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Pendant ce temps, l’Amérique du Nord…
Tandis que l’Europe intellectuelle s’interrogeait ainsi sur son destin, l’Amérique décidait du sien. Elle devenait l’avenir de▶ l’Europe, ou du moins l’avenir ◀de▶ ces Européens qui désespéraient ◀de▶ réussir sur leur sol l’union nécessaire. C’est ce que Benjamin Franklin (1706-1790) a bien su voir et dire dans une série ◀de▶ lettres écrites ◀de▶ Paris à ses compatriotes :
Toute l’Europe est gagnée à notre cause (la création ◀de▶ l’Union des États indépendants américains), elle applaudit à nos efforts et nous accompagne ◀de▶ ses vœux. Les hommes qui vivent sous le joug du pouvoir arbitraire n’en approuvent et n’en désirent pas moins la liberté : ils désespèrent presque ◀de▶ voir jamais le rétablissement ◀de▶ l’Europe et lisent avec impatience tout ce que l’on écrit sur l’établissement ◀de▶ constitutions indépendantes dans notre continent. On rencontre partout ◀d’▶innombrables personnes qui envisagent ◀de▶ se rendre en Amérique avec leurs familles et leurs fortunes, dès que la paix et l’indépendance y seront assurées, de sorte que l’on peut généralement escompter que les émigrations ◀de▶ l’Europe nous vaudront un surcroît ◀de▶ puissance, ◀de▶ richesse et ◀de▶ science. L’idée se répand de plus en plus que les régimes tyranniques qui se maintiennent au pouvoir en Europe devront s’assouplir et accorder plus ◀de▶ libertés aux peuples, s’ils veulent diminuer l’ampleur des émigrations ou même les prévenir. On pense ici dans presque tous les milieux que notre cause est la cause ◀de▶ tout le genre humain, et qu’en défendant notre liberté, nous combattons pour la sienne. C’est une tâche merveilleuse que nous a assignée la Providence, et je ne puis donc qu’espérer fermement qu’elle nous aura accordé aussi la force et le courage nécessaires pour la remplir et qu’elle couronnera nos efforts ◀de▶ succès.141
Et tandis que l’Europe intellectuelle, négligée par les grands politiques, accumulait les plans ◀d’▶union mais n’en réalisait aucun, l’Amérique, elle, se fédérait.
Ses hommes étaient Européens, sans exception. Et ses idées étaient européennes. Elle ne se sépara ◀de▶ la mère patrie que sur la seule question ◀de▶ la réalisation ◀de▶ ces idées. Or à ce point, intérêts précis entraient en jeu, et comme les hommes d’État européens se révélaient incapables ◀de▶ les prendre au sérieux, il n’y eut pas convergence mais conflit.
Certes, les pionniers ◀de▶ l’Union américaine n’opposaient à l’Europe que les principes formulés par nos propres élites, mais ces principes étaient refusés en fait par tous nos États souverains. C’est pourquoi l’Anglais Penn, s’il n’a pu faire l’Europe, a contribué à faire l’Amérique. Or il faut voir que si cette colonie a trouvé bon ◀de▶ mettre un terme à la désunion ◀de▶ ses États, c’est aussi pour se rendre indépendante « ◀de▶ tout contrôle et ◀de▶ toute influence européenne ». Citons une page du Federalist, qui ne manquera pas ◀de▶ suggérer aujourd’hui l’idée ◀d’▶un nouveau retour des choses…
The Federalist est un recueil ◀de▶ 85 articles ◀de▶ journaux écrits pour défendre la Constitution votée par la Convention Fédérale le 17 septembre 1787. Ce plaidoyer est adressé au peuple ◀de▶ l’État de New York par Alexander Hamilton, John Jay et James Madison. Son autorité est restée considérable jusqu’à nos jours. Les publicistes ◀d’▶Amérique, les professeurs et les étudiants, les juges ◀de▶ la Cour suprême, y voient avec raison le premier commentaire ◀de▶ la Constitution fédérale, et l’un des monuments ◀de▶ la science politique. Le texte que nous citons est ◀de▶ Hamilton, et il est extrait du chapitre XI :
Le monde peut être divisé politiquement, comme géographiquement, en quatre parties dont chacune a des intérêts distincts. L’Europe, pour le malheur des trois autres, les a toutes, à des degrés divers, soumises à son empire par ses armes et ses négociations, par la force et par la fraude. L’Afrique, l’Asie, l’Amérique sont successivement tombées sous sa domination. La supériorité que l’Europe a depuis si longtemps conservée l’a disposée à se regarder comme la Maîtresse ◀de▶ l’univers, et à croire le reste du genre humain créé pour son utilité. Des hommes, admirés comme ◀de▶ grands philosophes, ont positivement attribué à ses habitants une supériorité physique, et ont sérieusement assuré que tous les animaux, ainsi que la race humaine, dégénéraient en Amérique ; que les chiens même perdaient la faculté ◀d’▶aboyer, après avoir respiré quelque temps dans notre atmosphère.
Les faits ont trop longtemps appuyé ces arrogantes prétentions des Européens. C’est à nous à relever l’honneur ◀de▶ la race humaine et à faire connaître la modération à ces frères usurpateurs. L’Union nous en rendra capables. La désunion préparerait une nouvelle victime à son triomphe. Que les Américains se lassent enfin ◀d’▶être les instruments ◀de▶ la grandeur européenne ! Que les Treize-États, réunis dans une étroite et indissoluble Union, concourent à la formation ◀d’▶un grand système américain qui soit au-dessus du contrôle ◀de▶ toute force ou ◀de▶ toute influence européenne, et qui lui permette ◀de▶ dicter les termes des relations entre l’Ancien et le Nouveau Monde !