Hommage à Pasternak (31 octobre 1958)y
Qu’un écrivain de l’▶Ouest reçoive un prix Staline, nous pensons simplement que cet heureux lauréat doit être un communiste plutôt qu’un grand poète, grand romancier ou grand styliste, et nous passons. ◀La▶ radio cite et passe, ◀la▶ presse en fait autant, et nos sociétés d’écrivains ne se réveillent pas pour si peu : elles ne dépendent pas de ◀l’▶État.
Mais qu’un écrivain russe reçoive ◀le▶ prix Nobel, tout le monde sait aussitôt qu’il se passe quelque chose, qu’il s’agit d’un talent et d’un homme. Ses confrères communistes ◀le▶ savent aussi — et ◀le▶ font bien voir…
Hommage au prix Nobel. Et pitié pour ◀les▶ Russes. Et respect à Boris Pasternak.
S’il s’est vu contraint, après coup, de refuser ce prix, dont il eut ◀le▶ temps de dire à des journalistes étrangers : « C’est une immense joie, mais un peu solitaire ! » sachons qu’il s’agit moins de lâcheté, dans son cas, que de patriotisme au sens ancien du mot, d’attachement instinctif à sa terre infinie, à son peuple mystique, à ◀la▶ misère du siècle. Il n’a pas voulu rester seul.
Quelques-uns des plus grands ◀l’▶ont osé. Pascal et Kierkegaard devant leur Dieu. Nietzsche au seuil du délire mental, Dostoïevski devant ◀la▶ potence, au petit matin sibérien.
C’est devant une autre tragédie que ◀l’▶esprit s’arrête, dans ◀le▶ cas de Boris Pasternak. Son refus ◀le▶ juge moins qu’il ne juge un régime qui ôte à ◀l’▶homme ◀le▶ courage d’être lui-même, et ◀le rabat au mutisme sans espoir, seule communion possible encore avec son peuple.