De▶ gauche à droite (mars 1955)v
« Parce que nous sommes soucieux ◀de▶ la logique ◀de▶ notre action, il convient ◀de▶ nous demander ce qui a été ainsi (par le rejet ◀de▶ la CED) gagné ou perdu, et comment nous situer maintenant. Examiner si nous avons eu tort ou raison ◀de▶ contribuer à l’échec ◀de▶ la CED. Nous ne le ferons pas ; quoi qu’il arrive maintenant […] un premier bénéfice nous est acquis pour l’histoire : soumis à une formidable pression politique, morale, financière, venant des États-Unis […] la majorité ◀de▶ l’opinion française […] a préféré aux facilités ◀de▶ la capitulation son raisonnement et son instinct. »
Qui parle ainsi ? Au nom de quelle puissante « action » qui a « contribué à l’échec ◀de▶ la CED » et qui marque son point « pour l’histoire ? » Ce n’est qu’Esprit, revue française, autrefois « internationale ». Esprit ayant écarté le danger ◀de▶ la CED se félicite ◀de▶ constater que « le ciel du Pentagone » ne lui est pas tombé sur la tête. « Tout ce qu’avaient raconté à l’opinion française les gens du MRP et ◀de▶ la droite était donc faux : leur menace ◀d’▶un retrait des crédits américains, leur fameux dilemme “CED ou Wehrmacht”, leur chantage au contrecoup nationaliste allemand. »
Tout cela serait faux ? Rien ◀de▶ tout cela ne se serait produit ? Il se trouve que la suite ◀de▶ l’article contredit point par point les trois contradictions dont Esprit tire son sentiment ◀d’▶allègre impunité. Citons.
Sur la menace du retrait des crédits américains : « Les autorités américaines annulèrent leurs commandes off shore au lendemain du vote du refus ◀de▶ la CED… » (Esprit, p. 665.) Les gens du MRP, etc., avaient donc raison.
Sur le fameux dilemme CED ou Wehrmacht : « Les accords ◀de▶ Londres donnent encore moins ◀de▶ garanties que la CED… Le même état-major allemand pourra se constituer… L’Allemagne aura le droit ◀de▶ fabriquer des armes… On a donc des raisons au moins égales ◀de▶ redouter que la corporation militaire allemande fasse sentir à une démocratie incertaine le poids ◀de▶ sa force nouvelle… » (p. 667). Ceci demande une correction : la CED excluait un état-major allemand. Les accords ◀de▶ Londres l’autorisent. Les « raisons ◀de▶ redouter » ne sont pas « au moins égales ». Le rejet ◀de▶ la CED a bel et bien entraîné la recréation ◀d’▶une Wehrmacht, comme le disaient les gens du MRP, etc.
Sur le chantage au contrecoup nationaliste allemand : « Le climat est lourd en Allemagne occidentale. (Fuite ◀d’▶Otto John.) Nous avons reçu d’autres témoignages ◀d’▶anciens résistants à l’hitlérisme qui cherchent à émigrer ou qui, eux aussi, préfèrent le climat, pourtant contraint, ◀de▶ la République démocratique à la précaire liberté ◀de▶ la République fédérale, où la restauration continue ◀de▶ gagner », etc. (p. 668). Ou encore : « Ce geste libérateur (refus ◀de▶ la CED) a renforcé immédiatement les socialistes allemands » (p. 665). On sait que les socialistes allemands sont nationalistes, ne fût-ce que du seul fait qu’Adenauer ne l’est pas. D’ailleurs : les extrémistes ◀de▶ droite aussi sont renforcés. Trois fois sur trois, les gens du MRP, etc., avaient vu juste.
Il ne reste à Esprit qu’à répéter la leçon connue : le réarmement allemand, autorisé par les accords ◀de▶ Londres, aura pour « corollaire fatal, qu’on passe ◀d’▶ordinaire sous silence » ( ?), « la création ◀d’▶une force équivalente à l’Est ».
Le schéma logique ◀de▶ cet article révèle une rigueur proprement masochiste : Esprit ayant contribué par son action au rejet ◀de▶ la CED ; ce rejet ayant entraîné les accords ◀de▶ Londres ; ceux-ci rétablissant une Wehrmacht, et la Wehrmacht (◀de▶ demain) étant destinée à provoquer la « création » ◀d’▶une armée russe (que l’on croyait depuis longtemps glorieuse) — si cela mène à la guerre, ce sera la faute ◀d’▶ Esprit .
Esprit fut jadis la revue du personnalisme. Depuis quelques années, ses nombreux rédacteurs ont tenté ◀de▶ rejoindre la ligne communiste. S’ils ne sont jamais arrivés à la trouver, c’est qu’ils la cherchaient vers la gauche. Aujourd’hui, leur politique se précise. Ils s’opposèrent finalement à Mendès-France dans la mesure exacte où celui-ci s’éloignait des thèses gaullistes sur la Russie. Encore un peu de persévérance, ils vont trouver ce qu’ils cherchaient depuis le début : c’était à droite. (Et même un peu plus loin.)