Politique de▶ ◀la▶ peur proclamée (novembre 1954)u
◀D’▶un Premier Allemand qui joue sur une entente avec ◀la▶ France, un écrivain français a dit ceci : « ◀L’▶Allemagne qu’il incarne ne nous apparaît pas moins redoutable que celle qui exigeait ◀la▶ démission ◀de▶ Delcassé. »
Paraphrasons : une Allemagne vaincue, désarmée, occupée, amputée ◀d’▶un quart ◀de▶ sa population et ◀d’▶un tiers ◀de▶ son territoire, au surplus gouvernée par un ami ◀de▶ ◀la▶ France, n’est « pas moins redoutable » que ◀l’▶Allemagne arrogante, surarmée et intacte sur laquelle régnait Guillaume II.
Ce qui peut s’écrire :
Peur ◀de▶ ◀l’▶Allemagne + Guillaume II = Peur de l’Allemagne – Adenauer ou P + 100 = P – 125. Ce qui est faux, manifestement, sauf dans ◀le▶ seul cas où ◀l’▶on attribuerait à « Peur ◀de▶ ◀l’▶Allemagne » une valeur infinie. Ce que ◀l’▶on fait, en réalité.
◀La▶ peur ◀de▶ ◀l’▶Allemagne étant infinie — ou absolue — c’est-à-dire indépendante ◀de▶ quoi que ce soit que ◀l’▶Allemagne réelle fasse ou non, soit ou non, cette peur ne pourrait donc être supprimée que si ◀l’▶Allemagne disparaissait totalement et à tout jamais. Car s’il n’en restait qu’un, je craindrais celui-là, dit en substance François Mauriac (dans ◀L’▶Express du 25 septembre).
◀L’▶argument ◀de▶ ◀la▶ peur qu’inspire ◀l’▶Allemagne a été ◀l’▶arme principale des anticédistes. N’est-il pas très nouveau qu’un grand pays proclame sa peur dans ◀l’▶instant qu’il règle sur elle sa politique ? Naguère, on préférait crâner. C’était bien vu. ◀L’▶aveu ◀de▶ ◀la▶ peur n’était permis qu’à ◀l’▶esprit qui ◀la▶ maîtrisait : « Tu trembles, carcasse ! »
◀Les▶ Russes ont réellement peur ◀de▶ ◀l’▶Occident. Mais leur gouvernement ne cesse ◀d’▶affirmer que ◀l’▶URSS ne craint personne. ◀Les▶ Américains n’ont pas du tout peur des Russes, mais leur gouvernement ne cherche qu’à prévenir ou contenir ◀le▶ danger communiste. En France, on est plus nuancé. Car il est évident pour tout cartésien progressiste, que deux-cents divisions russes existantes sont moins dangereuses que douze divisions allemandes virtuelles, et que ◀la▶ présence en Europe ◀de▶ quatre divisions anglaises rétablirait ◀l’▶équilibre si gravement menacé par ◀l’▶égalité proposée des armements ◀de▶ ◀la▶ France et ◀de▶ ◀l’▶Allemagne. Encore une fois, seule ◀la▶ Peur, affectée du signe ∞, peut rendre un sens quelconque à ces divagations.
Quelqu’un n’a pas peur : M. Bevan. Malenkov ◀l’▶a pleinement rassuré. « Il a ◀l’▶esprit vif, beaucoup de finesse, et ◀les▶ difficultés ◀de▶ ◀la▶ traduction ne ◀l’▶ont pas empêché ◀de▶ manifester un profond sens ◀de▶ ◀l’▶humour. Il m’a affirmé énergiquement qu’il n’y avait aucun des problèmes opposant ◀la▶ Russie au reste du monde qui ne puisse être résolu par voie ◀de▶ négociations. »
Relisez ces deux phrases et ne riez pas. Leur juxtaposition est un simple accident. ◀L’▶allusion au sens ◀de▶ ◀l’▶humour malenkovien est sans relation aucune, dans ◀l’▶esprit ◀de▶ M. Bevan, avec ◀la▶ citation ◀de▶ Hitler qu’est la seconde phrase.
◀L’▶URSS a d’ailleurs cessé ◀d’▶être redoutable, puisque, après ◀la▶ mort ◀de▶ Staline, elle a cessé ◀d’▶être une vraie dictature. Ce fait est établi par ◀les▶ conversations qu’a eues M. Bevan avec ◀les▶ dirigeants soviétiques. ◀La▶ Russie est gouvernée aujourd’hui par un pouvoir collégial. Il est normal ◀d’▶admettre que ◀les▶ institutions politiques ◀de▶ ◀la▶ Russie doivent être adaptées, comme celles des autres nations, à ◀l’▶évolution économique et sociale du pays. Il est donc normal ◀d’▶admettre que ◀l’▶évolution économique ◀de▶ ◀l’▶URSS commandait ◀de▶ passer ◀de▶ ◀la▶ dictature ◀d’▶un seul à celle ◀de▶ plusieurs ; ◀de▶ ◀la▶ liquidation des koulaks à celle des kolkhozes ; ◀de▶ ◀l’▶accusation contre ◀les▶ médecins ◀de▶ Staline à leur réhabilitation. On sent qu’il s’agit là ◀d’▶une nécessité organique. ◀L’▶évolution économique et sociale est en Russie — « comme dans ◀les▶ autres nations » — ◀le▶ vrai Pouvoir. Voilà qui évoque ◀l’▶idée ◀de▶ constantes nationales, comme par exemple ce mouvement irrésistible qui porte tant de Russes à émigrer vers ◀la▶ Sibérie. Cependant, ◀le▶ problème ◀de▶ ◀l’▶intervention des hommes dans ce processus évolutif se pose encore à M. Bevan. Car c’est précisément « à cet égard » (c’est-à-dire au sujet du passage à ◀la▶ dictature collégiale) qu’il juge « intéressant ◀d’▶examiner ◀la▶ position ◀de▶ Khrouchtchev ». Et ◀de▶ se demander : « Khrouchtchev est-il un autre Staline ? » Et ◀de▶ répondre : « Très évidemment non. C’est un personnage agressif, dynamique, et tout à fait extraverti. » Tout ◀le▶ contraire ◀de▶ Staline, comme on voit.
En 1927, M. Bevan écrivait dans son journal intime : « Staline est-il un autre Lénine ? Très évidemment non. » Et il avait raison. Hitler ne fut pas non plus un autre Bismarck. Généralement, ◀les▶ gens ne sont pas un autre, sauf s’ils sont Allemands, comme vient de ◀le▶ montrer M. Mauriac.
Ne craignons pas ◀les▶ Russes, nous dit ◀L’▶Express. ◀Le▶ vrai danger vient des Allemands. Un Anglais prouve le premier point, un Français le second. ◀La▶ collaboration européenne n’est pas un vain mot. Elle joue à plein contre ◀l’▶Europe.
Mais si 43 millions ◀de▶ Français de la Métropole ont réellement peur ◀de▶ 48 millions ◀d’▶Allemands de l’Ouest, quelle ne doit pas être ◀la▶ terreur ◀de▶ Mao Tsé-toung devant ses propres Chinois ? Car voici ◀la▶ situation. « Le dernier recensement fait apparaître une population ◀de▶ 620 millions ◀de▶ Chinois. On estime que ce chiffre augmentera ◀de▶ 12 millions par an. » Or « ◀le▶ communisme, en Chine, n’a jamais été un mouvement ◀de▶ masse », déclare M. Bevan. « Notre tâche, m’a dit un dirigeant chinois, est maintenant ◀d’▶atteindre ◀le▶ peuple. » Seule, une « petite fraction ◀de▶ ◀la▶ société chinoise » est communiste.