Pourquoi nous persévérons (décembre 1955)ab
Toute la presse occidentale a parlé des « 17 niets de▶ Molotov » à Genève. La question des échanges culturels serait donc tranchée négativement, les dix-sept offres ou demandes occidentales ayant été rejetées par le porte-parole des dirigeants ◀de▶ l’URSS. Il n’y aurait plus lieu ◀d’▶en parler, jusqu’à ce qu’une « détente » moins trompeuse nous soit proposée par le Kremlin.
Cette opinion nous paraît mal fondée, pour trois raisons :
1. Il n’est pas exact que les 17 propositions occidentales relatives aux échanges culturels aient été rejetées uniformément. (Nous donnons plus loin un résumé analytique des discours prononcés à Genève sur ce sujet.)
2. On ne voit pas pourquoi l’Occident — et l’Europe de l’Ouest en particulier — devrait s’abstenir ◀de▶ toute initiative dans le domaine culturel, du seul fait que les Soviétiques n’ont pas donné les suites espérées à leurs ouvertures officielles ◀de▶ l’été dernier.
3. Le désir ◀d’▶engager le dialogue, ou simplement ◀de▶ mieux connaître ce qui se fait en Occident, demeure très fort chez un grand nombre ◀d’▶intellectuels et ◀d’▶artistes soviétiques, et nous fait un devoir ◀de▶ tout mettre en œuvre, avec une patience inlassable, pour manifester notre volonté ◀d’▶y répondre.
Le fait évident — et souligné par M. Molotov — que l’Union soviétique ne veuille (et ne puisse) accepter aucune espèce ◀de▶ libre échange ◀d’▶idées, ◀d’▶œuvres et ◀de▶ personnes sur une base ◀de▶ réciprocité, n’exclut pas la possibilité ◀d’▶échanges surveillés, limités, filtrés par les autorités soviétiques, mais échanges tout de même. Échangeons, échangeons, il en restera toujours quelque chose !
Ceci marqué, la notion même ◀d’▶échanges culturels doit être clarifiée.
Pour les dirigeants soviétiques, les échanges ont un but principal : obtenir des informations scientifiques et techniques qui leur manquent encore.
Pour les propagandistes officiels du type Ehrenbourg, les échanges ne sont qu’une occasion ◀de▶ présenter la dictature soviétique sous des aspects qui flattent notre intelligentsia dans certains ◀de▶ ses préjugés et dans son désir ◀de▶ paix, à la faveur ◀de▶ sa double ignorance des réalités russes et staliniennes (ou post-staliniennes).
Pour les intellectuels soviétiques du type Cholokhov, on peut imaginer que les échanges répondraient à un désir longtemps frustré ◀de▶ savoir ce qui se fait et ce que l’on pense ailleurs, ◀de▶ respirer un peu plus librement, ◀de▶ changer ◀d’▶air pendant quelques instants.
Pour nous, les échanges ne sont qu’une forme naturelle et vitale ◀d’▶exercice ◀de▶ l’intelligence dans la liberté et la cordialité. Notre désir ◀d’▶échanges relève ◀de▶ la vocation occidentale ◀de▶ curiosité universelle, ◀d’▶exploration ◀de▶ la Terre et ◀de▶ l’Homme, ◀de▶ dialogue vrai.
Les deux premières formes « ◀d’▶échanges » sont trompeuses, parce qu’elles sont à sens unique : volonté ◀d’▶acquérir sans rien donner, volonté ◀de▶ convaincre à seule fin ◀de▶ régner, sans le moindre respect pour l’interlocuteur.
Seules, les deux dernières formes ◀d’▶échanges seront envisagées dans ce bulletin, et donneront lieu aux propositions concrètes qui le terminent.
Un rappel des phases principales ◀de▶ l’histoire des relations culturelles entre la Russie et l’Europe de l’Ouest jusqu’en 1917, servira ◀d’▶introduction au problème actuel des échanges avec l’URSS.
Il sera suivi ◀d’▶un examen documenté ◀de▶ la situation présente, sur la base duquel sont établies nos propositions.