Une fusée à trois étages : bref historique de▶ ◀la▶ Fondation (octobre 1960)z
◀L’▶idée ◀d’▶une Fondation européenne fut exposée pour la première fois par ◀le▶ directeur du Centre européen de la culture, lors ◀d’▶une réunion qui se tint dans ◀la▶ chambre même où était né Louis XIV, au Pavillon Henri IV, à Saint-Germain-en-Laye. C’était ◀le▶ 14 novembre 1953. Une quinzaine ◀de▶ personnalités ◀de▶ ◀la▶ banque, ◀de▶ ◀l’▶industrie, ◀de▶ ◀la▶ politique et des organisations internationales, fondèrent ce jour-là ◀le▶ Club européen. Ce club se donna pour tâche principale ◀l’▶élaboration ◀d’▶un projet qui s’inspirait des considérations suivantes :
Si ◀l’▶Europe, simple cap de l’Asie, a tenu le premier rang dans ◀le▶ monde pendant des siècles, elle ◀l’▶a dû à sa faculté ◀de▶ créer des valeurs morales, des structures ◀de▶ ◀la▶ société, et des techniques, que tous ◀les▶ autres peuples ◀de▶ ◀la▶ Terre ont adoptées ou s’efforcent ◀d’▶imiter.
◀Les▶ Européens ont raison ◀d’▶être fiers ◀d’▶une telle culture. Cependant, que font-ils aujourd’hui non seulement pour ◀la▶ conserver, mais encore et surtout, pour ◀l’▶aider à faire face au défi tout nouveau que lui porte ◀le▶ Monde, — ce Monde du xxe siècle né ◀de▶ leurs propres œuvres ? Quand il s’agit ◀de▶ financer un projet culturel, un institut nouveau, des recherches avancées dans ◀les▶ divers domaines ◀de▶ ◀la▶ culture, ◀les▶ Européens ont pris ◀l’▶habitude ◀de▶ recourir à ◀l’▶aide des fondations américaines.
Cette situation n’est ni normale ni saine, et peut même devenir démoralisante.
Un moyen ◀d’▶y remédier rapidement serait ◀d’▶établir une puissante fondation européenne dotée ◀de▶ capitaux récoltés en Europe. Une telle institution, par sa seule existence, contribuerait à restaurer ◀le▶ sentiment ◀d’▶indépendance morale ◀de▶ notre continent, à rendre aux chercheurs et créateurs ◀de▶ nos pays une confiance en soi et en ◀l’▶avenir qui est l’une des premières conditions ◀de▶ ◀la▶ vitalité ◀d’▶une culture.
◀Le▶ Club européen se réunit encore à trois reprises, au cours de ◀l’▶année suivante, pour discuter et mettre au point ◀les▶ objectifs, ◀le▶ mode ◀de▶ financement et ◀les▶ statuts ◀de▶ ◀l’▶institution projetée. ◀Le▶ 16 décembre 1954, au Centre européen de la culture, à Genève, ◀les▶ statuts ◀de▶ ◀la▶ Fondation étaient signés par MM. Robert Schuman, agissant comme président ; D. de Rougemont, agissant comme secrétaire ; H. Brugmans, F. Marinotti, J. H. Retinger, R. Silva, G. Villiers et ◀le▶ Baron van Zeeland, — ces huit personnes constituant le premier noyau du Conseil des gouverneurs ◀de▶ ◀la▶ Fondation.
Dès la première session plénière du Conseil des gouverneurs, ◀le▶ 11 mai 1955, à Genève, S. A. R. ◀le▶ prince Bernhard des Pays-Bas voulut bien accepter ◀la▶ présidence ◀de▶ ◀la▶ Fondation, et il n’a cessé ◀de▶ ◀l’▶exercer effectivement depuis lors.
Pour faciliter ◀les▶ débuts ◀de▶ ◀la▶ Fondation, ◀le▶ CEC lui avait offert ◀de▶ partager une partie ◀de▶ ses locaux et ◀de▶ son staff à Genève. ◀Les▶ frais généraux purent ainsi être réduits au minimum. Ce régime provisoire devait permettre à ◀la▶ Fondation d’une part ◀de▶ s’organiser et ◀d’▶élaborer son programme, d’autre part ◀de▶ rassembler ◀les▶ fonds qui lui avaient été promis. Car elle ne disposait pas, comme ◀les▶ fondations américaines, ◀d’▶un capital initial important mais comptait stimuler ◀l’▶intérêt ◀d’▶un nombre aussi grand que possible ◀de▶ donateurs dans tous nos pays.
◀La▶ politique adoptée par ◀le▶ Conseil des gouverneurs, durant cette première période, se basait sur ◀l’▶idée saine en soi que ◀les▶ fonds viennent à qui sait entreprendre, et qu’ils seraient donc trouvés dans ◀la▶ mesure même où ◀les▶ activités paraîtraient effectives et convaincantes.
Deux départements spécialisés furent donc créés sans plus attendre : celui ◀de▶ ◀l’▶éducation et celui des Beaux-Arts. Le premier mit sur pied une série ◀d’▶expériences-pilotes ◀d’▶éducation européenne (dont ◀l’▶exécution devait être confiée dès 1956 au CEC) et le second commanda des œuvres nouvelles à six jeunes compositeurs, auxquels des bourses furent décernées. Un comité ◀d’▶experts en éducation et un jury musical présidèrent au choix des expériences-pilotes et des compositeurs. En même temps, plusieurs subventions furent accordées, notamment à ◀la▶ Journée européenne des écoles, à ◀l’▶Association des universitaires ◀d’▶Europe, et au département cartographique du Collège ◀d’▶Europe.
Lors de ◀la▶ réunion des gouverneurs à Genève, ◀le▶ 16 mars 1957, il fut convenu que ◀la▶ Fondation établirait son siège ◀d’▶opérations à Amsterdam, ◀le▶ siège social restant à Genève. (C’est en effet ◀le▶ Conseil fédéral suisse qui est ◀l’▶autorité ◀de▶ surveillance ◀de▶ ◀la▶ Fondation.) ◀Les▶ confusions qui pouvaient résulter ◀de▶ ◀la▶ cohabitation ◀de▶ deux institutions, déjà statutairement distinctes et ◀de▶ fonctions très différentes — l’une devant financer des projets, l’autre exécutant elle-même ses plans — se trouvaient éclaircies du même coup. Je comparerais volontiers cette opération à ◀la▶ mise à feu du 2e étage ◀d’▶une fusée ◀de▶ ◀l’▶espace, se séparant au moment voulu du premier moteur.
◀La▶ Fondation décida également ◀d’▶organiser chaque année un grand congrès destiné à faire mieux connaître ses buts et à recueillir des fonds plus importants ◀d’▶un plus grand nombre ◀de▶ sources. Le premier ◀de▶ ces congrès se tint à Amsterdam en 1957, le second à Milan en 1958 et le troisième à Vienne, en 1959. Un séminaire pour « jeunes responsables » et une table ronde des institutions culturelles européennes furent organisés par ◀la▶ Fondation à ◀l’▶occasion du congrès ◀de▶ Vienne, et se réuniront de nouveau lors du congrès ◀de▶ Copenhague, en 1960. ◀La▶ table ronde est destinée à permettre une meilleure coordination des activités autonomes conduites par ◀les▶ principales institutions culturelles existantes. Dès 1960, elle compte répartir entre ses membres des subventions et des bourses pour des projets déterminés.
Reprenant maintenant notre comparaison avec ◀les▶ étages ◀d’▶une fusée, nous constaterons que ◀le▶ moment est venu, pour ◀la▶ Fondation, ◀de▶ « mettre à feu » ◀le▶ 3e et dernier étage : celui ◀de▶ ◀l’▶aide effective aux efforts culturels tendant à ◀l’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe. C’était bien ◀l’▶objectif initial.
◀L’▶accord qui vient ◀d’▶être conclu entre ◀la▶ Fondation et ◀le▶ Fonds culturel du Conseil de l’Europe, permettant ◀la▶ création ◀de▶ comités nationaux pour ◀la▶ recherche en commun des fonds, doit fournir ◀les▶ moyens nécessaires à ◀la▶ mise en pratique ◀de▶ cette troisième étape.
Si notre Fondation atteint ainsi, en 1960, ◀le▶ but qu’elle s’était fixé au départ, ce succès se trouvera coïncider fort heureusement avec ◀le▶ vaste regroupement des institutions européennes, économiques et politiques, qui doit se réaliser d’ici ◀la▶ fin ◀de▶ ◀l’▶année.