Carlo Curcio, Europa, Storia di un’idea (septembre 1959)cc
1003 pages (« mille et tre » !) en 2 volumes, dont 280 pages de▶ notes en petits caractères groupées en fin ◀de▶ chapitres, et près de 2000 noms cités, certains, comme Montesquieu, Rousseau, Voltaire, jusqu’à 36 ou 40 fois ! Nous voici ◀les▶ témoins enchantés ◀d’▶une véritable orgie ◀d’▶européanisme ! Aussi savant que militant, aussi lucide que passionné, cet ouvrage monumental se lit sans un instant ◀d’▶ennui ou ◀de▶ fatigue. Il nous mène du mythe grec ◀de▶ ◀l’▶Europe jusqu’au drame ◀de▶ ◀la▶ lutte actuelle pour notre union, à travers 27 siècles ◀de▶ pensée où ◀le▶ sublime voisine avec ◀l’▶absurde, ◀le▶ pittoresque avec ◀le▶ raisonnable, mais dont se dégage finalement une idée générale ◀de▶ ◀l’▶Europe, patrie ◀d’▶élection des contrastes, et se distinguant par là même ◀de▶ toutes ◀les▶ autres civilisations. Effort unique, et pour longtemps insurpassable, qui mérite ◀d’▶être lu par tous ◀les▶ militants ◀de▶ ◀la▶ fédération européenne, mais aussi par ses adversaires ; que ◀l’▶on souhaite voir traduit bientôt dans toutes nos langues (comme il va ◀l’▶être prochainement en espagnol) ; et qu’une cohorte ◀de▶ chercheurs et ◀d’▶érudits pourrait certes amender sur plus ◀d’▶un point, mais non pas remplacer ni déclasser ◀de▶ sitôt. Car nous tenons, avec cet ouvrage, la première histoire complète ◀de▶ ◀l’▶idée européenne telle que ◀l’▶ont exprimée ◀d’▶Hésiode à Valéry et ◀d’▶Aristote à Heidegger, en passant par des centaines ◀de▶ génies inspirés et ◀de▶ moindres seigneurs parfois plus réalistes, ◀les▶ écrivains, savants, hommes politiques, historiens, philosophes et poètes ◀de▶ presque toutes nos langues.
On a reproché à cet ouvrage ◀de▶ suggérer ◀l’▶idée que ◀l’▶Europe serait née ◀d’▶une succession ◀d’▶écrits s’inspirant ◀les▶ uns des autres, plutôt que ◀de▶ prises ◀de▶ position « concrètes » face à ◀la▶ conjoncture historique et sociale ◀de▶ chaque époque. Cette critique apparaît injuste, si ◀l’▶on prend garde au titre et à ◀l’▶objet même ◀de▶ ◀l’▶œuvre, qui est ◀de▶ retracer ◀la▶ généalogie ◀de▶ ◀l’▶idée (ou ◀de▶ ◀la▶ conscience) européenne — dont ne peuvent témoigner indiscutablement que ◀les▶ écrits du passé, commentés en fonction des problèmes majeurs ◀de▶ leur temps. Curcio n’a pas voulu refaire, après tant d’autres, une histoire ◀de▶ ◀l’▶Europe dans ses réalités politiques ou économiques. Il entend seulement nous donner une histoire des prises ◀de▶ conscience successives et contradictoires ◀de▶ notre unité ◀de▶ culture, pendant trois millénaires.
Comparé à ◀l’▶ouvrage ◀de▶ Gollwitzer — dont il s’inspire expressément pour tout ce qui concerne ◀les▶ xviiie et xixe siècles allemands — ◀le▶ livre ◀de▶ Curcio apparaît parfois moins solide ou moins approfondi dans ◀l’▶exégèse ◀de▶ chaque auteur, mais il garde ◀le▶ mérite ◀d’▶être complet : pas un auteur valable ne me paraît avoir été négligé. Il comble, notamment, une lacune habituelle dans ◀les▶ ouvrages ◀de▶ ce genre en ce qui concerne ◀l’▶Italie — et ◀l’▶on pouvait s’y attendre, de la part d’un professeur napolitain, qui occupa des chaires à Pérouse et à Florence, et qui vit à Rome. Il nous offre, au surplus, des chapitres précieux, presque exhaustifs, sur ◀les▶ jugements que ◀les▶ Russes, ◀les▶ Américains et ◀les▶ Européens ont portés ◀les▶ uns sur ◀les▶ autres au cours des deux derniers siècles.
Certes, Curcio n’a pas tenté ◀de▶ nous imposer une interprétation systématique, à ◀la▶ Hegel, ◀de▶ ◀l’▶évolution ◀de▶ ◀l’▶Europe. Il se borne à décrire, à citer, à situer, et par là rendra d’autres services aux étudiants ◀de▶ ◀la▶ réalité européenne qu’un Spengler, un Toynbee, un Keyserling, voire un Ortega y Gasset. C’est un instrument ◀de▶ travail sans nul doute unique en son genre. Mais comme tel, on souhaiterait ◀de▶ ◀le▶ voir amélioré dans ses éditions subséquentes, sur deux points ◀de▶ méthode qui ont leur importance pratique.
◀Les▶ citations sont données en italien, comme il est naturel ; mais leurs références renvoient trop souvent à des traductions françaises ◀d’▶un auteur anglais, ou allemandes ◀d’▶un auteur hollandais, ou italiennes ◀d’▶un auteur allemand, etc., ◀de▶ telle sorte qu’il devient malaisé ◀de▶ se reporter à ◀l’▶original.
D’autre part, ◀l’▶index fourmille ◀de▶ fautes. ◀Les▶ noms slaves et allemands sont ◀le▶ plus souvent mal orthographiés (Leszezinski au lieu de Leczinski, F. Unruch au lieu de F. von Unruh, etc., etc.). Et quant aux noms français, on ne sait où ◀les▶ chercher, car ◀l’▶auteur cède à ◀la▶ curieuse habitude italienne ◀de▶ grouper sous D ◀les▶ noms à particule — mais pas tous — de sorte qu’on finira par trouver Comines entre Dickens et Diderot, cité comme « Di Commines F. », saint François d’Assise entre « ◀D’▶Argenson » et Dawson, Madame de Staël entre Descartes et Vogüé, tandis que Fontenelle et Fénelon figurent sous F, « Saint-Pierre B. » sous S, et « Tocqueville A. » sous T. Par bonheur, mais sans plus de logique, tous ◀les▶ « von » allemands (Metternich, Goethe, Leibniz, etc., etc.) ne sont pas groupés sous V, comme il arrive dans ◀les▶ index américains, mais répartis sous ◀les▶ initiales ◀de▶ leur nom ◀de▶ famille, comme il se doit.
Vétilles sans doute, mais gênantes dans un ouvrage ◀de▶ référence, précisément. Au reste, ◀l’▶œuvre ◀de▶ Curcio n’est pas que cela. Elle s’élève tout naturellement, dans ses conclusions, à ◀la▶ hauteur ◀d’▶un manifeste européen : « ◀Le▶ jour où il ne devrait plus y avoir qu’une définition unique et standard ◀de▶ ◀l’▶Europe, celle-ci mourrait. ◀L’▶idée ◀de▶ ◀l’▶Europe sauve ◀l’▶Europe… ◀L’▶Europe sera ce que nous voudrons qu’elle soit, c’est-à-dire à la fois une manière ◀d’▶y croire et une manière ◀de▶ ◀la▶ vouloir, notre vocation et notre conquête. »