14. Sur l’▶avenir du christianismebv
« Mais alors — me disent ◀de▶ bonnes âmes très attachées à leurs croyances chrétiennes et que mon optimisme trouble comme étant par trop “séculier” : Si ◀le▶ monde s’organise dans ◀la▶ paix, si ◀la▶ prospérité devient universelle, ◀le▶ loisir généralisé, ◀la▶ santé publique assurée par ◀le▶ Welfare State ; si ◀la▶ science, ◀la▶ technique, ◀la▶ psychanalyse réussissent à résoudre, à ◀la▶ fin ◀de▶ ce siècle, ◀les▶ grands problèmes matériels et moraux, individuels et collectifs, qui ont tourmenté ◀l’▶humanité depuis des millénaires ; si donc ◀le▶ progrès, tel que ◀l’▶Occident ◀l’▶a conçu, atteint ses objectifs principaux — et cela paraît désormais concevable —, ◀la▶ religion en général et ◀le▶ christianisme en particulier ne deviendront-ils pas superflus ? ◀L’▶inquiétude qui entretient leur besoin ne sera-t-elle pas apaisée ? ◀Le▶ salut, ◀le▶ pardon, ◀la▶ grâce et ◀la▶ prière ◀d’▶intercession garderont-ils un sens pour des humains comblés ? »
Il serait trop facile ◀de▶ répondre que ◀les▶ prouesses actuelles du progrès ne seront jamais intégralement tenues. Car ◀le▶ fait est qu’elles ont plus ◀de▶ chances que jamais ◀de▶ ◀l’▶être, en tout cas partiellement. Et même si elles n’étaient pas tenues du tout, ◀la▶ question ◀de▶ principe subsiste : Est-il vrai que ◀l’▶inquiétude religieuse dépende ◀de▶ ◀l’▶insatisfaction ◀de▶ nos besoins matériels, sociaux et psychologiques ? Faut-il prévoir par suite que l’une diminuerait à ◀la▶ mesure ◀de▶ ◀la▶ satisfaction croissante des autres ?
Remarquons d’abord qu’une religion qui estime avoir à redouter ◀le▶ succès final du progrès ne mérite guère qu’on ◀la▶ défende : car elle se considère comme un remède, et nul remède ne vaut mieux que ◀la▶ santé ; comme une espèce ◀de▶ tranquillisant ◀de▶ type archaïque (médiéval) permettant ◀de▶ prendre en patience nos maux inévitables, mais aucun apaisant n’est préférable à ◀la▶ paix réelle ; enfin, comme ◀le▶ complément ◀d’▶une déficience, et elle n’aurait donc pas ◀de▶ raison ◀de▶ survivre, une fois ◀la▶ plénitude conquise.
D’ailleurs, dans ◀l’▶hypothèse où ◀le▶ progrès réussirait, où nos besoins terrestres se tiendraient pour comblés, ce n’est pas seulement cette religion-remède qui serait menacée ◀de▶ s’éteindre faute ◀d’▶emploi, mais tout autant, ou plus encore, ◀la▶ recherche scientifique et ◀l’▶invention technique, et finalement ◀l’▶idéal même du progrès.
Derrière ◀la▶ crainte que j’ai dite, concernant ◀l’▶avenir du christianisme, je pressens une double erreur : sur ◀la▶ fonction ◀de▶ ◀la▶ religion, et sur ◀la▶ nature même ◀de▶ ◀l’▶homme.
Car ◀la▶ fonction ◀de▶ ◀la▶ religion n’est pas ◀de▶ compenser nos maux ou ◀de▶ nous ◀les▶ faire oublier, mais ◀d’▶orienter tout ◀l’▶être vers ◀la▶ vérité, et ◀d’▶affirmer une vérité qui nous transcende. Et ◀la▶ fonction du christianisme, qui se distingue en cela des autres religions, est ◀d’▶amener ◀l’▶homme à incarner ◀la▶ vérité : cette vérité transformant ◀l’▶homme « par ◀le▶ renouvellement ◀de▶ son entendement »47 ◀l’▶amène ensuite à transformer ◀le▶ monde, et non pas à s’y conformer. ◀L’▶ambition désacralisante ◀de▶ ◀la▶ science et ◀de▶ ◀la▶ technique, celle du marxisme aussi, et ◀de▶ toutes ◀les▶ doctrines du progrès, sont ◀les▶ suites plus ou moins directes ou légitimes que ◀l’▶Occident, croyant ou non, a tirées ◀de▶ ◀l’▶attitude chrétienne devant ◀le▶ monde.
D’autre part, ◀la▶ nature ◀de▶ ◀l’▶homme diffère ◀de▶ celle ◀de▶ ◀l’▶animal en ce qu’il « ne vit pas ◀de▶ pain seulement ». Ce verset ◀de▶ ◀l’▶Évangile n’exprime pas un vœu ou une objurgation, c’est une simple constatation, ◀l’▶homme est ainsi : incapable ◀d’▶être satisfait et ◀de▶ bien vivre quand ses besoins physiques sont seuls comblés. (Sinon, ◀les▶ occupants ◀de▶ nos prisons modernes « vivraient » mieux que ◀les▶ deux tiers du genre humain, sous-alimenté mais en liberté.) ◀L’▶homme passe infiniment ◀l’▶homme, disait Pascal, bien avant Nietzsche. ◀La▶ nature ◀de▶ ◀l’▶homme est ◀de▶ dépasser ◀la▶ Nature.
◀D’▶où je conclus qu’une religion qui aurait à redouter ◀la▶ réussite du progrès ne serait en tout cas pas ◀le▶ christianisme véritable, et que ◀l’▶homme qui se sentirait spirituellement « apaisé » par cette réussite matérielle ne serait plus un homme véritable.
On m’opposera sans doute ◀les▶ utopies ◀de▶ George Orwell et ◀d’▶Aldous Huxley. Elles décrivent des conditionnements psychophysiques si merveilleusement réussis que ◀le▶ souci ◀de▶ ◀la▶ vérité et ◀de▶ ◀la▶ recherche permanente se voit totalement évacué, ◀l’▶homme n’étant plus qu’une sorte ◀de▶ bétail savant. ◀Les▶ utopies supposent, en somme, un autofreinage du progrès par ◀les▶ moyens actuellement imaginables ◀de▶ ◀la▶ science et ◀de▶ ◀la▶ technique au service ◀de▶ ◀la▶ propagande. Logiquement, ◀le▶ processus est impensable : si ◀la▶ technique triomphait ◀de▶ ◀l’▶homme, elle s’annulerait du même coup. Car plus elle s’approcherait ◀de▶ cette limite, plus ◀les▶ sources ◀de▶ son énergie s’affaibliraient. Pratiquement, nos deux utopistes prévoient ◀l’▶intervention ◀d’▶un groupe humain qui resterait à ◀l’▶extérieur du processus et donnerait ◀le▶ coup ◀de▶ pouce nécessaire pour que ◀l’▶asymptote rejoigne ◀l’▶axe, en dépit des lois mécaniques.
◀Les▶ nazis et ◀les▶ staliniens ont un moment paru tout près de réussir ce suicide télécommandé des régions ◀de▶ ◀l’▶humanité soumises à leur pouvoir total, à la fois hypnotique et policier. Leur échec très rapide — dix ans pour l’un, vingt-cinq pour l’autre, deux instants au regard de notre histoire — nous rassure quant aux chances ◀de▶ ◀l’▶homme contemporain. Il n’est plus, pour croire à ces fous, que quelques intellectuels naguère à ◀la▶ mode dans ◀les▶ capitales du monde libre. Ils ont peut-être deux-cent-mille lecteurs dans ◀le▶ monde (presque tous bourgeois), peu de disciples et nul martyr. Rien ◀de▶ commun avec ◀l’▶Église primitive. ◀Le▶ danger véritable n’est pas là.
Mais si nous admettons que ◀le▶ phénomène ◀de▶ ◀la▶ « mort ◀de▶ Dieu » reste localisé dans certains milieux très restreints quoiqu’intellectuellement influents pour un temps, et que ◀les▶ triomphes à venir de ◀l’▶organisation scientifique ◀de▶ ◀la▶ vie n’élimineront pas ◀les▶ besoins religieux ◀de▶ ◀l’▶immense majorité des hommes ; si nous admettons au surplus que ◀les▶ loisirs accrus par ◀la▶ technique favoriseront au contraire ◀la▶ diffusion ◀de▶ ◀la▶ culture, et par là même ◀l’▶inquiétude métaphysique chez un nombre croissant ◀d’▶humains ◀de▶ toutes ◀les▶ races, un défi ◀d’▶un tout autre ordre risque ◀d’▶être lancé au christianisme : non pas celui ◀de▶ ◀l’▶athéisme, ni celui ◀de▶ ◀l’▶indifférence religieuse, mais celui d’autres religions.
◀Les▶ cultures sont destinées à s’interpénétrer de plus en plus. ◀Les▶ anciennes religions ◀de▶ ◀l’▶Asie, ◀les▶ magies noires, ◀les▶ gnoses ressuscitées et modernisées, ◀les▶ syncrétismes superficiels ou génialement imaginés gagneront fatalement des audiences toujours plus larges en Occident. Que deviendra dans cette immense compétition ◀le▶ christianisme ? Sa prétention fondamentale et dogmatique à représenter ◀la▶ Bonne Nouvelle unique, universelle, et incarnée « une fois pour toutes » à tout jamais, n’apparaîtra-t-elle pas toujours plus exorbitante, voire intenable ? Quelles sont ses chances, à vues humaines, ◀de▶ relever un tel défi ?
On ne saurait certes envisager ces chances comme on ◀le▶ ferait ◀de▶ celles ◀d’▶un parti ou ◀d’▶une nation, ◀d’▶une idéologie ou ◀d’▶une civilisation, car ◀le▶ christianisme est essentiellement autre chose que tout cela. Un Karl Barth pourrait donc se borner à me répondre : ◀le▶ christianisme étant parole ◀de▶ Dieu aux hommes, son avenir ne dépend que ◀de▶ Dieu, et ne mérite pas ◀de▶ préoccuper ◀l’▶Église. Et plus ◀d’▶un fidèle invoquera ◀les▶ « promesses » données à ◀l’▶Église, pour me convaincre ◀de▶ manque ◀de▶ foi, si ce n’est ◀de▶ vaine curiosité frisant ◀le▶ blasphème.
Mais s’il est vrai que ◀le▶ christianisme est essentiellement différent, il est lié, existentiellement, à des réalités historiques et « mondaines » au sens paulinien. Dans cette mesure, il ne saurait refuser ◀la▶ question que lui pose ◀le▶ monde présent, et que ne lui posait pas ◀l’▶Europe de la Réforme, encore refermée sur elle-même, ignorant tout des autres religions et ◀les▶ confondant toutes sous ◀le▶ nom ◀de▶ paganisme, synonyme ◀d’▶erreur scandaleuse et ◀de▶ nuit ◀de▶ ◀l’▶esprit.
◀Le▶ christianisme historique est aussi un parti, ou même un ensemble ◀de▶ partis, il est aussi une idéologie, et il est lié à une certaine civilisation qu’il a certes transformé mais non sans se couler dans ses formes ◀de▶ pensée et dans ses structures ◀d’▶organisation, ◀les▶ unes et ◀les▶ autres constituées bien avant ◀la▶ venue au monde ◀de▶ Jésus. Ses chances ◀d’▶avenir dépendent donc aussi des chances des confessions qui ◀le▶ composent et des chances ◀de▶ ◀la▶ civilisation occidentale dans ◀le▶ monde. Mais elles en dépendent ◀de▶ deux manières bien distinctes. ◀Le▶ christianisme peut triompher ou périr avec ses confessions distinctes et avec ◀la▶ civilisation occidentale, s’il demeure vitalement attaché aux unes et à l’autre. Mais il peut aussi surmonter ses divisions actuelles, se détacher plus ou moins des cadres et des modes ◀de▶ penser spécifiques ◀de▶ ◀l’▶Occident, et leur survivre, sauvant son âme en renonçant à ses formes traditionnelles, et peut-être, alors, gagnant ◀le▶ monde.
C’est ce que je voudrais tenter ◀d’▶imaginer maintenant ◀d’▶une manière aussi précise que ◀le▶ permet ◀l’▶art ◀de▶ ◀la▶ conjecture historique et sociologique, art dont on sait qu’il est loin de toute science rigoureuse, mais qui ne s’en distingue pas moins ◀de▶ ◀la▶ rêverie utopique. Car ◀l’▶utopie n’est que ◀la▶ projection dans un avenir an-historique ◀de▶ nos désirs et ◀de▶ nos craintes : c’est une image ◀de▶ compensation qui n’apprend rien sur un avenir possible mais décrit seulement, en ◀l’▶inversant, notre vision partielle du présent, vidé ◀de▶ toutes ◀les▶ connexions et interrelations nécessaires qui déterminent son existence actuelle. Et c’est pourquoi j’ai pu écrire ailleurs que « ◀l’▶utopie se définit comme un système sans avenir ».
◀Le▶ christianisme est un parti (ou plutôt un ensemble ◀de▶ partis tantôt rivaux tantôt coalisésbw) dans ◀la▶ mesure où il se présente aux yeux du monde non seulement comme vérité révélée, mais comme un ensemble ◀d’▶Églises organisées possédant chacune sa doctrine, son organisation, son « appareil » et ses effectifs enregistrés.
◀La▶ pluralité ◀de▶ ses confessions n’a peut-être pas retardé ou gêné sa diffusion en Afrique et en Asie jusqu’ici, mais il est peu probable qu’un des trois ou quatre grands « partis », ◀le▶ catholique, ◀l’▶orthodoxe, ◀le▶ protestant ou ◀l’▶anglican, arrive jamais à s’imposer aux « partis » frères et à gagner à lui seul ◀le▶ monde non chrétien. Des différentes confessions historiques, seuls ◀le▶ catholicisme et ◀le▶ protestantisme seraient en position ◀d’▶y prétendre, sinon ◀d’▶y réussir.
◀Le▶ catholicisme a pour lui son aspiration fondamentale, et déclarée par son nom même, à ◀l’▶universalité ; son organisation demeurée admirablement efficace après quatre-cents ans ◀d’▶usage48 et que ◀les▶ grands mouvements politico-sociaux ◀de▶ ◀l’▶ère contemporaine (◀le▶ parti communiste et ◀les▶ divers régimes totalitaires) ont été amenés, par ◀la▶ nature des choses, à copier plus ou moins expressément ou consciemment ; et une souplesse intellectuelle non moins remarquable, qui lui a permis ◀de▶ s’adapter, en dépit de sa discipline doctrinale, à des milieux culturels aussi différents que ◀la▶ Chine des mandarins, ◀l’▶Afrique tribale ou ◀les▶ États-Unis formés par ◀les▶ puritains. ◀La▶ subsistance en lui ◀d’▶une certaine pensée magique et ◀d’▶un ritualisme agissant ex opere operato, héritages ◀de▶ religions antiques et orientales (culte des reliques, transsubstantiation, valeur quantitative des prières récitées, exorcisme, etc.), favorise également son emprise sur ◀le▶ monde dit païen, bien qu’au prix du maintien ◀d’▶équivoques spirituelles dans les premières générations « converties » ◀de▶ ◀la▶ sorte.
En revanche, ◀le▶ catholicisme a contre lui son absolutisme foncier, moins affirmé dans ◀le▶ domaine ◀de▶ ◀la▶ doctrine que dans celui ◀de▶ ◀l’▶éducation et ◀de▶ ◀la▶ discipline cléricale ; sa centralisation à Rome, symbole impérial plutôt qu’apostolique, et preuve ◀d’▶un universalisme conçu en termes proprement européens ; ses attaches doctrinales aristotéliciennes et sa longue tradition ◀d’▶hostilité à ◀la▶ liberté ◀de▶ recherche comme aux aspirations démocratiques, qui ◀l’▶obligent à ne rejoindre ◀le▶ siècle qu’en y entrant à reculons, tardivement et à coup de concessions arrachées.
◀Le▶ protestantisme a pour lui ◀d’▶être plus congénial aux développements présents ◀de▶ ◀la▶ culture scientifique et technique49, et ◀d’▶avoir été ◀le▶ père des régimes ◀de▶ démocratie tempérée qui règnent aujourd’hui sur ◀les▶ nations ◀les▶ plus saines du quadruple point de vue social, civique, économique et politique. Il a toujours favorisé ◀les▶ solutions fédératives, permettant une évolution conciliatrice, au contraire de ◀l’▶Église romaine qui a presque toujours eu partie liée avec ◀les▶ formes absolutistes du pouvoir, génératrices ◀de▶ révolutions brusques à prétentions totalitaires. Aucune doctrine totalitaire n’a jamais pu se développer dans ◀les▶ royaumes et républiques marqués ◀de▶ ◀l’▶empreinte calviniste, cependant que ◀l’▶Autrichien Hitler, formé par ◀le▶ catholicisme — il y insistait —, a créé son mouvement en Bavière, que Mussolini a opposé une Rome socialiste à ◀la▶ papale, que Franco et Salazar ont exploité des situations typiques ◀de▶ ◀l’▶habitus catholique, et que Staline, ancien séminariste, a repris à son compte ◀le▶ césaropapisme des tsars.
J’observe au surplus que ◀les▶ seules monarchies demeurées stables en Europe sont ◀les▶ protestantes (Suède, Norvège, Danemark, Hollande et Grande-Bretagne) et qu’elles s’accommodent aisément du socialisme, et des réalisations ◀les▶ plus concrètes ◀de▶ ◀la▶ démocratie ◀la▶ plus ouverte50.
Fédéraliste, évolutif, favorable à ◀la▶ recherche scientifique, éducateur ◀de▶ citoyens plus libres parce que plus responsables, ◀le▶ protestantisme possède donc ◀de▶ meilleures chances que ◀le▶ catholicisme ◀de▶ contribuer à ◀la▶ formation politico-sociale du monde ◀de▶ demain.
En revanche, il a contre lui sa propension ◀de▶ fait à ◀la▶ dispersion, au particularisme étroit, à ◀la▶ rigidité ◀d’▶une morale souvent plus bourgeoise qu’évangélique ; et ◀d’▶une manière plus générale, sa tendance à un rationalisme évacuant tout mystère, et que limite — mais sans ◀le▶ rectifier — un « fondamentalisme » sans doute moins défendable que ◀le▶ magisme catholique, et pas plus chrétien au sens strict. Si ◀le▶ sacralisme ◀d’▶origine païenne est ◀la▶ tentation naturelle du catholicisme, ◀le▶ sécularisme moderne est ◀la▶ tentation naturelle du protestantisme, et nul ne peut nier qu’ils y aient l’un et l’autre abondamment cédé depuis des siècles.
Il résulte ◀de▶ cette rapide analyse que ◀les▶ meilleures chances du christianisme dans ◀le▶ monde occidental comme dans ◀le▶ monde non chrétien résident dans une convergence œcuménique des vertus propres à chacune des deux confessions majeures. Cette convergence est-elle seulement souhaitable, ou pouvons-nous en déceler dans ◀les▶ faits les premiers signes positifs ? Sur le premier point, pas ◀de▶ doute. Une combinaison vivante du sens fédéraliste protestant et du sens universaliste catholique serait ◀de▶ nature à protéger ◀les▶ uns ◀de▶ ◀l’▶individualisme anarchique, ◀les▶ autres du collectivisme autoritaire, qui sont ◀les▶ déviations typiques du personnalisme chrétien, doctrine centrale commune à nos deux confessions.
Sur le second point, j’ai relevé, au cours des précédents chapitres, plusieurs traits qui autorisent un certain optimisme. Je ◀les▶ énumère à nouveau et ◀les▶ complète : ◀la▶ renaissance des études bibliques et ◀les▶ traductions de plus en plus populaires du missel en vernaculaire chez ◀les▶ catholiques ; ◀la▶ renaissance ◀de▶ ◀la▶ liturgie et du sens ◀de▶ ◀l’▶Église chez ◀les▶ protestants ; ◀la▶ découverte des réalités sociales par ◀le▶ clergé orthodoxe soumis au défi soviétique ; ◀la▶ fusion des dénominations protestantes en Europe, aux États-Unis et en Inde ; ◀l’▶accent mis par ◀le▶ pape Jean XXIII sur ◀l’▶apostolat laïque et sur ◀l’▶autonomie épiscopale ; enfin, ◀l’▶essor ◀de▶ ◀l’▶espérance et ◀de▶ ◀la▶ volonté œcuménique dans toutes ◀les▶ confessions.
Tout cela s’est manifesté et prononcé au cours des trois ou quatre dernières décennies : si ◀l’▶on compare ◀le▶ rythme ◀de▶ ce phénomène ◀de▶ convergence avec celui des phénomènes ◀de▶ divergence qui ont dominé ◀l’▶évolution historico-sociologique du christianisme depuis quelque seize sièclesbx, il prend ◀l’▶allure ◀d’▶une mutation brusque — mutation vers ◀l’▶union dans ◀la▶ diversité, au-delà ◀de▶ ◀l’▶ère des volontés ◀d’▶uniformité fanatique, multipliant et durcissant en fait ◀les▶ divisions.
◀Le▶ christianisme est aussi une idéologie dans ◀la▶ mesure où il reste lié à une culture déterminée qui a sa source historique en Europe.
Né ◀de▶ ◀la▶ rencontre « fortuite », dit ◀l’▶historien, ou « providentielle », dit une certaine théologie, mais en tout cas ni rationnelle ni nécessaire, ◀de▶ trois phénomènes essentiellement hétéroclites : ◀la▶ philosophie grecque, ◀l’▶Empire romain, et ◀la▶ révélation ◀de▶ Jésus-Christ, proclamée dans ◀le▶ Temple juif. ◀Le▶ christianisme s’est répandu d’abord dans ◀le▶ Proche-Orient (Palestine et Liban, Asie Mineure et Caucase, Égypte et Éthiopie) puis en Europe, où il s’est organisé en calquant ◀les▶ structures ◀de▶ ◀l’▶Empire romain ◀d’▶Occident. Au cours des seize siècles qui ont suivi, sa reconnaissance officielle par ◀l’▶empereur Constantin (édit ◀de▶ Milan en 313), ses tentatives ◀d’▶expansion vers ◀l’▶Orient ont été arrêtées en Inde sur ◀la▶ côte ◀de▶ Malabar, étouffées en Chine dès ◀le▶ xe siècle, puis barrées pour longtemps par ◀l’▶apparition et ◀le▶ triomphe ◀de▶ ◀l’▶islam sur tout ◀le▶ Proche-Orient, cependant qu’au contraire il s’installait et s’organisait durablement dans toute ◀l’▶Europe celto-germanique, puis conquérait ◀les▶ deux Amériques, et ◀l’▶Australie, et s’implantait dans ◀les▶ colonies européennes ◀de▶ ◀l’▶Afrique noire. Ainsi, ◀les▶ accidents ◀de▶ ◀la▶ conjoncture mondiale ont fait du christianisme, pendant un millénaire et demi — sur ◀les▶ deux millénaires que compte son existence historique — ◀la▶ religion par excellence ◀de▶ ◀l’▶Europe et ◀de▶ ses conquêtes.
Au seuil où nous voici, ◀d’▶une histoire du monde presque subitement unifiée par ◀les▶ effets ◀de▶ nos techniques et ◀la▶ diffusion ◀de▶ nos valeurs, cette étroite cohérence du christianisme et ◀de▶ ◀la▶ culture née en Europe apparaît-elle comme une chance ◀d’▶avenir ou comme une tare originelle ?
À vue mondaine, c’est une chance, sans nul doute. Car ◀le▶ même complexe culturel, gréco-romain, judaïque et « barbare » au sein duquel ◀le▶ christianisme a pris ses formes et structures a créé d’autre part ◀la▶ science et ◀la▶ technique. Or cette science, cette technique, et ◀les▶ valeurs morales, sociales, économiques et politiques qui en furent ◀le▶ contexte séculaire se voient aujourd’hui adoptées par ◀l’▶ensemble du genre humain. Dans ◀la▶ mesure (beaucoup plus profonde que nos contemporains ne ◀le▶ croient) où ◀le▶ christianisme a suscité, catalysé et qualifié ◀d’▶une manière décisive tout ce contexte51, c’est donc une civilisation sinon chrétienne, du moins christianisée dès sa genèse, que ◀l’▶ensemble du genre humain cherche à faire sienne, avec des succès inégaux.
Avides ◀de▶ nos produits immédiatement utiles, et généralement inconscients ◀de▶ ce qui lie ces produits à nos valeurs, religieuses et morales à ◀l’▶origine, ◀les▶ peuples récemment promus à une indépendance ◀de▶ type occidental se soumettent par là même à ◀l’▶influence secrète des champs ◀de▶ force spirituels que transportent chez eux nos machines. Si jamais religion eut des chances ◀de▶ s’imposer par son contexte à ◀la▶ pensée, aux rythmes quotidiens, voire à ◀la▶ sensibilité des peuples qui cependant ignorent ses dogmes, ou même ◀les▶ refusent, c’est bien ◀le▶ christianisme ◀d’▶empreinte occidentale. Aucune autre grande religion — hindouisme, bouddhisme, islam — n’a jamais disposé ◀de▶ pareils véhicules, ◀de▶ moyens ◀de▶ pénétration intellectuelle comparables à ceux que représentent pour ◀le▶ christianisme ◀l’▶idéal du progrès, ◀l’▶égalité des droits, ◀le▶ respect ◀de▶ ◀la▶ personne humaine, ◀les▶ sciences ◀de▶ ◀la▶ matière et ◀de▶ ◀la▶ vie, ◀la▶ technique et ◀l’▶esprit ◀de▶ recherche à tous risques.
Et je ne dis pas, bien sûr, que tous ces véhicules ◀de▶ ◀la▶ culture occidentale agissent à ◀l’▶instar ◀d’▶une armée ◀de▶ missionnaires, et amènent ◀les▶ hommes au baptême, voire à ◀la▶ foi : je dis seulement qu’ils orientent ◀les▶ élites puis ◀les▶ masses asiatiques et africaines, inconsciemment, vers une attitude générale devant ◀la▶ vie, ◀la▶ société et ◀la▶ nature dont seul ◀le▶ christianisme occidental peut expliquer ◀la▶ genèse historique, et dont seul il détient ◀les▶ secrets ◀de▶ bon usage éthique et spirituel. Je ne dis pas qu’il suffise à un Asiatique ou à un Africain ◀de▶ revendiquer des droits sociaux égaux pour tous, quelle que soit ◀la▶ caste ou ◀la▶ tribu, pour que cet homme accepte du même coup ◀la▶ conception paulinienne ou évangélique ◀de▶ ◀la▶ société, ◀la▶ fraternité ◀de▶ tous « soit juifs, soit grecs, soit esclaves, soit libres », mais je constate (après Henri de Man et bien d’autres sociologues d’ailleurs agnostiques) que ◀le▶ phénomène ◀de▶ ◀la▶ révolution sociale est impensable dansby ◀les▶ régions ◀de▶ ◀l’▶Asie et ◀de▶ ◀l’▶Afrique qui n’ont pas été soumis à ◀l’▶influence chrétienne52. Née ◀de▶ ◀l’▶Europe christianisée, c’est-à-dire ◀d’▶un complexe longuement travaillé par un christianisme plus ou moins fidèlement et légitimement interprété et appliqué, ◀la▶ civilisation occidentale, que ◀le▶ monde entier s’efforce ◀d’▶adopter, crée partout des conditions nouvelles et donc des problèmes nouveaux qui ne peuvent trouver ◀de▶ réponses adéquates dans ◀les▶ religions indigènes, et qui appellent donc une conception ◀de▶ ◀la▶ vie soit dérivée du christianisme, soit chrétienne : nouvel aspect ◀de▶ ◀l’▶opportunité chrétienne.
Cependant, si ◀l’▶on admet qu’en fait ◀l’▶extension ◀de▶ ◀la▶ civilisation occidentale prépare et appelle une extension correspondante du christianisme, il ne s’en suit pas nécessairement que cet appel sera exaucé, ni que cette civilisation est ◀la▶ seule bonne. Elle peut être ◀la▶ plus efficace ou même ◀la▶ meilleure qui existe, sans être ◀la▶ meilleure possible. Elle peut aussi révéler, au contact quotidien ◀de▶ conditions humaines très différentes, ses faiblesses et ses lacunes. Elle peut enfin détruire ◀de▶ hautes valeurs spirituelles et culturelles nées ◀de▶ ◀l’▶hindouisme, du bouddhisme et ◀de▶ ◀l’▶islam, sans leur substituer pour autant ◀les▶ valeurs chrétiennes ◀d’▶origine, oubliées au cours du transport.
Je me résume : une machine-outil n’a jamais converti personne au christianisme. Mais posez-◀la▶ et mettez-◀la▶ en marche au milieu d’une communauté sociale bouddhiste ou animiste, elle y bouleversera très rapidement ◀les▶ équilibres traditionnels. Pour que ◀le▶ progrès matériel qu’elle apporte devienne un bien réel, humain, il faudra que ◀la▶ conception chrétienne du monde qui a formé ◀la▶ civilisation dont cette machine-outil est ◀le▶ produit se reconstitue autour ◀d’▶elle. Sinon, elle risque ◀de▶ produire plus ◀de▶ mal que ◀de▶ bien.
Première conclusion : ◀la▶ civilisation occidentale peut préparer ◀les▶ voies du christianisme dans ◀les▶ peuples qui ◀l’▶adoptent, si ces peuples comprennent quels sont ◀les▶ liens intimes, ◀d’▶origine et ◀de▶ finalité, qui unissent ◀la▶ conception chrétienne du monde et ◀la▶ civilisation occidentale. C’est aux chrétiens unis qu’il appartiendra désormais ◀de▶ prendre conscience ◀de▶ ces liens et ◀de▶ ◀les▶ expliquer au monde : programme missionnaire tout nouveau qui se trouve exigé des chrétiens ◀d’▶aujourd’hui, et dont la plupart sont très loin de soupçonner ◀l’▶ampleur et ◀l’▶urgence mondiale…
Mais ceci n’épuise pas ◀la▶ question que nous pose ◀l’▶imprégnation occidentale du christianisme en tant que phénomène historico-sociologique.
Si, d’une part, il s’agit ◀de▶ montrer aux peuples non chrétiens, fascinés et trop aisément convaincus par ◀le▶ progrès occidental, que ce progrès n’en serait pas un, et qu’il reste impensable hors ◀d’▶une conception chrétienne du monde, d’autre part, il n’est pas moins nécessaire ◀de▶ montrer aux chrétiens que ◀la▶ vérité ◀de▶ leur religion transcende ◀les▶ formes historiques revêtues par ◀le▶ christianisme en Occident.
Pour que se manifeste ◀la▶ valeur ◀de▶ vérité universelle ◀de▶ ◀l’▶Évangile ◀de▶ Jésus, il faudra bien dissocier ◀le▶ « message chrétien » ◀de▶ ses liens accidentels avec ◀les▶ conditions et ◀les▶ coutumes des peuples qui entouraient ◀la▶ Méditerranée quand ◀la▶ doctrine chrétienne s’y est formée, ainsi que des peuples nordiques qui, par ◀la▶ suite, adoptèrent cette doctrine et ◀l’▶accommodèrent à leurs mœurs.
Je me bornerai ici à trois exemples ◀de▶ dissociations nécessaires.
1. ◀L’▶Église médiévale avait lié ◀la▶ vérité chrétienne à ◀la▶ cosmologie ◀de▶ Ptolémée, à ◀la▶ philosophie ◀d’▶Aristote, à ◀la▶ hiérarchie sociale tripartite du clergé, ◀de▶ ◀la▶ noblesse et du tiers état (◀d’▶origine indo-européenne, voir ◀les▶ castes en Inde) et au régime monarchique romano-germain. Elle a dû peu à peu se dissocier ◀de▶ ces formes historiques, récusées successivement par ◀la▶ science, par ◀la▶ Réforme et par ◀l’▶évolution vers plus ◀d’▶égalité sociale. Notons qu’un Galilée, qu’un Luther, qu’un Rousseau se réclamaient ◀de▶ principes plus chrétiens à leur sens que ceux auxquels ◀l’▶Église s’était attachée et au nom desquels elle ◀les▶ condamnait. Ils contribuèrent ainsi à ramener ◀la▶ pensée occidentale vers ◀l’▶universalisme originel et final du christianisme. C’est dans ◀le▶ prolongement ◀de▶ cette « réforme permanente » du message chrétien, dans cet effort pour ◀le▶ purifier toujours plus profondément ◀de▶ ses attaches circonstancielles avec des formes ◀de▶ culture, c’est-à-dire ◀de▶ pensée, ◀de▶ vie et ◀d’▶organisations sociales devenues périmées ou trop régionales, que s’inscrivent ◀les▶ chances mondiales du christianisme. Il est juste ◀de▶ remarquer ici que ◀les▶ théologiens et penseurs chrétiens occidentaux n’ont pas attendu pour entreprendre cette tâche immense ◀le▶ challenge que représente pour leur religion ◀l’▶unification du monde en cette seconde moitié du xxe siècle. ◀L’▶œuvre ◀d’▶un Maritain et ◀d’▶un Karl Barth pour ramener leur Église à ◀l’▶essentiel ◀de▶ son message ; et d’autre part ◀les▶ travaux ◀d’▶un Bultmann, ◀d’▶un Paul Tillich, ◀d’▶un Teilhard de Chardin, ◀d’▶un Louis Massignon pour libérer ◀le▶ message chrétien ◀de▶ tout ce qui pourrait nuire à sa communication authentique aux spirituels d’autres traditionsbz — ces deux efforts apparemment contradictoires convergent en fait vers ◀la▶ même fin : c’est ◀la▶ Vérité seule qu’il faut communiquer, et donc rendre communicable.
2. Dans ◀la▶ mesure où ◀le▶ culte communautaire reste une part essentielle du christianisme, il est évident que ses symboles traditionnels, empruntés à ◀la▶ civilisation méditerranéenne, doivent être traduits, eux aussi, en termes de réalités correspondant aux autres civilisations. ◀Les▶ vêtements sacerdotaux des prêtres chrétiens se trouvent être ceux que portaient ◀les▶ prêtres du culte impérial romain, puis ◀les▶ rois et ◀les▶ personnages « sacrés » du Moyen Âge européen. Pourquoi porter ◀le▶ surplis brocardé ou ◀la▶ soutane au xxe siècle ? C’étaient ◀l’▶habit ◀de▶ cérémonie ou ◀le▶ bleu ◀de▶ travail du xiie siècle européen. Mais ceci n’est encore qu’un signe secondaire. Plus sérieux est ◀l’▶usage du pain et du vin pour ◀la▶ communion. ◀La▶ vigne est une culture typique du bassin sémitico-gréco-romain ◀de▶ ◀la▶ Méditerranée. ◀L’▶Asie et ◀l’▶Afrique noire ◀l’▶ignorent. Quel parti ◀le▶ missionnaire chrétien peut-il tirer des nombreuses paraboles sur ◀la▶ vigne, ◀le▶ cep et ◀les▶ sarments dans ◀l’▶Évangile, des allusions à ◀l’▶ivresse dans ◀la▶ Genèse ? ◀L’▶islam connaît aussi ◀le▶ vin, mais ◀l’▶interdit, et ◀de▶ cet interdit, ◀les▶ mystiques soufis des ixe au xiie siècles ont tiré ◀les▶ symboles ◀de▶ leur lyrisme ésotérique… Je me contente ◀d’▶indiquer ici certaines difficultés qui ne sont apparues qu’à ◀l’▶orée ◀de▶ ◀l’▶époque mondiale, et dont il faudra s’occuper…
3. ◀Le▶ besoin ◀d’▶une langue unique capable ◀de▶ traduire ◀le▶ langage universel ◀de▶ Jésus a conduit ◀les▶ Églises ◀d’▶Orient à conserver ◀le▶ slavon ecclésiastique ou ◀le▶ copte, tandis que ◀l’▶Église ◀d’▶Occident s’arrêtait au latin liturgique : or plus personne ne comprend ces langues, sauf ◀les▶ prêtres ! Faudra-t-il adopter désormais une nouvelle langue vivante universelle — ◀l’▶anglaise serait alors ◀la▶ mieux placée — ou décider que ◀la▶ liturgie sera dite partout dans ◀la▶ langue du pays, formule protestante ? Mais il est clair que cette traduction linguistique en entraînera ◀de▶ proche en proche bien d’autres, éthiques, psychologiques, philosophiques, et même sociales…
Des remarques analogues pourraient être faites au sujet de plusieurs autres traits spécifiquement européens, empruntés par ◀le▶ christianisme au cours des âges, mais qui ne lui sont pas essentiels — comme ◀la▶ morale bourgeoise, voire victorienne — et qui risquent ◀de▶ gêner son expansion mondiale, son pouvoir ◀d’▶être assimilé en tant que vérité pour tous ◀les▶ temps et pour toutes ◀les▶ races ◀de▶ ◀la▶ Terre.
Il semble donc certain que ◀le▶ mouvement œcuménique ne devra pas s’arrêter au premier succès que représenterait pour lui ◀l’▶union fédérale ◀de▶ toutes ◀les▶ confessions chrétiennes. Il faudra que cette union, à son tour, renoue au moins ◀le▶ dialogue avec ◀les▶ deux autres grandes religions issues comme ◀le▶ christianisme du tronc abrahamique : ◀le▶ judaïsme et ◀l’▶islam. Et il faudra que ◀les▶ penseurs chrétiens ◀de▶ demain recherchent, en dialoguant avec ◀les▶ penseurs hindouistes et bouddhistes, s’il existe des moyens ◀de▶ traduire en termes de vérité spirituelle commune ◀les▶ termes ◀de▶ grâce, ◀de▶ foi, ◀de▶ personne et surtout ◀d’▶amour qui sont ◀les▶ fondements du christianisme et que ◀les▶ traditions orientales semblent exclure. Tout ceci, non dans un esprit ◀de▶ tolérance mutuelle un peu condescendante, ◀de▶ laxisme théologique, ou simplement par gain ◀de▶ paix, mais au contraire dans un esprit ◀de▶ catholicité réelle, incluse ◀de▶ toute vérité.
Moyennant cet effort immense, véritablement planétaire, mais qui n’est pas sans précédent (voir ◀l’▶œuvre des jésuites au xiie siècle en Chine) et qui surtout s’inscrit dans ◀la▶ vocation primitive des Apôtres : « Allez et enseignez toutes ◀les▶ nations », nulle religion vivante ne paraît disposer ◀de▶ promesses ◀d’▶avenir mondial comparables à celles ◀de▶ ◀la▶ religion du Christ.
Plus susceptible que toute autre ◀d’▶être traduite dans n’importe quel contexte culturel, seule soucieuses ◀de▶ découvrir ◀les▶ voies et moyens ◀de▶ sa communication universelle, première inspiratrice et par là même modératrice prédestinée ◀de▶ ◀la▶ civilisation scientifique, ◀la▶ religion du Christ est aussi et surtout ◀la▶ seule qui ait pu résumer toute sa loi dans ◀le▶ commandement ◀de▶ ◀l’▶Amour — amour ◀de▶ Dieu, amour ◀de▶ soi et du prochain, indissolubles — et telle est à mes yeux ◀la▶ seule règle concevable ◀d’▶une société des hommes non seulement pacifique mais ouverte à ◀l’▶action ◀de▶ ◀l’▶Esprit ◀de▶ vérité.