« Oserons-nous encore… » (6 novembre 1956)x
Oserons-nous encore nous présenter devant Dieu et demander pardon pour n’avoir pas bougé, pour avoir laissé faire sous nos yeux hébétés, sans un cri, sans un geste — cela ?
Ces voix rauques, jusque dans nos chambres, criant au secours dès qu’on tournait le▶ bouton ◀d’▶un poste ◀de▶ radio, à nos oreilles, appelant ◀l’▶Europe, qui ne pouvait pas répondre, appelant ◀l’▶Europe sans chefs et sans armée, et sans même un porte-parole pour nous dire : allons-y ! pour leur dire : nous voici ! — Ces voix rauques, étranglées maintenant, non je n’oserai pas demander pardon ◀d’▶être resté paralysé devant leur appel, tant que je n’aurai pas fait tout ce que peut un homme libre pour hâter ◀le▶ jour ◀de▶ ◀la▶ vengeance du peuple hongrois et du châtiment ◀de▶ ses bourreaux.
◀Les▶ jours du communisme sont comptés. Il a vu son Double effrayant dans ◀les▶ rues ◀de▶ Poznań et ◀de▶ Budapest. À ◀la▶ question : qu’est-ce que ◀le▶ communisme ? ◀le▶ monde entier répondra désormais : ◀la▶ théorie du crime et sa pratique massive, ◀le▶ massacre des ouvriers succédant à celui des paysans, ◀l’▶incompétence brutale avouée périodiquement, ◀la▶ trahison des chefs dont pas un seul n’est mort sous ◀les▶ balles des « réactionnaires », car c’est entre eux qu’ils se sont tous assassinés depuis trente ans, ◀la▶ misère collective et ◀le▶ canon des chars dans ◀la▶ foule serrée chantant ◀la▶ liberté.
Mais avant que ◀l’▶Histoire et ◀la▶ colère des peuples ◀l’▶ait balayé ◀de▶ ◀la▶ planète, ◀le▶ communisme russe peut encore écraser d’autres capitales ◀de▶ ◀l’▶Europe, massacrer d’autres foules révoltées, et liquider d’autres élites sans armes. Nous devons à ◀la▶ passion ◀de▶ Budapest martyre une réparation sans merci, vigilante, obstinée, sans éclat, comme il convient à ◀la▶ repentance active.
Nous devons tout d’abord faire ◀l’▶Europe, pour qu’il y ait à ◀l’▶appel ◀de▶ tous nos frères de l’Est une réponse qui ne dépende plus des élections locales ◀d’▶un peuple ◀d’▶outre-mer, mais ◀de▶ nos seules consciences, advienne que pourra.
Nous devons mettre ◀le▶ communisme au ban ◀de▶ ◀l’▶humanité civilisée. Et cela signifie pratiquement : rompre toutes relations, diplomatiques ou autres, avec ◀la▶ Russie soviétique, ses clients et ses partisans.
Je crois avoir été le premier à proposer, ici, ◀la▶ reprise du dialogue culturel avec ◀les▶ Soviétiques délivrés ◀de▶ Staline. Des rencontres privées ont suivi mon appel. ◀Les▶ Russes s’y sont montrés lourds et stupides, ◀les▶ marxistes parisiens ridicules. Mettons fin à cette comédie. Nous savons désormais que ◀les▶ Russes, dès qu’ils ◀le▶ peuvent, utilisent ◀les▶ négociations pour arrêter et tuer ceux qui viennent négocier.
◀Le▶ communiste actuel, plus encore que ◀le▶ fasciste, est un malade mental, ou, s’il est sain ◀d’▶esprit, c’est un criminel en puissance : c’est un homme qui approuve, excuse et justifie, ◀les▶ massacres ◀de▶ Budapest ; qui trouve cela moins grave que ◀d’▶arrêter Nasser, s’il prétend écraser Israël. On ne peut pas discuter avec ça.
J’écris, et ◀les▶ Hongrois tombent sous ◀les▶ balles des Russes. Je n’écris pas pour mettre ma conscience à ◀l’▶aise. Je veux certes ◀la▶ mettre à ◀l’▶aise, et tout homme doit ◀le▶ vouloir avant tout, mais ce n’est pas un article qui pourrait y suffire, il faut agir. Je parlais ◀d’▶une action vigilante, obstinée. Nous vivons en démocratie, qui veut dire souveraineté du peuple. Or ◀le▶ peuple, c’est vous et moi. Profitant du silence ignominieux qui succède aux flagrants délits, exigeons ◀de▶ nos gouvernements une rupture immédiate avec Moscou. Exigeons ◀la▶ dissolution des partis communistes ◀d’▶Occident, complices du crime ◀le▶ plus atroce ◀de▶ toute ◀l’▶Histoire. Refusons ces ballets, ces équipes ◀de▶ football, ces délégations policières, ces « gardiens ◀de▶ ◀la▶ paix » aux mains rouges : Budapest nous ◀le▶ crie ◀de▶ tout son sang versé. Et jurons ◀de▶ refuser, dorénavant, ◀de▶ saluer du nom ◀d’▶homme un communiste quelconque, qui n’aurait pas d’abord abjuré publiquement ◀la▶ cause du crime qu’il a servie.
Et jurons en même temps ◀de▶ faire ◀l’▶Europe. Cette Europe qui aurait pu, en s’unissant plus tôt, cette Europe qui pouvait, en rassemblant ses forces à ◀l’▶appel angoissé ◀de▶ ◀la▶ liberté, éviter ◀la▶ honte éternelle qui accable désormais toute cette génération — ◀la▶ Hongrie massacrée sous les yeux de ◀l’▶Occident, hurlant : ◀l’▶Europe à ◀l’▶aide ! et mourant sans réponse.