Note liminaire
Cet ouvrage prend la▶ suite ◀de▶ quelques autres où j’ai parlé ◀de▶ ◀la▶ passion ◀d’▶amour, des mythes ◀de▶ ◀l’▶âme et du mystère ◀de▶ ◀la▶ personne1 ; il en prolonge ◀les▶ lignes, vers un point ◀de▶ perspective ◀d’▶où ◀le▶ regard puisse embrasser un champ mieux unifié du phénomène humain : corps-âme-esprit.
On va donc trouver dans ces pages des réflexions nouvelles sur ◀les▶ mythes érotiques dans ◀la▶ culture occidentale, et sur ◀les▶ personnages imaginaires du roman et ◀de▶ ◀l’▶opéra en lesquels s’illustrent ces mythes ; puis une série ◀d’▶observations (au sens clinique) sur des personnes réelles, dont ◀le▶ drame vécu semble avoir épousé ◀la▶ formule dynamique ◀de▶ Don Juan et ◀de▶ Tristan ; enfin, ◀l’▶on reviendra au problème capital, celui ◀de▶ ◀la▶ personne en soi, telle que ◀les▶ religions majeures ◀la▶ définissent ou ◀la▶ nient. Car toute idée ◀de▶ ◀l’▶homme est une idée ◀de▶ ◀l’▶amour.
Cette succession pourra surprendre. Des transitions logiques ménagées après coup entre ◀les▶ différents chapitres du recueil ne seraient qu’un faible artifice — et j’y renonce au profit ◀d’▶une longue Introduction — s’agissant ◀d’▶assurer ◀l’▶unité ◀de▶ ◀l’▶ouvrage et ◀d’▶en faire accepter ◀le▶ vrai sujet : ce mouvement ◀d’▶aller et retour du religieux à ◀l’▶érotique qui est l’un des secrets décisifs ◀de▶ ◀la▶ psycho occidentale.
Je ne vois guère ◀de▶ domaine, en effet, où ◀les▶ malentendus invétérés et ◀les▶ préjugés prêts au bond retiennent autant ◀d’▶esprits, croyants et incroyants, ◀de▶ faire face à leurs vrais problèmes ou ◀de▶ souffrir seulement qu’on ◀les▶ observe. Freud a décelé quelques-uns des motifs ◀d’▶une pareille résistance à ◀la▶ lucidité ; il ◀les▶ situait dans ◀le▶ conflit entre ◀la▶ vie sexuelle et ◀la▶ morale sociale. Avant lui, Marx avait osé une analyse non moins « choquante » du refus ◀de▶ prendre conscience des réalités économiques, en conflit avec ◀l’▶idéal ◀de▶ ◀la▶ bourgeoisie victorienne. L’un et l’autre, d’ailleurs, demeuraient tributaires ◀de▶ cette même société occidentale dont ils surent génialement dénoncer ◀les▶ « bons motifs » ◀de▶ s’aveugler dans deux domaines vitaux, bien définis. Mais ces domaines (précisément « taboués » par ◀les▶ classes dirigeantes ◀de▶ leur temps) n’enferment pas toute ◀la▶ réalité, ni ◀de▶ ◀l’▶homme occidental, ni ◀de▶ ◀l’▶homme en général. Marx et Freud partageaient malgré tout avec ◀la▶ société qu’ils attaquaient un système ◀de▶ pensée et certains préjugés qui devaient à leur tour ◀les▶ aveugler sur un autre ordre ◀de▶ réalités.
J’ai donc tenté ◀de▶ retrouver ◀la▶ dialectique ◀de▶ ◀l’▶amour et ◀de▶ ◀la▶ personne, qui sont ◀les▶ deux réalités que ces grands hommes avaient été contraints par leur système, à la fois efficace et fermé, ◀d’▶éliminer ou ◀de▶ refouler.
Il s’agit ici ◀d’▶une recherche, et non pas ◀de▶ littérature, malgré ◀les▶ multiples exemples que j’ai pris dans ◀les▶ grands auteurs des xixe et xxe siècles, et cités comme autant ◀de▶ faits. Il s’agit ◀de▶ trouver ou ◀d’▶inventer non pas des objets ◀de▶ langage (comme on ◀l’▶attend ◀de▶ ◀la▶ poésie) ni des valeurs (comme on ◀l’▶attend des philosophes), mais une vision plus vraie, modifiant ◀le▶ sujet.
Rien ◀d’▶étonnant si une telle recherche m’a porté plus ◀d’▶une fois bien au-delà des conclusions ◀de▶ ◀L’▶Amour et ◀l’▶Occident . Certains me feront peut-être un reproche ◀d’▶inconstance. Pourtant, à y bien regarder, on verra que mes thèses primitives sont plutôt rectifiées que niées. Quelques oppositions ont perdu ◀de▶ leur tranchant, une fois mieux orientées dans une vue ◀de▶ ◀l’▶Amour que je ne crains pas qu’on dise moniste : ◀le▶ seul monisme non contradictoire avec ◀la▶ réalité ◀de▶ ◀la▶ personne étant précisément celui ◀de▶ ◀l’▶Amour, parce qu’il se trouve que ◀l’▶être même ◀de▶ ◀l’▶Amour — son existence, sa puissance et son essence — recrée sans cesse ◀la▶ multiplicité non illusoire des personnes, et ◀la▶ préserve au sein de ◀l’▶Unité, afin de ◀l’▶aimer et ◀d’▶être aimé par elle. Voilà toute ◀la▶ philosophie que je déduis ◀de▶ mes essais en ◀les▶ relisant, bien qu’elle n’y soit traitée qu’en images et symboles.