Une présence (1955)ab
Depuis le début de▶ l’ère des dictatures, nombre ◀d’▶intellectuels occidentaux et asiatiques nous répètent qu’il est impossible ◀de▶ résister au fanatisme politique sans devenir soi-même fanatique, ◀de▶ lutter contre le fascisme sans adopter la ligne communiste, ou ◀de▶ lutter contre le stalinisme sans adopter les procédés fascistes. Le risque est là, bien sûr, mais ce n’est qu’un risque.
Et pourtant, à certains, il apparaît si grand que par crainte de le courir ils choisissent ◀de▶ ne point résister du tout, et ◀de▶ s’inscrire par exemple aux « partisans ◀de▶ la paix », qui sont ceux ◀d’▶une armée et ◀de▶ sa politique.
L’action du Congrès pour la liberté ◀de▶ la culture, depuis cinq ans, a démontré la possibilité ◀de▶ lutter librement contre la tyrannie, et ◀de▶ surmonter le défaitisme anxieux ◀d’▶une intelligentsia trop facilement dupée par les prétextes humanitaires ◀de▶ la Terreur.
Nous n’avons pas opposé à la propagande des Bons Tyrans je ne sais quel « front uni » exigeant farouchement le sacrifice « temporaire » mais concret des libertés ◀de▶ la personne et des impératifs ◀de▶ la justice. Mais nous avons créé un point ◀de▶ ralliement pour des esprits venus ◀d’▶horizons différents, et visant des buts très divers. Quoi ◀de▶ commun, pourrait-on demander, entre nos présidents ◀d’▶honneur ? Entre Maritain et Russell, entre Niebuhr et Madariaga, entre Jaspers et Croce ? Rien ◀de▶ facile à définir, sans doute. Pas un slogan. Mais ce fait et ce ◀mode▶ ◀d’▶expérience — comme l’eût dit John Dewey, leur grand aîné — qu’est l’exercice vivant et militant ◀de▶ la liberté ◀de▶ l’esprit, dans l’actualité ◀de▶ notre temps.
Quels furent les actes du Congrès pendant cinq ans ? On rappelle plus loin nos conférences ◀de▶ savants, ◀d’▶écrivains, ◀de▶ musiciens, ◀d’▶économistes et ◀de▶ philosophes, nos revues et publications, nos spectacles et nos débats, et les grandes réunions ◀de▶ Berlin, ◀de▶ Bruxelles, ◀de▶ Bombay, ◀de▶ Paris, ◀de▶ Hambourg, ◀de▶ Rangoon et ◀de▶ Milan. Je voudrais simplement mettre en relief un fait : celui ◀de▶ notre Rassemblement. Peut-être a-t-il contribué plus qu’on ne le croit à changer l’atmosphère ◀de▶ l’après-guerre mondiale. La ◀mode▶ était aux démissions ◀de▶ l’esprit devant l’autel ◀d’▶une Histoire déifiée. Les hommes libres se sentaient seuls. Ils ont trouvé le lieu où l’on peut se fédérer sans renoncer à sa vocation. Ce n’est pas un ersatz ◀d’▶église, ce n’est pas un parti jaloux, ce n’est pas un bastion ◀de▶ défense. C’est plutôt un réseau ◀d’▶amitiés agissantes ◀de▶ Paris à Tokyo, ◀de▶ New York à Bombay, ◀de▶ Berlin-Ouest à Santiago et Mexico. C’est une volonté ◀de▶ justice qui se moque des opportunismes et c’est une action permanente. Quelle que soit la valeur des sourires que prodiguent désormais les césariens, le Congrès va mener plus que jamais l’offensive ◀de▶ la liberté, sa vraie lutte pour une paix vivante.