Propositions (décembre 1955)ag ah
I. Conditions historiques et difficultés du dialogue
Nos goûts spontanés d’▶intellectuels européens, curieux ◀de▶ ce qui diffère ◀de▶ nous, nos convictions ◀les▶ mieux motivées soit religieuses soit humanistes, enfin notre désir et notre volonté ◀de▶ paix : tout nous porterait à proposer aux Soviétiques, et même à revendiquer comme un des droits démocratiques fondamentaux, ◀le▶ libre-échange total des œuvres et des hommes — que ◀l’▶on appelle aussi, ◀d’▶une manière moins concrète, ◀le▶ libre-échange des idées. C’est en effet une liberté ◀d’▶échanges ◀de▶ cette nature que nous nous efforçons non seulement ◀d’▶établir avec ◀les▶ cultures différentes ◀de▶ ◀l’▶Asie et ◀de▶ ◀l’▶islam, mais encore ◀de▶ rétablir entre nos propres nations européennes.
Cependant, nous sommes très conscients ◀de▶ ce que ◀la▶ culture soviétique est fondée sur ◀le▶ principe autoritaire et unitaire que la plupart des tsars avaient affirmé (sans toujours ◀l’▶appliquer sévèrement22) mais qui prévaut au plus haut degré sous ◀le▶ régime actuel, pour des raisons historiques bien définies que M. Molotov vient de rappeler à Genève avec une franchise remarquable. Nous nous rendons à ◀l’▶évidence qu’une telle culture ne saurait accepter aujourd’hui, sans se renier, ◀le▶ principe du libre-échange total, donc ◀de▶ ◀la▶ libre discussion publique et privée : cela reviendrait pour elle à accepter ◀le▶ point de vue spécifique ◀de▶ ◀l’▶Occident, c’est-à-dire à trahir ◀la▶ mission que ◀l’▶idéologie soviétique lui attribue dans ◀l’▶État.
Autrement dit : si ◀le▶ dialogue « à ◀l’▶occidentale » était admis par ◀les▶ interlocuteurs russes, il n’y aurait plus ◀de▶ dialogue Europe-URSS à proprement parler, car ◀les▶ intellectuels soviétiques, acceptant au départ nos présuppositions, se rangeraient en esprit ◀de▶ notre côté, et cesseraient par là même ◀de▶ représenter valablement leur régime.
Ce paradoxe est aussi réel qu’il est gênant. Il nous force à serrer de plus près ◀la▶ nature très particulière du dialogue dont nous cherchons à découvrir ◀les▶ bases, si étroites et précaires soient-elles.
Nous éliminerons par principe toutes ◀les▶ propositions qui pourraient contenir un piège politique ou cacher une manœuvre ◀de▶ propagande, comme : renoncer au brouillage des broadcasts, supprimer toute censure, rétablir ◀la▶ vente libre des journaux.
Nous irons plus loin, à ◀la▶ rencontre des souhaits soviétiques. Nous ne reprendrons pas à notre compte, dans ◀les▶ propositions qui suivent, ◀les▶ demandes « inacceptables » aux yeux des dirigeants soviétiques — et déjà refusées par eux — que présentaient récemment à Genève ◀les▶ ministres occidentaux. Comme par exemple : publications ◀de▶ revues dans ◀les▶ capitales respectives, création ◀de▶ centres ◀d’▶information ouverts à tous, libre échange ◀d’▶étudiants, change équitable du rouble, liberté ◀de▶ voyage pour ◀les▶ individus, savants, étudiants, professionnels, etc.
En tant qu’intellectuels européens, nous jugeons ◀de▶ telles demandes normales et justes : que cela soit dit en toute clarté.
Mais nous voyons aussi qu’il est hors de question qu’elles puissent être acceptées même partiellement par ◀les▶ dirigeants soviétiques, dans ◀les▶ conjonctures actuelles et selon ◀la▶ logique ◀de▶ leur dogme ◀d’▶État.
S’ils nous demandaient ◀de▶ leur envoyer des délégations ◀d’▶écrivains désignés par leurs gouvernements et représentant ◀la▶ doctrine officielle du capitalisme « bourgeois et impérialiste », et ◀de▶ son parti unique, nous serions obligés ◀de▶ nous récuser : rien ◀de▶ tel n’existe chez nous. En retour, nous ne saurions exiger une libre discussion avec des individus indépendants et des représentants ◀de▶ tendances politiques ou ◀d’▶écoles ◀de▶ pensée diverses en URSS : rien ◀de▶ tel n’existe chez eux, officiellement tout au moins.
Il faut donc trouver autre chose, imaginer d’autres formules ◀d’▶approche, à supposer que ◀la▶ chose demeure possible.
Théoriquement, il peut sembler que toute espèce ◀de▶ dialogue réel soit exclue par ◀de▶ telles données ◀de▶ fait. ◀La▶ base commune, ◀le▶ minimum ◀de▶ présuppositions et ◀de▶ langage communs, semblent faire totalement défaut.
Cependant, ◀le▶ désir ◀d’▶échanges et ◀de▶ contacts exprimés par ◀de▶ nombreux intellectuels soviétiques (ex. lettre ◀de▶ Cholokhov) et par ◀les▶ dirigeants du Kremlin eux-mêmes est également une donnée ◀de▶ fait. Elle nous incite à penser que, pratiquement, quelque chose peut encore (ou déjà) être tenté, — et par conséquent doit ◀l’▶être.
Nous nous bornerons, dans ce qui suit, à proposer des modes ou formes ◀de▶ dialogue qui ne nous paraissent point passibles des reproches que ◀les▶ dirigeants soviétiques, par leur porte-parole à Genève, ont adressés, très logiquement ◀de▶ leur point de vue, aux propositions des Trois Grands occidentaux.
II. Propositions
◀Les▶ projets que nous avons étudiés sont précis et modestes, non spectaculaires et non susceptibles, à notre avis, ◀d’▶être exploités par ◀la▶ presse et ◀la▶ propagande dans l’un ou l’autre camp.
Ils sont ◀de▶ trois types différents :
— séminaires restreints réunissant des écrivains, ou des compositeurs, ou des pédagogues ;
— équipes mixtes ◀de▶ savants entreprenant des recherches ou des enquêtes en commun ;
— expositions itinérantes ◀de▶ peinture contemporaine et exécutions ◀d’▶œuvres musicales modernes, projections ◀de▶ films ; expositions ◀de▶ publications (livres, ouvrages ◀d’▶art, revues) dans ◀les▶ grands centres.
Précisons maintenant, à l’aide de quelques exemples, ces propositions ◀de▶ départ, qui sont toutes susceptibles ◀de▶ modifications et ◀de▶ mises au point éventuelles : il s’agit ◀d’▶hypothèses ◀de▶ travail, non pas ◀d’▶un plan rigide à prendre ou à laisser.
A. Séminaires
Examinons d’abord ◀la▶ possibilité ◀d’▶un séminaire ou table ronde groupant des écrivains russes et européens.
Cette possibilité a toujours existé en Europe. Pourtant, elle ne pouvait se réaliser avant que du côté russe également on ◀la▶ déclarât souhaitable. Or, c’est ce qui vient de se passer.
◀Le▶ romancier A. Cholokhov publiait il y a peu de mois un article23 dans lequel il annonçait qu’en vertu de ◀l’▶esprit ◀de▶ Genève, ◀l’▶extension des liens culturels allait prendre « un énorme essor ». Et Cholokhov ajoutait :
◀Les▶ écrivains du monde entier devraient avoir leur table ronde. Nous pouvons avoir des opinions différentes, mais une chose doit nous unir : ◀l’▶effort à accomplir pour être utiles à ◀l’▶homme. Et si je parle ◀de▶ nous, écrivains soviétiques, je peux dire que nous voudrions sincèrement que nos relations amicales avec tous ◀les▶ écrivains soient aussi étroites et efficaces que nos relations de plus en plus solides avec nos confrères (par ◀la▶ plume) ◀de▶ nombreux pays ◀d’▶Orient et ◀d’▶Occident.
On voit donc que cette table ronde, dans ◀l’▶esprit ◀de▶ Cholokhov, ne devrait pas réunir seulement des Russes et des communistes occidentaux (c’est déjà fait, ◀d’▶une manière très « solide », comme il ◀l’▶indique) mais bien des Russes et des non-communistes.
Acceptant sans réserve ◀le▶ principe ◀de▶ cette invitation, essayons ◀de▶ voir comment une pareille table ronde pourrait se réaliser, sans que ni ◀d’▶un côté ni ◀de▶ l’autre on n’ait ◀l’▶impression que ◀la▶ partie est truquée, et que ◀les▶ résultats se trouvent impliqués ◀d’▶avance soit dans ◀la▶ formule même des débats, soit dans ◀la▶ composition du groupe24.
Thème général : « ◀Le▶ rôle social ◀de▶ ◀l’▶écrivain ».
Lieu : Un hôtel ou une demeure privée, à ◀la▶ campagne, en Europe occidentale (pour une première rencontre en tout cas).
Participants : Six ou sept écrivains ◀de▶ chaque côté, ◀les▶ Européens étant tous choisis en dehors des partis communistes et ◀de▶ leurs filiales, et ne représentant chacun qu’eux-mêmes et leur œuvre propre. (Il est évident que seuls ◀les▶ Russes devraient être autorisés par leur gouvernement, conformément aux principes en vigueur ◀de▶ part et ◀d’▶autre.)
Préparation : Plusieurs semaines ou mois avant ◀la▶ rencontre, chaque partie proposerait deux sujets qu’elle souhaiterait voir traités par l’autre partie, et deux sujets qu’elle souhaiterait traiter elle-même, soit huit en tout. Après élimination des sujets jugés inopportuns par l’une ou l’autre partie (ou des doubles éventuels) il faudrait arriver à six sujets. Chacun serait alors introduit par un rapport écrit et traduit à ◀l’▶avance. Et chacun fournirait ◀le▶ thème et ◀le▶ point ◀de▶ départ ◀d’▶une journée des débats ◀de▶ ◀la▶ table ronde.
Seraient éliminés tous sujets considérés par l’une ou l’autre partie comme susceptibles ◀de▶ favoriser (pour reprendre ◀les▶ termes ◀de▶ M. Molotov) « ◀la▶ propagande subversive, ◀l’▶impérialisme, ◀le▶ racisme, ◀la▶ guerre atomique ou ◀la▶ haine entre ◀les▶ peuples ».
Sujets : À titre ◀d’▶exemples, pourraient être proposés et acceptés du côté européen des sujets ◀de▶ ce genre (◀les▶ uns très généraux, ◀les▶ autres plus précis) :
1. Responsabilité sociale ou « art pour ◀l’▶art » ?
2. Rôle ◀de▶ ◀l’▶écrivain dans ◀l’▶autocritique (◀de▶ ◀la▶ société où il vit, qui ◀le▶ publie et ◀le▶ lit).
3. Condition ◀de▶ ◀l’▶écrivain et puissances ◀d’▶argent. (◀L’▶écrivain européen souffre-t-il ◀de▶ ces puissances ? dans quelle mesure ? ◀L’▶écrivain soviétique en est-il libéré ? À quel prix ?)
4. Devoir ◀d’▶orthodoxie et droit à ◀l’▶hérésie. (Dans ◀les▶ œuvres des écrivains, non pas en général.)
5. ◀L’▶écrivain devant ◀la▶ condition paysanne. (Romans sur ◀les▶ kolkhozes en URSS, sur ◀la▶ réforme agraire en Italie.)
6. Écrits européens sur ◀l’▶URSS et soviétiques sur ◀l’▶Europe. (Ce que chacun pense ◀de▶ ses portraits par l’autre. Faut-il favoriser ce genre littéraire ? Si oui, comment ◀l’▶améliorer ?)
Tous ces sujets sont « brûlants », mais ils nous semblent ménager une mesure d’accord assez large pour que ◀la▶ mesure ◀de▶ désaccord devienne réellement intéressante, ou utile, à connaître et à préciser ◀de▶ part et ◀d’▶autre.
Activités complémentaires : Des lectures ◀d’▶œuvres des deux parties, librement commentées et discutées, pourraient avoir lieu ◀le▶ soir. Des visites ◀de▶ bibliothèques, ◀de▶ librairies, ◀de▶ musées, ou ◀de▶ lieux célèbres ◀de▶ ◀la▶ vie littéraire pourraient être organisées en dehors des séances.
Il n’est pas impossible que tous ◀les▶ sujets que nous venons de suggérer (à simple titre ◀d’▶exemples ou ◀d’▶hypothèses ◀de▶ travail) soient jugés inopportuns par ◀les▶ Soviétiques, pour des raisons que nous ignorons aujourd’hui. Dans ce cas, nous souhaiterions au moins savoir :
1. pourquoi et en quoi ils sont jugés inacceptables ;
2. quels seraient ◀les▶ sujets jugés acceptables.
Ainsi ◀le▶ refus même des thèmes ◀de▶ discussion que nous suggérons amorcerait une discussion intéressante.
Du côté soviétique, on se demandera sans doute pourquoi nous tenons à ce dialogue. Répondons par avance en toute franchise.
Si anodins que soient peut-être ◀les▶ sujets que ◀les▶ deux parties finiraient par accepter, nous pensons qu’un tel dialogue ne serait pas vain :
parce qu’il répondrait au désir exprimé par un très grand nombre ◀d’▶intellectuels soviétiques avec une insistance croissante, et par leurs autorités, au cours de certaines manifestations officielles25 ;
parce qu’il permettrait des contacts humains directs, loin de toute publicité et par suite libres ◀de▶ toute démagogie obligée ;
parce qu’il donnerait aux uns et aux autres ◀l’▶occasion ◀de▶ repenser leurs certitudes acquises et ◀de▶ mieux juger ◀de▶ leurs implications ;
parce qu’il obligerait ◀les▶ participants à réviser certains ◀de▶ leurs préjugés, et contribuerait ainsi à ◀la▶ paix.
Des séminaires ◀de▶ type analogue pourraient être organisés dans d’autres domaines bien délimités, comme par exemple :
un séminaire ◀de▶ pédagogues et ◀d’▶éducateurs, prenant pour thème général ◀l’▶éducation pour ◀la▶ paix, et pour sujets spéciaux : ◀la▶ connaissance des institutions éducatives et des méthodes pédagogiques en URSS et en Europe ; ◀la▶ psychologie ◀de▶ ◀l’▶enfance ; ◀la▶ criminalité juvénile ; ◀l’▶éducation du sens ◀de▶ ◀la▶ solidarité humaine ; etc.
un séminaire ◀de▶ compositeurs et musicologues, examinant ◀les▶ problèmes ◀de▶ ◀la▶ musique contemporaine, et son rôle dans ◀les▶ sociétés ◀d’▶aujourd’hui.
B. Équipes mixtes ◀de▶ savants
Une tâche pratique, exécutée en commun, et produisant des résultats utiles pour ◀les▶ uns et ◀les▶ autres, rapproche mieux ◀les▶ esprits que n’importe quelle discussion sur ◀les▶ principes. Telle est ◀la▶ conviction qui inspire ◀les▶ deux propositions suivantes :
Équipe ◀de▶ sociologues.— Des revues soviétiques exprimaient récemment ◀le▶ désir que leurs collaborateurs s’informent mieux des nouvelles méthodes sociologiques américaines. Ce vœu se trouve être aussi celui ◀de▶ beaucoup de chercheurs européens. Voici donc une convergence des besoins et des curiosités qui ouvre une possibilité pratique ◀de▶ coopération.
Un groupe restreint ◀de▶ sociologues européens et ◀de▶ sociologues russes pourrait entreprendre en commun des enquêtes ◀de▶ micro-sociologie portant sur quelques communautés en Europe d’abord, puis — nous ◀l’▶espérons — en URSS. Ces travaux, portant essentiellement sur des faits statistiques, auraient plus ◀de▶ chance que d’autres ◀de▶ se poursuivre indépendamment des a priori idéologiques ou politiques, — quitte à ce que chaque partie tire ensuite, des informations objectives ainsi recueillies et publiées, ◀les▶ conclusions qu’il lui plairait.
Équipes ◀de▶ recherches médicales.— Une formule analogue pourrait être adoptée par des groupes ◀de▶ chercheurs dans ◀de▶ nombreux domaines ◀de▶ ◀la▶ médecine (vaccins, antibiotiques, hygiène préventive, etc.) ◀de▶ ◀la▶ biologie et ◀de▶ ◀la▶ psychiatrie.
Il est clair que ◀la▶ participation, déjà acquise, ◀de▶ délégations ◀de▶ savants soviétiques aux grands congrès, tels que ◀la▶ conférence atomique ◀de▶ Genève, ne saurait remplacer ◀le▶ travail plus approfondi ◀de▶ telles équipes ◀de▶ recherches à objectif délimité : ni quant aux résultats techniques à obtenir, ni quant à ◀la▶ valeur des contacts humains qui peuvent s’établir au cours ◀d’▶un effort commun et prolongé.
C. Expositions itinérantes
◀La▶ visite ◀d’▶un laboratoire peut être vitale pour un savant, mais vaguement pittoresque pour un homme sans culture scientifique : celui-ci n’en retiendra que ◀les▶ explications simplifiées inscrites sur des pancartes ou récitées par un guide. Il en va de même des expositions. ◀Les▶ Soviétiques redoutent à juste titre qu’on ne ◀les▶ « utilise » à des fins politiques ou artistiquement subversives26. Nous autres démocrates européens pouvons redouter, également, que ◀la▶ peinture inspirée par ◀le▶ « réalisme socialiste » n’entraîne ◀l’▶adhésion soulagée du petit bourgeois ◀de▶ nos pays, incapable ◀d’▶aimer Picasso ou Paul Klee ; et que cette adhésion, à son tour, n’entraîne des conclusions politiques absurdes. C’est pourquoi nous proposons des expositions discrètes (malgré ◀le▶ paradoxe ◀de▶ ◀l’▶expression), non spectaculaires, et qui ne cherchent pas à attirer ◀la▶ grande masse inéduquée, mais ◀les▶ artistes, ◀les▶ critiques et ◀les▶ amateurs éclairés.
◀La▶ condition ◀de▶ succès et ◀d’▶efficacité ◀de▶ telles expositions ◀de▶ peinture contemporaine (russe chez nous, européenne en URSS) résidera donc dans leur caractère limité et technique, dans ◀les▶ précautions prises ◀de▶ part et ◀d’▶autre pour empêcher qu’elles ne se transforment en abusifs manifestes ◀d’▶une culture. Nous ne pouvons entrer ici dans plus ◀de▶ détails, mais cette précaution ◀de▶ principe devait être formulée ; ◀les▶ modalités ◀d’▶exécution ne seront pas difficiles à imaginer.
◀Les▶ exécutions musicales ◀d’▶œuvres soviétiques sont quasi quotidiennes en Occident· : Prokofiev, Chostakovitch et Katchaturian sont joués partout en Amérique et en Europe, au concert et à ◀la▶ radio. Nous proposons simplement qu’en retour, ◀les▶ œuvres récentes des compositeurs occidentaux soient jouées, dans des concerts spéciaux en URSS, par des orchestres et des chefs européens ou américains. Nous proposons également que ◀les▶ commentaires des œuvres exécutées soient écrits ou prononcés par des musicologues européens. Ainsi se trouverait garanti, automatiquement, ◀le▶ caractère apolitique des concerts européens en URSS. En revanche, ◀les▶ concerts soviétiques en Europe pourraient être accompagnés des commentaires habituels rattachant tel aspect ◀d’▶une œuvre à tel dogme politique régnant en URSS. Ceci appartient en effet à ◀la▶ définition ◀de▶ ◀la▶ culture soviétique, et il s’agirait ◀de▶ présenter celle-ci aux Européens dans son climat réel et dans ses perspectives spécifiques. (Sinon ◀le▶ dialogue serait faussé, chacun se présentant à l’autre d’une manière artificielle, guindée, non conforme à ses convictions.)
◀Les▶ échanges ◀de▶ films sont peut-être encore plus délicats. ◀Le▶ cinéma détient une puissance ◀de▶ suggestion qui déborde largement son message explicite, et ménage un espace immense à ◀la▶ propagande non formulée, voire involontaire. Nous proposons donc ◀de▶ limiter ◀les▶ échanges à quelques films qui seraient jugés par chaque partie soit représentatifs ◀de▶ son mode de vie, soit typiques ◀de▶ ses recherches ◀d’▶art et ◀de▶ technique.
Enfin, nous insistons sur ◀la▶ nécessité ◀de▶ présenter ◀de▶ part et ◀d’▶autre des expositions ◀de▶ livres et ◀de▶ revues. ◀Les▶ Soviétiques peuvent et doivent redouter ◀la▶ libre diffusion ◀de▶ nos ouvrages et ◀de▶ nos revues dans un public qu’ils entendent contrôler et éduquer ◀d’▶une manière bien définie. Mais s’ils se déclarent favorables au principe des échanges culturels, comment pourraient-ils s’opposer à ce que ◀l’▶on montre, au moins à leur public ◀le▶ mieux trié, ◀les▶ réalisations ◀de▶ ◀l’▶Europe ? À ce que ◀l’▶on donne à ce public (si restreint qu’ils ◀le▶ veuillent) une idée précise du nombre et ◀de▶ ◀la▶ qualité ◀de▶ nos publications, ◀de▶ leur apparence typographique et ◀de▶ leurs sujets ?
III. Remarques conclusives
Si ◀les▶ autorités seules compétentes en URSS opposaient à ◀de▶ telles propositions une fin ◀de▶ non-recevoir absolue, ou un mutisme massif, ◀les▶ intellectuels européens se verraient obligés, du même coup, ◀de▶ penser que ◀les▶ propositions soviétiques ◀d’▶échanges culturels sont vides ◀de▶ tout contenu concret, et ◀de▶ toute intention sincère ◀d’▶aboutir à rien ◀de▶ sérieux.
Dans ce cas, ◀les▶ intellectuels européens n’auraient plus ◀le▶ choix. À défaut du dialogue réel que souhaitent, nous ◀le▶ savons, leurs confrères soviétiques, ils devraient faire campagne pour une autre forme ◀de▶ réciprocité, ◀la▶ seule possible en ◀l’▶occurrence : ◀l’▶application des critères molotoviens aux activités culturelles ◀de▶ ◀l’▶URSS dans nos pays, c’est- à-dire ◀l’▶interdiction pure et simple ◀de▶ ces activités sous ◀l’▶accusation ◀d’▶espionnage ou ◀de▶ propagande destinée à « déclencher ◀l’▶activité subversive des rebuts sociaux » (Molotov). On retomberait alors dans ◀la▶ guerre froide, qui est ◀la▶ guerre tout court sur le plan ◀de▶ ◀la▶ culture.
Nous avons toutes ◀les▶ raisons ◀de▶ nous refuser avec énergie à cette éventualité.
Nous n’avons rien à redouter, pour notre part, ◀d’▶échanges totalement libres. C’est pourquoi nous sommes prêts à accepter des échanges qui seraient libres chez nous, mais « autorisés » chez ◀les▶ Russes. Et cela par simple réalisme, en vertu de notre désir ◀d’▶aboutir à si peu que ce soit qui puisse servir ◀la▶ paix, — objectif proclamé sans relâche par ◀les▶ Soviétiques.
Nous sommes conscients ◀de▶ ◀la▶ pression diffuse et sans cesse croissante, qu’exerce une partie au moins ◀de▶ ◀l’▶intelligentsia soviétique en faveur d’échanges culturels — libres ou contrôlés, peu importe, mais réels — entre ◀l’▶Occident et ◀la▶ Russie.
◀Les▶ échanges ◀de▶ délégués-propagandistes officiels, surveillés pas à pas, ne nous intéressent guère, du simple fait qu’ils ne répondent en rien aux désirs concrets du peuple russe, ni aux nôtres. Ils appartiennent à une ère désormais dépassée par ◀l’▶évolution historique, et dont ◀les▶ porte-parole seront donc fatalement mis au pas ou condamnés, demain ou après-demain, en Russie même.
Seul ◀l’▶avenir pacifique ◀de▶ nos relations ◀de▶ peuple européen à peuple russe, et ◀de▶ culture à culture, nous tient à cœur.