Perspectives du CEC (juillet octobre 1953)o
Cinq ans après
Cinq ans après le Congrès de▶ l’Europe, à La Haye, un autre congrès vient de se tenir dans la même ville et la même noble Salle des chevaliers.
Le congrès ◀de▶ 1948 avait pour mission ◀de▶ donner le coup ◀de▶ gong du départ à toute l’action européenne. Il avait esquissé des plans et des programmes embrassant les trois grands domaines ◀de▶ la politique, ◀de▶ l’économie et ◀de▶ la culture. Et c’était sa section culturelle qui avait été chargée ◀d’▶écrire et ◀de▶ présenter le Message aux Européens, dégageant, à la fin des débats, le sens général du congrès.
La manifestation ◀de▶ cette année, convoquée à La Haye par le Mouvement européen, du 8 au 10 octobre, s’est voulue plus restreinte, à la fois par le nombre des participants et par son objet unique et immédiat : hâter la ratification ◀d’▶un Statut ◀de▶ Communauté politique par les six pays du plan Schuman.
Dès le lendemain s’ouvrait à Rome une table ronde, convoquée par le Conseil de l’Europe aux fins de définir « le problème spirituel et culturel ◀de▶ l’Europe considérée dans son unité historique, et les moyens ◀d’▶exprimer cette unité en termes contemporains ».
Enfin, le ME prépare un nouveau congrès ◀d’▶économistes, qui doit avoir lieu à Londres au début ◀de▶ 1954.
Après cinq ans ◀d’▶action européenne, nous nous trouvons donc en présence d’une situation nouvelle, caractérisée à la fois par une croissante division du travail et par le souci ◀de▶ réalisations limitées mais rapides.
Que devient, dans cet ensemble, le rôle du CEC, et comment apparaissent ses perspectives nouvelles ?
La fonction propre du CEC
Le second congrès ◀de▶ La Haye fut donc strictement politique. Son motto semblait être : la parole est aux actes ! Il ne recherchait point ◀d’▶idées nouvelles, mais des réalisations immédiates, dans un cadre clairement défini. Et l’on ne saurait qu’y applaudir.
Cependant, le souci des succès immédiats, qui nous est imposé par la crise ◀de▶ l’Europe, ne doit pas nous faire oublier cette maxime générale ◀de▶ l’action : on n’atteint des buts rapprochés qu’en tendant vers un but lointain. Précisons : la Communauté des Six n’est qu’une étape vers celle des Quinze, et risque ◀de▶ n’être pas atteinte si l’on en fait un but en soi. De même, l’union des Quinze n’est qu’une étape vers l’union ◀de▶ l’Europe tout entière. Or, ce rassemblement par-dessus le rideau ◀de▶ fer qui nous sépare encore ◀de▶ l’Est, et par-dessus le rideau ◀de▶ ferraille qui nous sépare ◀de▶ l’extrême ouest du continent, suppose à la fois la constitution ◀d’▶une puissance politique et la chute ◀de▶ barrières idéologiques. La chute ◀de▶ ces barrières suppose à son tour l’existence, le rayonnement et la force ◀d’▶attraction ◀d’▶une idée européenne plus puissante, dans tous les domaines, que l’idéologie totalitaire appuyée par les nationalismes. « Pas ◀d’▶action révolutionnaire sans doctrine révolutionnaire », aimait à répéter Lénine, politicien « pratique » s’il en fût. La condition non pas suffisante mais nécessaire du succès final et total ◀de▶ notre union économique et politique consiste donc dans la vitalité ◀de▶ l’idée ◀d’▶une Europe unie.
Or, c’est la fonction même du CEC que ◀de▶ faire vivre cette idée, là où vivent et agissent les idées, « dans les esprits et dans les cœurs » selon la formule consacrée. Car là aussi résident les obstacles véritables à notre union, là surtout, plus que dans « les faits ».
Il faut des congrès politiques. Il faut des plans économiques. Mais il faut en même temps des foyers où l’on maintienne, où l’on rappelle sans cesse les exigences du but final, l’Idée maîtresse. Et enfin, il faut reconnaître que les uns et les autres ne serviront l’Europe en efficacité et vérité que s’ils agissent en relations étroites et s’assurent continuellement ◀de▶ la convergence ◀de▶ leurs efforts.
À cet égard, relevons un signe heureux : 9 sur 10 des membres du conseil ◀de▶ direction du CEC viennent de prendre part aux travaux du second congrès ◀de▶ La Haye. Les hommes politiques, en retour, voudront-ils apporter à notre effort certains appuis concrets dont jusqu’ici on ne nous a point accablés ?
Quant à la table ronde ◀de▶ Rome, elle avait reçu pour mission ◀de▶ s’occuper précisément ◀de▶ « l’idée » et des moyens ◀de▶ l’illustrer dans nos pays. On aurait pu redouter le double emploi avec les objectifs du Centre. En fait, rien ◀de▶ tel ne s’est produit, ainsi que j’ai pu m’en assurer chaque jour, ayant été chargé — à titre personnel — ◀de▶ la conduite des débats. Ce que la table ronde a fait avec éclat, grâce à la participation ◀de▶ six personnalités politiques et culturelles ◀de▶ premier plan, entourées ◀de▶ quinze publicistes influents, ne sera pas moins utile au CEC qu’au Conseil de l’Europe et à ses commissions, secrétariat et comités ◀d’▶experts : il leur appartient, comme à nous, ◀de▶ donner suite pratique aux directives dégagées par cette réflexion. L’institution reprend ses droits et ses devoirs quand s’éteignent les projecteurs concentrés sur la table des vedettes.
Perspectives
En trois ans, le CEC a constitué 7 associations et communautés professionnelles dotées ◀de▶ statuts propres, mais dont il assure le secrétariat ; il a formé 3 commissions ◀de▶ savants (dont l’une a pris l’initiative du Laboratoire européen ◀de▶ recherches nucléaires), lancé 4 séries ◀de▶ publications, et organisé diverses manifestations destinées à devenir périodiques, telles que le Prix littéraire européen et la Conférence musicale.
Il a ainsi doté l’Europe ◀d’▶un instrument ◀de▶ coopération intellectuelle ; ◀d’▶un réseau ◀d’▶échanges, ◀de▶ personnes, ◀de▶ publications et ◀de▶ projets ; enfin ◀d’▶un foyer ◀de▶ réflexion permanente sur nos problèmes communs et ◀de▶ diffusion raisonnée des résultats ◀de▶ cette recherche.
Cette base pratique, instrumentale, étant désormais établie, il s’agit d’une part ◀d’▶en faire bénéficier un beaucoup plus grand nombre ◀d’▶usagers, dans tous nos pays ; d’autre part, ◀d’▶élargir à des sphères nouvelles et influentes le rayonnement ◀de▶ l’idée qui est la raison ◀d’▶être du Centre.
En vue ◀d’▶accomplir la première ◀de▶ ces tâches, le Centre étudie la possibilité prochaine ◀de▶ faire revivre les sections culturelles nationales formées par le Mouvement européen. Les contacts que nous venons de reprendre dans plusieurs pays ont révélé l’existence ◀d’▶un besoin très réel et ◀de▶ possibilités précises ◀de▶ coopération. Lors ◀d’▶une rencontre récente avec la section culturelle hollandaise, un modèle ◀de▶ « cahier des charges » a été élaboré. Sitôt mis au point, il sera proposé aux autres pays. Ajoutons que la création prochaine ◀d’▶un Bureau européen ◀de▶ l’éducation des adultes (ou éducation populaire) correspond au même ordre ◀de▶ préoccupations.
Quant à la seconde tâche, pour être menée à bien avec toute l’ampleur nécessaire, elle suppose l’appui ◀d’▶un groupe ◀de▶ personnalités influentes dans les domaines les plus divers ◀de▶ la vie européenne, domaines débordant largement celui ◀de▶ la culture au sens technique du mot. Nous y travaillons.
En tant qu’il est chargé ◀d’▶une mission générale, certes trop ambitieuse pour ses moyens actuels, qui est ◀de▶ porter, maintenir et animer l’idéal ◀de▶ l’Europe unie, le Centre doit devenir de plus en plus le lieu ◀de▶ ralliement des esprits qui pensent l’union, ses conditions et ses effets, qui essaient ◀de▶ voir plus loin que les buts immédiats, qui explorent des voies neuves et des techniques nouvelles, et mesurent, au-delà ◀de▶ l’Europe enfin « faite », ses chances et sa mission dans un monde où tout change.