9. La▶ crise moderne du mariagebd
Puisqu’il n’y a pas ◀de▶ famille au sens occidental du terme, sans un mariage à ◀l’▶origine, il est clair que tous ◀les▶ problèmes ◀de▶ ◀la▶ famille sont pratiquement subordonnés à ceux du couple. Tout ce qui touche aux relations du couple atteint donc ◀la▶ famille dans sa racine. Il s’en suit que ◀les▶ problèmes familiaux changeraient radicalement ◀d’▶aspect dans une société qui mettrait systématiquement en question ◀les▶ causes, ◀les▶ modes, ◀les▶ buts et ◀la▶ durée ◀de▶ ◀l’▶union ◀d’▶un homme et ◀d’▶une femme en un couple fondant une famille. Cette éventualité n’est pas imaginaire : notre société actuelle est bien près de ◀la▶ réaliser. ◀La▶ crise du couple, qui existe à ◀l’▶état larvé dans ◀le▶ monde occidental depuis des siècles, atteint ◀de▶ nos jours une phase aiguë qu’un seul chiffre suffit à caractériser : il se prononce aux États-Unis, en 1961be, deux divorces pour cinq mariages.
Ainsi, pour la première fois dans ◀l’▶ère chrétienne, ◀la▶ famille se voit sérieusement menacée. Elle avait échappé jusqu’ici à tous ◀les▶ bouleversements politiques, sociaux et économiques. ◀La▶ féodalité, ◀la▶ monarchie, ◀la▶ distinction des classes, ◀le▶ capitalisme étaient tombés ◀les▶ uns après ◀les▶ autres en divers pays, sans entraîner ◀de▶ modifications notables ◀de▶ statut familial. Mais ◀de▶ nos jours, une révolution beaucoup plus profonde s’opère sans bruit. Ses conséquences ne sont pas faciles à prévoir. Je me bornerai dans cette étude à décrire quelques-uns ◀de▶ ses symptômes, et à marquer l’une ◀de▶ ses causes, ◀la▶ plus généralement inaperçue.
◀Le▶ mariage moderne, fondé sur ◀l’▶amour
Si ◀l’▶on considère ◀l’▶ensemble des institutions matrimoniales des grandes civilisations et des peuplades primitives, on s’aperçoit que ◀le▶ mariage occidental moderne se distingue ◀de▶ tous ◀les▶ autres par un premier caractère bien précis : il tend de plus en plus à reposer sur un choix libre, purement individuel ◀de▶ ses motivations.
Dans toutes ◀les▶ autres civilisations, et ◀la▶ nôtre jusqu’à ◀l’▶époque moderne, ◀le▶ choix mutuel des époux dépendait largement ◀de▶ facteurs collectifs : règles sacrées ◀de▶ ◀l’▶exogamie ou ◀de▶ ◀l’▶endogamie, du lévirat ou du sororat pour ne mentionner que ◀les▶ plus connues ; rang social, race, religion, et plus tard, niveau ◀d’▶éducation et ◀de▶ fortune. ◀La▶ marge ◀de▶ choix purement individuel que ménagèrent ces ensembles ◀de▶ règles, ◀de▶ tabous et ◀de▶ conventions, restait dans bien des cas pratiquement négligeable. Aujourd’hui, ◀la▶ situation s’est retournée. Dans ◀la▶ majorité des cas, ◀les▶ facteurs collectifs que ◀l’▶on vient ◀d’▶indiquer non seulement ne jouent plus ◀le▶ rôle décisif, mais encore ne suffisent même plus à jouer ◀le▶ rôle ◀d’▶obstacle ou ◀de▶ frein qu’on pouvait encore leur attribuer au xixe siècle. Cette évolution semble parallèle à celle ◀de▶ ◀la▶ sexualité qui, avec ◀l’▶époque chrétienne, se détache en partie ◀de▶ ◀l’▶inconscient collectif, s’affranchit des rites sacrés, et tend à s’intégrer à ◀la▶ dialectique individuelle, par un processus ◀d’▶intériorisation et ◀d’▶accession à ◀la▶ conscience. (Notons que ◀l’▶expression ◀de▶ « problème sexuel » est toute récente, elle n’apparaît que vers 1830.)
Ce choix qu’on peut dire « libre » dans ◀la▶ mesure où il n’est plus prédéterminé ou limité par des règles collectives, ce choix individuel, sur quoi va-t-il se baser maintenant ? ◀De▶ tous ◀les▶ éléments qui, traditionnellement, contribuaient à ◀le▶ motiver, un seul subsiste : c’est ◀l’▶amour.
Encore faut-il se demander ◀de▶ quelle sorte ◀d’▶amour il s’agit, et si ce sentiment isolé du complexe dans lequel il se trouvait pris au temps des sociétés sacrées, religieuses, ou dotées ◀de▶ conventions sévères, n’a pas changé ◀de▶ caractère, ou peut-être même ◀de▶ nature.
◀La▶ romance
◀L’▶espèce ◀d’▶amour sur lequel se fonde ◀la▶ grande majorité des mariages modernes, en Occident, est une fièvre généralement légère, considérée comme infiniment intéressante à subir, et que ◀les▶ Anglo-Saxons appellent « romance », ◀d’▶un mot qui indique son origine romane (Midi de la France), sur laquelle je reviendrai tout à ◀l’▶heure.
Comme je parlais à ◀l’▶éditeur ◀d’▶un magazine américain ◀d’▶un article où je voulais décrire ◀l’▶extraordinaire inflation du love interest dans ◀les▶ films, ◀les▶ romans et ◀la▶ publicité, il m’arrêta par ◀l’▶objection suivante : « Mais mon cher, si ◀l’▶on ne se mariait plus à cause ◀d’▶une romance, pourquoi diable se marierait-on ? » Cette phrase toute spontanée, sincère et directe, dans sa naïveté, exprime exactement ◀la▶ situation présente. ◀L’▶homme moderne, et surtout en Amérique, ne conçoit simplement pas ◀d’▶autre raison possible au mariage que ◀la▶ romance. Il ne lui vient pas à ◀l’▶esprit qu’on puisse ou qu’on doive se marier pour une douzaine ◀de▶ raisons différentes, hétérogènes mais concomitantes, dont ◀la▶ romance ne serait que l’une et peut-être ◀la▶ moindre. À ses yeux, toutes ◀les▶ considérations ◀de▶ niveau social ou ◀d’▶éducation, ◀de▶ convenance des caractères, ◀d’▶origine, ◀d’▶âge, ◀de▶ ressources matérielles, ◀de▶ perspectives ◀d’▶avenir, ◀de▶ milieux familiaux, ◀de▶ carrière, ◀de▶ confession religieuse, ◀de▶ conceptions éducatives, ◀de▶ communion intellectuelle ou spirituelle, sont devenues secondaires : ce qui prime tout, c’est ◀la▶ romance. S’ils s’aiment, pense-t-il (◀de▶ cette espèce ◀d’▶amour), qu’ils se marient ! Car ◀la▶ romance a tous ◀les▶ droits, et ◀l’▶on agit comme si elle avait tous ◀les▶ pouvoirs. En présence de son « excitment », ◀les▶ raisons raisonnables importent pour peu ou pour rien. ◀Le▶ temps n’est plus, croit-on, des mariages ◀de▶ raison, ◀de▶ convention ou ◀de▶ convenance. Nous sommes libres, et cela signifie que nous épousons ◀la▶ femme ou ◀l’▶homme que nous aimons, pour cela seul, advienne que pourra. ◀La▶ seule chose importante est ◀de▶ s’assurer ◀de▶ ◀l’▶authenticité du sentiment. S’il est vrai, il vaincra tous ◀les▶ obstacles. Bien plus, il s’en nourrira, il s’exaltera ◀d’▶être combattu par ◀les▶ conventions (jugées stupides par définition, ou tyranniques) et ce sera pour lui une promesse ◀de▶ durée, s’il en faut une.
Mais c’est ici, précisément, qu’apparaît ◀la▶ faiblesse ◀de▶ cette vue ◀de▶ ◀la▶ vie. Si ◀l’▶on admet avec tous ◀les▶ romans, ◀les▶ chansons populaires, ◀les▶ films, ◀les▶ magazines, ◀la▶ publicité et ◀les▶ women’s clubs, que ◀la▶ romance peut et doit vaincre tous ◀les▶ obstacles, on est cependant bien forcé ◀de▶ reconnaître qu’il est une chose contre laquelle elle ne peut rien, et qui en retour peut tout contre elle : c’est ◀la▶ durée. Or il se trouve que ◀la▶ durée est ◀le▶ sens même, ◀la▶ raison ◀d’▶être du mariage, du point de vue ◀de▶ ◀la▶ famille et ◀de▶ ◀la▶ vie en société.
On peut donc affirmer que dans ◀l’▶état présent ◀de▶ nos mœurs occidentales, dans ◀l’▶atmosphère morale où baignent ◀l’▶immense majorité ◀de▶ nos contemporains, ◀le▶ mariage (et donc ◀la▶ famille) se voit systématiquement sapé et saboté par ◀le▶ motif même au nom duquel on ◀le▶ contracte encore.
Telle est, à mon avis, ◀la▶ raison principale (je ne dis pas unique) du nombre des divorces et ◀de▶ sa constante croissance. Nous sommes en train d’essayer — et ◀de▶ rater — l’une des expériences ◀les▶ plus folles qu’ait jamais imaginées une société civilisée : baser ◀le▶ mariage, qui est durée, sur ◀la▶ romance, qui est excitation passagère. ◀De▶ tous ◀les▶ motifs ◀de▶ mariage que je résumais tout à ◀l’▶heure, nous ne gardons pratiquement que ◀le▶ plus instable, disons même ◀le▶ plus volatil. Et je ne nierai pas un instant que dans un ordre social solide, ◀l’▶amour ou ◀la▶ romance ne doive jouer un rôle, mais je dirai que c’est alors ◀le▶ rôle mineur et décisif ◀d’▶un catalyseur — qui peut s’évaporer sans nul dommage une fois ◀la▶ combinaison opérée grâce à sa présence. Nous voyons au contraire toute une littérature ◀de▶ magazines pour-les-familles s’évertuer sans espoir à suggérer aux femmes des moyens ◀de▶ sauver ◀la▶ romance dans ◀le▶ mariage. C’est une manière indirecte ◀d’▶avouer que romance et durée ne sont pas compatibles. Au lieu de s’épuiser en vains efforts pour résoudre cette contradiction ◀de▶ nature, ne ferait-on pas mieux ◀de▶ face the facts, et ◀d’▶admettre au départ ◀les▶ deux thèses suivantes :
1° ◀La▶ romance est par nature incompatible avec ◀le▶ mariage (même si elle ◀l’▶a provoqué) car il est ◀de▶ son essence ◀de▶ se nourrir ◀d’▶obstacles, ◀de▶ retards, ◀de▶ séparation et ◀de▶ rêve), tandis qu’il est ◀de▶ ◀l’▶essence du mariage ◀de▶ réduire ou ◀de▶ supprimer quotidiennement même ◀les▶ obstacles, ◀de▶ se réaliser dans ◀l’▶immédiat et ◀la▶ proximité constante.
2° ◀Le▶ résultat logique et normal ◀d’▶un mariage fondé sur ◀la▶ romance seule, c’est ◀le▶ divorce ; car ◀le▶ mariage tue ◀la▶ romance, et si une romance renaît, elle tuera ◀le▶ mariage pour ◀les▶ raisons précises au nom duquel il fut conclu.
Éros et Agapè
Il est clair qu’en parlant ◀de▶ « romance » je n’ai pas en vue ◀l’▶amour en général, mais une certaine espèce ◀d’▶amour qui est celle que cultive notre époque, et qu’elle prend trop souvent pour ◀l’▶amour même.
◀La▶ romance, ◀la▶ fièvre amoureuse, ◀le▶ sentiment que décrivent et qu’exaltent ◀la▶ grande majorité ◀de▶ nos romans à succès et tous nos films, représente un type (pattern) très particulier ◀de▶ relations entre ◀l’▶homme et ◀la▶ femme. Pour faire voir à quel point ce pattern ◀de▶ relation est peu compatible avec ◀le▶ mariage, il convient ◀d’▶en indiquer d’abord ◀l’▶origine.
« Romance » vient de « roman » qui veut dire à ◀la▶ foi novel et histoire dans ◀le▶ style ◀de▶ ◀la▶ Provence, du Midi de la France. C’est à ◀la▶ grande révolution sentimentale opérée par ◀les▶ troubadours au xiie siècle qu’il nous faut donc remonter pour trouver ◀le▶ thème romanesque dans toute sa pureté. Une expression qui revient dans ◀les▶ poèmes des troubadours suffit à ◀la▶ caractériser : ◀l’▶amour ◀de▶ lonh, ◀l’▶amour lointain, ◀l’▶amour à grande distance, c’est-à-dire ◀l’▶amour dont un obstacle quelconque vient empêcher ◀la▶ réalisation tout en ◀l’▶exaltant dans ◀l’▶imagination. Jeoffroy Rudel, prince de Blaye, illustre cet amour par ses poèmes adressés à ◀la▶ comtesse de Tripoli, ◀la▶ « princesse lointaine ». ◀Le▶ roman ◀de▶ Tristan et Iseut, un peu plus tard, va fixer pour des siècles ◀le▶ modèle ◀de▶ presque tous ◀les▶ romans ◀d’▶amour en Occident : un homme, une femme, et un obstacle entre eux, interdisant et nourrissant tout à la fois ◀la▶ passion réciproque mais malheureuse. Cet obstacle sera d’abord ◀le▶ mari légitime (◀le▶ roi Marc), et nous avons ◀le▶ fameux triangle. Puis ◀l’▶obstacle deviendra ◀la▶ loi féodale chrétienne ; ou bien il sera symbolisé tout simplement par ◀la▶ séparation dans ◀l’▶espace ; enfin il se révélera plus intérieur à ◀la▶ psychologie des amants, lorsque Tristan déposera entre Iseut et lui, chassés dans ◀la▶ forêt et libres ◀de▶ s’abandonner à leur amour, une épée nue, signe ◀de▶ chasteté.
Quel est ◀le▶ rapport entre ◀l’▶homme et ◀la▶ femme, dans cette passion ? C’est un rapport essentiellement imaginaire. Ce n’est pas une communication réelle ◀d’▶être à être, mais au contraire une double projection, une double fabulation, une sorte ◀de▶ complicité dans ◀la▶ création perpétuelle ◀d’▶obstacles et ◀de▶ résistances, calculés exactement de manière à enflammer ◀le▶ sentiment tout en lui refusant ◀l’▶accomplissement où il s’apaiserait. Il semble que ◀la▶ violence ◀de▶ ◀la▶ passion soit en raison directe ◀de▶ ◀la▶ solidité des obstacles, et non pas des qualités réelles des amants (lesquelles sont indiquées ◀de▶ ◀la▶ manière ◀la▶ plus vague et conventionnelle, dans ◀le▶ roman : Tristan est simplement « ◀le▶ plus fort », Iseut « ◀la▶ plus belle et blonde »). Si bien qu’on est en droit ◀de▶ dire que Tristan n’aime pas ◀l’▶Iseut réelle, ni Iseut le Tristan réel, mais que l’un et l’autre n’aiment en réalité que ◀l’▶amour qu’ils ressentent. ◀Le▶ sentiment brûlant dans leur cœur, ◀la▶ brûlure elle-même, l’autre n’étant que prétexte à brûler. Enfin, il faut relever ◀le▶ caractère ◀d’▶intoxication que comporte cette passion. ◀Le▶ goût ◀d’▶aimer, ou mieux, ◀de▶ se sentir aimer, ◀d’▶être in love, s’il s’est choisi des obstacles convenables, peut aller jusqu’à faire préférer à ses victimes ◀le▶ « mal délicieux » à ◀la▶ santé, à ◀la▶ carrière sociale, à ◀l’▶ambition, à toutes ◀les▶ formes du bonheur terrestre, et finalement à ◀la▶ vie même. « Höchste Lust ! », joie suprême, s’écrie ◀l’▶Isolde de Wagner en mourant sur ◀le▶ cadavre ◀de▶ Tristan : ◀l’▶obstacle suprême qu’est ◀la▶ mort a porté ◀la▶ passion à son climax.
Cet amour lointain s’oppose diamétralement et point par point à ◀l’▶amour du prochain selon ◀l’▶Évangile. ◀L’▶amour lointain languit et souffre, tandis que l’autre, selon saint Augustin, « court, vole et se réjouit ». L’un se nourrit ◀d’▶absence, ◀de▶ rêve et ◀de▶ nostalgie, l’autre ◀de▶ présence, ◀de▶ connaissance et ◀d’▶échange immédiat. L’un s’exalte dans ◀la▶ lutte, ◀la▶ poursuite et ◀l’▶échec, l’autre s’accomplit dans une construction quotidienne ◀de▶ ◀la▶ paix. L’un est désir, l’autre don et possession. L’un est passion (chose subie), l’autre est action.
◀L’▶amour-passion relève ◀d’▶Éros, et ◀l’▶amour-action ◀d’▶Agapè 21.
On sait que ◀la▶ poésie des troubadours, qui répandit dans ◀le▶ monde occidental ◀la▶ contagion ◀de▶ ◀l’▶amor ◀de▶ lonh, ◀d’▶où devaient sortir pendant des siècles tous nos poèmes et nos romans, combattait ◀le▶ mariage, ouvertement. En termes de morale courante, Tristan peut être défini comme une glorification ◀de▶ ◀l’▶adultère. Et ◀l’▶on a vu que tous ◀les▶ éléments ◀de▶ ◀l’▶Éros passionnel sont propres à ruiner ◀le▶ mariage, ou au contraire à péricliter si ◀le▶ mariage résiste heureusement et dure.
Pour découvrir ◀le▶ grand secret ◀de▶ ◀la▶ crise moderne du mariage, il nous suffira maintenant ◀de▶ marquer que ◀la▶ romance parmi nous n’est que ◀le▶ sous-produit vulgarisé ◀de▶ ◀la▶ passion illustrée par Tristan.
Comme ◀la▶ passion, ◀la▶ romance est une intoxication qui fait dire à ses victimes complaisantes : « C’est plus fort que moi… » Mais elle a perdu sa virulence mortelle, parce que tous ◀les▶ obstacles sociaux et moraux ont perdu leur solidité et finissent toujours par être vaincus ou tournés, en sorte que ◀la▶ romance au lieu de culminer dans une tragédie se perd dans un happy ending. Comme ◀la▶ passion, ◀la▶ romance est une manière ◀de▶ sentir ◀l’▶amour plutôt que ◀de▶ ◀l’▶agir, ◀d’▶être in love plutôt que ◀de▶ love. Comme ◀la▶ passion donc, finalement, ◀la▶ romance est une forme narcissique ◀de▶ ◀l’▶amour s’adressant à ◀l’▶image ◀de▶ l’autre et non pas à son être concret, une projection ◀de▶ nostalgies intimes ou inconscientes et non pas un dialogue réel.
◀La▶ grande différence entre passion et romance, c’est que cette dernière est par définition passagère, et cela tient à ◀la▶ débilité des obstacles dont elle trouve encore à se nourrir. ◀La▶ passion ◀de▶ Tristan fondait une sorte ◀de▶ fidélité jusqu’à ◀la▶ mort, fidélité à un rêve il est vrai, fidélité à ses propres désirs plutôt qu’à ◀la▶ personne qui était ◀le▶ prétexte, mais conservant au moins ces deux traits importants ◀de▶ ◀la▶ fidélité véritable : ◀la▶ durée « pour ◀la▶ vie » et ◀le▶ sens ◀d’▶un destin assumé (ou subi) « advienne que pourra ». ◀La▶ romance, au contraire, pour peu qu’elle aboutisse à un bonheur normal, a toutes ◀les▶ chances ◀de▶ s’évanouir. Cette femme ◀de▶ rêve, pense Joe, qui ressemblait à ma star préférée, et dont tant ◀d’▶obstacles me séparaient, rendant ◀la▶ poursuite si excitante, voici qu’elle est devenue un être bien réel à mes côtés, et qui passe des heures, jour et nuit, à changer ◀les▶ langes du bébé. Je ◀l’▶ai épousée à cause ◀d’▶une romance. Aucune romance ne pourrait subsister dans ◀l’▶odeur ◀de▶ cuisine qui baigne nos trois petites pièces…
Et Sally pense ◀de▶ son côté qu’elle vaut mieux que cela, et qu’avec Bob elle donnerait sa mesure… ◀Les▶ voici mûrs, après deux ans, pour ◀de▶ nouvelles romances qui ne manqueront pas ◀de▶ ◀les▶ « surprendre », parce qu’ils ◀les▶ appellent ◀de▶ leurs vœux secrets, et qui ◀les▶ conduiront logiquement — s’ils ont gardé ◀les▶ principes mêmes au nom desquels ils se marièrent — à un divorce suivi ◀de▶ nouveaux mariages sans plus ◀d’▶avenir. Cette situation est devenue ◀la▶ plus banale dans notre société. À tel point que nos contemporains sont convaincus que « ◀la▶ vie va ainsi », qu’elle ◀l’▶a toujours été et ◀le▶ restera toujours. Croyance doublement erronée, au regard de ◀l’▶historien des mœurs. Car primo, si « ◀la▶ vie est ainsi », c’est qu’à partir du xiie siècle, ◀les▶ Occidentaux ont adopté de plus en plus une morale ◀de▶ ◀l’▶amour plus glamourous que d’autres, non reconnue mais mieux suivie, ennemie jurée ◀de▶ nos institutions matrimoniales, et qui bénéficie ◀de▶ ◀la▶ propagande constante ◀de▶ nos littératures, aujourd’hui ◀de▶ nos films. Et secundo, il est fort peu probable que si « ◀la▶ vie est ainsi » elle ◀le▶ restera toujours, car aucune société humaine ne saurait subsister longtemps lorsque ◀le▶ chiffre des divorces (c’est-à-dire des familles brisées) tend à égaler celui des mariages.
Mariage totalitaire et ◀la▶ révolte contre ◀le▶ romantismebf
Au seuil ◀de▶ ◀l’▶anarchie qui nous menace, il ne serait que trop facile ◀d’▶énumérer ◀les▶ « remèdes » ou ◀les▶ correctifs aptes à établir un ordre tolérable : restaurer ◀le▶ sens du serment (actuellement dévalorisé, tandis qu’on valorise à ses dépens des caprices qualifiés ◀de▶ « vitaux ») ; rendre à ◀la▶ raison sa primauté pratique sur ◀le▶ sentiment ; réformer ◀la▶ législation sur ◀les▶ divorces ; décréter des mesures pour prévenir ◀les▶ mariages trop rapides ; restaurer chez ◀les▶ jeunes gens ◀le▶ sentiment ◀de▶ leur responsabilité sociale ; bref, « revenir aux vertus ancestrales ». Par malheur, ces conseils seraient vains. On ne « revient » jamais à rien, surtout dans ◀le▶ domaine des mœurs. Et si par impossible ◀la▶ société moderne donnait ◀les▶ apparences ◀d’▶un retour à certaines des vertus qu’affirmaient nos ancêtres, ce ne serait pas à ◀la▶ suite des conseils que quelques sages lui prodigueraient, mais par ◀la▶ force irrésistible des réflexes ◀de▶ défense du corps social. Je vois deux ◀de▶ ces réflexes s’amorcer dans ce siècle.
1. ◀La▶ réaction totalitaire
On pourrait ◀l’▶appeler aussi : réaction étatique. ◀L’▶État moderne ne peut pas tolérer ◀l’▶anarchie individualiste qui ruine ◀la▶ base ◀de▶ son système ◀d’▶impôts, du recrutement ◀de▶ ses armées, et ◀d’▶une manière plus générale, des disciplines ◀d’▶éducation collectiviste. nazis, fascistes et stalinistes se sont accordés sur ce point : ◀la▶ famille, cette cellule sociale, ne doit plus être exposée aux atteintes du plus antisocial des sentiments : ◀la▶ passion, ou même ◀la▶ romance. On se souvient des mesures drastiques prises par Himmler pour régler au nom de ◀l’▶État ◀le▶ mariage des SS tout d’abord, puis ◀la▶ procréation en général. ◀La▶ « science » sociale était chargée ◀d’▶éliminer progressivement toute espèce ◀de▶ choix arbitraire, individuel, sentimental, pour lui substituer une sorte ◀de▶ fiche ◀de▶ mariage, établie par ◀les▶ fonctionnaires du parti sur ◀la▶ base ◀de▶ mensurations physiques, ◀de▶ pedigrees, et ◀de▶ certificats politiques.
◀La▶ Russie n’a jamais été si loin. Après avoir balayé sous Lénine toutes ◀les▶ lois relatives au mariage, au divorce, aux enfants, elle s’est bornée à recréer un code qui ressemble à s’y méprendre à celui des pays bourgeois, mais qu’elle applique beaucoup plus strictement. Elle ◀le▶ soutient par une propagande acharnée contre ◀la▶ romance, ◀les▶ chansons sentimentales, et ◀l’▶idée ◀de▶ bonheur individuel, considérée comme décadente. ◀Les▶ primes aux familles nombreuses d’une part, ◀les▶ obstacles mis au divorce d’autre part, et surtout ◀la▶ pauvreté générale, semblent avoir stabilisé provisoirement ◀la▶ situation matrimoniale en URSS.
Mais il s’agit ◀d’▶un état ◀de▶ mobilisation permanente ◀de▶ ◀la▶ nation (caractéristique ◀de▶ tout régime totalitaire) et ◀l’▶on n’en peut rien inférer pour ◀l’▶avenir. Cependant, les premières expériences totalitaires ont rendu vraisemblable ◀l’▶imagination ◀d’▶un régime ◀de▶ mariage entièrement soumis à quelque science officielle ◀de▶ ◀l’▶eugénisme, permettant à ◀l’▶État ◀de▶ limiter à ◀l’▶extrême ◀la▶ marge ◀de▶ choix individuel. Peut-être alors verrait-on se reproduire ◀les▶ conditions sociales ◀les▶ plus aptes à nourrir des passions secrètes et mortelles, dignes du modèle ◀de▶ Tristan, mais rares, décriées et honteuses, par là même sans danger du point de vue collectiviste.
2. Décadence ◀de▶ ◀la▶ romance
Dans ◀les▶ pays bourgeois et démocratiques, je constate une évolution bien différente, plus normale en ce sens qu’elle s’opère librement mais sans doute plus profondément révolutionnaire par ses effets.
◀La▶ vulgarisation extrême des valeurs romanesques ou romantiques est en train de se révéler beaucoup plus dangereuse pour ◀la▶ romance que ◀les▶ diatribes des moralistes. ◀La▶ dépréciation générale des tabous sexuels et ◀l’▶émancipation ◀de▶ ◀la▶ femme agissent dans ◀le▶ même sens. C’est que ◀la▶ romance, comme ◀la▶ vraie passion, a besoin pour s’enflammer ◀d’▶être combattue, empêchée, et dans une certaine mesure officiellement réprouvée. Faute ◀d’▶obstacles sérieux, ◀le▶ mouvement qui ◀la▶ porte débouche trop vite dans ◀la▶ réalité, où il s’enlise. « Ce n’est pas Amour, qui tourne à ◀la▶ réalité », écrivait au xiie siècle déjà un troubadour.
Or ◀l’▶évolution générale des mœurs, dans ◀les▶ pays où elle se produit librement « tourne à ◀la▶ réalité », précisément.
◀Le▶ mouvement général ◀d’▶accession ◀de▶ ◀la▶ femme à ◀l’▶égalité politique, juridique et surtout économique est peut-être ◀le▶ facteur principal ◀de▶ cette évolution. ◀Le▶ seul fait que ◀la▶ femme ait une profession, c’est-à-dire bien tangiblement une vie à elle, oblige ◀l’▶homme à ◀la▶ considérer comme un être réel et autonome, avec lequel il devra composer pratiquement, et dont il devra respecter ◀les▶ initiatives. Un tel être se prête assez mal à ◀la▶ projection nostalgique du rêve intime ◀de▶ ◀l’▶amant. Ce n’est plus un objet ◀de▶ contemplation, mais un sujet agissant pour son compte. ◀Le▶ dialogue viendra donc nécessairement se subsister à ◀la▶ double rêverie narcissique. Et dans ce dialogue seront réintroduites ◀les▶ considérations ◀de▶ milieu social, ◀de▶ ressources matérielles, ◀d’▶éducation, ◀d’▶aptitudes, ◀de▶ caractère, ◀de▶ buts ◀de▶ vie, etc., que ◀la▶ romance croyait pouvoir surmonter en ◀les▶ négligeant ◀d’▶enthousiasme.
Un second facteur notable, c’est ◀la▶ commercialisation ◀de▶ ◀la▶ romance. Nous avons vu qu’il est ◀de▶ ◀l’▶essence ◀de▶ ◀la▶ passion ◀de▶ s’exalter dans ◀la▶ révolte contre ◀les▶ données prosaïques et tyranniques ◀de▶ ◀la▶ société, ◀de▶ ◀la▶ morale, et plus profondément ◀de▶ ◀la▶ vie en soi. Mais ◀la▶ passion perd son ressort intime lorsqu’elle est advertisée à chaque page des magazines et à chaque pas dans ◀la▶ rue. Nous touchons aujourd’hui au point où ◀la▶ romance, loin ◀d’▶être un état d’exception délicieusement intéressant même dans ses tourments, devient au contraire une conduite conformiste. ◀Le▶ jeune homme qui n’est pas in love essaie ◀de▶ cacher cette particularité à ses camarades, se demande ce qui lui manque pour être comme tout-le-monde, c’est-à-dire comme ◀les▶ héros des films ou des short-stories qui servent ◀de▶ modèle à sa génération. Mais voici que ces modèles eux-mêmes commencent à changer ◀de▶ nature. ◀La▶ littérature sérieuse et créatrice ◀de▶ ces dernières décades compte peu ou point ◀de▶ grands romans ◀d’▶amour, elle abandonne ce thème, de plus en plus, aux fabricants ◀de▶ best-sellers. ◀Le▶ dogme ◀de▶ Hollywood sur ◀la▶ nécessité ◀d’▶introduire du love interest à tout prix dans n’importe quel film (même dans un documentaire sur ◀la▶ bombe atomique), subit des atteintes multipliées. Une note amère, cynique, ou simplement réaliste, remplace déjà dans bien des scénarios ◀le▶ happy ending obligé ◀de▶ naguère. Il se peut que cette réaction se prononce avec énergie dans ◀les▶ années qui viennent, et elle ne manquera pas ◀d’▶influencer ◀les▶ mœurs. Car ◀la▶ romance, thème littéraire par excellence (◀la▶ paix du couple étant au contraire « sans histoire », donc très difficile à décrire) a contaminé ◀l’▶Occident par ◀le▶ truchement ◀de▶ ◀la▶ littérature, avant que ◀le▶ cinéma ne s’en mêle. ◀La▶ Rochefoucauld se demandait : « Combien ◀d’▶hommes seraient amoureux s’ils n’avaient pas entendu parler ◀d’▶amour ? » Nous pouvons nous demander combien ◀d’▶hommes auront encore ◀l’▶idée ◀de▶ tomber amoureux quand on ne leur en parlera plus.
Soulignons à ce propos que passion et romance, ces créations artificielles ◀de▶ ◀l’▶Occident, ne sont liées à ◀la▶ sexualité que ◀d’▶une manière dialectique, paradoxale. Dévier n’est pas synonyme ◀d’▶être in love, et ◀la▶ possession prématurée ◀de▶ ◀l’▶être qu’on désire tue bien souvent ◀les▶ possibilités ◀de▶ romance. « ◀D’▶Amor mou castitaz », ◀d’▶amour naît ◀la▶ chasteté, disait un troubadour : ◀l’▶inverse n’est pas moins vrai. C’est pourquoi ◀les▶ périodes romantiques ◀de▶ ◀la▶ littérature occidentale coïncident avec ◀les▶ périodes puritaines. (◀Le▶ roman victorien en est ◀le▶ meilleur exemple.) Or il semble que nous entrions dans une période ◀de▶ mœurs sexuelles faciles ou relâchées, comparables à celles ◀de▶ la première moitié du xviiie siècle. ◀La▶ liquidation des tabous du victorianisme et du puritanisme sous ◀les▶ influences convergentes ◀de▶ ◀la▶ psychanalyse vulgarisée, ◀de▶ ◀la▶ vie dans ◀les▶ grandes cités, ◀de▶ ◀la▶ révolte contre ◀la▶ bourgeoisie et ◀de▶ ◀la▶ libération ◀de▶ ◀la▶ femme, va tarir l’une des sources principales du romantisme.
Tout concourt donc, vers ◀le▶ milieu ◀de▶ ce siècle, à miner ◀le▶ goût ◀de▶ ◀la▶ romance, au moment où celle-ci s’est répandue jusque dans ◀les▶ masses populaires, et met en cause ◀la▶ stabilité du mariage, base ◀de▶ ◀la▶ vie ◀de▶ ◀la▶ famille.
Vers une alliance des égaux
Il faut s’y résoudre : tout est paradoxe ◀de▶ ce qui touche à ◀la▶ passion. Elle se nourrit des obstacles qu’elle rencontre ; elle en suscite pour mieux se tourmenter, car elle préfère ◀le▶ tourment « passionnant » au bonheur plat ; elle fait mourir un homme pour ◀l’▶image ◀d’▶une femme dont il n’est pas sûr qu’il ◀l’▶aimerait s’il devait partager son existence ; elle apparaît dans notre histoire comme un élan vers ◀la▶ beauté et ◀l’▶amour infini, mais c’est au prix ◀d’▶une négation ◀de▶ ◀l’▶amour réel ; elle exalte et déprime à la fois ses victimes ; elle a créé notre littérature aux dépens de notre morale ; et aujourd’hui, sous sa forme bénigne, édulcorée, vulgarisée, elle provoque des millions ◀de▶ mariages qu’elle se charge bientôt ◀de▶ détruire. Faut-il donc déplorer sa décadence ou s’en réjouir ? Il serait vain ◀de▶ répondre à cette question ◀d’▶une manière unilatérale.
Si, par suite ◀d’▶un réflexe ◀de▶ défense de notre société menacée ◀d’▶anarchie, ◀la▶ romance se voit refoulée pour faire place au seul réalisme dans ◀les▶ rapports entre ◀l’▶homme et ◀la▶ femme, il est probable que nos descendants s’ennuieront. Ils éprouveront un manque dans leur vie, un vide dans leur cœur. Pour « nous modernes », il faut bien ◀l’▶avouer, gens ◀de▶ petite foi et ◀de▶ peu de religion, ◀la▶ vie sentimentale figure encore une espèce ◀d’▶idéal ou ◀d’▶évasion ◀de▶ choix, ◀la▶ moins mauvaise approximation ◀d’▶un substitut aux joies et soucis ◀de▶ ◀l’▶esprit. (Déjà ◀la▶ passion politique chez ◀les▶ totalitaires, surtout, en prend officiellement ◀la▶ place.) Tuer ◀la▶ romance, ou ce qu’il en reste, sera perdre autant que gagner. Seule une vie spirituelle intense serait capable ◀de▶ combler ◀l’▶absence du « tourment délicieux », et ◀de▶ rendre Agapè plus exaltant qu’Éros. Mais nous n’avons pas ◀le▶ droit ◀de▶ compter sur un miracle collectif…
◀De▶ fait, nous ne pouvons agir sur ◀l’▶évolution que j’ai décrite que par une prise de conscience : en dévoilant ◀la▶ vraie nature ◀de▶ ◀la▶ passion et en définissant ce type ◀de▶ relations humaines qu’elle suppose et qu’elle favorise. (C’est en somme ◀la▶ méthode ◀de▶ ◀la▶ psychanalyse.) Cela fait, nous pouvons alors proposer ◀de▶ nouvelles orientations pour ◀l’▶éducation ◀de▶ ◀la▶ société.bg
S’attaquer à ◀la▶ romance au nom de ◀la▶ moralité serait une erreur, car elle fascine dans ◀la▶ mesure où elle constitue un interdit, et meurt lorsqu’elle est universellement approuvée. Nous pourrions limiter ses qualités dangereuses beaucoup plus efficacement en montrant simplement aux jeunes que, quelle que soit sa valeur, ◀la▶ romance ne peut être au fondement du mariage. Épouser quelqu’un « pour ◀la▶ vie » à cause ◀d’▶une fièvre ◀de▶ deux mois n’est pas un acte ◀de▶ courage mais ◀de▶ stupidité. Nous ferions sans doute bien ◀de▶ ne pas être aussi sévères à l’égard des films et des romans qualifiés ◀d’▶« indécents » par ◀les▶ normes puritaines qu’à l’égard de ceux qui dépeignent ◀l’▶amour comme une extase, comme ◀l’▶ivresse suprême — un mensonge grotesque auquel croient, étonnamment, même ◀les▶ jeunes ◀les▶ plus sceptiques. Nous devrions également demander à nos romanciers ◀d’▶abandonner pour un temps leurs triangles romantiques et ◀de▶ nous montrer un type ◀de▶ mariage moderne, qui ne soit plus basé uniquement sur « ◀l’▶amour », ◀le▶ quiproquo ◀de▶ deux rêves, mais sur ◀l’▶alliance jurée ◀de▶ deux égaux.
Nous ne pouvons peser sur ◀la▶ moralité qu’en modifiant ou en inversant certaines normes ◀de▶ jugement, par des styles renouvelant ◀les▶ attitudes morales actuelles quant à ce qui est acceptable et ce qui ne ◀l’▶est pas. ◀L’▶apport ◀de▶ Freud réside dans ◀le▶ fait qu’il nous a permis ◀de▶ discuter ◀de▶ ◀l’▶inconscient et ◀de▶ ◀la▶ sexualité. ◀Les▶ troubadours ont exercé un impact profond en rendant ◀la▶ joy ◀d’▶amor à ◀la▶ mode. ◀Les▶ films et ◀la▶ littérature bon marché nous affectent en prolongeant ◀la▶ soif ◀de▶ romance, même si elle est condamnée par ◀les▶ nouvelles réalités sociales. Ceux qui parlent ◀de▶ notre époque seraient utiles s’ils exprimaient des valeurs qui correspondent aux faits sociaux actuels et à ◀la▶ perte des illusions romantiques. Leur influence serait importante s’ils décrivaient des exemples ◀de▶ fidélité promise, ◀de▶ partenariat pratique, ◀le▶ frisson ◀d’▶une aventure commune et constructive entreprise à tout risque, libres des « intermittences du cœur » ◀de▶ Proust et du jeu toujours changeant des sentiments. Car ce sont ces valeurs positives qui constituent ◀le▶ véritable style et ◀l’▶excellence du siècle, et peut-être même son héroïsme.