Pour Berlin (septembre 1961)bf
Le▶ monde entier se demande pourquoi M. Khrouchtchev estime urgent ◀de▶ signer un traité ◀de▶ paix avec ◀le▶ régime ◀de▶ Pankow, qui n’a jamais été en guerre avec ◀les▶ Russes et qui n’existe que par eux.
◀Les▶ motifs politiques qui animent M. Khrouchtchev doivent être à ses yeux bien puissants pour justifier ◀le▶ risque qu’il encourt en exigeant ce traité ◀de▶ paix, dont il voit comme chacun que ◀la▶ seule annonce rend ◀la▶ guerre atomique soudain possible. Nous ne discuterons pas ses raisons, ni celles que lui oppose ◀l’▶Occident. Nous sommes en présence d’un fait qui dépasse ◀les▶ calculs politiques et met en jeu ◀les▶ droits de l’homme.
◀Le▶ problème ◀de▶ Berlin se ramène à ceci qu’un régime qui se dit populaire veut empêcher son peuple ◀de▶ ◀le▶ fuir.
À travers Berlin, chaque jour et depuis une dizaine ◀d’▶années, des centaines ◀d’▶Allemands de l’Est passaient en République fédérale, manifestant ainsi leur libre choix au prix du sacrifice ◀de▶ tous leurs biens. Privés ◀d’▶élections libres, ils votaient avec ◀les▶ pieds, selon ◀la▶ formule ◀de▶ Lénine. M. Khrouchtchev entend maintenant leur interdire cette dernière forme ◀d’▶expression. ◀Le▶ traité ◀de▶ paix qu’il exige permettrait ◀d’▶étouffer Berlin. Il est juste ◀d’▶ajouter que Berlin recevrait ◀le▶ titre ◀de▶ « ville libre » en échange ◀de▶ sa liberté.
« Pourquoi tuer deux-cents-millions ◀d’▶hommes pour deux millions ◀de▶ Berlinois ? » s’écriait récemment M. Khrouchtchev. Nous lui demandons en retour, avec tous ceux qui veulent ◀la▶ paix : « Pourquoi tuer deux-cents-millions ◀d’▶hommes et détruire en passant ◀l’▶Acropole, à seule fin ◀d’▶empêcher que M. Walter Ulbricht continue à perdre chaque jour un millier ◀de▶ sujets qui ne ◀l’▶aiment pas ? »
Nous demandons pour ces sujets ◀le▶ droit ◀de▶ redevenir des citoyens. Nous demandons que leur soient reconnus ◀les▶ droits que définit ◀l’▶article 13 ◀de▶ ◀la▶ Déclaration des droits de l’homme proclamée par les Nations unies, dont ◀l’▶URSS est membre : « Toute personne a ◀le▶ droit ◀de▶ quitter tout pays, y compris le sien. »
Dans ses notes aux puissances occidentales, M. Khrouchtchev déclare que « ◀le▶ régime socioéconomique ◀de▶ tout État ne regarde que son peuple et personne ◀d’▶autre ». Cette déclaration solennelle, tous ◀les▶ peuples du monde ◀l’▶approuvent. Mais c’est parce que Moscou refuse aux Allemands de l’Est ◀le▶ droit élémentaire ◀de▶ choisir leur régime et ◀d’▶aller vivre où ils ◀le▶ veulent, et comme ils veulent, qu’il y a un problème ◀de▶ Berlin et que ◀la▶ paix est ébranlée.
Nous demandons à M. Khrouchtchev ◀d’▶appliquer ◀les▶ principes qu’il proclame, même quand ◀le▶ droit ◀d’▶un peuple à disposer ◀de▶ lui-même ◀le▶ conduit à opter pour ◀la▶ démocratie. M. Khrouchtchev ne cesse ◀de▶ répéter que ◀la▶ marche fatale ◀de▶ ◀l’▶Histoire mènera sans guerre au triomphe ◀de▶ Moscou, et que ◀la▶ seule comparaison ◀de▶ ◀la▶ puissance soviétique et ◀de▶ ◀l’▶Occident « pourri » déterminera ◀le▶ choix des masses mondiales. Qu’il prouve donc qu’il y croit, et laisse Berlin tranquille ! Ces deux millions et demi ◀d’▶hommes et ◀de▶ femmes sans armes ne menacent pas ◀la▶ paix du peuple russe.
Nous demandons à M. Khrouchtchev ◀de▶ ne pas pousser à bout ◀les▶ Allemands de l’Est en fermant la dernière issue qu’ils voient encore vers un avenir plus libre. Priver un peuple entier ◀de▶ tout espoir n’est pas « consolider ◀la▶ paix ».
Nous demandons à M. Khrouchtchev ◀de▶ ne pas déclencher ◀le▶ massacre universel pour sauver un régime décrié. Et nous lui proposons ◀de▶ faire confiance à ◀l’▶Histoire, conformément à sa doctrine.
S’il déclarait demain que ◀les▶ Allemands de l’Est ont, eux aussi, ◀le▶ droit ◀de▶ s’autodéterminer, ces Allemands cesseraient aussitôt ◀de▶ fuir à ◀l’▶Ouest et se mettraient au travail, dans ◀l’▶espoir. Ceux qui retrouvent ◀l’▶espoir ne veulent plus que ◀la▶ paix, et cette volonté populaire, mieux que tous ◀les▶ traités indispensables, garantirait ◀l’▶évolution pacifique du peuple allemand, à laquelle ses voisins ◀de▶ ◀l’▶Est sont vitalement intéressés. Ce serait ◀la▶ fin ◀de▶ ◀la▶ peur mutuelle qui nourrit ◀la▶ guerre froide, dans ◀les▶ deux camps, ◀la▶ fin ◀de▶ ◀l’▶angoisse planétaire provoquée par ◀la▶ crise présente.
Mais s’il risque ◀la▶ guerre pour que Pankow maintienne son peuple prisonnier, il fournira ◀l’▶aveu public que ◀le▶ sort des dictatures et ◀de▶ ◀l’▶empire communiste ne tient qu’aux barbelés ◀de▶ ◀la▶ porte ◀de▶ Brandebourg, — au chantage qui fait leur seule force, au mépris ◀de▶ ◀l’▶homme qu’ils symbolisent. C’est alors qu’il perdra ◀la▶ face devant ◀l’▶Histoire.