La▶ personne, ◀l’▶ange et ◀l’▶absolu ou ◀Le▶ dialogue Occident-Orient
Un dialogue mal engagé
◀L’▶Occident découvre ◀le▶ zen au moment où ◀les▶ couvents zen se vident au Japon. (Mais il y a beaucoup plus ◀de▶ chrétiens japonais que ◀de▶ sectateurs du Dr Suzuki en Amérique.) ◀L’▶Occident découvre ◀la▶ sagesse hindoue, grâce aux présentations quelque peu christianisées qu’en donnent ◀les▶ successeurs ◀de▶ Ramakrishna ; mais déjà ◀l’▶intelligentzia ◀de▶ ◀l’▶Inde se préoccupe des problèmes qui lui sont imposés par ◀la▶ technique et par ◀l’▶hygiène occidentale, et cherche à ◀les▶ résoudre à ◀l’▶aide ◀d’▶un socialisme qui ne doit rien à Shankara. ◀L’▶Occident découvre Zoroastre à la suite de Nietzsche, et publie ◀les▶ grands textes des mystiques soufis, mais ◀l’▶Iran, ◀l’▶Arabie sont en pleine crise ◀d’▶adaptation à ◀l’▶habitus capitaliste. ◀L’▶Occident découvre et publie ◀le▶ Hi-King, tandis que ◀la▶ Chine s’industrialise, s’impose notre marxisme et oblitère son mandarinat. Enfin, ◀l’▶Occident n’a pas plus tôt découvert ◀l’▶art nègre, ◀les▶ masques, ◀la▶ magie, ◀le▶ jazz, que ◀l’▶Afrique noire se précipite dans ◀le▶ nationalisme, ◀les▶ jeux parlementaires, et ◀l’▶exploitation par elle-même ◀de▶ ses ressources matérielles.
Ce que nous découvrons avec passion dans ◀le▶ tiers-monde, ce n’est pas ce dont il vivait, c’est ce qui manquait à nos élites, ou qu’elles ne savaient plus trouver dans notre foi. Ce que ◀le▶ tiers-monde nous emprunte, ce n’est pas notre créativité, mais ses produits.
Nous découvrons leurs secrets spirituels en même temps que leur misère, qui en était ◀la▶ rançon. Ils adoptent nos formes sociales, nos procédés ◀de▶ gouvernement et nos techniques, mais non pas ◀les▶ tensions spirituelles qui en étaient ◀le▶ moteur secret. Ce qui était pour nous résultantes ◀d’▶innombrables poussées et résistances, malaisément équilibrées mais lentement accoutumées, devient pour eux bouleversements soudains.
Que peuvent, dans une telle situation, intellectuels et spirituels ? Presque rien, sinon dire ◀l’▶essentiel, qui n’agira guère sur ◀l’▶histoire dans son devenir immédiat, mais peut orienter ◀la▶ conscience ◀de▶ quelques-uns ◀de▶ ceux qui ◀la▶ feront demain.
◀L’▶essentiel du dialogue nécessaire et désormais inévitable, pour mal engagé qu’il soit, porte sur ◀l’▶homme et sa définition. S’il est vrai que ◀l’▶Orient nie ◀le▶ moi, qui est une valeur centrale pour ◀l’▶Occident, il doit en résulter ◀d’▶infinies conséquences dans tous ◀les▶ domaines du réel, du spirituel au politique ; mais dans quelle mesure est-ce vrai ? Quel est ◀le▶ moi qui s’affirme d’une part, et quel est ◀le▶ moi qu’on nie ◀de▶ l’autre ? Est-ce bien ◀le▶ même ?
◀La▶ personne
◀Le▶ christianisme a formé ◀l’▶Occident, en formant, dès les premiers conciles, ses modèles ◀de▶ pensée en tension : Incarnation, Personnes divines à la fois distinctes et reliées. ◀D’▶où ◀la▶ définition ◀de▶ ◀la▶ personne humaine ou du vrai moi, reprise et précisée par toutes ◀les▶ grandes époques ◀de▶ ◀la▶ théologie et ◀de▶ ◀la▶ philosophie, et toujours opposée à ◀l’▶homme naturel, animal plus ou moins raisonnable et simple exemplaire ◀de▶ ◀l’▶espèce.
Pour saint Paul, ◀le▶ vrai moi est ◀l’▶homme nouveau, « appelé » par un Dieu personnel, donc créé par une vocation, et il ne tombe pas sous ◀le▶ sens comme ◀le▶ « vieil homme », puisque sa vie « nouvelle » est à la fois dans ◀le▶ monde et hors du monde, à la fois manifestée par son amour (Agapè) et « cachée avec ◀le▶ Christ en Dieu ». (Colossiens, III, 3.)
Dès ◀les▶ Pères grecs et ◀le▶ latin Boèce, à travers Jean Scot Erigène, jusqu’à Richard de Saint-Victor, puis dans ◀le▶ thomisme, on peut suivre ◀l’▶évolution du concept et du terme ◀de▶ personne, forgé par ◀la▶ doctrine trinitaire : il s’appliquera ◀de▶ mieux en mieux à ◀l’▶homme nouveau, à ◀l’▶ens sibi suscité par ◀l’▶esprit dans ◀l’▶individu naturel. Pour Descartes, ◀le▶ vrai moi, c’est « ◀l’▶âme », mais il s’agit ◀d’▶une âme tout intellectuelle, dont « ◀la▶ nature n’est que ◀de▶ penser » et qui reste entièrement distincte du corps. Avec Kant, ◀le▶ vrai moi, nouménal, s’oppose au moi phénoménal, et reprend ◀le▶ nom ◀de▶ personne. Chez Renouvier, ◀la▶ personne apparaît comme « fonction à plusieurs variables », par là douée ◀d’▶une liberté que n’aura jamais ◀l’▶individu, simple objet du déterminisme universel. Et quant à ◀la▶ science ◀d’▶aujourd’hui, dont on a pu penser « qu’elle n’aborde ◀le▶ Moi que pour ◀le▶ disjoindre »94 il me semble plutôt qu’elle élague ◀le▶ vrai moi, qu’elle en disjoint ce qui appartient en propre au collectif (◀l’▶inconscient, ◀le▶ surmoi, ◀les▶ archétypes) ou au biologique (◀l’▶hérédité, ◀l’▶équilibre endocrinien), et nous ◀le▶ montre ◀d’▶autant plus distinct, dans sa fonction centrale, totalisante, dans son pouvoir ◀d’▶intégration ◀de▶ ◀l’▶être. Loin de dissocier ◀le▶ moi, ◀les▶ recherches psychologiques du xxe siècle nomment et dénoncent ◀les▶ forces qui tendent à ◀le▶ dissocier, ◀les▶ névroses qui ◀l’▶assiègent de toutes parts, et retrouvent par ◀le▶ détour ◀de▶ leurs descriptions « objectives » ◀l’▶opposition paulinienne des « deux hommes en moi » : ◀le▶ naturel tyrannisant (et tyrannisé par ◀la▶ loi) et ◀le▶ spirituel libérateur.
S’il est vrai que ◀le▶ langage courant confond sans ◀l’▶ombre ◀d’▶un scrupule ◀la▶ personne et tout ce qu’elle n’est pas — ◀l’▶individu, ◀la▶ persona, ◀la▶ « forte individualité », ◀l’▶âme sensitive, ◀l’▶intellect, ◀l’▶élémentaire et souvent si trompeuse conscience ◀de▶ soi — reste que ◀la▶ croyance au moi distinct et ◀le▶ recours à ◀la▶ « valeur absolue ◀de▶ ◀la▶ personne » sont à peu près universels en Occident. Comme ◀l’▶attestent tant de notions considérées comme allant ◀de▶ soi — et tant de réalités « bien vues » à ◀l’▶Ouest, mais que ◀l’▶Est se devait ◀d’▶ignorer, voire ◀de▶ condamner, telles que ◀l’▶originalité, ◀les▶ droits de l’homme, ◀le▶ record, ◀la▶ gloire personnelle, ◀la▶ biographie et ◀le▶ portrait, ◀la▶ prière pour un tel vivant ou pour ◀les▶ morts… Comme ◀l’▶attestent non moins ◀la▶ mauvaise réputation que nous faisons à ◀l’▶anonyme, ◀la▶ condamnation par nos critiques du style impersonnel ou ◀de▶ ◀la▶ banalité, ◀la▶ dénonciation ◀de▶ ◀l’▶on par nos philosophes, et ◀les▶ diatribes marxistes contre ◀l’▶aliénation. Et comme ◀l’▶atteste enfin notre notion ◀de▶ ◀l’▶amour, — à quoi j’entends venir plus loin.
◀L’▶ange
Quelle est cette part ◀de▶ ◀la▶ personne dès maintenant libérée du monde où elle vit encore en exil, mais « héritière du Royaume », dès maintenant « portant ◀l’▶image céleste », « glorifiée », « revêtue » ◀de▶ lumière, ◀d’▶incorruptibilité et ◀d’▶immortalité ; dès maintenant donc « ressuscitée avec ◀le▶ Christ », bien que « cachée avec ◀le▶ Christ en Dieu » jusqu’à ◀l’▶avènement ◀de▶ ◀l’▶Amour ?
C’est ◀l’▶Ange, répond ◀l’▶Iran des spirituels, ◀l’▶Iran du mazdéisme et des mystiques soufis, proche de ◀l’▶Inde mais enté sur ◀le▶ tronc abrahamique, ◀d’▶où sont issus ◀les▶ Juifs, ◀les▶ chrétiens, et ◀l’▶islam.
Que serait ◀l’▶Ange pour nos psychologues ? Une projection du moi individuel ou collectif. Pour ◀les▶ sages ◀de▶ ◀l’▶Iran, il est ce moi. Barakat, juif passé à ◀l’▶islam, écrit en 1165 : « … pour chaque âme individuelle, ou peut-être pour plusieurs ayant même nature ou affinité, il y a un être spirituel qui tout au long ◀de▶ leur existence assume envers cette âme ou ce groupe ◀d’▶âmes une sollicitude et une tendresse spéciales ; c’est lui qui ◀les▶ initie à ◀la▶ connaissance, ◀les▶ protège, ◀les▶ guide, ◀les▶ défend, ◀les▶ réconforte, ◀les▶ fait triompher, et c’est cet être qu’ils appelaient Nature Parfaite. » C’est ◀le▶ vrai moi, c’est ◀l’▶Ange. « Il ne s’agit plus du simple messager transmettant ◀les▶ ordres, ni ◀de▶ ◀l’▶idée courante ◀de▶ ◀l’▶Ange gardien », mais ◀de▶ ceci : « que ◀la▶ Forme sous laquelle chacun des spirituels connaît Dieu est aussi ◀la▶ forme sous laquelle Dieu ◀le▶ connaît, parce qu’elle est ◀la▶ forme sous laquelle Dieu se révèle à soi-même en lui… C’est ◀la▶ « part allotie » à chaque Spirituel, son individualité absolue, ◀le▶ Nom divin, investi en lui.95 » Ainsi donc, et selon ◀les▶ admirables commentaires qu’Henry Corbin nous donne ◀de▶ ◀la▶ mystique soufi, « ◀la▶ totalité ◀de▶ notre être, ce n’est pas seulement cette partie que nous appelons présentement notre personne, car cette totalité inclut également une autre personne, une contrepartie transcendante qui nous demeure invisible, ce qu’Ibn Arabi désigne comme notre « individualité éternelle », notre « Nom divin », ce que ◀le▶ vieil Iran désignait comme Fravarti 96. »
◀L’▶Ange des soufis n’évoque pas seulement cette part initiante ◀de▶ ◀l’▶être renouvelé qui demeure cachée en Dieu selon ◀le▶ christianisme, mais encore, et ◀d’▶une manière plus précise dans ◀l’▶homologie, ces entités célestes, féminines, que ◀la▶ religion ◀de▶ Zarathustra nommait ◀les▶ Fravartis, « celles qui ont choisi » (c’est-à-dire choisi ◀de▶ combattre pour venir en aide à Ohrmazd) et qui sont à la fois ◀les▶ archétypes célestes des êtres et leurs anges tutélaires. Il y a plus : selon ◀le▶ mazdéisme « chaque entité physique ou morale, chaque être complet ou chaque groupe ◀d’▶êtres appartenant au monde ◀de▶ Lumière a sa Fravarti » — Ohrmazd, ◀le▶ Dieu lumineux a lui-même ◀la▶ sienne97. ◀La▶ Terre physique et tous ◀les▶ êtres qui ◀l’▶habitent apparaissent ainsi comme ◀la▶ contrepartie visible du monde invisible, mais premier, des archétypes.
◀L’▶événement majeur, ◀la▶ scène capitale du drame ◀de▶ ◀la▶ personne ainsi constituée se produit à ◀l’▶aube ◀de▶ la troisième nuit qui suit ◀la▶ mort terrestre : c’est ◀la▶ rencontre ◀de▶ ◀l’▶âme avec son moi céleste à ◀l’▶entrée du pont Chinvat. Dans un paysage nimbé ◀de▶ ◀la▶ Lumière-de-Gloire restituant toutes choses et tous ◀les▶ êtres dans leur pureté paradisiaque, « dans un décor ◀de▶ montagnes flamboyant aux aurores, ◀d’▶eaux célestes où croissent ◀les▶ plantes ◀d’▶immortalité », au centre du monde spirituel (qui est ◀le▶ monde réel des Archétypes), ◀le▶ pont Chinvat s’élance, reliant un sommet au monde des Lumières infinies. À son entrée, se dresse devant ◀l’▶âme sa Dâenâ, son moi céleste, jeune femme ◀d’▶une beauté resplendissante et qui lui dit : — Je suis toi-même ! Mais si ◀l’▶homme sur ◀la▶ Terre a maltraité son moi, au lieu de ◀la▶ Fravarti, c’est une apparition monstrueuse et défigurée qui reflète son état déchu. ◀La▶ « rencontre aurorale » avec ◀le▶ moi céleste figure donc une pesée des âmes.
◀Le▶ mazdéisme, comme plus tard ◀les▶ soufis, et comme ◀le▶ christianisme véritable, ne demande pas d’abord ce qu’est ◀l’▶homme, mais qui es-tu ? Toute réalité dernière est personnelle. ◀Le▶ vrai moi est Ailleurs, mais son drame ici-bas.
◀L’▶absolu, ou ◀la▶ négation du moi
◀Les▶ peuples des régions que ◀l’▶Europe nomme Asie diffèrent bien plus entre eux que ◀les▶ peuples ◀de▶ ◀l’▶Europe, mais s’il est une croyance qu’ils ont tous en commun, c’est ◀la▶ croyance à ◀la▶ métempsychose, à ◀la▶ transmigration des âmes. Or elle nous semble à première vue impliquer comme allant ◀de▶ soi ◀la▶ croyance en un moi reconnaissable au travers de ses vies successives. Car si ◀le▶ moi n’existe pas, qu’est-ce qui transmigre98 ? Mais ce moi, cet ego, cette entité distincte, voilà précisément ce que ◀les▶ doctrines ◀de▶ ◀l’▶Inde, ou nées en Inde comme ◀le▶ bouddhisme, dénoncent depuis des millénaires comme ◀l’▶illusion fondamentale. Il y aurait donc malentendu fondamental entre ◀les▶ peuples et leurs sages, entre ◀la▶ religion des uns et ◀la▶ métaphysique des autres ? En fait, on ne voit pas ◀les▶ Sages ◀de▶ ◀l’▶Asie dénoncer sans relâche, comme on pourrait s’y attendre, ◀les▶ croyances populaires ◀de▶ leurs contrées ; c’est bien plutôt à notre idée ◀de▶ ◀la▶ personne qu’ils opposent leur idée du non-moi. ◀Le▶ vrai malentendu se serait-il instauré entre eux et nous ? Entre cela qu’ils pensent que nous croyons lorsque nous affirmons ◀le▶ moi réel, et cela que nous pensons qu’ils croient en ◀le▶ niant ?
Nous avancerons peut-être un peu en cherchant à nous représenter contre quoi se dirigeaient leurs négations, aux temps anciens où nos affirmations n’existaient pas, ou leur demeuraient inconnues.
Dès les premiers commentaires aux Vedas, il apparaît que ◀la▶ négation du moi porte d’abord contre ◀le▶ moi « phénoménal », c’est-à-dire contre ◀l’▶homme naturel, exemplaire animal transitoire et « aveugle », enveloppe obscurcissante ◀d’▶une âme divine. Ainsi parlent tous ◀les▶ upanishads, et les premiers écrits canoniques du bouddhisme : il faut éteindre ◀le▶ désir individuel, cause ◀de▶ ◀l’▶erreur, des souffrances et ◀de▶ ◀la▶ mort, dissiper cet écran ◀de▶ matière entre ◀l’▶âme et ◀la▶ Réalité. On peut penser qu’il s’agit bien ici ◀de▶ ◀la▶ même « mort au monde et à soi-même » que ◀le▶ Christ exige ◀de▶ ses disciples, et qui est ◀la▶ condition ◀de▶ leur accession à leur vrai moi spirituel, celui qui doit ressusciter en corps glorieux. Védantistes, vishnouites et shivaïtes, en Inde, admettent une âme individuelle (◀le▶ jîva) mais « obscurcie » par son union avec ◀le▶ corps. Elle doit tendre à se libérer du phénomène individuel au lieu que ◀l’▶âme chrétienne doit ◀le▶ transfigurer, — ◀d’▶où ◀la▶ « résurrection ◀de▶ ◀la▶ chair ».
Il en va de même pour ◀le▶ bouddhisme originel. Qu’est-ce que ◀l’▶homme ? Un ensemble transitoire ◀d’▶agrégats matériels et ◀de▶ formations mentales en proie au désir égoïste, qui naît ◀de▶ ◀l’▶ignorance et qui entraîne fatalement ◀les▶ attachements à ◀l’▶illusoire ; ◀d’▶où ◀l’▶action, ◀le▶ devenir, ◀la▶ mort, et ◀la▶ roue des retours sans fin. « Inconnaissable est ◀le▶ commencement des êtres enveloppés par ◀l’▶ignorance, et que ◀le▶ désir conduit à ◀de▶ criminelles renaissances. »99 ◀Le▶ but est donc « ◀de▶ nous apprendre ◀le▶ moyen ◀de▶ ne pas renaître », nous dit une moderne interprète du bouddhisme tibétain100. À l’autre extrémité géographique (et parfois spirituelle) du continent, un interprète du zen fait écho : « ◀La▶ négation ◀de▶ ◀l’▶Atman énoncée par les premiers bouddhistes porte sur ◀l’▶Atman ◀de▶ ◀l’▶ego relatif, non sur ◀l’▶Atman ◀de▶ ◀l’▶ego absolu, ◀l’▶ego d’après ◀l’▶expérience illuminante.101 » Ou dans ◀le▶ sanscrit du Bouddha :
Sabbe sankhâra aniccaSabbe sankhâra dukkhaSabbe dhamma anatta(Toutes choses composées sont transitoiresToutes choses composées sont souffrantes
Si D. T. Suzuki peut écrire après cela : « On ◀le▶ voit, ◀l’▶expérience personnelle est ◀le▶ fondement ◀de▶ ◀la▶ philosophie bouddhiste », comprenons qu’il s’agit pour lui ◀d’▶une expérience rigoureusement spirituelle. En somme, ◀l’▶adversaire principal des védantins comme des premiers bouddhistes, ce n’est pas encore ◀la▶ personne, mais ◀l’▶obstination ◀de▶ ◀l’▶ego qui veut durer au-delà ◀de▶ ◀la▶ mort sans rien comprendre aux conditions ◀de▶ cette survie, sans purifier ◀d’▶avance son jîva, — sans s’ordonner ◀d’▶avance, dirions-nous, aux exigences du vrai moi, qui est notre répondant céleste. Et faut-il qu’il existe et qu’il soit fort, ce moi qu’on réputé illusoire, pour qu’un des buts majeurs des méthodes spirituelles soit ◀de▶ ◀l’▶empêcher ◀de▶ renaître103 !
Mais vient le second stade, où ◀les▶ spirituels s’opposent même à ◀l’▶ego absolu, à ◀la▶ réalité ◀de▶ ◀l’▶âme distincte. ◀Le▶ soi ◀de▶ chacun se confond avec ◀le▶ Soi ◀de▶ ◀l’▶Immensité, ou du Brahma. Qu’est-ce que ◀l’▶âme ? Une monade disent ◀les▶ uns. Un reflet du Brahma disent ◀les▶ autres. Non, répondent ◀les▶ advaïtins : il n’y a que brahman. Et tu n’es rien. Et ◀de▶ leur côté ◀les▶ bouddhistes (mais ◀le▶ tao chinois et ◀le▶ shinto nippon disent à peu près ◀les▶ mêmes phrases) :
« Nagasena, existe-t-il un être qui transmigre ◀de▶ ce corps dans un autre ?
— Non, il n’y en a point.
— S’il n’y a pas ◀de▶ transmigration, peut-il y avoir une réincarnation ?
— Oui, c’est possible. »
« ◀Le▶ Roi dit : Nagasena, y a-t-il quelqu’un qui ne reprenne point ◀l’▶individualité après ◀la▶ mort ?
Nagasena répondit : Celui qui a péché reprend une individualité, mais non un être pur.
— O Nagasena, dis-moi s’il existe rien ◀de▶ semblable à ◀l’▶âme ?
— Il n’y a rien ◀de▶ semblable à ◀l’▶âme.104 »
Un texte zen chinois surenchérit :
« Y a-t-il un enseignement à donner au peuple ? — Oui. — Lequel ? — Il n’y a ni esprit, ni Bouddha, ni aucune chose qui existe. » (Mais on ne donne jamais au peuple cette leçon. On s’en garde !)
◀Les▶ spirituels hindous cherchent ◀le▶ samahdi, qui est ◀l’▶absorption totale dans ◀l’▶Absolu du Soi : ◀le▶ grand sommeil, lentement atteint, et qu’on peut appeler ◀l’▶enstase. Et ◀les▶ mystiques chrétiens cherchent ◀l’▶extase. Quant aux bouddhistes zen, on dirait qu’ils s’en tiennent à ◀la▶ stase pure et simple : faire face au fait, signe du Tout, et donc du Vide. Leur satori est ◀le▶ contraire du samahdi : c’est un éveil instantané. Éveil ◀de▶ quoi ? ◀De▶ ◀la▶ vision-en-soi, du Cela qui n’est pas personnel et se joue à travers notre moi.
Ainsi tout ◀l’▶Orient des doctrines… Et en même temps ◀l’▶Orient des peuples et sa croyance en ◀la▶ transmigration… Mais voici ◀le▶ moment ◀d’▶ajuster ◀la▶ vision. Tout ◀l’▶Orient exagère ses formules. Il dit cent-mille-millions pour dire : beaucoup ; absolue négation pour dire qu’il faut se méfier, et immortalité pour dire longévité. Notre hygiène, augmentant ◀de▶ cinquante ans ◀la▶ durée moyenne ◀de▶ ◀la▶ vie, serait alors une « recette ◀d’▶immortalité ». Et même ◀la▶ seule qui ait réussi. Apprenons donc à lire dans leur optique.
◀Le▶ même Kitaro Nishida qui écrit ceci : « ◀La▶ valeur religieuse signifie ◀l’▶absolue négation du moi », ajoute trois pages plus loin : « Nous devenons vraies personnes dans ◀la▶ mesure où nous faisons face à l’Un tout-transcendant.105 » (Ce qui est chrétien.)
◀Le▶ même Chang Chen-Chi qui cite ce koan :
Parfois, j’arrache ◀la▶ personne mais sauve ◀l’▶objet.
Parfois j’arrache ◀l’▶objet, mais sauve ◀la▶ personne.
Parfois, j’arrache en même temps ◀l’▶objet et ◀la▶ personne.
Parfois, je n’arrache ni ◀l’▶objet ni ◀la▶ personne.
Supprimer ◀la▶ personne et sauver ◀l’▶objet signifie : éliminer ◀le▶ questionneur, non sa question. Et ◀les▶ trois autres distinctions s’expliquent ◀de▶ ◀la▶ même manière.
Puis il ajoute :
Si ◀le▶ disciple est exceptionnellement doué, ◀le▶ maître ne touche ni à ◀la▶ personne, ni à ◀l’▶objet.
Enfin ceci :
« Ainsi que Bodhidharma (◀le▶ fondateur du zen) ◀l’▶a déclaré, zen ne se soucie pas ◀de▶ disserter sur des notions abstruses telles que Dieu, ◀la▶ Vérité ; ce que zen demande au disciple, c’est ◀de▶ voir sa propre physionomie. » Ou, comme ◀le▶ disait le sixième Patriarche ◀de▶ ◀la▶ secte (638-713) : « Ne pense pas au bien ni au mal, mais regarde ce qu’est, au moment présent, ta physionomie originelle, celle que tu avais avant même ◀d’▶être né.106 »
Par où nous rejoignons un certain christianisme — à partir ◀d’▶un certain bouddhisme — et certainement ◀le▶ mazdéisme et ◀les▶ soufis : il s’agit ◀d’▶une seule quête ◀de▶ ◀l’▶esprit, dont ◀le▶ Graal, ou ◀l’▶Ange, est : toi-même.
◀Les▶ différences ne sont donc pas où ◀l’▶on croyait, ne sont jamais exactement ce que ◀l’▶on croyait. Si nous souhaitons préciser leur nature, c’est dans ◀les▶ notions ◀de▶ ◀l’▶amour traduisant ces trois conceptions que nous avons ◀les▶ plus grandes chances ◀de▶ ◀les▶ trouver. Dans ce domaine, toute différence reconnue peut être vérifiée par ◀l’▶expérience intime, et promet au dialogue des spirituels un élargissement ◀de▶ ◀la▶ conscience que chacun prendra ◀de▶ son bien. Tandis qu’au plan ◀de▶ ◀l’▶anthropologie plus ou moins « scientifique » ◀de▶ ce siècle, il semblerait que ◀les▶ négations du moi selon ◀les▶ écoles orientales correspondent simplement aux névroses ◀de▶ ◀la▶ psychanalyse freudienne : elles seraient autant ◀de▶ « rationalisations » des attitudes « dysfonctionnelles » qui menacent ◀l’▶intégrité du moi et qui nient ou détruisent ◀la▶ personne… Mais ◀l’▶Oriental sourit et nous laisse « nos » problèmes.
Trois écoles ◀de▶ ◀l’▶amour
Si ◀l’▶amour est le premier moteur non seulement ◀de▶ ◀l’▶homme mais du monde, c’est son action qui configure ◀l’▶idée du moi que nous nous faisons, et cette idée du moi révèle ◀l’▶amour, comme ◀la▶ structure ◀de▶ ◀l’▶atome traduit certaines propriétés ◀de▶ ◀l’▶énergie. « C’est ◀l’▶amour dominant qui fait ◀l’▶homme… ◀L’▶homme est absolument tel qu’est ◀l’▶amour dominant ◀de▶ sa vie : selon (cet amour) se fait son ciel, s’il est bon, ou son enfer, s’il est mauvais », dit Swedenborg dans ◀La▶ Nouvelle Jérusalem. Et dans ◀De▶ Cœlo, il ajoute : « ◀Le▶ corps ◀de▶ chaque esprit et ◀de▶ chaque ange est ◀la▶ forme ◀de▶ son amour.107 »
◀Les▶ trois notions ◀de▶ ◀l’▶homme que ◀l’▶on vient ◀d’▶évoquer nous apparaissent alors comme autant ◀de▶ modèles ◀d’▶une énergétique ◀de▶ ◀l’▶amour, ou comme autant ◀d’▶effets ◀de▶ son action configurante et composante. Et nous ◀les▶ voyons différer ◀d’▶une manière subtile mais précise par ◀la▶ forme des rapports qu’elles imaginent entre ◀le▶ moi naturel et ◀le▶ vrai moi, c’est-à-dire selon ◀les▶ langages, entre ◀les▶ phénomènes et ◀le▶ noumène, ◀l’▶individu et ◀la▶ personne, ◀l’▶âme et ◀l’▶ange, ◀l’▶ego et ◀le▶ Soi.
Observons que ◀les▶ trois partent ◀d’▶une dualité sans laquelle ni ◀l’▶homme ni ◀l’▶amour ne seraient même concevables. Il ne s’agit ici ni du dualisme trop facilement nommé manichéen, opposant ◀le▶ Bien et ◀le▶ Mal comme deux principes préexistants ; ni tout à fait des « deux hommes en moi » dont ◀la▶ lutte fait gémir saint Paul ; mais, préalablement à tout jugement moral, il s’agit ◀de▶ ◀la▶ reconnaissance ◀d’▶une bipolarité, ◀d’▶une tension permanente entre ◀l’▶individu et ◀le▶ « vrai moi ». (◀L’▶individu n’est pas ◀le▶ mal en soi : il ne devient mauvais que dans ◀la▶ seule mesure où il se referme sur soi, c’est-à-dire se refuse à ◀l’▶amour. Et de même ◀le▶ « vrai moi » n’est pas ◀le▶ bien en soi, car il peut devenir un monstre.)
Pour aimer, il faut être deux, dit ◀la▶ sagesse des nations. Et cela vaut d’abord pour ◀l’▶amour ◀de▶ soi-même, sans lequel point ◀d’▶amour du prochain.
Tous ◀les▶ moralistes du monde s’accordent avec ◀les▶ spirituels dans leur condamnation ◀de▶ ◀l’▶égoïsme, qui est ◀l’▶impérialisme ◀de▶ ◀l’▶ego naturel et sa fermeture autarcique. Mais ◀les▶ motifs ◀de▶ cette condamnation ne sont pas ◀les▶ mêmes : ◀les▶ moralistes jugent au nom de ◀la▶ société, ◀les▶ spirituels au nom de ◀l’▶amour. Nous n’invoquerons ici que les seconds.
◀L’▶école chrétienne
Dans une vue chrétienne ◀de▶ ◀l’▶homme, ◀l’▶amour ◀de▶ soi est ◀le▶ rapport positif entre ◀l’▶individu et ◀le▶ vrai moi. Le second commandement qui résume toute ◀la▶ Loi et ◀les▶ Prophètes : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », suppose évidemment un moi duel, au sein duquel ◀l’▶amour s’instaure ◀d’▶une manière telle que s’aimer et aimer ◀le▶ prochain soit un même acte : sinon ◀le▶ comme n’aurait pas son plein sens. Dans ◀l’▶amour ◀de▶ soi-même, ◀l’▶homme naturel s’ouvre à ◀l’▶action du vrai moi spirituel et se laisse transformer, réorienter par lui. C’est ◀le▶ vrai moi qui aime, qui est ◀l’▶agent ◀de▶ ◀l’▶amour. Ce vrai moi seul peut aimer ◀le▶ prochain, parce que seul il discerne en l’autre ◀le▶ même amour. « Aimer, c’est soutenir, deviner, porter ◀le▶ meilleur ◀de▶ ce qu’on aime », disait Alain. Or ◀le▶ meilleur ◀de▶ l’autre — comme ◀de▶ soi — est sa vocation singulière. Aimer ◀le▶ prochain dans sa personne, c’est discerner sa singularité, sa vocation, même virtuelle, ◀la▶ soutenir et ◀l’▶aider à naître. Ainsi ◀l’▶amour dans sa réalité totale, intégrant ◀l’▶animique au spirituel, va toujours ◀de▶ personne à personne.
Mais alors, ◀d’▶où vient ◀la▶ personne ? Quel que soit ◀le▶ nom que lui ont donné ◀les▶ trois religions abrahamiques, ◀le▶ vrai moi est toujours suscité par ◀l’▶amour même : « Dieu nous a aimés le premier ». Pour ◀le▶ chrétien, c’est parce que Dieu, qui est Amour, est un Dieu personnel dans sa tri-unité, que ◀l’▶amour spirituel crée dans ◀l’▶homme ◀la▶ personne.
Si ◀la▶ plus haute valeur ◀de▶ ◀l’▶Occident chrétien n’est pas ◀la▶ connaissance détachée mais ◀le▶ sacrifice personnel, et si ◀le▶ sacrifice diffère du suicide — ◀la▶ nature ◀de▶ ◀l’▶amour véritable ◀l’▶explique seule. « Personne n’a un plus grand amour que ◀de▶ donner sa vie pour ceux qu’il aime. » Se sacrifier pour l’autre aimé, c’est d’abord sacrifier son moi à son vrai moi, — ◀l’▶ordonner à sa vocation. Ou c’est encore : se sacrifier tel que ◀l’▶on est, à soi-même tel qu’on va ◀le▶ devenir par ◀l’▶esprit. C’est rejoindre ◀la▶ forme immortelle ◀de▶ son être au travers ◀d’▶une « mort à soi-même » transfigurante.
Ce modèle ◀de▶ ◀l’▶amour et du vrai moi instaure ◀le▶ normal, ◀le▶ sublime, et ◀la▶ problématique ◀de▶ ◀l’▶Occident chrétien. Il conditionne aussi ◀les▶ déviations ◀de▶ ◀l’▶amour et ◀les▶ formes particulières que prennent en Occident certaines tendances morbides, peut-être universelles, mais ici spécifiées à tel point qu’il devient parfois impossible ◀d’▶en reconnaître ailleurs ◀les▶ homologues. En voici deux exemples extrêmes.
◀Le▶ masochisme religieux, ou haine ◀de▶ soi. — Dans son langage dramatique, saint Paul parle parfois ◀de▶ ◀la▶ haine ◀de▶ soi-même, formule reprise au pied ◀de▶ ◀la▶ lettre par tous ◀les▶ spirituels ◀de▶ tendance ascétique, avec une complaisance croissante. Je sais bien que ◀la▶ haine est ◀l’▶envers ◀de▶ ◀l’▶amour, mais comment ◀l’▶amour fasciné par ◀le▶ désir ◀de▶ ce qu’il aime peut-il haïr vraiment ce qu’il lui sacrifie ? ◀Le▶ masochisme n’est-il pas ◀le▶ moment ◀de▶ retombement ◀de▶ ◀l’▶âme frustrée, quand ◀l’▶esprit qui ◀l’▶appelait cesse ◀de▶ ◀la▶ diriger dans son élan vers ◀le▶ vrai moi ? Elle voulait ◀l’▶ange. Il lui reste ◀la▶ nostalgie ◀d’▶une fuite hors du moi naturel. Désormais ◀le▶ vieil homme est jugé : n’ayant pu ◀l’▶entraîner avec elle vers son bien et ◀l’▶animer ◀de▶ son amour, ◀l’▶âme ◀l’▶accuse ◀de▶ volonté mauvaise. Mais elle sait bien qu’ils ont partie liée, et qu’elle mourra si elle ◀le▶ tue. Elle se contente alors ◀de▶ ◀le▶ maudire, ◀de▶ ◀le▶ traiter en « corps ◀de▶ mort », et leurs relations s’empoisonnent. La plupart des névroses dites « sexuelles » ont leur genèse dans cette discorde permanente, — dans ce refus que ◀l’▶âme oppose au corps, vu comme signe et symbole ◀de▶ ◀la▶ « prison » du moi. Et c’est que ◀l’▶âme avait rêvé ◀d’▶une métamorphose angélique, quand ◀l’▶esprit lui demandait seulement ◀d’▶ordonner tout ◀le▶ moi terrestre et temporel à ◀la▶ vocation ◀de▶ ◀l’▶amour. Mais celui qui se hait ◀de▶ cette manière ne peut pas aimer ◀le▶ prochain : il ne peut voir en lui que son semblable — un corps « vil » et une âme qui se veut ange —, non ◀le▶ vrai moi dans son autonomie. Si ◀le▶ corps lui paraît désirable, il sera parfois tenté ◀d’▶attribuer ce mouvement, né ◀de▶ ◀l’▶instinct, à ◀la▶ révélation ◀d’▶un amour angélique. ◀La▶ passion romantique trouve ici sa genèse. Exaltée jusqu’à ◀la▶ mystique ◀de▶ ◀l’▶ascèse autopunitive, elle finit par confondre avec ◀les▶ exigences ◀de▶ ◀la▶ mort au faux-moi, ◀l’▶instinct ◀de▶ mort…
Contre cet ascétisme non transfigurant, Nietzsche n’écrit pas sans raison : « Il faut craindre celui qui se hait lui-même, car nous serons ◀les▶ victimes ◀de▶ sa colère et ◀de▶ sa vengeance. Ayons donc soin ◀de▶ ◀l’▶induire à ◀l’▶amour ◀de▶ lui-même108 ».
◀L’▶érotisme sensuel est l’autre extrême où se porte ◀l’▶âme irritée mais non pas convertie par ◀l’▶esprit — comme ◀l’▶a si bien vu Kierkegaard. Tout amour véritable procède du vrai moi et se dirige vers ◀le▶ vrai moi ◀de▶ l’autre. Mais il peut arriver qu’il s’arrête en chemin, que son élan vers ◀la▶ personne singulière retombe au plan ◀de▶ ◀l’▶individuel, du générique. Capté par ◀l’▶instinct qu’il excite au-delà des exigences naturelles, il ira fatalement s’épuiser dans ◀l’▶illusoire multiplicité des « aventures sans lendemain ».
Limitant son désir à ces désirs qu’une possession rapide anesthésie, ◀l’▶âme retombe alors dans ◀les▶ liens ◀de▶ ◀l’▶instinct, qui est ◀la▶ puissance impersonnelle par excellence, et s’épuise à s’en libérer par ◀le▶ changement ◀de▶ ◀l’▶excitation, par ◀le▶ défi perpétuel aux attachements. C’est ◀la▶ liberté négative revendiquée par Don Juan contre ◀les▶ conventions ◀de▶ ◀la▶ morale commune — qu’il est déjà trop « spirituel » pour respecter — mais aussi contre ◀le▶ respect du mystère exigeant ◀de▶ l’Autre — qu’il n’est pas assez « spirituel » pour aimer. (Mais s’il ◀l’▶était assez, il retrouverait aussi ◀la▶ justification ◀de▶ certaines conventions, protégeant chez ◀la▶ brute et ◀l’▶innocent les premières chances ◀de▶ ◀l’▶esprit, — ou mettant à ◀l’▶abri des atteintes ◀de▶ ◀l’▶esprit ◀l’▶indispensable tissu conjonctif ◀de▶ toutes ◀les▶ sociétés qui ne sont pas un ordre.)
◀L’▶école iranienne
Il n’existe plus ◀de▶ communauté humaine, ◀d’▶unité ◀de▶ civilisation qui s’inspire du mazdéisme ◀de▶ Zarathustra ; et nulle ne s’inspira jamais ◀de▶ ◀la▶ mystique des soufis, et pour cause. Si je ◀les▶ fais intervenir ici, c’est à titre ◀d’▶évocation ◀d’▶une dimension virtuelle, intemporelle, et donc permanente ◀de▶ ◀l’▶esprit : ◀le▶ mazdéisme et ◀les▶ soufis ont proposé des notions ◀de▶ ◀l’▶homme et ◀de▶ ◀l’▶amour homologues aux notions chrétiennes, mais comme transposées terme à terme ◀d’▶un degré vers ◀le▶ « ciel » des archétypes : ainsi ◀la▶ dualité ego-vrai moi y devient celle ◀de▶ ◀l’▶âme et ◀de▶ son ange.
Pour situer dans son vrai climat spirituel ◀le▶ personnalisme essentiel ◀de▶ ces doctrines109, citons ce verset du Coran (24-41) qui pose comme une clef musicale : « Chaque être connaît ◀le▶ mode ◀de▶ prière et ◀de▶ glorification qui lui est propre. » Toute personne s’origine en Dieu, qui ◀l’▶a créée afin d’être connu par elle et ◀de▶ devenir en elle ◀l’▶objet ◀de▶ Sa propre connaissance. C’est donc en Dieu que tout amour peut reconnaître ◀la▶ personne ◀de▶ l’autre et ◀l’▶aimer « comme soi-même », — comme étant née du même amour qui m’a créé. « (Dieu) est celui qui dans chaque être aimé se manifeste au regard de chaque amant… car il est impossible ◀d’▶aimer un être sans se représenter en lui ◀la▶ divinité… Un être n’aime en réalité personne ◀d’▶autre que son créateur ?110 »
Ibn Arabi distingue trois amours : ◀l’▶amour divin du Créateur pour sa créature, et ◀d’▶elle pour Lui ; ◀l’▶amour spirituel « dont ◀le▶ siège est en ◀la▶ créature toujours à ◀la▶ quête ◀de▶ ◀l’▶être dont elle découvre en elle ◀l’▶Image, ou dont elle se découvre comme étant ◀l’▶Image » ; enfin ◀l’▶amour naturel, qui recherche ◀la▶ satisfaction ◀de▶ ses désirs sans souci ◀de▶ ◀l’▶agrément ◀de▶ ◀l’▶Aimé. « Et telle est hélas ! dit Ibn Arabi, ◀la▶ manière dont la plupart des gens ◀d’▶aujourd’hui comprennent ◀l’▶amour. »
Comment réconcilier ◀l’▶amour naturel (ou physique, comme on ◀le▶ dit improprement) avec ◀l’▶amour spirituel ? Qui aime en nous, et pour qui ? « Ibn Arabi observe que ◀les▶ plus parfaits amants mystiques sont ceux qui aiment Dieu simultanément pour lui-même et pour eux-mêmes, parce que cette capacité révèle chez eux ◀l’▶unification ◀de▶ leur double nature (◀le▶ dénouement ◀de▶ ◀la▶ « conscience malheureuse » en proie aux déchirements). » Telle est donc ◀la▶ personne unifiée et tel est son amour ◀de▶ soi-même. Quant à ◀l’▶amour-passion (ici, non romantique !) il se situe au point où ◀le▶ regard ◀de▶ ◀l’▶âme reconnaît soudain dans ◀l’▶Aimé cette Forme sensible du divin, cette théophanie que ◀l’▶âme peut aimer dans toutes ◀les▶ dimensions ◀de▶ ◀l’▶amour unifié.
◀L’▶Aimé n’est plus alors un simple objet — comme il est pour ◀l’▶amour naturel, possessif — mais une virtualité divine que ◀l’▶amant « imagine » (dont il devine ◀l’▶Image) et qu’il tend à faire exister dans ◀l’▶être aimé, par ◀l’▶efficace ◀de▶ son amour pré-figurant.
C’est précisément là que s’origine ◀la▶ plus haute fonction ◀de▶ ◀l’▶amour humain, celle-là même qui assure ◀la▶ coalescence ◀de▶ ce que ◀l’▶on a désigné historiquement comme amour courtois et amour mystique. Car ◀l’▶amour tend à ◀la▶ transfiguration ◀de▶ ◀la▶ figure aimée terrestre, en ◀l’▶adossant à une lumière qui en fasse éclore toutes ◀les▶ virtualités surhumaines, jusqu’à ◀l’▶investir ◀de▶ ◀la▶ fonction théophanique ◀de▶ ◀l’▶Ange (ainsi en a-t-il été des Figures féminines célébrées par ◀les▶ Fedeli ◀d’▶amore, compagnons ◀de▶ Dante ; ainsi en a-t-il été ◀de▶ celle qui apparut à Ibn Arabi, à ◀la▶ Mekke, comme figure ◀de▶ ◀la▶ Sophia divine). Que ◀l’▶amant tende à contempler ◀l’▶être aimé, à s’unir en lui, à en perpétuer ◀la▶ présence, son amour tend toujours à faire exister quelque chose qui n’est pas encore existant dans ◀l’▶Aimé.111
On reconnaît ici ◀les▶ « notes » ◀de▶ ◀l’▶amour du prochain selon Kierkegaard112, mais aussi selon Swedenborg :
Comme tout bien procède du Seigneur, ◀le▶ Seigneur est, dans ◀le▶ sens suprême et au degré ◀le▶ plus éminent, ◀le▶ Prochain ; c’est donc d’après Lui que s’établissent toutes ◀les▶ distinctions relatives au prochain, c’est-à-dire que chacun est ◀le▶ prochain en proportion ◀de▶ ce qu’il a quelque chose du Seigneur en lui ; or, comme nul ne reçoit ◀de▶ ◀la▶ même manière ◀le▶ bien qui procède du Seigneur, il s’ensuit que l’un n’est pas ◀le▶ prochain ◀de▶ ◀la▶ même manière que l’autre… ; il n’y a jamais chez deux personnes un bien absolument identique… C’est ◀l’▶amour qui fait ◀le▶ prochain, et chacun est ◀le▶ prochain selon ◀la▶ qualité ◀de▶ son amour.113
En dépit de tout ce qui distingue ◀la▶ transparence (parfois trompeuse) du latin ◀de▶ ◀l’▶ingénieur-philosophe Swedenborg et ◀la▶ poésie dense ◀de▶ ◀l’▶Arabe, ◀l’▶analogie des énoncés est indéniable. Si ◀le▶ symbolisme concret des soufis transpose doublement tous ◀les▶ termes à la fois dans ◀le▶ surnaturel (ou monde céleste) et dans ◀le▶ sensible terrestre, ◀la▶ structure des relations entre Dieu, ◀le▶ vrai moi et ◀le▶ prochain reste exactement comparable, comme ◀le▶ sont ◀les▶ trois formes ◀de▶ ◀l’▶amour que manifeste cette structure. Mais « ◀l’▶Imagination créatrice » des soufis, comme ◀l’▶angélologie du mazdéisme, nous fait voir combien plus vivement ◀l’▶unité première et finale ◀de▶ tout amour !
Peut-être aussi nous fera-telle entrevoir comment ◀le▶ mythe ◀de▶ Tristan — en dépit du pseudo-bouddhisme tardivement emprunté par Wagner à Schopenhauer — participe du climat spirituel « iranien » et trouve en lui ses origines archétypales. ◀La▶ passion du héros, que ◀l’▶on peut interpréter (dans ◀la▶ légende primitive et ◀l’▶opéra) comme un amour dédié à sa propre âme114, dont Iseut ne serait que ◀l’▶image sensible, — et c’est pourquoi j’ai osé dire que Tristan n’aimait pas Iseut — cette passion n’est-elle pas mieux vue si ◀l’▶on évoque ◀les▶ Fravarti du mazdéisme, ◀les▶ figures angéliques du vrai moi dans ◀le▶ mysticisme soufi, et même ◀la▶ « rencontre aurorale » ◀de▶ ◀l’▶âme et ◀de▶ sa Dâenâ au pont Chinvat ? Et n’est-ce pas pour avoir désiré ◀l’▶amour ◀de▶ ◀l’▶Ange que ◀les▶ amants ◀de▶ ◀la▶ forêt du Morois en viennent à découvrir que c’est leur passion même qui exige leur séparation, parce que « leur engagement — comme dira Novalis — n’était pas pris pour cette vie », mais pour l’autre ? S’il est une « erreur ◀de▶ Tristan », motivant ◀le▶ malheur essentiel ◀de▶ sa passion, ce serait alors dans ◀le▶ mode ◀de▶ ◀la▶ transposition du « ciel » sur Terre et ◀de▶ ◀l’▶Ange en ◀la▶ femme, que ◀l’▶on pourrait en pressentir ◀l’▶ultime secret. (Ici, donc, toute morale commune ou rationnelle, non strictement personnaliste, ne peut évidemment que se récuser.)
◀L’▶école orientale
La plupart des doctrines hindoues, et ◀l’▶unanimité des écoles bouddhistes, comme on ◀l’▶a vu, nient ◀la▶ personne ou ◀la▶ survolent, ne connaissent que ◀l’▶ego tout transitoire et ◀le▶ Soi tout impersonnel : « Il n’est qu’un Soi pour tous ◀les▶ êtres. 115 » ◀L’▶individualité qui est là, qui tombe sous ◀le▶ sens, doit être exténuée méthodiquement (non point transfigurée ou glorifiée) pour atteindre ◀le▶ Soi sans distinction, ◀la▶ Réalité sans visage, qui n’est ni ceci ni cela, mais qui est ◀l’▶Immensité, disent ◀les▶ hindous, et qui est ◀le▶ Vide disent ◀les▶ bouddhistes.
Du même coup se trouvent évacués ◀les▶ problèmes ◀de▶ ◀l’▶amour ◀de▶ soi-même et ◀de▶ ◀l’▶amour ◀de▶ Dieu et du prochain : faute de protagonistes bien réels, ces problèmes ne sauraient avoir lieu (ou du moins être pris au sérieux). ◀L’▶amour même est évacué. Il n’est plus que ◀l’▶attrait des sexes agissant fatalement sur des milliards ◀d’▶agrégats éphémères, combinés et défaits selon ◀le▶ cours des astres et ◀le▶ Karma. Il ne peut être, pour ◀l’▶esprit, qu’indifférent. (Quoique ◀la▶ morale sociale condamne radicalement ◀l’▶adultère ◀de▶ ◀la▶ femme mariée ; mais ce n’est pas au nom de ◀l’▶amour, on ◀le▶ pense bien).
« Écarte ◀les▶ choses, ô amant, ta voie est fuite ! » s’écriait saint Jean de la Croix. Écarte ◀le▶ prochain ! ajoutent ◀les▶ spirituels du védantisme et du bouddhisme. S’il est vrai que « ◀la▶ notion ◀de▶ Moi n’a ◀d’▶accès que dans ◀la▶ pensée des sots », comme ◀le▶ dit un texte tibétain, ◀la▶ notion ◀de▶ Toi ne vaut pas mieux. « ◀La▶ morale bouddhique, qui est une sorte ◀d’▶hygiène spirituelle, tend à détruire, en nous, ◀les▶ causes ◀de▶ souffrance pour autrui.116 » « On ne peut comprendre ◀la▶ nature ◀de▶ ◀l’▶ultime réalité qu’après avoir détruit tout attachement inné ou acquis, pour ses semblables…117 » Et ◀le▶ Bouddha lui-même : « Qui a cent sortes ◀d’▶amours a cent sortes ◀de▶ douleurs ; qui a un amour a une douleur ; qui n’a pas ◀d’▶amour n’a pas ◀de▶ douleur. »
Si ◀l’▶on s’en tient aux textes, ◀la▶ cause est entendue : ◀l’▶Asie métaphysique ne connaît pas ◀l’▶amour, — j’entends ◀l’▶amour ◀de▶ Dieu, ◀de▶ soi et du prochain, ◀l’▶amour-passion, et même ◀l’▶amour matrimonial.
Mais on me dira que ◀l’▶Asie n’est pas toute spirituelle, et que ◀la▶ vie ne s’en tient pas aux textes. On ajoutera peut-être qu’on ne voit pas ◀de▶ raisons pour que ◀l’▶Orient réel soit plus conforme aux sermons du Bouddha, que ◀l’▶Europe au Sermon sur ◀la▶ montagne. On aura tort.
Car ◀les▶ grandes doctrines religieuses ◀de▶ ◀l’▶Asie n’ont jamais été révolutionnaires. Elles n’ont jamais prétendu transformer ◀l’▶ensemble des réalités humaines : sociales, économiques et politiques, ou même morales. D’une part (en tant que religions), elles expriment ces réalités, elles ◀les▶ fixent et elles ◀les▶ consacrent (par ◀les▶ idoles et ◀les▶ yantras — signes magiques et invariables —, par ◀les▶ rites quotidiens omniprésents, par ◀le▶ régime des castes et ◀la▶ condamnation ◀de▶ toute curiosité du monde) ; d’autre part, en tant que doctrines elles proposent aux spirituels ◀les▶ moyens ◀de▶ s’en évader en dérangeant ◀le▶ moins ◀de▶ choses possible. ◀Les▶ religions abrahamiques, au contraire, monothéistes et communautaires, attaquent ◀l’▶ensemble des relations humaines et prennent à partie, un à un, tout individu tel qu’il est, décidées à ◀le▶ transformer en vérité118. Elles provoquent ◀d’▶innombrables réactions. Il est par suite inévitable que ◀l’▶existence réelle, en Occident, ressemble moins à ◀la▶ doctrine que ce n’était ◀le▶ cas, jusqu’à nos jours, en Asie. Prenons ◀l’▶exemple ◀de▶ ◀l’▶érotisme.
◀Le▶ shivaïsme explique ◀le▶ cosmos tout entier en termes de sexualité : il pose ◀le▶ désir à ◀la▶ base ◀de▶ tout. « Nous ne désirons des choses que dans ◀la▶ mesure où elles nous procurent une jouissance. ◀La▶ divinité n’est un objet ◀d’▶amour que parce qu’elle représente une volupté sans mélange… ◀Le▶ désir du luxurieux pour ◀la▶ femme n’existe que parce qu’il voit en elle ◀la▶ forme ◀de▶ son plaisir, ◀la▶ source ◀de▶ sa jouissance. Dans ◀la▶ joie ◀de▶ ◀la▶ possession, ◀la▶ souffrance du désir est pour un instant apaisée… et ◀l’▶homme perçoit dans ◀le▶ plaisir sa propre nature essentielle, qui est ◀la▶ joie. Toute jouissance, tout plaisir est une expérience du divin… Mais ◀l’▶amour parfait est celui dont ◀l’▶objet n’est pas limité. C’est cet amour qui est ◀l’▶amour pur, ◀l’▶amour ◀de▶ ◀l’▶amour même, ◀l’▶amour ◀de▶ ◀l’▶Être-de-volupté transcendant »119. Kâma, ◀le▶ dieu du plaisir érotique, est vénéré par ◀les▶ yogis, « car c’est lui seul, lorsqu’il est satisfait, qui peut libérer ◀l’▶esprit du désir… Ce n’est pas ◀le▶ plaisir mais ◀le▶ désir qui lie ◀l’▶homme et qui est un obstacle à son progrès spirituel.120 » Et encore : « Celui qui cherche ◀l’▶amour dans ◀l’▶espoir ◀d’▶une jouissance est ◀la▶ victime du désir. ◀Le▶ sage accepte ◀les▶ plaisirs sensuels quand ils viennent, mais avec un cœur détaché. Il n’est pas victime du désir.121 »
Ce « détachement » tout accueillant, cette approbation du plaisir comme expérience du divin, comparons-◀les▶ aux diatribes ◀d’▶un saint Paul annonçant ◀la▶ « colère ◀de▶ Dieu, révélée du Ciel » contre ◀les▶ « impudiques » et ◀les▶ « infâmes », contre « tous ceux qui se sont livrés à ◀l’▶impureté, selon ◀les▶ convoitises ◀de▶ leur cœur. » Comparons ◀le▶ Shiva Purana, ◀le▶ Kamasutra, ◀le▶ Mahabharata, ◀les▶ copieux commentaires sur ◀le▶ culte du phallus, aux traités des Pères de l’Église sur ◀l’▶ascèse et sur ◀la▶ chasteté, et nous comprendrons à quel point Kierkegaard voyait juste quand il disait que ◀le▶ christianisme, en condamnant ◀la▶ sensualité au nom de ◀l’▶esprit, ◀l’▶a posée comme réalité et catégorie spirituelle.
Dans ◀les▶ littératures ◀de▶ ◀l’▶Asie, on trouvera peu ◀d’▶exemples convaincants — pour ma part, je n’en connais point — ◀de▶ ce que nous baptisons amour-passion, et ◀l’▶on sait à quel point cette forme ◀de▶ ◀l’▶amour est liée à ses expressions. ◀La▶ passion et ◀l’▶amour mystique, ◀l’▶érotisme et ◀l’▶amour du prochain, sont des problèmes occidentaux, posés à tous par ◀les▶ rigueurs mal tolérées ◀de▶ dogmes et ◀de▶ doctrines impératives, cependant que ◀les▶ voies ◀de▶ sagesse asiatiques sont seulement proposées, — à quelques-uns. ◀Les▶ recettes ◀de▶ plaisir, ou ◀d’▶immortalité par ◀la▶ rétention du semen, sont liées en Asie à ◀la▶ piété, tandis que nos coutumes viennent ◀d’▶un vieux fond païen et que notre hygiène moderne se veut « scientifique ». À cause de ◀la▶ nature du christianisme et ◀de▶ ◀la▶ nature ◀de▶ ◀l’▶hindouisme ou du bouddhisme, ◀la▶ vie réelle ◀de▶ ◀l’▶Occident est en conflit avec ◀la▶ foi, tandis que ◀la▶ vie réelle ◀de▶ ◀l’▶Asie est en symbiose avec ses religions.
Et si ◀la▶ symétrie ◀de▶ ces formules inquiète, revenons au quotidien banal, pris sur ◀le▶ vif : plutôt qu’une infinie bibliographie rameutée à l’appui de mes dires, cette notation plaisante dans un roman moderne, dont ◀l’▶auteur se trouve être un brahmane védantin : « J’avais vécu en Europe, j’avais épousé une Européenne : apparemment, cela me donnait ◀l’▶invraisemblable privilège ◀de▶ comprendre ◀les▶ choses ◀de▶ ◀l’▶amour.122 »
Ceci encore : ◀le▶ cliché Orient — Occident = non-moi — personne, qui a peut-être moins cours en Orient que dans certains milieux ◀d’▶Europe et ◀d’▶Amérique sérieusement éperdus ◀de▶ sagesse asiatique, me paraît appeler deux remarques, à vrai dire ◀d’▶inégale importance, et qu’on voudrait déconcertantes.
1. Précaution ◀de▶ méthode dialectique. — Au défi ◀de▶ dogmes sublimes et qui prétendent transfigurer ◀la▶ vie concrète, ◀l’▶Occident répond par des mythes symbolisant ses résistances naturelles, et qui font ◀l’▶intérêt ◀de▶ sa vie amoureuse. Mais ◀l’▶Orient se contente ◀de▶ proposer des voies aux Renonçants (ou sannyasins) qui ont épuisé ◀la▶ coupe, ou ◀la▶ dédaignent. Pas ◀de▶ drame, encore moins ◀de▶ tragique, et surtout pas ◀de▶ tout ou rien, mais ◀d’▶innombrables variétés dans ◀l’▶approche ◀de▶ ◀l’▶ultime réalité. Où nous verrions contradiction, antinomie, ils ne montent pas sur leurs grands chevaux théologiques, mais chacun suit sa voie, son « svadharma », sa religion particulière. C’est pourquoi nos contradictions restent si farouchement liées au dogme, tandis que leurs divergences ne s’opposent pas. S’il arrive que certaines ◀de▶ leurs croyances semblent bien se confondre avec les nôtres (semblent bien affirmer, par exemple, ◀la▶ réalité ◀de▶ ◀la▶ personne ou du prochain) on n’en saurait déduire qu’elles excluent leur contraire, ou que ◀l’▶on s’était mépris sur ◀le▶ vrai sens ◀de▶ leurs affirmations répétées du contraire (comme ◀la▶ non-existence du moi). Illustrons cela.
◀L’▶idée ◀de▶ vocation personnelle accomplie aux dépens de ◀l’▶individu est loin ◀d’▶être absente ◀de▶ ◀la▶ Bhagavad-Gita :
Sois détaché et accomplis ◀l’▶action qui est ton devoir, car en accomplissant ◀l’▶action sans attachement, ◀l’▶homme obtient ◀le▶ but suprême. (III, 19.)
Notre propre devoir, si humble qu’il soit, vaut mieux que ◀le▶ devoir parfaitement accompli ◀d’▶un autre. ◀Le▶ dharma ◀d’▶un autre est plein ◀de▶ dangers. (III, 35.)
◀La▶ vie n’a servi ◀de▶ rien à celui qui quitte ce monde sans avoir réalisé son propre monde intérieur. Elle reste invécue, comme ◀les▶ Vedas non récités, ou toute action non accomplie. (Brihad-âranyaka Up.)
◀La▶ notion ◀de▶ ◀l’▶amour du prochain, et ◀l’▶injonction évangélique ◀d’▶aimer aussi son ennemi ne sont pas absentes du bouddhisme : car ◀l’▶ennemi et toi-même ne diffèrent que par ◀les▶ attachements du moi phénoménal, tandis qu’ils participent du même Soi véritable, qui seul importe. « Surmonte ◀le▶ mal par ◀le▶ bien », dit ◀le▶ Bouddha. « Que ceux qui me calomnient, me nuisent, me raillent, et tous ◀les▶ autres, obtiennent ◀l’▶illumination spirituelle », dit Shantideva.
Et Suzuki, qui enseigna ◀le▶ zen à toutes ◀les▶ Amériques dégoûtées ◀de▶ ◀l’▶Occident, et de plus en plus à ◀l’▶Europe, va jusqu’à dire que ◀la▶ méthode bouddhiste « consiste à transformer Éros en Agapè 123 ».
Je répète que tout cela n’est pas contradictoire, dans une philosophie sans dogmatique. Nous parlerons alors ◀d’▶inconséquence logique ? Mais notre science n’a-t-elle pas inventé plusieurs logiques, aussi valables l’une que l’autre ? Elles ne se contredisent pas davantage que ◀les▶ énoncés spirituels correspondant à différents niveaux ◀d’▶évolution, à différents degrés ◀d’▶éveil ◀de▶ ◀la▶ conscience…
2. Mise en question par ◀l’▶expérience vécue. — Dans ◀le▶ roman ◀de▶ Raja Rao qu’on vient de citer, cette sentence ◀d’▶un upanishad reparaît à plusieurs reprises :
En vérité, à quoi se rapporte ◀l’▶amour ◀d’▶un mari pour sa femme ? Non point à ◀la▶ femme, mais en vérité au Soi qui est en elle.124
En présence d’une telle phrase, j’éprouve d’abord ceci : ◀le▶ sentiment ◀d’▶une immédiate et vive reconnaissance. Car toute vérité sur ◀l’▶amour est immédiatement reconnue par celui qui s’est mis en quête ◀d’▶un savoir ◀de▶ ◀l’▶amour qu’il vit. N’importe qui m’avertira que ◀le▶ Soi ◀de▶ ◀l’▶Inde n’est pas ◀le▶ vrai Dieu des chrétiens, qui est personnel. On connaît ◀les▶ définitions. Mais je retrouve ici mon expérience. C’est seulement à partir de là que nos questions deviennent capables ◀de▶ réponses. Sur cette phrase des upanishads, sur ◀le▶ dialogue qui peut s’instituer à partir ◀d’▶expériences reconnues, on pourrait écrire tout un livre. (Mais si c’était celui que je suis en train d’écrire ? Et qui précisément, ici, touche à sa fin ?)
Je disais que ◀l’▶amour vrai, c’est discerner dans l’autre — pour ◀l’▶avoir reconnu tout d’abord en soi-même — ◀le▶ vrai moi, sujet ◀de▶ ◀l’▶amour, et ◀l’▶aider à prendre conscience ◀de▶ ce qu’il est ou peut devenir. N’est-ce pas ◀l’▶aider à réfléchir ◀la▶ lumière ◀de▶ ◀l’▶amour créateur ? Non, ce serait-là trop dire, et pas assez. Aimer, c’est aider l’autre à se’ situer ◀de▶ telle manière que ◀la▶ lumière se voie en lui, mais qu’en même temps ◀le▶ vrai moi ◀de▶ ◀l’▶amant s’y découvre, autrement éclairé, et par là subtilement changé, un peu plus lui-même qu’avant : amour mutuel.
◀L’▶expérience est ◀la▶ même, ou du moins je ◀la▶ sens telle. Mais ◀la▶ lumière ? Est-ce ◀le▶ Nom qu’on lui donne qui diffère, — ou quoi ◀d’▶autre ? ◀Le▶ point du dialogue est ici. Un point seulement, sans étendue, mais selon ◀le▶ regard que nous portons sur lui, il en jaillit un monde ou l’autre : ◀l’▶Occidental ou ◀l’▶Oriental.
Tous ◀les▶ risques ◀d’▶erreur sont ◀de▶ notre côté, nous ◀les▶ payons par ◀les▶ névroses ou ◀l’▶abêtissement spirituel. Eux sont tellement en garde contre ◀l’▶illusion, qu’ils ◀l’▶ont mise en facteur commun dans tout ce qui existe (à tel point que ◀le▶ seul fait ◀d’▶exister devient pour eux ◀l’▶équivalent ◀de▶ notre péché originel). Ils en ont fait autant pour ◀les▶ névroses qui s’attaquent à nos « agrégats » individuels : ◀le▶ cosmos actuel tout entier semble résulter — selon leurs sages — ◀d’▶une gigantesque schizophrénie du Soi. (Mais il sera finalement résorbé, tout s’arrangera.) Ils en ont fait autant pour ◀les▶ personnes potentialisées dans une seule Personne-cosmique (Purusha dont ◀la▶ contrepartie actualisante est Prakriti), finalement dissociée et fondu dans ◀le▶ Soi : « Tu es Cela ». ◀Le▶ drame individuel est noyé dans ◀le▶ Tout. Mais ◀le▶ Tout est ◀le▶ contraire du drame.
Tous ◀les▶ risques ◀d’▶erreur sont liés à notre amour ; et plus ◀l’▶amour est passionné, exigeant, singulier, plus grand ◀le▶ risque. Ce que nous croyons aimer en elle, est-ce elle-même ou ◀l’▶image ◀de▶ notre ange ? Ce que nous avons cru voir en elle, et que nous déifions peut-être à ses dépens, est-ce notre anima projetée ? Tous ◀les▶ psychanalystes nous ◀l’▶ont dit : ◀l’▶erreur sur ◀la▶ personne ◀de▶ ◀l’▶être aimé est ◀la▶ source des pires conflits, une violence faite à ◀l’▶âme ◀de▶ l’autre, à son corps ou à son esprit — ou encore à son moi total non reconnu, non respecté dans son autonomie.
Ici, ◀le▶ brahmane intervient :
— Si tu cherches ◀le▶ Soi à travers elle, si tu as compris ◀l’▶impermanence et t’exerces aux « vues justes » comme disait ◀le▶ Bouddha — qui était l’un des nôtres, un Indien —, si tu vois bien ce que tu vois et portes ton amour à ◀l’▶immuable seul, toutes ces erreurs que tu craignais sont illusoires. Comme ◀le▶ moi.
— ◀La▶ vue juste distingue et juge, mais ne peut pas nier ◀le▶ trouble. Dans ce moi peu ou point différencié que ◀la▶ vie nous offre, avec son programme génétique insondablement plus ancien que notre individu naturel, et qui lui survivra dans ◀le▶ cours des siècles, sans surprises et mille fois réincarné — ◀la▶ vue juste imagine — au sens fort — ◀la▶ personne. Il ne faut pas jeter ◀la▶ vie avec ◀l’▶erreur, mais aimer mieux. Non pas éteindre ou dépasser, mais transmuter, transfigurer ! Aimer mieux, c’est apprendre à discerner ◀la▶ raison ◀d’▶être — donc ◀d’▶être unique — ◀de▶ l’autre aimé, comme ◀de▶ soi-même. Ce corps visible que vient animer un mouvement singulier et fascinant ◀de▶ ◀l’▶être… « Aimer ce que jamais on ne verra deux fois ! »
— Aimer, c’est vouloir ◀l’▶immortel, non ◀l’▶éphémère, lequel n’a rien en soi qui mérite ◀l’▶amour. Cela n’empêche pas ◀la▶ poésie, ◀les▶ amours poétiques, ni ◀le▶ désir, ni « cette adoration dont ◀la▶ femme a besoin pour s’accomplir, et par ce culte que nous lui rendons, nous arrivons à connaître ◀le▶ monde et à ◀l’▶anéantir en ◀l’▶absorbant. Mais que nous devenions Shiva, ◀la▶ femme est dissoute et ◀le▶ monde avec elle. Car ◀le▶ monde ne doit pas être refusé mais dissous.125 »
— Je veux voir l’autre en sa réalité, qui est unique. J’aime en elle à la fois ce que je vois et ce qui fait que je ◀la▶ vois unique : ce vrai moi pressenti par ◀l’▶amour seul, et qui est elle-même. Tu dis ◀le▶ Soi, ce n’est personne.
— Il n’y a personne. Personne ne peut aimer, sauf ◀l’▶égoïste. Il y a ◀l’▶amour, et nous pouvons seulement devenir amour. Et tu sais bien que tu ne dois aimer que ton « Dieu » dans ses créatures, puisqu’il est dit ◀de▶ Lui qu’il est amour.
— Mais Dieu pour nous est une Personne, et nous crée comme personnes bien distinctes. Tu ne vois pas ◀la▶ femme que tu crois aimer.
— Quand je saurai aimer ◀le▶ Soi en elle, je ne serai plus moi, elle ne sera plus elle, et ◀les▶ dieux mêmes me serviront.
Tout et tous
◀L’▶Orient voudrait exténuer, « émacier ◀le▶ réel tangible126 », pour rejoindre l’Un primordial. Quand ses dieux mêmes auront fait leur office et fait leur temps, il y aura ◀le▶ Soi seul en tout.
À ◀la▶ consommation des temps, répond saint Paul, « Dieu sera tout en tous. »
Depuis six millénaires, ◀les▶ sages ◀de▶ ◀l’▶Asie n’ont pas varié dans leur croyance en ◀la▶ dualité ◀de▶ l’Un et du Multiple, dualité finalement illusoire puisqu’un jour — dont ils savent ◀la▶ date — ◀la▶ vie, ◀le▶ cosmos et ◀les▶ dieux seront résorbés dans l’Un seul, sans laisser aucune trace, comme n’ayant pas eu lieu. ◀Le▶ triomphe ◀de▶ ces spirituels et ◀de▶ leur eschatologie se confondra ce jour-là avec ◀l’▶aboutissement ◀d’▶un processus entièrement matériel calculé par ◀la▶ science occidentale : mais personne ne sera là pour constater que leurs doctrines sur ◀la▶ Lumière finale et sur ◀le▶ Vide n’auront été, dans leur ensemble, qu’une immense transposition sur ◀les▶ plans poétique et religieux du second principe ◀de▶ ◀la▶ thermodynamique.
L’autre moitié ◀de▶ ◀l’▶humanité croit dur comme fer à ◀la▶ réalité tangible, insuffisante, pleine ◀de▶ mystères, des apparences actuelles, qu’elle s’évertue en conséquence à scruter et à modifier. Elle parie sur ◀la▶ vie et contre ◀l’▶entropie127. Elle ne sait plus ◀d’▶où lui vient cette passion qui a produit ◀la▶ technique et ◀les▶ sciences, mais aussi nos structures sociales et politiques, ◀les▶ droits de l’homme et une extraordinaire avidité. ◀Le▶ sens réel ◀de▶ ◀l’▶aventure échappe à ◀la▶ majorité ◀de▶ ceux qu’elle entraîne. Et il est vrai qu’on ne saurait guère ◀le▶ concevoir sans une vision ◀de▶ sa fin anticipée. ◀La▶ petite phrase ◀de▶ saint Paul au début ◀de▶ notre ère, « Dieu tout en tous », ◀d’▶un seul trait fulgurant décrit cette fin.
Dès lors, au duel ◀de▶ l’Un et du Multiple est substitué ◀le▶ drame ◀de▶ l’Un et des uniques
— à ◀l’▶anéantissement final dans ◀l’▶unisson, ◀l’▶harmonie ◀d’▶un chœur infini ;
— à ◀la▶ régressive extinction des différences éphémères, leur mort et transfiguration ;
— à ◀l’▶individuel aboli par une longue aspiration ◀de▶ ◀l’▶Atman, ◀le▶ personnel éternisé par ◀l’▶effort vivifiant ◀de▶ ◀l’▶Imagination.
Ce sont là deux doctrines, deux vues des spirituels. Quelle est ◀la▶ vraie ? Si ◀les▶ sages ◀de▶ ◀l’▶Orient ont raison, personne ne pourra ◀le▶ vérifier à ◀la▶ consommation des temps, pas même ◀le▶ Soi qui dormira dans un sommeil sans rêves — leur idée du bonheur — entre deux Créations totalement insensées. Si ◀les▶ saints ◀de▶ ◀l’▶Occident ont raison, ils seront seuls à être là pour ◀le▶ savoir.
◀La▶ doctrine qui peut devenir vraie sera celle que nous choisirons, en vérité vécue ◀de▶ conscience et ◀d’▶action.
◀Les▶ résultats actuels et historiques sont ambigus à ◀l’▶infini, pour nos mesures. ◀Les▶ peuples sont dans ◀l’▶ignorance malheureuse des origines et des fins ◀de▶ ce qu’ils croient, bien qu’ils en vivent plus ou moins bien, et même qu’ils meurent parfois pour leurs croyances.
Nous voyons ce que ◀l’▶Orient est resté jusqu’ici, et que ses doctrines ◀d’▶extinction n’ont pas tué ◀l’▶illusion du moi ; au contraire, ce moi sans valeur est en train de faire valoir ses revendications, par plusieurs centaines ◀de▶ millions ◀de▶ bouches à nourrir, et demain ◀de▶ cerveaux à diriger. Nous pressentons dans ◀la▶ terreur et ◀l’▶espérance ce que ◀l’▶Occident peut devenir : soit s’engloutir dans ◀l’▶illusion ◀de▶ ◀la▶ matière (et ◀l’▶Orient aurait eu raison), soit accomplir sa vocation aventureuse, — déchiffrer ◀l’▶Être dans ◀le▶ singulier et ◀les▶ structures ◀de▶ ◀l’▶énergie universelle. Car c’est au secret des personnes que nous tentons ◀d’▶écouter ◀la▶ Personne, mais c’est dans ◀la▶ matière que nous cherchons ◀le▶ Soi. « ◀D’▶autant plus nous connaissons ◀les▶ choses particulières, dit Spinoza, ◀d’▶autant plus nous connaissons Dieu. »
◀La▶ création tout entière, « soumise à ◀la▶ vanité » mais travaillée par « un ardent désir, attend ◀la▶ révélation des fils ◀de▶ Dieu » (Romains, 8). Et saint Justin, ◀l’▶œcuménique du iie siècle, ose parler ◀d’▶un salut ◀de▶ ◀la▶ Matière. À force de ◀l’▶étreindre ◀de▶ ses mains, ◀de▶ ◀la▶ mesurer par ◀la▶ vue, ◀de▶ ◀la▶ dissoudre et ◀de▶ ◀la▶ recomposer, ◀de▶ ◀l’▶épier dans sa vie secrète, comme ◀l’▶alchimiste, cette matière du cosmos en expansion, ◀de▶ ◀l’▶atome élusif, des corps vivants, ◀l’▶homme ◀d’▶Occident ne cherche pas seulement à dévoiler ses lois secrètes, mais à se transformer lui-même, en tant qu’il participe au mystère du créé. Il a choisi cette voie, qu’il aille jusqu’au bout ! Pour lui ◀la▶ Réalité est dans ◀l’▶individuel, et ◀l’▶Être dans ◀les▶ raisons ◀d’▶être des uniques. Or ce choix est celui ◀de▶ ◀l’▶amour, ◀de▶ ◀la▶ connaissance par ◀l’▶amour, car tout ce qui existe est unique, à voir ◀de▶ près, comme voit ◀l’▶amour.