀de▶ savoir au juste ce qu’ils veulent, tous nos pays votent des budgets astronomiques pour leur réarmement sur le plan national, lequel présente seulement deux graves inconvénients : celui ◀d’▶être trop cher pour chaque pays, et celui ◀d’▶être insuffisant pour défendre vraiment ◀l’▶Europe, c’est-à-dire en fin de compte, chacun ◀de▶ ses pays. Nos rapports avec ◀l’▶Amérique sont encore plus absurdes, si possible. Quand ◀l’▶Amérique propose ◀de▶ nous défendre, une partie ◀de▶ ◀l’▶opinion hurle à ◀l’▶impérialisme. Quand ◀l’▶Amérique fait mine ◀de▶ se détourner ◀de▶ nous, une autre partie ◀de▶ ◀l’▶opinion ◀l’▶accuse ◀d’▶égoïsme sordide. ◀L’▶Amérique juge ◀l’▶Europe comme un tout. Elle comprend mal toutes nos contradictions. Elle comprend mal que nous ayons toutes ◀les▶ raisons du monde ◀de▶ nous unir, et que pourtant nous ne fassions rien.
J’avoue que je ne comprends pas non plus ! Ce que je vois beaucoup plus clairement, c’est ce qu’il nous reste à faire pendant ◀les▶ mois qui viennent.
Un sondage récent ◀de▶ ◀l’▶opinion, dans douze pays, a prouvé que ◀la▶ majorité — 54 % ◀de▶ nos peuples, — est en faveur de ◀la▶ fédération. ◀Le▶ rassemblement ◀de▶ 6000 jeunes gens venus de loin pour manifester à Strasbourg est une raison ◀de▶ penser que ◀la▶ jeunesse veut agir. ◀Le▶ plan Schuman, ◀le▶ plan Pleven, ◀le▶ plan ◀de▶ recherches atomiques établi par ◀le▶ Centre européen de la culture, montrent comment ◀l’▶Europe peut se faire pratiquement, peut se défendre, peut redevenir une grande puissance. Nous sommes 250 millions ◀d’▶hommes et ◀de▶ femmes qui préférons encore nos libertés, relatives, au régime concentrationnaire, et qui pensons que ◀le▶ progrès social est plutôt du côté des ouvriers qui ont ◀le▶ droit ◀de▶ grève, que du côté de ceux qui ne ◀l’▶ont plus. Nous avons des atouts considérables. Nous serions fous ◀de▶ ne pas ◀les▶ jouer. ◀Les▶ jouer, cela veut dire pratiquement : créer ◀l’▶armée européenne, Allemands compris ; mettre en application ◀le▶ plan Schuman, et ◀les▶ plans similaires pour ◀les▶ transports, ◀l’▶agriculture, ◀les▶ recherches scientifiques, ◀l’▶abaissement des barrières douanières. Unifier ◀l’▶action pour ◀l’▶Europe, en dehors des politiciens, par ◀la▶ jeunesse ; et surtout persuader ◀l’▶Européen moyen que ses libertés présentes, si imparfaites qu’elles soient, ont ◀l’▶avantage ◀d’▶être réelles, valent encore mieux que ◀de▶ fausses promesses assénées par une vraie police, et ménagent un meilleur avenir pour ◀la▶ grande masse et pour ◀la paix.
Voilà mes vœux, au revoir, chers auditeurs, à lundi prochain.