Le▶ Centre européen de la culture : ce qu’il fait — ◀d’▶où il vient — où il va (février 1958)bn
Origines
Il y a dix ans exactement, au début ◀de▶ février 1948, à Genève, ◀le▶ Dr J. H. Retinger débarquait ◀de▶ ◀l’▶avion ◀de▶ Londres. Il venait proposer à ◀l’▶auteur ◀de▶ ces lignes ◀de▶ préparer ◀la▶ partie culturelle du premier Congrès ◀de▶ ◀l’▶Europe.
Trois mois plus tard, à La Haye, sous ◀la▶ présidence ◀de▶ Winston Churchill, ◀le▶ congrès proposait ◀la▶ création ◀d’▶un Centre européen de la culture, ayant pour tâches principales « ◀d’▶entretenir ◀le▶ sentiment ◀de▶ ◀la▶ communauté européenne par ◀le▶ moyen ◀d’▶informations et ◀d’▶initiatives, dans ◀le▶ domaine ◀de▶ ◀la▶ presse, du livre, du film et ◀de▶ ◀la▶ radio, mais aussi dans ◀les▶ établissements ◀d’▶enseignement scolaires, universitaires et populaires ; ◀d’▶offrir un lieu ◀de▶ rencontre aux représentants ◀de▶ ◀la▶ culture, afin qu’ils puissent exprimer un point de vue proprement européen sur ◀les▶ grandes questions intéressant ◀la▶ vie du continent, par voie ◀d’▶appels à ◀l’▶opinion et aux gouvernements ; et ◀de▶ faciliter ◀la▶ coordination des recherches sur ◀la▶ condition ◀de▶ ◀l’▶homme européen au xxe siècle, en particulier dans ◀les▶ domaines ◀de▶ ◀la▶ pédagogie, ◀de▶ ◀la▶ psychologie, ◀de▶ ◀la▶ philosophie, ◀de▶ ◀la▶ sociologie et du droit ».
Pour réaliser ce programme, nous disposions ◀de▶ ◀la▶ sympathie sincère ◀de▶ quelques grands aînés, et parfois ◀de▶ leurs conseils. Ne manquaient en somme que ◀les▶ fonds, ◀le▶ siège, ◀les▶ hommes et ◀l’▶expérience. Il n’y avait pas ◀d’▶espoir ◀de▶ « trouver » ◀l’▶expérience, cette aventure étant sans précédent. Pour ◀le▶ reste, voici ◀l’▶histoire, réduite à sa chronologie sans commentaires.
Réalisations
1949. Au mois ◀de▶ février, avec ◀la▶ bénédiction ◀de▶ ◀la▶ section culturelle du Mouvement européen, D. de Rougemont et Raymond Silva ouvrent à Genève, dans une construction provisoire attenante au Palais Wilson, ◀le▶ Bureau ◀d’▶études pour un Centre européen de la culture. Aidés ◀de▶ deux sténodactylos, ils préparent ◀le▶ programme du Centre, et mettent sur pied ◀la▶ Conférence européenne ◀de▶ ◀la▶ culture.
Patronnée par ◀le▶ Mouvement européen, financée par ◀la▶ ville ◀de▶ Lausanne et par des dons privés recueillis en Suisse, ◀la▶ conférence a lieu du 8 au 12 décembre dans ◀le▶ palais du Tribunal fédéral, à Lausanne. Elle groupe 220 délégués ◀de▶ 22 pays, invités par ◀les▶ comités nationaux du Mouvement européen. Salvador de Madariaga ◀la▶ préside, et ses trois commissions sont dirigées par ◀le▶ recteur ◀de▶ ◀la▶ Sorbonne, Jean Sarrailh, ◀l’▶ancien ministre anglais ◀de▶ ◀l’▶Éducation Kenneth Lindsay, et ◀l’▶ancien ministre belge Julius Hoste. Au terme des travaux, quatre résolutions maîtresses sont adoptées : création du Centre européen de la culture, du Collège ◀de▶ ◀l’▶Europe, mise à ◀l’▶étude ◀d’▶un Institut européen ◀de▶ recherches nucléaires, et coordination par ◀le▶ CEC des organismes ◀d’▶éducation populaire. Tout cela existe aujourd’hui34.
1950. ◀Le▶ Centre européen de la culture est inauguré à Genève ◀le▶ 7 octobre par M. Salvador de Madariaga, président du conseil ◀de▶ direction.
◀Les▶ 10 et 11 décembre a lieu la première réunion ◀de▶ ◀la▶ Commission des historiens, dirigée par M. Walter Tritsch.
◀La▶ Commission ◀de▶ coordination scientifique, animée par Raoul Dautry, se réunit ◀le▶ 12 décembre et propose ◀le▶ plan, ◀le▶ lieu, ◀la▶ procédure et ◀les▶ modes ◀de▶ réalisation ◀d’▶un Laboratoire européen ◀de▶ recherches nucléaires, conformément à ◀la▶ résolution n° III ◀de▶ ◀la▶ conférence ◀de▶ Lausanne (aboutissement : ◀le▶ CERN, inauguré à Genève en 1955).
1951. Première réunion pour ◀l’▶étude des problèmes européens du Cinéma. — Première réunion des directeurs ◀de▶ dix guildes du livre et book-clubs et projet ◀de▶ « Prix littéraire européen ». — Création (à Bruges) ◀de▶ ◀l’▶Association des instituts ◀d’▶études européennes (AIEE), à la suite de plusieurs réunions convoquées par ◀le▶ CEC dès 1949. — Création des Europa Features, Service ◀d’▶articles ◀de▶ revues. — Création ◀de▶ ◀l’▶Association européenne des festivals ◀de▶ musique.
1952. Rédaction ◀de▶ 25 plans ◀de▶ causeries, qui seront publiés par ◀la▶ Campagne européenne ◀de▶ ◀la▶ jeunesse en sept langues. — Trois réunions en vue de ◀la▶ constitution ◀d’▶un secrétariat européen des Foyers ◀de▶ culture. — Création des Agences ◀de▶ presse européennes associées (APEA). — Publication régulière ◀d’▶un Bulletin du CEC.
1953. Création du Groupe des Vingt pour ◀l’▶étude du projet ◀de▶ Constitution européenne. — Publication du Courrier fédéral, organe du Groupe des Vingt. — Création ◀de▶ ◀la▶ Communauté européenne des guildes du livre. — Premier Prix européen ◀de▶ littérature. — Création du Bureau européen ◀de▶ ◀l’▶éducation populaire et première réunion ◀de▶ son exécutif. — Première réunion du Club européen, en vue de ◀la▶ création ◀d’▶une Fondation européenne.
1954. Transfert du siège du CEC à ◀la▶ Villa Moynier. — Création ◀de▶ ◀la▶ Commission ◀de▶ pédagogie sportive. — Conférence internationale ◀de▶ compositeurs, critiques et interprètes musicaux à Rome (5-16 avril). — Signature des statuts et ouverture ◀de▶ ◀la▶ Fondation européenne ◀de▶ ◀la▶ culture.
1955. Création ◀de▶ « Liens avec ◀l’▶Europe », pour ◀les▶ émigrés européens outre-mer. — Premières démarches en vue de ◀l’▶établissement ◀de▶ Dialogues interculturels. — Numéro spécial sur ◀les▶ Échanges culturels Europe-URSS . — Charte et brevet européen du sportif. — Premier séminaire ◀d’▶économistes.
1956. Conférence européenne ◀de▶ pédagogie sportive. — Congrès ◀d’▶enseignants européens à Bremen. — Réunions du Comité des éducateurs et début des expériences-pilotes ◀d’▶éducation européenne. — Création des Actualités européennes, diffusées en trois langues à 1200 journaux. — Première réunion du Pool européen ◀d’▶éditeurs.
1957. Réorganisation des conseils, fondus en un seul conseil ◀de▶ direction, avec deux commissions (finances et activités), et ◀de▶ ◀la▶ direction. — Départ ◀de▶ ◀la▶ Fondation européenne. — Premier Séminaire automation-loisirs. — Création du Service ◀de▶ conférences. — Premier Annuaire des instituts ◀d’▶études européennes. — Commission mixte pour ◀la▶ création ◀d’▶un Institut technologique européen. — Ouverture ◀d’▶un service ◀de▶ Documentation et publication ◀de▶ deux brochures sur ◀le▶ Marché commun. — Mise en train de films documentaires sur ◀l’▶Europe.
Regard en arrière
Nous étions partis ◀de▶ ◀l’▶idée ◀d’▶un centre ◀de▶ rencontres personnelles, et presque ◀de▶ méditation, où ◀les▶ problèmes ◀de▶ ◀l’▶homme européen seraient débattus par ◀les▶ plus hautes compétences, en vue de définir ◀de▶ larges directives dont d’autres organismes pourraient s’inspirer. Ce beau rêve ◀d’▶une Académie platonicienne — que tant d’autres ont fait depuis lors — ne sera jamais abandonné. Mais dès nos premiers pas dans ◀le▶ concret ◀de▶ ◀l’▶Europe, nous avons dû reconnaître que certaines tâches urgentes ne seraient pas entreprises ailleurs si ◀le▶ Centre lui-même, à ses risques et périls, ne tentait ◀de▶ ◀les▶ assumer. Ce qui pouvait être réalisé sans plus attendre, avec ◀les▶ moyens disponibles, détermina bientôt notre action quotidienne. Action ◀de▶ coordination, ◀d’▶animation, ◀d’▶information et ◀d’▶enquêtes préalables.
Il y eut des années creuses et des périodes ◀de▶ crise. Les premiers donateurs se lassaient, ou s’en remettaient aux États, auxquels ◀l’▶Assemblée de Strasbourg, dès ◀l’▶été 1950, avait recommandé ◀de▶ soutenir ◀le▶ Centre. (Mais ◀la▶ seule République fédérale donna vraiment suite à ce vœu, d’autres se contentant ◀de▶ « gestes symboliques » jusqu’en 1956, où ◀la▶ France, puis ◀la▶ Suisse et Genève, commencèrent à fournir une part ◀de▶ nos recettes35.) ◀La▶ fortune publique et privée ne croyait pas bien fort à ◀l’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe, et moins encore à ◀l’▶efficacité ◀de▶ ◀l’▶action éducatrice et culturelle pour cette union. Or sans argent, peu de collaborateurs, beaucoup ◀d’▶efforts ingrats, et pas toujours assez ◀de▶ résultats matériellement mesurables…
◀Le▶ Centre a cependant lancé ◀de▶ nombreux projets, pour la plupart réalisés. Certes, toutes ses fusées ne sont pas parties du premier coup : mais on sait aujourd’hui que cela peut arriver dans ◀les▶ meilleures familles ◀de▶ ◀l’▶Occident. Certaines ◀de▶ ses initiatives incontestables lui ont échappé une fois réalisées, et gravitent aujourd’hui pour leur compte : c’était prévu dans la plupart des cas, et ce fut presque toujours heureux du point de vue largement européen auquel ◀le▶ CEC doit se placer.
Quant à ◀l’▶institution elle-même, qu’en est-il ? Une constatation ◀de▶ fait s’impose : au travers des années ◀les▶ plus ingrates pour ◀la▶ cause ◀de▶ ◀l’▶union et pour notre mission particulière, ◀le▶ Centre s’est maintenu, il a duré, il a mis au point des méthodes, créé des instruments ◀de▶ travail. Il est aujourd’hui ◀la▶ plus ancienne institution existante à ◀l’▶échelle européenne 36. Et si ◀l’▶on compare ses activités passées et présentes avec celles qu’avaient prévues ◀le▶ congrès ◀de▶ La Haye puis ◀la▶ conférence ◀de▶ Lausanne, on sera frappé par ◀la▶ conformité des buts et des réalisations, si incomplètes que soient encore plusieurs d’entre elles, mais ◀la▶ séance continue.
Regard sur ◀l’▶avenir
Cependant, ◀la▶ situation générale en Europe se trouve notoirement modifiée par ◀l’▶ouverture du Marché commun des Six. Certes, ◀le▶ Marché commun n’est qu’un ensemble ◀de▶ mesures économiques. Et certes, il ne concerne que six pays, alors que ◀le▶ CEC tient à garder pour champ ◀d’▶action ◀la▶ Grande Europe, celle qui doit un jour regrouper tous nos peuples, ◀de▶ Gibraltar à ◀l’▶Oural si possible ! Mais ◀la▶ seule annonce ◀de▶ ◀la▶ mise en application du Marché commun a suffi pour alerter ◀l’▶opinion, et pour obliger ◀de▶ larges catégories nouvelles à s’intéresser ◀d’▶une manière très concrète au problème européen. Dès 1957, ◀le▶ CEC enregistre ◀les▶ effets ◀de▶ ce changement ◀d’▶attitude : ◀les▶ numéros spéciaux du bulletin sont demandés ◀de▶ partout, ◀les▶ propositions ◀d’▶activités nouvelles affluent, ◀la▶ nécessité ◀de▶ recherches coordonnées s’impose à beaucoup ◀d’▶esprits qu’elle laissait naguère sceptiques.
Comment ◀le▶ CEC envisage-t-il ◀de▶ faire face aux nouvelles possibilités ◀d’▶action qui se dessinent ? Il nous paraît que trois tâches principales devraient désormais requérir ◀la▶ priorité.
1. Regroupement des efforts. ◀La▶ multiplicité des initiatives « européennes » dans ◀le▶ domaine très vaste que ◀l’▶adjectif « culturel » peut servir à désigner (sinon à définir !), n’est pas un mal en soi, bien au contraire. Elle traduit ◀les▶ diversités réelles et organiques qui sont l’une des sources ◀de▶ ◀la▶ vitalité ◀de▶ notre culture. Il ne s’agit nullement ◀de▶ ◀les▶ uniformiser. Cependant, il est urgent ◀de▶ leur offrir ◀les▶ moyens pratiques ◀d’▶échanger leurs expériences, ◀d’▶éviter ◀les▶ fameux doubles emplois (sans cesse renaissants) et ◀de▶ mettre en pool celles ◀de▶ leurs activités et ◀de▶ leurs ressources — mais celles-là seules ! — qui bénéficieraient ◀d’▶une intégration plus poussée. À ◀l’▶heure où ◀les▶ institutions économiques et politiques ◀de▶ ◀l’▶Europe naissante proclament leur volonté ◀de▶ concentrer autant que possible leurs services et leurs assemblées, un effort parallèle doit être entrepris dans ◀le▶ domaine ◀de▶ ◀la▶ culture. ◀La▶ vocation du Centre, à Genève, se trouve ici clairement inscrite dans ◀les▶ faits.
2. Recherches à ◀l’▶échelle européenne. ◀L’▶Europe n’est pas seulement ◀le▶ Musée du Monde, elle doit en rester ◀le▶ Laboratoire, tant pour ◀les▶ sciences (économie incluse) que pour ◀les▶ idées politiques, sociales, morales et philosophiques. Elle ◀le▶ doit pour ◀le▶ reste du Monde comme pour elle-même. Car une fédération ◀de▶ peuples embarqués pour un même destin, qui négligerait encore ◀la▶ recherche ◀d’▶avant-garde et ◀l’▶éducation générale, se verrait rapidement liquidée dans ◀la▶ compétition impitoyable désormais instaurée à ◀l’▶échelle planétaire. Une aide puissante et cohérente doit être apportée sans retard à ◀la▶ recherche spécifiquement européenne. Puissante par ◀les▶ capitaux réunis : au regard de ◀l’▶aide qu’apportent à ◀la▶ culture, aux recherches et à ◀l’▶éducation ◀les▶ USA et ◀l’▶URSS, nous sommes ridiculement sous-développés ! Mais il est clair que ◀les▶ États, ◀les▶ organisations européennes officielles et ◀le▶ secteur privé ne pourront fournir ◀l’▶aide requise que s’ils disposent ◀d’▶une information sérieuse sur ◀la▶ conjoncture culturelle, par quoi j’entends ◀l’▶état des besoins existants, des recherches en cours ou à entreprendre, des instituts et des savants disponibles et compétents. C’est dire que ◀le▶ moment est venu de former un Conseil des recherches européennes, reprenant ◀d’▶une manière systématique l’une des grandes idées qui avaient présidé à ◀la▶ création du CEC et qu’il doit s’attacher maintenant à promouvoir.
3. Relations culturelles extérieures. Minorisée aux Nations unies, maintenue sous ◀la▶ pression constante ◀d’▶idéologies nées ◀de▶ ses œuvres mais qui lui opposent désormais un visage méconnaissable et parfois hostile, ◀l’▶Europe reste sans voix pour définir ses idéaux et affirmer sa vocation dans ◀le▶ monde actuel. Il y a plus. ◀Les▶ difficultés immenses qui naissent du contact inévitable entre notre culture libérale et technique et ◀les▶ cultures traditionnelles ◀de▶ ◀l’▶Asie, ◀de▶ ◀l’▶Afrique et du Moyen-Orient appellent des études et des solutions qu’aucun ◀de▶ nos États ne peut élaborer et encore moins faire accepter à lui tout seul. ◀Les▶ difficultés sont ◀d’▶ordre culturel bien avant ◀d’▶être politiques. C’est ici ◀la▶ nécessité ◀de▶ Relations culturelles européennes qui se fait jour.
◀Le▶ besoin ◀d’▶une coordination entre nos forces culturelles, et ◀le▶ besoin ◀de▶ représentation commune ◀de▶ ces forces vis-à-vis du reste du monde nous appellent et nous poussent dans ◀le▶ même sens. Rien de plus efficace pour unir nos élites que ◀la▶ confrontation ◀de▶ leurs diversités avec d’autres cultures ou civilisations : vue ◀de▶ ◀l’▶extérieur, ◀l’▶Europe forme un tout évident. En retour, nos différentes nations ne pourront engager ◀le▶ dialogue nécessaire avec ◀les▶ autres traditions ◀de▶ culture, que si elles se présentent au nom de ◀l’▶Europe entière, sûre ◀de▶ sa vocation, donc ouverte à ◀l’▶avenir.
Telles sont ◀les▶ perspectives immédiates et prochaines qui s’ouvrent à ◀l’▶action du CEC, parce qu’il a su durer et préparer des voies pour ◀le▶ temps, désormais venu, où ◀la▶ situation générale permettrait de plus amples entreprises. Et c’est bien dans cette vue qu’il convient, croyons-nous, ◀d’▶apprécier ce qu’il a fait, ce qu’il est aujourd’hui, et ce qu’il pourra faire demain.