La▶ méthode culturelle, ou ◀l’▶Europe par ◀l’▶éducation des Européens (mai 1958)bs
E = mc2
◀L’▶Europe physique tient peu de place sur notre globe : 4 % des terres et un septième (diminuant) ◀de▶ ◀la▶ population mondiale. Si ce petit cap a dominé ◀la▶ Terre pendant des siècles, s’il en demeure ◀le▶ Musée et ◀le▶ Laboratoire, il ◀le▶ doit à ce quelque chose que ◀l’▶esprit ◀de▶ ses habitants a pu surimposer à ses données physiques pour en tirer une énergie insoupçonnée.
◀L’▶Europe est donc une énergie, que nous désignerons par E, et qui est égale au produit ◀de▶ sa masse (étendue, matières premières, population, etc. soit m), par une culture dont ◀les▶ effets induits se multiplient en progression géométrique et que nous symboliserons par c2 . Nous retrouvons ici une équation célèbre : E = mc2, que nous prendrons ◀la▶ liberté ◀de▶ lire comme suit :
Ayant en vue ◀l’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe, condition ◀de▶ son rayonnement énergétique sur ◀la▶ Planète, quelques dizaines ◀d’▶intellectuels ◀de▶ diverses régions du continent ont entrepris, dès ◀le▶ lendemain ◀de▶ la dernière guerre, ◀de▶ rallier à ◀la▶ cause européenne ◀les▶ forces vives ◀de▶ ◀la▶ culture, et cela non point par des appels à quelque engagement politique, mais en leur proposant des tâches concrètes à résoudre en commun dans leur domaine, au-delà des impasses nationales, c’est-à-dire à ◀l’▶échelle ◀de▶ ◀l’▶Europe.
Depuis bientôt dix ans que nous ◀la▶ pratiquons, nous ne dirons pas que cette méthode a fait ses preuves, car il faut une génération pour vérifier ◀les▶ résultats ◀d’▶une entreprise ◀de▶ cette nature ; mais nous voyons du moins sur quelles thèses elle se règle, vérifiées par ◀l’▶usage et toujours plus conscientes. J’en dirai trois :
1. On ne peut pas faire ◀l’▶Europe sans des Européens conscients ◀de▶ ◀l’▶être : il s’agit donc ◀de▶ ◀les▶ former, et d’abord ◀de▶ ◀les▶ informer.
2. On ne peut pas faire ◀l’▶Europe sans ◀l’▶aide ◀de▶ sa culture, ce serait vouloir ◀la▶ faire sans ce qui ◀la▶ définit : il s’agit donc ◀de▶ rendre à ◀la▶ culture sa fonction créatrice dans notre société, et ◀de▶ ◀la▶ libérer tout d’abord des entraves du nationalisme.
3. ◀Les▶ principaux obstacles à ◀l’▶Union ◀de▶ ◀l’▶Europe ne sont pas dans ◀les▶ « faits » mais bien dans ◀les▶ esprits : c’est donc là qu’il s’agit ◀de▶ ◀les▶ surmonter d’abord.
Former des Européens
Pour former un totalitaire bien convaincu (communiste ou fasciste, il n’importe, c’est souvent ◀le▶ même « cas » psychologique), il peut suffire ◀d’▶un traumatisme provoquant ◀l’▶adhésion à ◀la▶ violence et ◀le▶ refus du sens critique, au profit ◀d’▶une doctrine ou discipline libératrice du moi douteur. Pour former un Européen, il n’est pas ◀de▶ recette aussi simple. Car un Européen est par définition à la fois libre et responsable, doué ◀de▶ sens critique et ◀de▶ sens communautaire, et donc jamais conforme à un type collectif, puisqu’il tient avant tout, en tant qu’Européen, à sa différence personnelle : et c’est en cela seulement que nous nous ressemblons tous.
Gardons-nous au surplus ◀de▶ nous laisser entraîner par des images trop facilement liées au verbe « former ». ◀Les▶ hommes sont là, avec leurs caractères, coriaces ou mous. Pas question ◀de▶ pétrir une glaise indifférente. On ne coule pas un homme dans un moule. ◀Le▶ vrai problème ◀d’▶une formation européenne se ramène en fait au problème ◀de▶ détecter des vocations, des compétences ou des promesses humaines, et ◀de▶ leur offrir un champ ◀d’▶action européen.
D’une part donc, s’adresser d’abord aux compétences, à des hommes éminents dans leur branche, et qui, par suite, auront compris que ◀les▶ solutions aux problèmes qu’ils se posent impliquent un cadre supranational : ce ne peut être utilement que celui ◀de▶ ◀l’▶Europe, communauté ◀de▶ culture et ◀de▶ signification. Parfois aussi, ◀le▶ cadre optimum se trouve être local ou régional, mais il ne coïncide pas davantage avec ◀les▶ limites ◀d’▶un État, découpage souvent hasardeux qui prétend faire coïncider en dépit de toute évidence ◀la▶ langue et ◀l’▶économie, ◀les▶ « frontières naturelles » et ◀la▶ nature du sous-sol, ◀la▶ culture et ◀l’▶allégeance politique, à ◀l’▶intérieur ◀d’▶un même cordon douanier. (◀D’▶où ◀le▶ bassin Ruhr-Lorraine coupé par ◀le▶ milieu, sous prétexte qu’à ◀la▶ surface, on parle français ◀d’▶un côté, allemand ◀de▶ l’autre.) Ensuite il faut offrir à ces hommes compétents ◀l’▶occasion ◀de▶ travailler ensemble en tenant compte des problèmes concrets, non des passeports. Historiens, physiciens, biologistes, économistes et sociologues, compositeurs et directeurs ◀de▶ festivals, instituteurs et universitaires, éditeurs, ingénieurs, médecins, juristes : ◀les▶ questions qui peuvent ◀les▶ grouper et qui appellent un effort commun ne sont pas nationales mais humaines, et ne prennent leur plein sens qu’à ◀l’▶échelle ◀de▶ ◀l’▶Europe, unité ◀de▶ civilisation. ◀D’▶où ◀le▶ succès, typique du xxe siècle, des pools, associations, communautés ◀de▶ travail, tables rondes, séminaires ◀d’▶études, etc., au cours desquels, si ◀l’▶expérience est bien menée, ◀les▶ moins « idéologues » sont amenés à se conduire en fédéralistes pratiques, non point par choix sentimental ou doctrinal, mais par conscience professionnelle.
D’autre part, s’adresser aux jeunes. Il s’agit ◀de▶ leur ouvrir un champ ◀d’▶action où ◀le▶ désir ◀d’▶assumer des tâches ◀de▶ responsables trouve des chances nouvelles ◀de▶ se satisfaire. Il faut donc leur rappeler — ils ◀le▶ voient bien d’ailleurs — que nos États-nations sont trop petits et trop grands à la fois, étant inefficaces au plan mondial et nuisibles au plan local, là où ◀le▶ jeune homme peut commencer ◀d’▶agir ; et que ◀l’▶Europe seule, si toutefois elle s’unit, offrirait un domaine à ◀la▶ mesure du siècle et des ambitions raisonnables ◀d’▶un homme qui veut créer, diriger et servir. Éducation des responsables ◀de▶ demain, ◀la▶ minorité qui comptera. ◀L’▶avenir ◀de▶ ◀l’▶Europe dépend essentiellement des possibilités ◀de▶ promotion que ◀la▶ fédération saura ménager, ◀de▶ ◀l’▶attention spéciale qu’elle portera aux meilleurs, des hiérarchies vivantes qu’elle se donnera. Seuls jusqu’ici, ◀les▶ communistes ont pris ce problème au sérieux, avec ◀le▶ succès que ◀l’▶on sait.
Dans ◀les▶ deux cas — coopération ◀de▶ compétences éprouvées et promotion ◀de▶ nouveaux responsables — on pourra constater que ◀les▶ exigences techniques et ◀les▶ perspectives ◀de▶ développement intellectuel ou moral rejoignent tout naturellement ◀l’▶impératif européen. Encore faudra-t-il que ◀les▶ initiateurs ◀de▶ rencontres et ◀les▶ animateurs ◀d’▶entreprises éducatives dégagent et formulent cette constatation au terme des travaux, donnant ainsi aux résultats acquis leur vraie valeur éducative : celle ◀d’▶une prise de conscience.
◀L’▶information européenne
Mais toute éducation comporte une instruction, outre ◀la▶ formation du caractère et du jugement, et c’est ici ◀l’▶information européenne qui en tiendra lieu.
Bien entendu, il s’agit ◀d’▶autre chose que ◀de▶ multiplier ◀les▶ comptes rendus ◀de▶ congrès et ◀les▶ communiqués sur ◀la▶ vie des organisations européennes, ceci restant ◀l’▶affaire des public relations ◀de▶ chaque organisme. ◀L’▶information dont nous voulons parler n’est pas une activité au jour ◀le▶ jour, suivant pas à pas ◀l’▶événement, mais au contraire : elle se propose ◀de▶ préparer ◀le▶ terrain, ◀d’▶éclairer ◀les▶ réalités qui comptent vraiment, et ◀de▶ situer ◀l’▶Europe et ses problèmes dans ◀le▶ grand jeu mondial des forces ◀de▶ ◀l’▶époque, de manière à faire voir dans ◀les▶ faits ◀la▶ nécessité ◀de▶ notre union.
Rien de plus vain que ◀de▶ répéter : « Unissons-nous ! Unissons-nous ! » — tant que nos contemporains n’auront pas vu pourquoi. (Nos mouvements ◀de▶ militants ◀l’▶ont parfois oublié dans leurs discours et leurs appels.) ◀L’▶information européenne doit avoir pour objectif général ◀d’▶instruire ◀l’▶opinion en lui fournissant ◀les▶ pièces principales du dossier européen ; et pour méthode, ◀de▶ constater et ◀de▶ rappeler ◀les▶ réalités ◀les▶ plus significatives du temps. Au lieu d’objurgations éloquentes, ◀d’▶appels au sacrifice ou ◀de▶ prophéties menaçantes, des faits, des chiffres commentés, des mises au point objectives et bien documentées. Ce qu’il faut absolument faire voir au plus grand nombre possible ◀d’▶Européens, mais d’abord à ceux qui détiennent une responsabilité quelconque à n’importe quel niveau ◀de▶ notre société, c’est que ◀la▶ nécessité ◀d’▶unir ◀l’▶Europe n’est pas simple affaire ◀d’▶opinion — favorable ou non — et n’est pas justiciable ◀de▶ nos préjugés, ◀de▶ nos complexes ou ◀de▶ nos goûts, mais qu’elle se trouve dictée par ◀la▶ conjoncture mondiale et par toute ◀l’▶évolution moderne avec une rigueur inflexible, sans qu’elle soit pour autant fatale. Si nous voulons survivre, il faut ◀l’▶union ; mais cette union ne se fera pas ◀d’▶elle-même ou par ◀l’▶opération ◀de▶ mystérieux technocrates : nous ◀la▶ voudrons pour ◀le▶ salut ◀de▶ nos libertés, ou d’autres ◀l’▶imposeront à nos dépens et au prix de notre indépendance.
Ceci posé, ◀les▶ principaux groupes ◀de▶ faits qu’une information européenne méthodique se doit ◀de▶ rappeler constamment à ◀l’▶opinion (et d’abord à ceux qui ◀la▶ font !) nous paraissent être ◀les▶ suivants :
— ◀Le▶ renversement ◀de▶ ◀la▶ conjoncture mondiale. ◀L’▶Europe reine du monde avant 1914, mais perdant cette royauté à la suite de deux guerres provoquées par ses propres nationalismes.
— ◀Le▶ nationalisme s’opposant à notre union, mais provoquant des unions étrangères contre nous (exemples ◀de▶ ◀la▶ République arabe et ◀de▶ Bandung).
— ◀L’▶Europe mise au défi dans son ensemble par ◀les▶ grands empires et ◀les▶ grandes unions qui se sont dressés de toutes parts depuis 1945 ; mais se montrant incapable ◀de▶ relever ◀le▶ défi à cause de sa division en petits États soi-disant « souverains » (exemple ◀de▶ ◀la▶ crise ◀de▶ Suez).
— ◀L’▶Europe, foyer vivant ◀d’▶une civilisation dont ◀les▶ produits, mais non pas ◀les▶ valeurs, sont répandus sur toute ◀la▶ Terre, imités et copiés par tous ◀les▶ peuples. Or ces produits sans ◀les▶ valeurs qui ◀les▶ ont rendus possibles et qui en règlent ou modèrent ◀l’▶usage, d’une part sont retournés contre ◀l’▶Europe, d’autre part menacent ◀de▶ dévaster ◀les▶ cultures différentes, plus ou moins archaïques, qui ◀les▶ adoptent.
— ◀Le▶ déficit énergétique ◀de▶ ◀l’▶Europe, et ◀la▶ dépendance qui en résulte (Moyen-Orient, Afrique du Nord et Amériques).
— ◀La▶ colonisation par ◀l’▶URSS ◀d’▶un quart ◀de▶ ◀la▶ population européenne à ◀l’▶Est, qui dans sa grande majorité souhaite sa libération, c’est-à-dire son retour à ◀l’▶Occident moderne (et non pas à ◀la▶ féodalité).
— ◀La▶ réalité et ◀les▶ mythes du communisme soviétique, version brutalement simplifiée ◀de▶ certaines valeurs et procédés ◀de▶ ◀l’▶Occident, à ◀l’▶usage des peuples techniquement arriérés.
— ◀Les▶ possibilités démographiques, techniques, intellectuelles et sociales ◀de▶ ◀l’▶Europe, si elle s’unit. (Un seul exemple : ◀le▶ fait que nous sommes 340 millions à ◀l’▶ouest du rideau ◀de▶ fer, soit deux fois ◀la▶ population des USA et une fois et demi celle ◀de▶ ◀l’▶URSS, quand on ◀le▶ rappelle, suffit à redresser des perspectives complètement faussées par nos complexes psychologiques et par certaines propagandes politiques.)
— ◀La▶ communauté ◀d’▶origines et ◀de▶ buts qui définit ◀la▶ culture, ◀la▶ civilisation et ◀le▶ mode de vie des Européens quelle que soit leur nation présente, par contraste avec ◀les▶ modes de vie, ◀de▶ pensée et ◀de▶ gouvernement des autres groupes culturels subsistants ou naissants dans ◀le▶ reste du monde.
Moyens actuels et moyens à créer
Pour appliquer ◀la▶ méthode dont nous venons de décrire ◀les▶ principes et ◀les▶ buts, ◀de▶ quels moyens dispose-t-on aujourd’hui, en Europe ?
◀Les▶ lecteurs ◀de▶ ce bulletin connaissent ◀l’▶effort du CEC, avec ses séminaires ◀de▶ recherches, ses associations professionnelles, ses expériences-pilotes ◀d’▶éducation européenne, ses publications, plans ◀de▶ causeries et brochures, ses services ◀d’▶articles, ◀de▶ documentation et ◀de▶ conférences. On connaît également ◀les▶ créations provoquées par ◀le▶ CEC dans ◀le▶ domaine ◀de▶ ◀la▶ coopération des savants, des ingénieurs, des musiciens et des mécènes ◀de▶ ◀la▶ culture.
Mais ◀le▶ CEC n’est pas seul à travailler dans cet immense domaine. Une vingtaine ◀d’▶instituts ◀d’▶enseignement universitaire, ou ◀de▶ recherches et ◀de▶ documentation, se consacrent au problème européen dans huit ◀de▶ nos pays (leur liaison étant assurée par ◀le▶ secrétariat ◀de▶ ◀l’▶AIEE au Centre). Deux grandes associations européennes ◀d’▶enseignants sont à ◀l’▶œuvre, l’une groupant ◀les▶ maîtres secondaires et primaires, l’autre des professeurs ◀d’▶université. ◀La▶ Journée européenne des Écoles propose chaque année des sujets ◀de▶ rédaction sur ◀l’▶Europe à plusieurs centaines ◀de▶ milliers ◀d’▶élèves ◀de▶ six pays. ◀La▶ tâche si importante ◀de▶ réviser ◀les▶ manuels ◀d’▶histoire a été assumée par plusieurs sociétés nationales ◀de▶ professeurs, sous ◀l’▶impulsion ◀de▶ ◀l’▶Internationales Schulbuchinstitut, dont ◀le▶ siège est à Brunswick. Cependant que ◀les▶ comités culturels et ◀les▶ départements ◀de▶ ◀l’▶information du Conseil de l’Europe et ◀de▶ ◀la▶ CECA organisent sur des thèmes européens expositions, journées du cinéma, tables rondes et groupes ◀d’▶études, et distribuent chaque année une trentaine ◀de▶ bourses ◀de▶ recherches. ◀La▶ bibliographie des ouvrages sur ◀l’▶Europe (livres, thèses, brochures, numéros spéciaux ◀de▶ revues) s’allonge chaque année ◀d’▶une centaine ◀de▶ titres. Et des projets ◀de▶ coopération professionnelle au niveau européen et pour ◀l’▶Europe se dessinent chez ◀les▶ ingénieurs, chez ◀les▶ juristes, chez ◀les▶ médecins et ◀les▶ pharmaciens…
À mesure que s’élargit ◀la▶ base ◀de▶ ces initiatives culturelles (au sens ◀le▶ plus large du mot) ◀le▶ besoin ◀de▶ coordination des efforts et des politiques suivies dans tel domaine particulier devient toujours plus évident. ◀L’▶idée ◀de▶ constituer un Conseil européen ◀de▶ ◀la▶ Recherche, que nous avons émise ici même et dans d’autres revues dès ◀le▶ début ◀de▶ cette année, semble être dans ◀l’▶air. Un tel Conseil serait ◀le▶ couronnement ◀de▶ ◀la▶ méthode que nous exposons — et pratiquons.
Allons-nous perdre nos meilleurs atouts ?
S’il est vrai que ◀les▶ victoires anglaises ont été gagnées sur ◀les▶ pelouses ◀d’▶Eton, il n’est pas moins certain que ◀la▶ bataille ◀de▶ ◀la▶ CED a été perdue dans ◀les▶ manuels ◀d’▶histoire nationalistes. Répétons-◀le▶ : ◀les▶ principaux obstacles à ◀l’▶union nécessaire sont dans ◀les▶ esprits (non ◀les▶ faits) et c’est là qu’il faut ◀les▶ combattre en premier lieu. En revanche, ◀les▶ meilleurs atouts ◀de▶ ◀l’▶Europe sont ceux que lui crée sa culture. Mais il s’en faut ◀de▶ beaucoup que ◀les▶ détenteurs actuels des moyens matériels ◀de▶ puissance aient pris au sérieux ce grand fait. Il ne serait donc pas réaliste ◀d’▶exposer ◀la▶ méthode culturelle sans définir ◀la▶ nature des obstacles qu’elle rencontre, et parfois suscite, dans notre société occidentale.
Nous pensons que ◀les▶ vraies chances ◀de▶ ◀l’▶Europe sont dans ◀la▶ liberté, non dans ◀la▶ force des choses. Or ◀la▶ liberté relève ◀de▶ ◀l’▶esprit. ◀Les▶ chances ◀de▶ ◀l’▶Europe dépendent donc ◀de▶ ◀la▶ formation des esprits, c’est-à-dire ◀d’▶une éducation pour ◀la▶ liberté.
◀Le▶ matérialisme dialectique, ou diamat, doctrine officielle ◀de▶ ◀l’▶URSS, ◀de▶ ◀la▶ Chine, et ◀de▶ leurs satellites, règne sur un tiers au moins du genre humain ; elle prétend que ◀la▶ force des choses (et non ◀l’▶esprit) régit ◀les▶ affaires humaines. ◀Les▶ partisans eux-mêmes ◀de▶ cette doctrine montrent d’ailleurs qu’ils n’y croient pas absolument, puisqu’ils inculquent par ◀la▶ force ◀le▶ marxisme-léninisme à des peuples entiers. S’ils s’inclinaient devant ◀les▶ « faits matériels » — comme ◀les▶ salaires et ◀le▶ pouvoir ◀d’▶achat — ils devraient conseiller à ◀la▶ classe ouvrière et aux pays sous-développés ◀d’▶adopter dans leur propre intérêt ◀le▶ système capitaliste américain, et ◀de▶ rejeter ◀le▶ système soviétique. Mais ce même paradoxe, inversé, se reproduit dans ◀le▶ camp ◀de▶ ◀la▶ liberté, car ce sont en réalité nos matérialistes pratiques, en Occident, qui croient à ◀la▶ force des choses, dès lors qu’ils s’imaginent pouvoir combattre des idéologies avec des « faits », et ◀le▶ marxisme à coups ◀de▶ valeurs cotées en bourse. Ils professent un parfait mépris pour ◀la▶ pure théorie et ◀les▶ doctrines (toujours « fumeuses » à leurs yeux), par suite n’enseignent rien, n’ont pas un sou pour cela — et sont régulièrement battus dans ◀la▶ compétition mondiale du xxe siècle, puisqu’elle a pour enjeu principal ◀les▶ esprits.
Il en résulte que ◀l’▶éducation et ◀la▶ culture, forces principales ◀de▶ ◀l’▶Europe sont scandaleusement négligées dans nos budgets publics et privés38. ◀Les▶ États et ◀les▶ grands capitalistes ◀de▶ ◀l’▶Europe de l’Ouest, quand ils proclament à chaque discours leur volonté ◀de▶ défendre « ◀la▶ cause ◀de▶ ◀la▶ liberté » ne doivent pas être pris au sérieux, et ne ◀le▶ seront pas, tant qu’ils n’auront pas décidé ◀de▶ consacrer à ◀l’▶éducation ◀de▶ ◀la▶ liberté autant ◀d’▶efforts et ◀de▶ capitaux que ◀les▶ totalitaires en consacrent à enseigner ◀les▶ principes ◀de▶ ◀la▶ tyrannie. Ils tiennent ◀la▶ culture pour un luxe. Mais c’est elle qui a produit leurs richesses. Car ce ne sont pas eux, après tout, qui ont créé ◀les▶ moyens ◀de▶ ◀la▶ puissance ◀de▶ ◀l’▶Europe ; ce ne sont pas eux, par exemple, qui ont inventé ◀la▶ machine à calculer, ni même ◀la▶ brouette, c’est Pascal ; ou ◀la▶ turbine, c’est Léonard Euler ; ou ◀l’▶exploitation ◀de▶ ◀l’▶énergie atomique, c’est Niels Bohr, c’est Einstein, c’est ◀l’▶esprit des Européens, c’est leur culture tout entière. Mais on dirait que ◀la▶ culture paraît à certains si respectable qu’ils n’oseraient jamais ◀la▶ payer… ◀Les▶ Russes n’ont pas ces scrupules-là, ils font ce qu’il faut ; ils gagneront sans coup férir, si nous ne parvenons pas à persuader ◀le▶ capital privé et ◀les▶ États que ◀le▶ salut ◀de▶ ◀l’▶Europe (et ◀de▶ leurs propres affaires) exige une aide puissante et immédiate à ◀la▶ culture et à ◀l’▶éducation.
L’un des objectifs prochains ◀de▶ ◀la▶ méthode culturelle est donc ◀de▶ mobiliser ◀les▶ moyens matériels désormais requis pour ◀l’▶éducation européenne. Il s’agit, ◀d’▶une façon précise, ◀de▶ convaincre ◀les▶ détenteurs ◀de▶ ces moyens que leurs investissements dans ◀le▶ domaine culturel ne doivent plus être inscrits au chapitre des dons philanthropiques, mais à celui ◀de▶ ◀l’▶intérêt bien compris, ◀de▶ ◀la▶ défense de ◀l’▶Europe et ◀de▶ notre survie. Cette révolution dans ◀la▶ conscience bourgeoise est commencée. Maintenant il faut souffler sur ◀la▶ flamme qui couve. Nous n’avons plus beaucoup de temps.
Quant aux objectifs généraux auxquels ◀le▶ CEC et tant d’autres institutions se dévouent presque sans appuis mais avec ◀la▶ passion lucide ◀de▶ ceux qui luttent contre ◀la▶ montre, nous ◀les▶ résumerons comme suit : elle consiste à fomenter dans tous nos milieux sociaux et professionnels
— une conscience plus profonde ◀de▶ ◀la▶ communauté ◀d’▶origines et ◀de▶ buts qui définit ◀le▶ mode de vie européen ;
— une éducation ◀de▶ ◀la▶ liberté, créatrice et inspiratrice ◀de▶ ce mode de vie ;
— une vision claire et réaliste ◀de▶ ◀la▶ situation planétaire, des dangers que nous courons tous ensemble en Europe, mais aussi des promesses qu’implique ◀l’▶union future, — cette vision claire et réaliste contribuant à susciter des volontés qui trouveront ◀les▶ moyens requis, ou ◀les▶ créeront.