2. Sécularismef
Le▶ mot « sécularisme » est devenu courant dans ◀les▶ cercles chrétiens germaniques ou anglo-saxonsg. Pour ◀les▶ Français, il n’évoquerait que des souvenirs ◀de▶ ◀la▶ Révolution, c’est-à-dire ◀la▶ confiscation par ◀l’▶État des richesses amassées dans ◀les▶ couvents.h
À mon sens, ◀le▶ sécularisme consiste à la fois en une action et une attitude.
◀L’▶action, c’est ◀la▶ confiscation des richesses spirituelles du christianisme par des hommes ou par des groupes ◀d’▶hommes qui ne croient plus au christianisme.
◀L’▶attitude, c’est celle ◀de▶ ◀la▶ très grande majorité ◀de▶ nos contemporains qui ne croient pas en une transcendance. C’est ◀l’▶athéisme réalisé, organisé, quotidiennement vécu et pratiqué, et de plus en plus dépourvu ◀de▶ ses éléments ◀de▶ polémiques, au moins conscients. Cette « mort ◀de▶ Dieu », en tant que phénomène psychologique et non ontologique, pose des questions très concrètes aux chrétiens. Comment affronter ce siècle qui veut se limiter à lui-même et ne croit plus au « siècle des siècles »i. Quelle est ◀la▶ forme que doit revêtir ◀l’▶évangélisation ◀de▶ notre époque ? Comment parler à tous ces gens autour de nous qui ont décidé que ◀le▶ mot Dieu n’a plus ◀de▶ sens ? Et qui semblent persuadés que ◀les▶ mots Église, salut, vocation, foi, obéissance, adoration sont autant ◀de▶ mensonges, ◀d’▶illusions, ◀de▶ niaiseries, ou ◀de▶ fuites devant ◀la▶ réalité ? En face du siècle pratiquement athée dans ses coutumes, théoriquement athée dans ses doctrines, que devons-nous dire et faire si nous sommes des chrétiens ?
◀La▶ question ainsi simplifiée paraît proprement écrasante, démesurée pour ◀les▶ forces et pour ◀l’▶information ◀d’▶aucun homme existant ◀de▶ nos jours. En cependant chacun ◀de▶ nous se voit bien forcé ◀d’▶y répondre. ◀La▶ situation du chrétien aujourd’hui est vraiment folle, si ◀l’▶on songe que chacun ◀de▶ nous est contraint ◀de▶ vivre et ◀de▶ penser selon sa foi dans un monde où tout nie ◀la▶ foi, dans un monde qui ◀l’▶ignore plus ou moins sereinement, ou pire encore : dans un monde où ◀le▶ christianisme n’est accepté ou au contraire ridiculisé que sous ◀la▶ forme ◀de▶ ses déviations traditionnelles, dans ses caricatures, bref, là où il n’est pas. En effet, certains ◀l’▶acceptent comme une garantie ◀de▶ ◀l’▶ordre bourgeois, et d’autres ◀le▶ ridiculisent comme s’il n’était qu’un système ◀de▶ morale et ◀d’▶évasions plus ou moins hypocrites.
C’est dans cette situation à peu près impossible et intenable que nous devons cependant parler. Je voudrais bien que dans ◀les▶ réflexions qui suivent, vous ne sentiez pas un instant ◀l’▶assurance ◀d’▶un monsieur qui développe ses idées, mais plutôt une espèce ◀de▶ prière tâtonnante pour demander ◀le▶ bon usage ◀de▶ cette maladie qu’est ◀le▶ siècle, et dont nous sommes tous ◀les▶ victimes.
Un siècle qui se limite à lui-même
Commençons par décrire ◀la▶ maladie. La plupart des descriptions ◀de▶ notre temps faites par des analystes chrétiens partent ◀de▶ ◀l’▶idée banale que ce siècle est très spécialement mauvais, et qu’il est moins chrétien que d’autres, mettons que ceux du Moyen Âge. En conséquence, ces descriptions ressemblent beaucoup plus à nos craintes et à nos ressentiments qu’au siècle lui-même, dans sa forme réelle. J’essaierai ◀d’▶éviter ce travers autant que possible.
◀La▶ sécularisation ◀de▶ ◀l’▶existence au xxe siècle revêt deux aspects qu’il ne faut pas confondre : perte du sens du sacré et perte du sens ◀de▶ ◀la▶ transcendance. Nous assistons aux dernières phases ◀d’▶une longue dégradation, ou même ◀d’▶une destruction des éléments sacrés ◀de▶ ◀la▶ vie publique et privée. Cette profanation générale résulte ◀de▶ nombreuses causes concomitantes, telles que ◀le▶ rationalisme vulgaire, ◀l’▶urbanisation, ◀la▶ mécanisation et ◀la▶ démocratisation croissante. Sous ◀l’▶effet ◀de▶ ces divers facteurs, ◀l’▶humanité du xxe siècle tend à éliminer ◀les▶ formes et ◀les▶ rites que nos ancêtres considéraient comme sacrés. ◀Les▶ chefs d’État démocratique ne sont plus des personnages rituellement isolés, costumés et consacrés comme ◀l’▶étaient ◀les▶ rois. ◀La▶ guerre n’est plus un jeu réglé, un drame solennel rappelant ◀les▶ ordalies ou jugements ◀de▶ Dieu. ◀L’▶agriculture en se mécanisant perd ses caractères magiques et symboliques, qui jouaient un si grand rôle dans ◀les▶ mythes religieux ◀de▶ ◀l’▶Antiquité. À ce propos, relevons que dans ◀les▶ évangiles, ◀la▶ presque totalité des paraboles et comparaisons est tirée ◀de▶ ◀l’▶agriculture (◀le▶ semeur, ◀le▶ grain qui doit nourrir, ◀le▶ cep et ◀les▶ sarments, ◀les▶ figuiers stériles, etc.). Ce langage symbolique, tout chargé ◀d’▶éléments ◀de▶ religion naturelle, ne tend-il pas à perdre son efficacité et son pouvoir convaincant à ◀l’▶époque des avions, des boulons fabriqués en série, ◀de▶ ◀la▶ radio et des transports rapides ? ◀Les▶ catholiques, dont ◀la▶ religion reste sacrale, s’en sont inquiétés récemment. Des prêtres et des religieux français se sont demandé si, dans ce décalage entre ◀le▶ cadre pastoral des évangiles et ◀la▶ vie quotidienne ◀d’▶un ouvrier ◀d’▶usine, il n’y avait pas l’une des raisons du décalage plus général entre ◀l’▶Église et ◀les▶ masses urbaines. Fallait-il en tirer une condamnation ◀de▶ ◀la▶ vie urbaine et des machines, et déclarer que ◀la▶ vie rurale est seule conforme à ◀l’▶ordre divin ◀de▶ ◀la▶ Création ? Ou au contraire, fallait-il en conclure que c’est ◀le▶ langage ◀de▶ ◀l’▶Église qui doit être modernisé ?
Nous aurons à revenir à des dilemmes fort analogues, un peu plus tard, et je n’essaierai pas ◀de▶ prendre position dans ce cas particulier. ◀D’▶autant moins qu’en dépit des inquiétudes peut-être légitimes que je viens de signaler, j’inclinerais à penser que cette première forme ◀de▶ sécularisme, ◀la▶ désacralisation ◀de▶ ◀l’▶existence, peut être un bien autant qu’un mal pour notre foi. Elle peut être un mal si elle prive ◀les▶ hommes du sens du mystère, du sens des correspondances naturelles et du sens ◀de▶ ◀la▶ vénération. Mais elle peut être un bien, aussi, dans ◀la▶ mesure où elle détruit ◀l’▶équivoque entre ◀la▶ religion naturelle et ◀la▶ foi, par soustraction ◀de▶ la première. Du point de vue ◀de▶ ◀la▶ foi pure, en effet, on peut estimer qu’il y a un progrès dans ◀le▶ fait que ◀les▶ hommes ◀d’▶aujourd’hui sont moins tentés ◀de▶ confondre ◀le▶ christianisme avec telle ou telle forme ◀de▶ ◀la▶ religion ancestrale, patriarcale, champêtre ou monarchique. Au reste, ◀le▶ sacré ou ◀le▶ sacral appartient au règne ◀de▶ ◀la▶ Nature, ◀de▶ ◀la▶ physique sociale, ◀de▶ ◀l’▶immanence, et c’est pourquoi il n’a pas manqué ◀d’▶éveiller ◀la▶ méfiance des Apôtres et des premiers chrétiens. Il tend à se reformer spontanément chaque fois qu’une société ou une communauté nouvelle s’établit. C’est ainsi que ◀la▶ société chrétienne du Moyen Âge a reconstitué une notion sacrale ◀de▶ ◀la▶ vie. Et c’est ainsi que ◀les▶ révolutions modernes ont été amenées, comme par une loi sociologique, à recréer des symboles pseudo-religieux pour ◀les▶ masses. Je ne pense pas qu’il y ait lieu ◀de▶ se féliciter ◀de▶ ces renaissances, plus que ◀de▶ déplorer ◀la▶ décadence des anciennes formules du sacré. Du point de vue ◀de▶ ◀la▶ foi, ces phénomènes resteront toujours ambivalents.
Il en va tout autrement ◀de▶ la seconde forme ◀de▶ sécularisme, celle que j’ai nommée ◀la▶ perte du sens ◀de▶ ◀la▶ transcendance. C’est ici que notre analyse doit s’appliquer.
Dans son ensemble, ◀l’▶humanité du xxe siècle ne croit plus qu’au seul siècle présent, à ◀l’▶ici-bas limité à lui-même. Elle supprime donc ◀la▶ dimension ◀de▶ ◀l’▶au-delà, c’est-à-dire ◀de▶ ◀l’▶éternité, ◀de▶ ◀la▶ transcendance, donc ◀de▶ Dieu dans sa royautéj. ◀L’▶homme est devenu ◀le▶ seul but ◀de▶ ◀l’▶homme, ◀la▶ vie ◀le▶ seul but ◀de▶ ◀la▶ vie, et ◀le▶ temps ◀le▶ seul but du temps.
Il en résulte des conséquences décisives, dans tous ◀les▶ plans ◀de▶ ◀la▶ vie humaine, sans exception. Je m’en tiendrai à trois illustrations, l’une prise dans ◀la▶ philosophie, l’autre dans ◀la▶ lutte politique et la dernière dans ◀la▶ religion même ◀de▶ nos Églises.k
Philosophie
◀La▶ philosophie du xxe siècle proclame à la suite de Nietzsche que « Dieu est mort ». Il semble bien que ce soit là ◀le▶ thème central (plus central même qu’ils ne voudraient ◀l’▶avouer) des nouveaux philosophes et écrivains français. Ils se distinguent en ceci ◀de▶ leurs contemporains anglo-saxons, qui paraissent ne point même éprouver ◀le▶ besoin ◀de▶ formuler cette mort ◀de▶ Dieu, — comme si pour eux, vraiment, ◀la▶ question ne s’était jamais posée, comme si ◀l’▶ère du sérieux humain et ◀de▶ ◀la▶ pensée honnête avait commencé avec Marx et ne s’était continuée que par Freud et M. John Deweyl.
Toute ◀la▶ jeune philosophie et toute ◀la▶ jeune littérature, en France, discutent dans ◀les▶ cafés à partir de ◀la▶ « mort ◀de▶ Dieu », considérée comme un dogme indiscutable, qu’il s’agisse des existentialistes ou des surréalistes ou des nietzschéens. Et je pense que ◀la▶ position ◀la▶ plus cohérente qui se fonde aujourd’hui sur ◀le▶ dogme est celle ◀de▶ ◀l’▶existentialisme parisien. « ◀L’▶existentialisme, écrit ◀le▶ chef ◀de▶ cette école, n’est pas autre chose qu’un effort pour tirer toutes ◀les▶ conséquences ◀d’▶une position athée cohérente. »
Chose étrange, je ne connais pas ◀de▶ philosophie qui soit plus proche du christianisme dans sa description ◀de▶ ◀la▶ condition humaine. ◀L’▶homme, dit-elle, est responsable ◀de▶ ce qu’il est. ◀L’▶homme choisit m dans ◀l’▶angoisse, parce que ses choix éthiques engagent toute ◀l’▶humanité. ◀L’▶homme, si Dieu n’existe pas, est entièrement délaissé, c’est-à-dire abandonné au risque total ◀de▶ son choix. ◀L’▶homme enfin n’est pas ce qu’il se rêve, ni ce qu’il se sent, mais ce qu’il se fait n.
Tout cela ressemble à s’y méprendre à ◀la▶ conception chrétienne ◀de▶ ◀l’▶homme plongé dans ◀le▶ monde du péché, ◀d’▶un péché qui existait avant lui mais dont il est responsable pourtant, à chacun ◀de▶ ses actes. Je disais un jour au chef ◀de▶ ◀l’▶école existentialisteo : « En somme votre philosophie peut se résumer dans ce titre ◀de▶ Pascal : Misère ◀de▶ ◀l’▶homme sans Dieu. » À quoi il me répondit : « D’accord mais avec cette seule différence : c’est qu’il n’y a pas ◀de▶ Dieu. »
On ne saurait mieux résumer ◀la▶ situation séculariste, considérée sans illusion ni mauvaise foi. Et je pense qu’il faut être content qu’il y ait parmi nous un mouvement existentialiste, et qu’il pose aussi franchement ◀les▶ vraies questions. Il faut être content que ◀la▶ croyance, ou plutôt ◀l’▶incroyance fondamentale du siècle ait trouvé une formulation aussi cohérente. Il faut y voir un grand progrès, s’il est vrai que ◀le▶ progrès véritable réside dans ◀la▶ clarification des vrais dilemmes humains, et dans ◀la▶ position toujours plus efficace et réaliste des choix que ◀l’▶homme doit faire, des risques qu’il doit assumer.
Je ne vais pas entreprendre une discussion ◀de▶ ◀l’▶existentialisme athée. Mais je saisirai cet exemple pour mieux décrire ◀la▶ sécularisation ◀de▶ ◀la▶ pensée moderne, on pour mieux montrer à quel point son refus ◀de▶ ◀la▶ transcendance change tout dans ◀l’▶attitude ◀de▶ ◀l’▶homme. ◀L’▶existentialisme est à cet égard un cas privilégié. En effet, il use ◀d’▶une terminologie chrétienne dans sa source — et cela permet une confrontation exacte, terme à terme, avec ◀les▶ positions chrétiennes. Mais en même temps, du fait qu’il ne croit pas en Dieu et à Sa transcendance, ◀l’▶existentialisme déforme et vide ◀de▶ leur sens chrétien ◀les▶ mots-clés qu’il emploie sans cesse, et qu’il sécularise, au sens propre du terme.
Prenons ◀le▶ mot angoisse empruntée par ◀les▶ existentialistes à Kierkegaard. Ce mot définit à leurs yeux ◀l’▶état ◀de▶ ◀l’▶homme qui choisit en toute liberté, mais qui engage par son choix ◀l’▶humanité entière. C’est angoissant, en effet, car cet homme est responsable ◀de▶ ce qu’il décide et pourtant il ne peut décider qu’en vertu d’un mouvement arbitraire dont ◀le▶ résultat bon ou mauvais n’apparaîtra que par ◀la▶ suite des temps.
◀L’▶angoisse du chrétien ressemble extérieurement à celle ◀de▶ cet homme athée. En effet, ◀le▶ chrétien doit choisir lui aussi ; il engage lui aussi par son choix tout ◀le▶ destin ◀de▶ ◀l’▶humanité ; il se sait lui aussi responsable, et pourtant il ne peut s’appuyer que sur une réalité « indémontrable » aux yeux ◀d’▶autrui, qui est sa foi.
Mais voici ◀la▶ différence : si ◀le▶ chrétien choisit mal, à cause du péché, il sait que cela n’affecte pas ◀la▶ vérité : celle-ci subsiste en Dieu, intacte et souveraine. Tandis que si ◀l’▶homme athée choisit mal, alors tout est faux, sans recours. « Nous sommes seuls, sans excuses », dit un existentialiste. ◀Le▶ chrétien lui aussi sait qu’il est sans excuses — mais non point sans pardon. Son angoisse a un sens : elle est dirigée vers Dieu et vers son ordre, comme un appel. Elle ne reste pas béante sur ◀le▶ néant, mais sur ◀le▶ pardon. Elle est toute mêlée ◀d’▶espérance et ◀de▶ confiance. Et c’est pourquoi je pense qu’elle existe tout autrement que ◀l’▶angoisse ◀de▶ ◀l’▶athée, qui est une angoisse pure, trop pure et indéterminée pour être bien réelle, si pure qu’elle se ramène pratiquement à une simple incertitude à laquelle on passe outre « parce qu’il faut bien vivre ». De même ◀la▶ responsabilité ◀de▶ ◀l’▶athée est beaucoup moins réelle que celle du chrétien. Car ◀le▶ chrétien doit vraiment répondre à Dieu, répondre ◀de▶ ses actes devant Dieu. Mais ◀l’▶athée, devant qui sera-t-il responsable ? À qui doit-il rendre des comptes ? Au futur qui décidera seul, dit ◀l’▶existentialiste. Donc à ◀l’▶Histoire, donc à une abstraction. Et il en va de même pour ◀l’▶engagement ◀de▶ ◀l’▶athée, pour sa liberté, et pour son délaissement. Tous ces mots perdent leur réalité dès ◀l’▶instant où ◀l’▶on déclare que Dieu n’existe pas ici et maintenant. Car alors, ◀l’▶engagement n’est plus un acte mais ◀la▶ simple constatation ◀d’▶un état ◀de▶ fait, ◀d’▶une condition que ◀l’▶on subit, et qui ne mène à rien ◀de▶ défini ; ◀la▶ liberté n’est plus qu’un pari dans ◀le▶ vide ; et ◀le▶ délaissement se résout dans une espèce ◀d’▶indifférence vaguement inquiète, où tout est permis, où il n’y a pas ◀de▶ sanctions, mais pas non plus ◀d’▶ordres donnés.
Ainsi ◀la▶ description ◀de▶ ◀l’▶homme athée que nous donne ◀la▶ philosophie séculariste est à la fois exacte et privée ◀de▶ sens. C’est un portrait où tout est juste, dans ◀le▶ détail, mais ◀l’▶impression ◀d’▶ensemble est fausse, ou inexistante. Vous reconnaissez ◀le▶ nez, ◀les▶ yeux, ◀la▶ bouche, ◀les▶ proportions du corps, mais non pas ◀l’▶homme, ◀la▶ personne, celui qu’une vocation met en question et somme ◀de▶ répondre.
Nous pourrions nous livrer à des critiques du même genre au sujet ◀d’▶un grand nombre ◀de▶ notions chrétiennes que ◀les▶ modernes ont sécularisées. Je n’en indiquerai que deux.
◀Le▶ déterminisme scientifique, avec son système ◀de▶ lois rigides, tel qu’il subsiste encore dans ◀l’▶esprit des masses demi-cultivées, sinon dans ◀l’▶esprit des vrais savants, est une sécularisation ◀de▶ ◀l’▶idée ◀d’▶ordre divin ◀de▶ ◀la▶ création — de même que ◀le▶ destin que ◀l’▶on invoque aujourd’hui est une sécularisation ◀de▶ ◀la▶ Providence. Dans ◀les▶ deux cas, ◀le▶ processus consiste à remplacer ◀l’▶action ◀de▶ ◀la▶ Personne divine par un système impersonnel, contre lequel il n’y a pas ◀de▶ recours.
Et enfin, on doit dire que ◀l’▶idée moderne ◀de▶ révolution, ◀de▶ changement brusque et salutaire au niveau collectif, est une sécularisation ◀de▶ ◀la▶ notion chrétienne ◀de▶ conversion individuelle.p
Politique
Si nous passons maintenant au plan ◀de▶ ◀la▶ politique, nous allons voir ◀les▶ résultats concrets ◀de▶ cette notion ◀de▶ ◀l’▶homme sans Dieu, ◀de▶ ◀l’▶homme privé ◀de▶ ◀la▶ notion ◀de▶ transcendance.
◀La▶ politique des régimes totalitaires en est ◀la▶ conséquence directe et fatale. ◀Les▶ marxistes tout comme ◀les▶ fascistes ont insisté sur leur refus ◀de▶ ◀la▶ transcendance, et en ont seul tiré ◀les▶ conséquences logiques. Tout se joue ici-bas, disent-ils. Donc il faut réussir à tout prix et tout de suite. Et cela justifie à leurs yeux ◀les▶ tactiques ◀les▶ plus brutales. Disons-◀le▶ avec eux et sans nous faire ◀d’▶illusions : ◀l’▶État totalitaire est ◀l’▶organisation normale ◀de▶ ◀l’▶ici-bas, s’il n’y a pas ◀d’▶au-delà.
Si Dieu n’existe pas, où est ◀la▶ vérité ? Elle est dans ◀l’▶idéal ou dans ◀le▶ système des plus forts. Et bien entendu, tous ◀les▶ moyens leur seront permis pour prendre ◀le▶ pouvoir, puisque ce but est ◀le▶ plus haut que ◀les▶ hommes puissent concevoir. Et une fois qu’ils seront au pouvoir, ils exigeront normalement ◀l’▶obéissance absolue ◀de▶ tout ◀l’▶homme, puisqu’il n’y a rien de plus haut que ◀l’▶État ou ◀la▶ nation, à quoi ◀l’▶homme puisse recourir. Tant que ◀les▶ rois et ◀les▶ États se disaient encore chrétiens, ◀le▶ citoyen pouvait se révolter contre eux au nom de Dieu, supérieur aux rois et aux États. Mais s’il n’y a pas ◀de▶ Dieu, ◀la▶ révolte individuelle est une pure et simple sottise, qui mérite ◀d’▶être corrigée par ◀les▶ moyens que ◀l’▶on sait.
Il faut bien voir que ◀la▶ question ◀de▶ ◀l’▶État totalitaire n’est pas simplement politique. Dans ◀le▶ fond, c’est une question métaphysique et religieuse. ◀Le▶ dilemme est très simple. Si Dieu n’existe pas, s’il n’y a pas ◀de▶ transcendance, si ◀l’▶ici-bas est toute ◀la▶ réalité ◀de▶ ◀l’▶homme, alors ◀les▶ totalitaires ont raison. Ils ont raison contre ◀les▶ objections des libéraux, des libertaires et contre tous nos goûts et préjugés individuels. Ils sont ◀les▶ seuls à prendre vraiment au sérieux ◀les▶ conditions du siècle, s’il n’y a pas ◀d’▶éternité.
De même que ◀les▶ existentialistes nous donnent une description exacte ◀de▶ ◀l’▶homme sans Dieu, ◀les▶ totalitaires nous donnent une application exacte ◀de▶ ◀la▶ politique sans Dieu. Et ici encore, je ◀le▶ répète, c’est un progrès. Car désormais tout est clair. ◀Les▶ confusions longuement entretenues entre ◀les▶ intérêts du siècle et ◀les▶ prétextes pieux ont disparu. Si Dieu n’est pas, tout m’est permis, dit ◀l’▶existentialiste. Si Dieu n’est pas, ◀l’▶État est tout, dit ◀le▶ totalitaire. Que vont répondre ◀les▶ chrétiens ?
◀L’▶Église
Ils vont répondre que ces prétentions sont abusives, parce que tout de même Dieu existe. Mais on leur demandera ◀de▶ ◀le▶ démontrer. Et comme Dieu n’est pas démontrable, on leur demandera ◀de▶ donner au moins ◀la▶ preuve qu’ils croient en lui. C’est ici que ◀les▶ choses se gâtent, vraiment.
Car il se trouve que ◀l’▶attitude séculariste a pénétré profondément dans nos Églises, et que nous faisons tous partie, à quelque degré, ◀de▶ la cinquième colonne.
Je voudrais vous en donner quelques exemples rapides.
D’abord, nos Églises et la plupart de leurs fidèles sont pratiquement des clubs ◀de▶ gens moraux plutôt que des assemblées ◀de▶ pécheurs qui attendent dans ◀l’▶adoration et ◀la▶ prière ◀la▶ venue du siècle des siècles. Et ◀la▶ morale que ces Églises et leurs fidèles défendent est celle ◀de▶ ◀la▶ bourgeoisie, ou au mieux celle ◀de▶ Kant. C’est une morale tournée tout entière vers ◀le▶ siècle — vers ◀le▶ xixe siècle spécialement ! – et qui ne semble plus faire ◀de▶ place aux interventions réelles du transcendant. Je vous citerai là-dessus une anecdote qui résume tout. Un petit garçon ◀de▶ 6 ans disait à sa grand-mère, bonne protestante ◀de▶ Genève : « Grand-maman, je prie tous ◀les▶ matins pour savoir ce que je dois faire dans ◀la▶ journée. » Et ◀la▶ vieille dame, inquiète ◀de▶ voir des traces ◀d’▶illuminisme dans son petit-fils, lui répondit : « Mon petit, je n’ai pas besoin, moi, ◀de▶ déranger le bon Dieu pour savoir ce que je dois faire ! » Cette excellente dame traduisait fidèlement ◀l’▶attitude ◀de▶ beaucoup de chrétiens actuels : ils n’ont pas besoin ◀de▶ Dieu, puisqu’ils ont ◀la▶ morale. Mais cette morale est celle du siècle, en fait, et je ◀le▶ répète : du xixe siècle bourgeois.
Autre exemple : en Amérique, et d’ailleurs en Suisse aussi, ◀les▶ prédicateurs expliquent à leurs auditoires que ◀le▶ christianisme est ◀le▶ meilleur système ◀de▶ vie dans ◀le▶ siècle, celui qui peut empêcher ◀les▶ grèves, maintenir ◀la▶ santé, et favoriser ◀la▶ carrière des honnêtes gens. Ils expriment d’ailleurs ces banalités sécularistes avec un ton solennel, et en se prévalant ◀de▶ ◀l’▶autorité ◀de▶ ◀la▶ Parole ◀de▶ Dieu, qui semble couvrir et garantir cette marchandise ◀de▶ pacotille petite-bourgeoise. ◀La▶ pensée est sécularisée au dernier degré, mais ◀le▶ ton seul prétend rester pieux, et fait encore illusion sur ◀les▶ fidèles.
Autre exemple. ◀Les▶ ecclésiastiques appelés à prendre ◀la▶ parole dans des manifestations publiques, congrès politiques, banquets, cérémonies pour ◀les▶ morts ◀de▶ ◀la▶ guerre, inauguration, etc., s’appliquent en général à parler comme n’importe qui, pour se faire bien voir, pour se faire « accepter », mais tiennent à terminer leur discours par quelques allusions au « Tout-Puissant » qui ne gênent personne. C’est ce qu’ils appellent, non sans satisfaction, « donner ◀la▶ note religieuse » à ces manifestations. Je traite ces hommes ◀de▶ collaborationnistes. Car après avoir flatté ◀le▶ siècle, par toute leur attitude et par ◀la▶ forme même ◀de▶ leur pensée, lorsqu’ils donnent cette « note religieuse », ce ne peut être qu’une fausse note, qu’on leur pardonne d’ailleurs bien volontiers, vu leur métier. Ils contribuent aussi à faire croire à beaucoup que Dieu n’est pas ◀l’▶Unique Réalité, mais seulement un complément nécessaire, ou un ornement traditionnel ◀de▶ notre civilisation. J’affirme pour ma part que ◀la▶ « note religieuse » est ◀la▶ plus horrible et insupportable dissonance qui ait jamais percé ◀le▶ tympan ◀d’▶un homme, chrétien ou non.
◀Le▶ dilemme
Voici donc ◀le▶ dilemme qui se pose devant nous, au xxe siècle.
D’une part, ◀le▶ siècle a pris conscience ◀de▶ lui-même. Il a osé tirer ◀les▶ conséquences ◀de▶ son athéisme, avec une belle rigueur, dans ◀le▶ plan des idées comme dans ◀la▶ politique.
D’autre part, ◀les▶ Églises se trouvent placées, devant ce siècle, dans une position à la fois absurde et faible. Absurde parce que tout ce qu’elles croient est tenu pour illusion ou mauvaise foi par ◀les▶ systèmes qui triomphent dans ◀le▶ siècle. Faible, parce qu’elles agissent comme si ◀la▶ transcendance n’était pas leur seule raison ◀d’▶être, comme si elles n’y croyaient pas vraiment, comme si elles espéraient encore se faire accepter pour d’autres raisons, morales, politiques, ou même religieuses, au sens naturel ◀de▶ ce terme, au sens où ◀l’▶on dit à juste titre : il faut une religion pour ◀le▶ peuple.
Cependant, je ne vois dans cette situation, apparemment si compromise, aucun motif ◀de▶ nous décourager. Car si ◀les▶ Églises redeviennent ◀de▶ vraies Églises, elles n’ont pas grand-chose à craindre du sécularisme, même triomphant. Or il ne dépend que ◀de▶ nous qu’elles redeviennent ◀de▶ vraies Églises. Et ◀le▶ défi parfaitement net et clair que nous portent ◀les▶ doctrines du siècle nous offre une chance inespérée, peut-être ◀la▶ plus grande ◀de▶ toute ◀l’▶histoire, ◀de▶ répondre sans équivoques.
Je ne prétends pas apporter cette réponse à moi tout seul. Je vous donnerai seulement quelques indications ◀d’▶ordres divers, à titre de petite contribution individuelle, à ◀l’▶énorme travail collectif que ◀le▶ siècle attend ◀de▶ ◀l’▶Église.q
Réponses chrétiennes au sécularisme
Quand ◀les▶ questions sont sérieuses et totalesr, comme c’est ◀le▶ cas ◀de▶ ◀la▶ question séculariste, on ne peut y répondre par des arguments, mais seulement avec son être, avec sa manière ◀d’▶être, avec ◀la▶ puissance ◀d’▶être qu’on manifeste derrière toute argumentation, et au-delà ◀d’▶elle.
Or ◀l’▶être même du christianisme est une tension entre ◀la▶ transcendance et ◀l’▶immanence. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas pour nous ◀d’▶opposer au siècle un transcendant verbal, pur et isolé, mais au contraire un transcendant engagé dans ◀l’▶immanent, et qui rend ◀l’▶immanent vraiment sérieux, plus sérieux qu’il ne ◀le▶ croyait lui-même, quoiqu’aussi plus modeste. Ceci doit dominer nos réflexions.s
Si quelqu’un maintenant pose la question suivante : — Pour agir sur ce siècle athée, faut-il nous séculariser à notre tour, nous adapter, ou au contraire faut-il nous affirmer comme ◀le▶ parti du sacré et ◀de▶ ◀la▶ transcendance ? Je répondrai : il faut faire tous ◀les▶ deux à la fois, selon ◀les▶ cas, et en général, ◀d’▶une manière inverse ◀de▶ celle que nous pratiquons aujourd’hui.
Devant ce siècle et dans ce siècle athée, nous avons à dresser des églises où ◀l’▶on adore en fait ◀la▶ transcendance, et où ◀l’▶on parle à notre temps ◀de▶ ses problèmes, mais au nom de ce qui ◀les▶ transcende. Or nous sommes très loin de cela. Ce que ◀l’▶on trouve en fait dans la plupart de nos églises, c’est un mauvais mélange ◀de▶ sécularisme et ◀de▶ piétisme, l’un se manifestant presque toujours là où c’est l’autre qu’on devait attendre.
Je disais tout à ◀l’▶heure que la plupart des sermons qu’on entend aujourd’hui, et pas seulement en Amérique, consistent en lieux communs ◀de▶ morale bourgeoise, donc séculière, mais exprimés sur un ton pieux et ornés ◀de▶ formules bibliques, au hasard ◀de▶ ◀l’▶association des idées. Or c’est exactement ◀l’▶inverse que nous devons attendre ◀de▶ ◀la▶ prédication : une réflexion non séculière, biblique, consciente ◀de▶ ◀la▶ présence du transcendant, mais exprimée dans ◀le▶ langage ◀le▶ plus naturel à notre temps. J’insiste encore : un nouveau venu dans nos églises y trouve une pensée séculière prêchée en termes sentencieux, et ce mélange est doublement inefficace, primo parce que nos contemporains répugnent à ce langage-là, qui met une barrière ◀d’▶un demi-siècle entre eux et ◀l’▶orateur ; secundo, parce qu’une fois ◀la▶ barrière franchie, on s’aperçoit que ce n’était pas ◀la▶ peine ◀de▶ venir dans une église pour entendre ◀de▶ telles platitudes. Vous pensez peut-être que je suis bien dur. Mais nos contemporains ◀le▶ sont encore plus que moi, quand ils entrent en contact avec nos cultes.
Je voudrais pour ma part que tous ◀les▶ sermons soient introduits par ◀la▶ formule « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » et que cette formule soit prise au sérieux par ◀le▶ prédicateur à tel point que s’en trouve éliminé du sermon tout ce qui peut être dit au nom de n’importe quoi ◀d’▶autre que ◀la▶ Trinité. Et je voudrais aussi que ◀les▶ vérités qu’on nous déclare, soient déclarées avec sérieux, ou avec joie, avec sobriété ou avec passion, mais jamais sur ce ton pseudo-sacré ◀d’▶une emphase triste et correcte qui ne trompe personne, et qui suffirait à ridiculiser n’importe qu’elle vérité simple habillée ◀de▶ ◀la▶ sorte.t
Quant à nos lieux ◀de▶ culte, également, il me semble qu’on ◀les▶ a sécularisés là où il ne fallait pas, et rendus ésotériques quand il fallait ◀les▶ rendre publics. Je voudrais que nos églises protestantes cessent ◀d’▶être des lieux totalement séculiers par ◀le▶ décor, ◀l’▶architecture et ◀l’▶ornementation, ◀de▶ simples salles ◀de▶ conférence, mais difficiles ◀d’▶accès et presque toujours closes ; et qu’elles redeviennent, au contraire, des lieux consacrés mais faciles ◀d’▶accès, des sanctuaires mais toujours ouverts.
J’ai parlé des églises d’abord, et c’est normal, car « ◀le▶ Jugement va commencer par ◀la▶ maison ◀de▶ Dieu », écrit ◀l’▶apôtre Pierre. De plus, si nous voulons agir sur ◀le▶ siècle, il nous faut d’abord commencer par exister, et un chrétien n’existe vraiment en tant que tel que dans ◀l’▶église.
Maintenant, si nous sortons du sanctuaire où nous venons ◀d’▶adorer ensemble ◀le▶ transcendant, celui qui juge et sauve ◀le▶ siècle, nous voici dans ◀la▶ rue ou sur ◀la▶ place, dans ◀le▶ siècle qui nie qu’aucun Dieu ne ◀le▶ juge, qui nie qu’aucun Dieu ne ◀le▶ sauve, qui nous met au défi ◀d’▶y croire et qui attend avec une certaine anxiété inavouée une réponse enfin sérieuse à ce défi. Comment manifester devant ce siècle, que nous croyons au siècle des siècles ?
J’en suis arrivé à penser que ◀le▶ témoignage ◀d’▶un chrétien hors de ◀l’▶église, c’est-à-dire là où il s’agit non plus ◀d’▶adorer Dieu mais ◀d’▶informer et ◀de▶ convaincre des hommes, peut revêtir deux formes, l’une positive, l’autre indirecte.
◀La▶ forme positive du témoignage, je ◀la▶ vois ◀de▶ moins en moins dans ◀la▶ « réunion ◀d’▶appel », dans ◀l’▶adjuration pathétique aux foules, dans tous ces procédés dont ◀la▶ propagande politique a usé et abusé depuis vingt ans. Je ne pense pas que nous devions essayer ◀de▶ rivaliser avec ◀le▶ siècle sur ce plan-là. Je pense que nous avons au contraire à énoncer simplement ce que nous croyons, avec sobriété, et sans accepter ◀de▶ discussion sur ◀l’▶existence ou ◀la▶ non-existence ◀de▶ ◀l’▶objet et du sujet ◀de▶ notre foi. Dison : — C’est ainsi, je crois cela parce que c’est ainsi, et voilà tout. D’ailleurs, ◀la▶ preuve que je crois à ◀l’▶existence ◀de▶ Dieu, c’est justement que je n’éprouve pas ◀le▶ besoin ◀de▶ faire ◀de▶ ◀la▶ propagande en sa faveur. On ne fait pas ◀de▶ ◀la▶ propagande pour prouver, par exemple, que ◀les▶ Alpes existent. Car elles existent, il suffit donc ◀de▶ ◀le▶ dire. On fait ◀de▶ ◀la▶ propagande pour ce qui n’existe pas encore et que ◀l’▶on veut créer par ◀la▶ persuasion du plus grand nombre. Laissons donc au siècle ses méthodes ◀de▶ propagande, qui ne conviennent pas à ◀la▶ certitude. Et si ◀l’▶on nous demande ce que nous croyons, récitons simplement ◀le▶ Credo.
Et ensuite, passons à ◀la▶ forme indirecte du témoignage. Elle consiste à mon sens, à mettre en doute ◀les▶ pseudo-certitudes du siècle.
Car là où ◀la▶ transcendance est niée, comme chez ◀les▶ totalitaires, il n’y a plus ◀de▶ doute permis quant aux réalités immanentes. Aussitôt celles-ci s’absolutisent, et deviennent des idoles, des dieux, souvent sanguinaires. Cette absence ◀de▶ doute sur ◀les▶ réalités immanentes bâtit ou laisse se bâtir peu à peu autour de nous tout un monde ◀de▶ « nécessités », qui à leur tour tendent à exclure ◀la▶ possibilité même du doute, — ou du miracle. Aussi donc, si nous croyons au transcendant, nous douterons ◀de▶ ces nécessités que ◀le▶ siècle vénère sous ◀le▶ nom ◀de▶ lois, et qu’il a fabriquées lui-même, pour éviter ◀de▶ s’avouer responsable.
Ne ◀l’▶oublions pas : ◀le▶ chrétien est celui qui croit au transcendant, donc aussi celui qui doute des faux absolus ◀de▶ ce siècle. Il est celui qui doute au nom de sa foi.
J’ai décrit rapidement quelques-uns ◀de▶ ces faux absolus athées, dans ◀la▶ philosophie et dans ◀la▶ politique. ◀La▶ thèse principale que j’ai voulu formuler à leur propos, c’est que ces doctrines et ces pratiques entièrement et consciemment sécularistes nous donnent une chance très grande ◀de▶ faire face aux vrais dilemmes, aux vraies questions, celles qui portent sur ◀le▶ tout ◀de▶ ◀l’▶homme et ◀de▶ son destin.
Pour conclure, je voudrais donner une illustration qui me semble extrêmement importanteu.
Ce n’est point par hasard, ce n’est point par une coïncidence privée ◀de▶ sens que les premiers mouvements vraiment totalitaires, dans ◀l’▶histoire, les premiers régimes limitant ◀l’▶homme totalement à ce siècle et à ◀l’▶ici-bas, sont apparus presque en même temps que la première possibilité concrète ◀de▶ détruire par nos mains ce siècle et ◀l’▶ici-bas. Je parle ◀de▶ ◀la▶ bombe atomique.
À peine ◀les▶ hommes avaient-ils décrété ◀l’▶autonomie totale ◀de▶ cette Terre et ◀la▶ mort ◀de▶ Dieu, voici qu’ils trouvent ◀le▶ moyen ◀de▶ provoquer ◀la▶ destruction totale ◀de▶ ◀la▶ Terre et ◀la▶ mort ◀de▶ ◀l’▶homme. À peine avaient-ils dit : nous ne croyons qu’à ce monde-ci, voilà qu’ils se voient confrontés avec ◀la▶ fin ◀de▶ ce monde-ci, machinée par leurs soins, dans leur pleine liberté ! Et voilà donc ◀la▶ limite ◀de▶ cette liberté enfin atteinte. : ce n’est rien ◀d’▶autre que ◀la▶ liberté ◀de▶ nous détruire en une seconde.
Ainsi se pose, à ◀l’▶homme ◀d’▶aujourd’hui, ◀d’▶une manière imprévue et simpliste, ◀l’▶alternative ◀d’▶un au-delà, ◀d’▶un en-face, ◀de▶ quelque chose qui transcende nos folies — ou au contraire ◀d’▶un grand saut collectif dans ◀le▶ néant. Ainsi sommes-nous entrés dans ◀l’▶ère des risques et des choix décisifs, globaux, totaux.
C’est ◀la▶ chance ◀de▶ grandeur ◀de▶ notre temps, et nous devons ◀l’▶affronter ◀d’▶un cœur libre et confiant. Libre parce que nous ne sommes pas liés totalement, comme ◀les▶ incroyants, à ◀la▶ forme présente ◀de▶ ce monde, mais bien plutôt à sa transformation. Et confiant parce que nous savons que quoi qu’il arrive à ce monde, et même s’il doit sauter un ◀de▶ ces jours, ◀le▶ drame des temps est déjà joué, ◀la▶ vérité est déjà victorieuse au-delà des temps, par celui qui a pu dire sur ◀la▶ ◀croix▶ : Tout est accompli !