8. La▶ mission ◀de▶ ◀l’▶artistebc
On m’a demandé, récemment, ◀de▶ parler ◀de▶ ◀la▶ « Mission ◀de▶ ◀l’▶Art en tant qu’expression créatrice ◀de▶ ◀l’▶esprit humain ». Je n’aurais pas répondu, s’il ne s’était agi ◀d’▶une journée ◀d’▶étude « œcuménique », groupant avec des artistes et écrivains des théologiens protestants, anglicans et orthodoxes. Il m’a semblé que ce titre, dès lors qu’il était proposé par des chrétiens précisément, et non par ◀de▶ vagues humanistes, méritait une sérieuse mise au point.
« Mission ◀de▶ ◀l’▶Art » pour moi, cela sonne faux. ◀L’▶art avec une majuscule est une ◀de▶ ces allégories officielles que nous avons héritées du xixe siècle, et du romantisme avec ◀l’▶admiration ◀de▶ Wagner et ◀de▶ Baudelaire, que nos ancêtres condamnaient, et frappaient ◀d’▶amendes… Cette allégorie signale ◀l’▶existence ◀d’▶une sorte ◀de▶ « religion ◀de▶ ◀l’▶Art », née dans ◀les▶ confréries et sectes romantiques, préraphaélites, symbolistes, et qui a perdu ◀de▶ nos jours sa virulence sacrée, mais qui subsiste sous ◀la▶ forme ◀d’▶un préjugé très répandu, dans ◀la▶ bourgeoisie, dans ◀le▶ peuple, à Hollywood et dans ◀les▶ discours ◀d’▶inauguration. ◀L’▶Art avec majuscule est quelque chose ◀d’▶idéal, ◀de▶ distingué, qui est vaguement en rapport avec ◀l’▶Infini, qui ne sert à rien, qui est respectable, qui intéresse ◀les▶ femmes plus que ◀les▶ hommes, qui est ◀l’▶affaire ◀de▶ certains spécialistes, qui permet ◀de▶ fuir pendant quelques moments ◀les▶ soucis trop réels ◀de▶ ◀la▶ vie quotidienne, qui élève ◀l’▶âme et adoucit ◀les▶ mœurs, — bref, qui ressemble à s’y méprendre à ◀l’▶idée que la plupart de nos contemporains se font ◀de▶ ◀la▶ religion chrétienne. Ce n’est pas sérieux si ◀l’▶on admet avec Talleyrand que « tout ce qui est exagéré manque ◀de▶ sérieux ». Aucun artiste sérieux ne dit qu’il fait ◀de▶ ◀l’▶« Art », sinon pour se défendre contre ◀le▶ percepteur ou ◀le▶ policier soupçonneux.
D’autre part, ◀le▶ mot « art » est un terme commode, qui désigne ◀l’▶ensemble des activités artistiques et des objets qui en résultent.
Dans l’un et l’autre cas, qu’il s’agisse ◀d’▶une exagération romantique, ou ◀d’▶un terme générique, il est évident que ◀l’▶art, avec ou sans majuscule, ne peut pas avoir ◀de▶ mission. Un faux dieu, ou un mot, n’ont pas ◀de▶ mission. Seul un homme peut en recevoir une.
Ensuite, j’ai quelque doute sur ◀l’▶adjectif « créatrice », dans ◀le▶ titre qui m’est proposé.
◀L’▶emploi du verbe « créer » en relation avec ◀l’▶activité humaine est, je crois, plutôt récent. Cette manière ◀de▶ parler ◀de▶ ◀l’▶acte humain en ◀le▶ comparant, ou même en ◀l’▶égalant à ◀l’▶acte divin, ne relève pas seulement à ◀l’▶origine ◀d’▶une doctrine synergiste qui demande examen, mais coïncide historiquement avec ◀l’▶affaiblissement ou ◀la▶ perte ◀de▶ ◀la▶ croyance au Dieu créateur dans ◀l’▶époque moderne. Je ne suis pas sûr du tout que ◀l’▶homme soit capable ◀de▶ créer, au vrai sens ◀de▶ ce terme, c’est-à-dire ◀de▶ produire un changement absolu, une nouveauté absolue dans ◀l’▶univers. Ce que ◀l’▶on nomme couramment aujourd’hui une « création » n’est en réalité qu’un arrangement un peu différent ◀d’▶éléments connus, selon des lois connues ou connaissables. C’est donc une composition. Avant ◀le▶ romantisme, on se bornait à dire qu’un musicien composait un opéra, qu’un peintre composait un tableau. Aujourd’hui, on dit qu’il « crée » une symphonie, qu’il « crée » des formes. Personne ne peut prouver qu’un homme crée quelque chose, puisque personne ne connaît ◀la▶ totalité des choses existantes, ◀de▶ leurs structures et ◀de▶ leurs rapports. Bornons-nous donc au terme classique ◀de▶ « composition », en parlant des œuvres ◀d’▶art.
Ceci posé — et maintenu —, nous chercherons à savoir, aujourd’hui, quelle est ◀la▶ mission — s’ils en ont une — des hommes qui composent des livres, des tableaux, des partitions, des statues, des jardins, des poèmes. Et surtout d’abord : quelle est ◀la▶ nature ◀de▶ leur activité, et quelles sont ses fins.
Nature ◀de▶ ◀l’▶activité artistique
Toutes sortes ◀de▶ gens font des choses, des objets, et des instruments : homo faber désigne une grande partie ◀de▶ ◀l’▶humanité : ouvriers, artistes, savants, législateurs et artisans.
Demandons-nous quelle différence il y a entre ◀l’▶homme qui fait un poème, une partition ◀de▶ musique, un tableau, une façade, et ◀l’▶homme qui fait une machine, une équation, une loi, un soulier, un produit chimique, une photo.
Depuis deux siècles environ, on a coutume ◀de▶ répondre à cette question ◀d’▶une manière simple en apparence. On pense que ◀les▶ artistes font des objets inutiles (ou, comme nous ◀le▶ disons en français : gratuits), et que ◀les▶ autres font des objets nécessaires à ◀la▶ vie quotidienne, vraiment utiles, comme des autos, des statistiques, des outils. On ne peut pas se passer ◀d’▶un rasoir, dit ◀l’▶homme moderne, mais on peut à ◀la▶ rigueur — et même sans beaucoup de rigueur — se passer ◀d’▶un tableau, ◀d’▶une statue. ◀Les▶ produits ◀de▶ ◀l’▶art sont un luxe, et ◀les▶ autres produits sont des nécessités. Toute notre éducation nous porte à croire cela, et s’il faut justifier cette croyance habituelle, nos professeurs recourent à certaines interprétations ◀de▶ Kant selon lesquelles un objet ◀d’▶art aurait sa fin en soi, et ne servirait donc à rien qu’à être contemplé — traduisons : honoré ◀d’▶un coup d’œil en passant à ◀la▶ salle à manger.
Ces critères ◀d’▶utilité, ◀de▶ nécessité, d’une part, ou ◀de▶ gratuité, ◀d’▶inutilité, d’autre part, sont inconsistants, et absolument superficiels. Ils ne nous apprennent rien sur ◀la▶ nature ◀de▶ ◀l’▶œuvre ◀d’▶art. Mais ils nous apprennent quelque chose sur ◀la▶ nature et ◀l’▶attitude ◀de▶ ◀la▶ société qui ◀les▶ admet : à savoir que cette société a perdu ◀le▶ sens du sacré. Bien des civilisations ont existé, et peut-être existeront, pour lesquelles une pierre ou un morceau ◀de▶ bois, sculpté ou peint ◀d’▶une certaine manière, sont infiniment plus « utiles » que pour nous un rasoir électrique. Ces objets sont tenus pour éminemment utiles, parce qu’ils détiennent une puissance, une vertu exaltante ou terrifiante, un sens ; ils sont pris au sérieux par ◀les▶ peuples qui croient que ◀le▶ sens ◀de▶ ◀la▶ vie, ◀la▶ crainte ◀de▶ ◀la▶ mort, ◀l’▶angoisse devant ◀le▶ pouvoir sacré, sont des choses sérieuses, tandis que nous considérons comme sérieux, donc utile, ce qui permet ◀d’▶aller plus vite, par exemple, peu importe pour quel motif et vers quel but.
◀Le▶ fait que même en théorie, nous tenons ◀l’▶œuvre d’art pour dépourvue ◀d’▶utilité directe, ce fait prouve simplement que ◀l’▶art ne répond pas au désir ◀le▶ plus puissant ◀de▶ ◀l’▶homme moderne ; que ce dernier pourrait donc s’en passer, qu’il n’en a vraiment nul besoin, puisqu’on appelle utile ce dont on a besoin ; et qu’il ne croit devoir ◀le▶ respecter qu’en vertu d’une espèce ◀de▶ préjugé. ◀D’▶où ◀l’▶on pourrait déduire, soit dit en passant, ◀la▶ vanité totale des tentatives actuelles pour vulgariser ◀l’▶art, pour lui faire ◀de▶ ◀la▶ publicité. C’est ◀le▶ besoin ◀de▶ ◀l’▶art qu’il faudrait réveiller. Et pour cela, il faudrait endormir ◀les▶ besoins différents qui ◀l’▶étouffent. Donc modifier toute ◀l’▶attitude, ◀l’▶orientation ◀de▶ ◀l’▶homme moderne… (avant de se mettre à distribuer des reproductions ◀de▶ Van Gogh).
Si donc j’écarte ◀le▶ critère ◀d’▶utilité ou ◀de▶ manque ◀d’▶utilité, comme étant trop relatif, mobile, et sujet à changer ◀de▶ signe selon ◀l’▶état religieux ◀d’▶une société, je me retrouve devant ◀la▶ question initiale : en quoi ◀l’▶activité artistique se distingue-t-elle des autres activités ◀de▶ ◀l’▶homme ?
J’avancerai ◀la▶ réponse que voici : à ◀la▶ différence ◀de▶ tout autre produit ◀de▶ ◀l’▶action humaine, ◀l’▶œuvre d’art est un objet dont ◀la▶ raison ◀d’▶être nécessaire et suffisante, est ◀de▶ signifier.
Qu’elle consiste en une structure ◀de▶ sons, ◀de▶ formes, ou ◀d’▶idées, ◀l’▶œuvre a pour fonction spécifique ◀de▶ capter ◀l’▶attention, ◀d’▶aimanter ◀la▶ sensibilité, ◀de▶ fasciner ◀la▶ méditation, ◀de▶ ◀la▶ prendre au piège, — et en même temps ◀d’▶orienter ◀l’▶être vers quelque chose qui transcende ◀les▶ sons et ◀les▶ formes, ou ◀les▶ mots assemblés. C’est un piège, mais un piège orienté.
Et il est vrai qu’une équation est un objet qui n’a ◀d’▶autre fonction que ◀de▶ signifier. Cependant sa structure reste entièrement analysable, réductible à ses éléments qui peuvent être groupés d’autres manières — comme ◀le▶ prouve ◀le▶ signe égal — sans destruction ◀de▶ signification ; ce qui n’est pas ◀le▶ cas ◀de▶ ◀l’▶œuvre ◀d’▶art.
Mais si, cherchant quelle est ◀la▶ nature ◀de▶ ◀l’▶œuvre d’art, je ◀la▶ définis comme un piège à méditation, on voit que ◀la▶ connaissance ◀de▶ cette nature est liée à celle ◀de▶ son but : un piège est fait pour prendre quelque chose. Dans ◀l’▶œuvre d’art, nature et but, essence et fin, sont inséparables. Il s’agit ◀d’▶une seule et même fonction, qui est ◀de▶ signifier quelque chose par des moyens sensibles.
But ◀de▶ ◀l’▶activité artistique
Vous allez penser que je fais bon marché ◀de▶ ◀la▶ beauté dans tout ceci, et que mes définitions vont à l’encontre des conceptions classiques autant que ◀de▶ nos idées courantes et banales. Celles-ci veulent, en effet, que ◀le▶ but ◀de▶ ◀l’▶art soit ◀la▶ beauté, et que ◀la▶ fonction propre à ◀l’▶artiste soit « ◀de▶ créer ◀de▶ ◀la▶ beauté », comme on dit. J’avouerai que je n’en suis pas sûr. Et je vous proposerai, sur ce point, trois remarques, ◀d’▶importance très inégale d’ailleurs.
La première est une simple constatation ◀de▶ fait, que je verse au débat sans juger. ◀Les▶ principaux artistes ◀de▶ notre époque, que ce soit Picasso ou Braque, Joyce ou Kafka, Stravinsky, T. S. Eliot ou André Breton, ne cherchent pas à faire beau et refuseraient sans doute ◀de▶ dire que ◀la▶ beauté est ◀le▶ but ◀de▶ leurs ouvrages. Que ce soit beau ou laid, charmant ou atroce pour ◀les▶ sens et ◀l’▶esprit, peu leur importe : leur but est ◀d’▶exprimer, ◀de▶ décrire des réalités, à tout prix, et même au prix de ◀la▶ laideur, si nécessaire. Seuls, ◀les▶ artistes académiques, ◀les▶ faux artistes, cherchent encore à faire beau, ou flatteur.
Ma seconde remarque est ◀de▶ nature beaucoup plus grave. Il me semble que ◀la▶ beauté n’est pas une notion ni un terne biblique. ◀La▶ Bible nous parle ◀de▶ vérité, ◀de▶ justice, ◀de▶ liberté, et ◀d’▶amour, mais peu ou point ◀de▶ beauté. Elle ne nous dit pas que Dieu est beauté, nais que Dieu est amour. ◀Le▶ Christ ne dit pas non plus qu’il est ◀la▶ beauté, mais qu’il est ◀le▶ chemin, ◀la▶ vérité et ◀la▶ vie. Ce chemin n’est pas beau, mais rocailleux, et douloureux. Cette vérité n’est pas belle, mais libératrice. Cette vie ne s’épanouit pas en belles harmonies, mais passe par ◀la▶ porte étroite ◀de▶ ◀la▶ mort.
Faut-il penser, comme on ◀l’▶a écrit, qu’il s’agit là dans ◀la▶ Bible, ◀d’▶une « lacune terrible » ? Lacune que ◀l’▶idéal grec serait venu combler, en s’amalgamant à ◀la▶ tradition chrétienne — quitte à s’en distinguer de nouveau à ◀l’▶époque ◀de▶ ◀la▶ Renaissance ? Ou faut-il au contraire se demander si notre notion ◀de▶ ◀la▶ beauté n’est pas sujette à ◀de▶ sérieuses révisions ?
Enfin, ma troisième remarque, tout à fait indépendante des deux premières, prendra ◀la▶ forme ◀d’▶un aveu. Je me sens incapable ◀de▶ faire usage du concept ◀de▶ beauté en soi. Évidemment, il m’arrive aussi souvent qu’à n’importe qui ◀de▶ m’écrier : comme c’est beau ! devant toutes sortes ◀de▶ choses, des plus variées, telles qu’un paysage ou un bâtiment, un être humain ou une œuvre d’art, un avion, un exploit sportif, un fruit, un geste, un sentiment… Mais cette énumération, par ce qu’elle a ◀d’▶hétéroclite, montre que ◀la▶ beauté n’est pas un caractère spécifique ◀de▶ ◀l’▶œuvre ◀d’▶art. N’importe quoi peut être décrit comme beau. C’est une qualification subjective, un terme commode, mais vague, une exclamation. Si je m’écrie qu’une œuvre est belle, il est facile ◀de▶ voir que cette « beauté » que je lui attribue se résout à ◀l’▶analyse, en réalités très diverses. En disant : comme c’est beau ! je voulais dire, je devrais dire : comme c’est bien fait ! comme ◀les▶ proportions sont justes ! comme on se sent plus libre, ou plus fort ◀d’▶avoir vu cela ! comme c’est passionnant ! ou ◀d’▶un intérêt inépuisable ! ou simplement : comme j’aime ! Car on appelle beau tout ce que ◀l’▶on aime avec intensité. Ainsi derrière ◀le▶ mot beauté, on retrouve en définitive : ◀la▶ justice, ou ◀la▶ vérité, ou ◀la▶ liberté, ou ◀l’▶amour.
Faire ◀l’▶économie du concept grec ◀de▶ beauté, ce n’est donc pas renier ◀l’▶art. Constater que ◀la▶ Bible ne parle guère ◀de▶ beauté, ce n’est pas dire un seul instant que ◀la▶ Bible exclut ◀l’▶art ; et de même, constater que ◀les▶ artistes modernes ne cherchent pas ◀la▶ beauté en soi et d’abord, ne signifie nullement qu’ils sont ◀de▶ mauvais artistes, bien au contraire, tout cela revient à dire que ◀l’▶art est autre chose qu’une recherche ◀de▶ ◀la▶ beauté, et que celui qui fait une œuvre d’art s’assigne un but bien différent.
Je crois que ◀le▶ but (conscient ou non) ◀de▶ tout artiste véritable, c’est ◀de▶ composer des objets significatifs ; c’est donc ◀de▶ signifier ; c’est ◀de▶ rendre attentif au sens du monde et ◀de▶ ◀la▶ vie.
Bien entendu, ce que ◀l’▶artiste arrive à signifier n’a nul besoin ◀d’▶être connu par lui préalablement à ◀l’▶œuvre. Il n’y a pas d’abord un certain sens, et ensuite une volonté ◀de▶ ◀l’▶illustrer par une œuvre. Mais c’est par ◀l’▶œuvre, et en elle seule, qu’un certain sens se manifeste ou se révèle. ◀Les▶ critiques ou ◀le▶ public, ou parfois ◀l’▶artiste lui-même essaieront ensuite ◀de▶ « dégager » ce sens, ◀de▶ ◀l’▶isoler ◀de▶ ◀l’▶œuvre par un effort ◀de▶ traduction ou ◀d’▶abstraction. Mais en réalité ◀le▶ sens est lié à chaque détail comme au tout ◀de▶ ◀l’▶œuvre — si elle est bonne — et il n’existe vraiment qu’en elle. S’il avait pu être exprimé par d’autres moyens, ◀l’▶œuvre perdrait sa raison ◀d’▶être.
On qualifiera donc ◀de▶ grande œuvre celle qui commande ◀le▶ plus impérieusement et ◀le▶ plus longuement ◀l’▶attention, celle qui porte ◀la▶ plus loin ◀la▶ méditation ◀de▶ ◀l’▶homme sur son destin et sur ◀l’▶ordre des choses. Et ◀l’▶on dira durable ◀l’▶œuvre qui jouera son rôle ◀de▶ piège efficace pour un grand nombre ◀de▶ générations et ◀de▶ peuples. ◀L’▶expression courante : « j’ai été pris par cette œuvre » est tout à fait exacte et révélatrice, à cet égard.
Mission ◀de▶ ◀l’▶artiste
Si tels sont bien ◀la▶ nature et ◀le▶ but ◀de▶ ◀l’▶œuvre d’art, nous pouvons nous demander maintenant à quelles conditions un artiste peut remplir sa mission particulière.
J’en vois deux que j’indiquerai tout d’abord ◀d’▶une manière presque simpliste : ◀l’▶artiste remplit bien sa mission
1. dans ◀la▶ mesure où il est bon artisan, et
2. dans ◀la▶ mesure où ses ouvrages signifient ◀d’▶une manière efficace.
Ceci appelle, naturellement, quelques commentaires.
◀Le▶ bon artisan, c’est celui qui a ◀la▶ maîtrise ◀de▶ ses moyens, qui joue bien ◀les▶ règles ◀de▶ son jeu particulier, bref, qui construit exactement et avec astuce ses pièges à méditation, à sensibilité, à imagination. Appelons tout cela, c’est-à-dire ◀l’▶ensemble des procédés ◀de▶ métier et des règles ◀de▶ composition, ◀la▶ rhétorique. C’est si ◀l’▶on veut ◀la▶ part des artifices. Or c’est précisément ◀le▶ respect des artifices, ◀l’▶amour ◀de▶ leur usage et ◀de▶ leurs lois, qui distingue tout d’abord ◀l’▶artiste vrai ◀de▶ ◀l’▶amateur, j’entends du premier venu qui se sent inspiré ou ému, et croit pouvoir remplacer ◀la▶ rhétorique par ◀la▶ sincérité. Je ne sais plus si c’est Fargue ou Valéry qui a écrit : « ◀Le▶ bourgeois est celui qui croit qu’il y a au monde quelque chose de plus important qu’une convention. » Citons encore Baudelaire :
Il est évident que ◀les▶ rhétoriques et ◀les▶ prosodies ne sont pas des tyrannies inventées arbitrairement, mais une collection ◀de▶ règles réclamées par ◀l’▶organisation même ◀de▶ ◀l’▶être spirituel et jamais ◀les▶ prosodies et ◀les▶ rhétoriques n’ont empêché ◀l’▶originalité ◀de▶ se produire distinctement. ◀Le▶ contraire, à savoir qu’elles ont aidé ◀l’▶éclosion ◀de▶ ◀l’▶originalité, serait infiniment plus vrai.
◀La▶ sincérité n’a guère ◀de▶ sens en art. Elle n’en a certainement aucune quand il s’agit du métier ◀de▶ ◀l’▶artiste, puisque ce métier est, par définition, artifices. ◀Les▶ modernes ont commis sur ce point une étrange erreur, lorsqu’à ◀la▶ suite du romantisme et ◀de▶ ses sous-produits, ils ont cru devoir se mettre, comme ils disent, « à ◀l’▶école ◀de▶ ◀la▶ Nature », et ne plus accepter ◀d’▶autre guide que ◀la▶ sincérité voire ◀la▶ naïveté. Je mets en fait qu’un homme saisi par ◀le▶ besoin ◀de▶ s’exprimer, ou ◀d’▶exprimer quelque chose au moyen ◀d’▶une œuvre d’art, est absolument incapable ◀d’▶exprimer ce qu’il veut s’il n’a pas maîtrisé d’abord sa rhétorique. Lorsque Jean-Paul Sartre donne à ses disciples ◀le▶ précepte ◀de▶ ne pas « écrire », c’est-à-dire ◀de▶ s’expliquer n’importe comment, sans chercher à « bien écrire », il donne ◀la▶ formule du pompiérisme moderne, et de plus il prive ses disciples des moyens ◀d’▶exprimer réellement leur message. Remarquons aussi, à propos de ce terme « message », dont on abuse partout — et pas seulement dans ◀les▶ milieux chrétiens —, qu’il est impossible ◀de▶ « délivrer un message » (comme on ◀le▶ dit encore) tant qu’on ne s’est pas rendu maître ◀de▶ ses moyens ◀d’▶expression au point ◀de▶ pouvoir ◀les▶ adapter, ◀les▶ faire servir, ◀les▶ orienter — et cela jusqu’au moindre détail — dans ◀la▶ direction et selon ◀le▶ sens ◀de▶ ce que ◀l’▶on désire communiquer. Exprimer un message ◀de▶ vérité, mais « n’importe comment », c’est presque à coup sûr exprimer tout autre chose que ◀le▶ message en question — à savoir ◀le▶ désordre du langage, ◀l’▶absence ◀de▶ tenue intérieure, et finalement, ◀de▶ ◀la▶ non-vérité. C’est oublier que ce qu’on perçoit, dans ◀l’▶œuvre d’art, ce sont d’abord ◀les▶ moyens — ◀les▶ mots, ◀les▶ couleurs ou ◀les▶ formes, ◀les▶ sons et leurs rapports ou agencements. Et certes, même si ◀l’▶on connaît toutes ◀les▶ règles du jeu et si on ◀les▶ applique avec soin, ◀l’▶on n’est jamais sûr ◀de▶ gagner, — en d’autres termes : ◀l’▶artiste n’est jamais sûr que ◀le▶ public perçoit vraiment ce qu’il a voulu dire — mais du moins faut-il mettre ◀le▶ maximum ◀de▶ chances ◀de▶ son côté.
On pourrait m’objecter que ◀le▶ public perçoit en premier lieu, dans une œuvre, non pas ◀les▶ moyens techniques en eux-mêmes, mais plutôt ◀de▶ style ◀de▶ ◀l’▶auteur. Si je n’ai pas mentionné ◀le▶ style comme troisième condition ◀d’▶une mission ◀d’▶artiste bien remplie, c’est qu’à mon sens ◀le▶ style naît du conflit entre la première condition — ◀le▶ métier, ◀les▶ moyens —, et la seconde — ce qu’on veut signifier, ◀le▶ message. S’il n’y a pas ◀de▶ style, dans un ouvrage, c’est qu’il n’y a pas ◀de▶ drame entre ◀les▶ moyens ◀d’▶expression et ce que ◀l’▶on veut exprimer, entre ◀la▶ technique et ◀la▶ signification, entre ◀la▶ rhétorique et ◀le▶ message. Et s’il n’y a pas ◀de▶ drame, c’est que l’un des deux termes est fortement déficient, ou même absent. Dans ce cas, il n’y a donc pas ◀d’▶art proprement dit. Il n’y a qu’une forme à peu près vide — et c’est ◀l’▶académisme — ou un message informe, et c’est ◀la▶ communication quotidienne, sans art, justement. Ou encore : si ◀les▶ moyens ne sont pas mis en question (ou à ◀la▶ question) par une signification très exigeante, on tombera dans ce qu’on appelle « ◀de▶ ◀la▶ pure rhétorique » dans ◀l’▶éloquence et ◀le▶ formalisme. Si d’autre part, ◀la▶ signification que ◀l’▶on veut exprimer est trop intense et impérieuse pour ◀les▶ moyens dont on dispose, on tombera dans ◀l’▶obscurité, ou dans ◀l’▶à peu près ou ◀le▶ cri inarticulé.
Venons-en donc à la deuxième condition, ◀la▶ signification ou ◀le▶ message.
Je serai bref sur ce point et me bornerai à quelques formules. Je pense qu’un artiste supposé bon artisan remplit sa mission dans ◀la▶ mesure où ses ouvrages : provoquent chez ◀les▶ spectateurs, lecteurs ou auditeurs une impression ◀de▶ libération, rendent une vérité sensible, manifestent ◀le▶ vrai, évoquent ◀l’▶ordre du monde ou ◀les▶ lois du destin ◀de▶ ◀l’▶homme ; édifient ou révèlent des structures dans ◀les▶ sensations, ◀l’▶imagination, ◀les▶ idées ; enfin, induisent à aimer davantage.
Une seule remarque sur ce point : il est évident qu’une œuvre d’art classique, une œuvre ◀de▶ Bach, par exemple, crée ◀de▶ ◀l’▶ordre dans ◀l’▶homme, évoque ◀l’▶ordre du monde, rend ses lois sensibles et même aimables. Mais des œuvres toutes différentes, qui semblent n’avoir ◀d’▶autre objet que ◀d’▶évoquer ◀le▶ désordre présent, ◀le▶ chaos et ◀l’▶absurdité, ◀le▶ bruit et ◀la▶ fureur des choses privées ◀de▶ sens et contées par un homme ivre — je pense à certaines parties ◀de▶ ◀l’▶œuvre ◀d’▶un Joyce, au Waste Land de T. S. Eliot, aux romans ◀de▶ Faulkner, à ◀la▶ peinture ◀de▶ Picasso — ces œuvres-là, dialectiquement, nostalgiquement, dans ◀la▶ révolte et ◀le▶ défi, portent encore un témoignage à ◀l’▶ordre perdu ◀de▶ ce monde ; — car ◀l’▶art, tout art digne ◀de▶ ce nom, n’a jamais eu et ne peut pas avoir un autre objet.
Telles étant ◀les▶ deux conditions qu’un artiste doit remplir pour être égal à sa mission, il devient clair que ◀la▶ critique, ◀l’▶évaluation des œuvres d’art, doit porter d’une part sur ◀le▶ métier et ◀les▶ moyens, d’autre part sur ◀le▶ sens et ◀la▶ valeur des réalités captées et révélées par ces moyens. C’est dire que ◀la▶ critique devrait être à la fois technique d’une part, et d’autre part métaphysique ou éthique, c’est-à-dire en fin de compte théologique.
Plan ◀d’▶une méditation chrétienne sur ◀l’▶activité ◀de▶ ◀l’▶artiste
Je sens bien qu’en parlant ◀d’▶une critique théologique des œuvres d’art, je choquerai non seulement ◀l’▶immense majorité ◀de▶ mes contemporains, côté public, et pas mal ◀d’▶artistes, mais aussi ◀les▶ théologiens. Ils diront que ce n’est pas leur affaire, qu’ils ont à s’occuper des dogmes ◀de▶ ◀l’▶Église. J’en tombe d’accord. Notez que je ne dis pas que cette critique théologique serait nécessairement ◀l’▶affaire des théologiens. Ils y sont souvent mal préparés par une tournure ◀d’▶esprit forcément didactique — la plupart sont chargés ◀de▶ quelque enseignement — et dans ◀le▶ cas particulier, il s’agitait ◀de▶ développer d’abord un pouvoir ◀de▶ compréhension et ◀de▶ ◀le▶ nourrir ◀d’▶une expérience vécue ◀de▶ ◀l’▶art. Mais peut-être pourrait-on proposer que ceux qui se livrent à ◀la▶ critique d’art — et tout artiste peu ou prou, est ◀de▶ ce nombre — fassent un effort pour dépasser ◀le▶ stade ◀de▶ totale inculture théologique où nous ◀les▶ voyons aujourd’hui.
C’est dans cette perspective que je vais me risquer à suggérer non pas une échelle ◀de▶ jugements ni une doctrine, ni un canon des arts, mais un thème ◀de▶ méditation, qui serait peut-être ◀de▶ nature à soutenir, et à mieux motiver ◀les▶ jugements qu’on porte sur ◀les▶ œuvres d’art, et cela, en nous rendant plus attentifs à ◀la▶ situation spirituelle ◀de▶ ◀l’▶artiste.
Que fait ◀l’▶artiste, en vérité ? Dans ◀le▶ langage exagéré que nous avons hérité du romantisme, sans réfléchir du tout à ◀la▶ portée des mots, on a coutume ◀de▶ dire au xxe siècle :
2. qu’il incarne dans ses œuvres certaines réalités, et
3. qu’il est inspiré.
Je ◀le▶ répète, ces trois verbes sont absurdes, et méritent ◀la▶ plus juste sévérité de la part des théologiens. Mais ◀l’▶abus même exorbitant suggère une possibilité ◀d’▶usage fidèle et sobre. ◀Les▶ trois verbes courants que je viens de citer : créer, incarner, inspirer, évoquent irrésistiblement ◀les▶ attributs ◀de▶ ◀la▶ Sainte Trinité.
Si ◀l’▶on a pu dire ◀de▶ ◀l’▶artiste qu’il crée, ce n’est pas seulement par ◀l’▶effet ◀d’▶une surestimation prométhéenne ou luciférienne des pouvoirs humains. En composant avec ce qu’il a compris du monde et avec ce qu’il est intérieurement, un ouvrage extérieur à lui-même, ◀l’▶homme imite symboliquement ◀l’▶acte du Créateur formant ◀le▶ monde et formant Adam. Et certes, il faut douter que cet ouvrage humain ajoute au monde quoi que ce soit qui n’y était pas. ◀L’▶homme ne peut que ré-arranger ce que Dieu a créé ex nihilo. Mais dans ◀l’▶amour ◀de▶ ◀l’▶artiste pour ◀l’▶œuvre qu’il détache ◀de▶ lui — non dans cette œuvre en soi — il y a une parabole du geste paternel, il y a une tentative pour aimer ◀la▶ création comme ◀le▶ Père ◀l’▶a aimée.
Pourquoi Dieu a-t-il séparé ◀de▶ lui-même ◀le▶ monde ? Pourquoi et comment ◀l’▶aime-t-il ? En quoi cet objet ◀de▶ Son amour est-il distinct ◀de▶ Lui, et ◀de▶ quelle autonomie jouit-il ? Ces questions et bien d’autres analogues surgissent et se précisent à ◀l’▶esprit qui s’arrête devant ◀le▶ mystère ◀de▶ la Première Personne. Ainsi méditer sur ◀le▶ mystère du Père pourrait conduire à mieux comprendre à la fois ◀l’▶acte ◀de▶ ◀l’▶artiste, et ses limites ou sa relativité.
En second lieu, nous avons vu que ◀l’▶artiste en composant une œuvre d’art tend à signifier quelque chose qui ne serait pas perceptible autrement. Ne disons pas qu’il incarne une réalité, puisqu’il ne s’agit pas ◀de▶ chair. Mais il rend cette réalité sensible, lisible, audible, par des moyens physiques. Que se passe-t-il alors, du côté du spectateur, du lecteur, ◀de▶ ◀l’▶auditeur ? Il se passe que ◀l’▶expression peut voiler ce qui est exprimé, tout en ◀le▶ manifestant à nos sens. Car ce qui est exprimé n’est pas séparable des moyens ◀de▶ ◀l’▶expression, ou ne ◀l’▶est que par abus. Ce qui montre est, en même temps, ce qui cache. ◀Le▶ sens ◀d’▶un tableau, par exemple, n’est pas distinct des couleurs, des formes, des proportions, du style par lesquels mais aussi dans lesquels il existe. On peut donc ◀les▶ voir et ne pas ◀les▶ voir. Aux yeux de ◀la▶ raison, ◀les▶ moyens restent essentiellement hétérogènes à ◀la▶ réalité qu’ils expriment — pourquoi ceux-là et pas d’autres ? — et pourtant nous ne saurions rien ◀d’▶elle sans eux… Je n’insiste pas, je dois me borner ici à indiquer ◀le▶ point ◀de▶ départ possible ◀d’▶une dialectique, qui trouverait son modèle et peut-être ses normes dans ◀la▶ doctrine ◀de▶ la deuxième Personne ◀de▶ ◀la▶ Trinité, et dans une méditation ◀de▶ son mystère.
En troisième lieu, ◀l’▶artiste est qualifié couramment ◀d’▶inspiré. ◀Les▶ adversaires ◀les▶ plus déterminés du romantisme, comme Valéry, n’ont jamais nié que ◀l’▶impulsion primitive ◀d’▶un ouvrage ◀d’▶art ne soit un « don des dieux » — un seul vers, par exemple, ou ◀la▶ vision ◀d’▶une forme, sur lesquels ensuite se développent ◀les▶ opérations ◀de▶ ◀la▶ technique. ◀L’▶inspiration, soit qu’elle agisse à chaque instant, soit qu’elle n’intervienne qu’au départ, et dans un seul instant, est un fait ◀d’▶expérience indéniable. Mais ◀d’▶où vient-elle ? Ce que Paul Valéry appelle « ◀les▶ dieux », sans se compromettre, ce sera pour certains ◀le▶ Saint-Esprit, et pour d’autres un message ◀de▶ ◀l’▶inconscient. Parfois, ◀l’▶on s’imagine que cette vision instantanée a révélé dans un éclair ◀l’▶existence ◀d’▶un chemin secret, qu’il ne restera plus qu’à suivre et parfois ◀l’▶on a ◀l’▶impression qu’on invente ◀le▶ chemin en s’y avançant. Ce problème, notons-◀le▶, ne tourmente pas seulement ◀l’▶artiste, mais aussi, et plus consciemment encore, ◀le▶ savant ◀d’▶aujourd’hui. Est-ce que j’invente, se dit-il, ou bien est-ce que je découvre une réalité ? Est-ce que je projette dans ◀le▶ cosmos ◀les▶ structures ◀de▶ mon esprit, ou bien est-ce que j’épouse par ◀l’▶esprit des structures objectives du réel ? Et ◀l’▶homme qui reçoit une vocation vit dans ce doute jusqu’à ◀l’▶angoisse parfois. Est-ce que je cède à quelque obscure détermination ◀de▶ mon désir, ou bien est-ce que je réponds vraiment à un appel venu d’ailleurs ? ◀D’▶où vient ◀la▶ voix ? Qui parle ? Moi, ou l’Autre ? Telle est ◀la▶ situation que crée dans ◀l’▶homme ◀l’▶intervention du Saint-Esprit.
Encore une fois, je n’entends ici que suggérer des directions possibles ◀de▶ pensée. Je me borne à soumettre cette idée : que ◀la▶ méditation chrétienne sur ◀l’▶acte et ◀l’▶œuvre ◀de▶ ◀l’▶artiste semble pouvoir s’approfondir, s’informer et s’instruire dans ◀le▶ cadre ◀d’▶une méditation sur ◀la▶ doctrine et ◀le▶ mystère ◀de▶ ◀la▶ Trinité ; et que ◀la▶ méditation chrétienne trouvera dans ◀le▶ vocabulaire et ◀les▶ arguments dialectiques employés depuis près de vingt siècles par ◀les▶ théologiens ◀de▶ ◀la▶ Trinité, toute une problématique dont je reste frappé qu’elle introduise mieux qu’aucune autre aux mystères humains ◀de▶ ◀l’▶acte ◀d’▶art.
J’ajouterai une dernière suggestion. On sait que la plupart des hérésies ont résulté ◀d’▶interprétations tantôt abusives et tantôt déficientes ◀d’▶un point ◀de▶ ◀la▶ doctrine trinitaire. Est-il permis ◀d’▶imaginer que ◀les▶ déviations ou ◀les▶ excès représentés par telle ou telle école artistique reflètent ces hérésies, ou peut-être en procèdent, — fût-ce à ◀l’▶insu ◀de▶ ceux qui ◀les▶ représentent ? Et n’aurait-on pas là ◀le▶ principe ◀d’▶une critique théologique du développement des arts ? Il est certain que si c’était ◀le▶ cas, ◀l’▶on pourrait enfin dépasser ◀le▶ stade des jugements arbitraires sur ◀les▶ goûts et ◀les▶ couleurs, ou sur ◀la▶ portée morale ou non des œuvres d’art, jugements qui se fondent ◀d’▶ordinaire sur ◀la▶ mode ◀d’▶avant-hier, sur ◀la▶ prudence bourgeoise, ou sur ◀l’▶envie ◀de▶ ◀les▶ contredire. Il me semble que des tentatives dans ce sens vaudraient ◀la▶ peine ◀d’▶être risquées — par des laïques en premier lieu.
Fonction ◀de▶ ◀l’▶art
Pour terminer, j’essaierai ◀de▶ résumer en deux phrases ◀la▶ conception que je me fais ◀de▶ ◀l’▶art, et sur laquelle se fondent ◀les▶ pages qui précèdent.
◀L’▶art est un exercice ◀de▶ tout ◀l’▶être humain non point pour rivaliser avec Dieu, mais pour mieux coïncider avec ◀l’▶ordre ◀de▶ ◀la▶ Création, pour mieux ◀l’▶aimer, et pour nous restaurer nous-mêmes en lui. ◀L’▶art apparaît alors comme une invocation (◀le▶ plus souvent inconsciente) à ◀l’▶harmonie perdue, comme une prière (◀le▶ plus souvent confuse), correspondant à la deuxième demande ◀de▶ ◀l’▶oraison dominicale : « Que Ton règne vienne. »