Universités américaines (12-13 janvier 1963)u v
Le▶ grand poème ◀de▶ Saint-John Perse évoquant ◀les▶ États-Unis et ◀les▶ traversant ◀d’▶est en ouest se nomme Vents, et nul n’a compris ce pays s’il n’a pas découvert un jour qu’un souffle immense ◀de▶ lyrisme nomade est ◀le▶ secret ◀le▶ mieux couvé dans ◀l’▶inconscient des hommes ◀de▶ toute race dont ◀les▶ pères ont conquis ◀la▶ Prairie.
Hors des hauts murs en falaises ◀de▶ brique ocrée ◀de▶ Manhattan, au-delà des faubourgs du Bronx aux ponts ◀de▶ fer retentissants ◀de▶ trains et ◀de▶ camions-citernes, soudain ◀l’▶autoroute vers ◀le▶ nord longe ◀la▶ mer couleur ◀d’▶huître sous ◀le▶ vent, traverse ◀d’▶infinis quartiers ◀de▶ maisons blanches et ◀d’▶usines transparentes, surmontés ◀de▶ clochers ◀d’▶or pâle, puis des rideaux ◀d’▶arbres chevelus cachent ◀les▶ rives, et ◀la▶ piste ◀d’▶ardoise aux lignes jaunes écarte largement ◀les▶ forêts basses et denses aux couleurs ◀de▶ ◀l’▶été indien, pendant des heures. ◀Le▶ « station-vagon » roule à 100, comme font toutes ◀les▶ autres voitures, pas un problème ◀de▶ dépassement, pas une injure, ◀le▶ ciel est bleu, ◀les▶ voies sont larges, et ◀la▶ radio du bord éclate en mélodies accompagnées ◀de▶ bugles et ◀de▶ chœurs ◀d’▶une euphorique nostalgie : j’ai retrouvé mon Amérique.
Liberté
Invité par ◀la▶ Fondation Ford pour me promener dans ◀les▶ États-Unis sans ◀l’▶ombre ◀d’▶une obligation — je verrai qui je veux ou personne s’il me plaît, ce que j’ai envie ◀de▶ voir ou rien, pendant deux mois — je me suis gardé ◀d’▶établir un programme et ◀d’▶arranger des conférences. Je m’en remets au dieu du Hasard, dont l’autre face est ◀l’▶Organisation : ce Janus à deux fronts gouverne ◀l’▶Amérique, mais il faut faire son choix entre ◀l’▶ennui qui paie et ◀l’▶imprévu révélateur, quitte à corriger ◀le▶ sort par quelques téléphones et un carnet ◀d’▶adresses ◀d’▶amis anciens. (Mais tout bouge ici, où seront-ils ?)
Harvard
Déjeuner avec Paul Tillich. Je ne ◀l’▶avais pas revu depuis un soir ◀de▶ 1941, à New York, chez notre ami commun Reinhold Niebuhr. Cet Allemand qui a fui ◀les▶ nazis est devenu ◀le▶ penseur religieux ◀le▶ plus influent ◀de▶ ◀l’▶Amérique. C’est qu’il prône une théologie qu’on pourrait nommer culturelle, et qui tient compte des arts et des religions ◀de▶ ◀l’▶Orient, et ◀de▶ ◀la▶ gnose (dont nous allons beaucoup parler), cependant que Maritain domine ◀la▶ pensée catholique en grand progrès, et que Karl Barth a restauré dans tous ◀les▶ séminaires presbytériens ◀la▶ notion ◀d’▶une orthodoxie traditionnelle mais offensive et politiquement « progressiste ».
Ces trois noms dominent aujourd’hui ◀l’▶intelligentsia religieuse du tiers ◀le▶ plus religieux ◀de▶ ◀l’▶Occident. Ce sont trois noms européens.
◀Les▶ Européens goguenards pour qui ◀l’▶Amérique signifie Coca-Cola, twist et voitures géantes, sont en retard ◀d’▶une génération intellectuelle. (Note ◀de▶ 1962 : Paul Tillich vient de recevoir ◀le▶ Prix ◀de▶ ◀la▶ paix, décerné à ◀la▶ Foire du livre ◀de▶ Francfort. ◀L’▶Allemagne enfin ◀le▶ redécouvre. Qui va ◀le▶ traduire en français ?)
Mohawk trail
◀La▶ route américaine, de nouveau, une ancienne piste indienne devenue autoroute, à travers un pays montagneux, presque désert pendant des heures. Ciel ◀de▶ craie bleu rosé sur ◀les▶ forêts sauvages, mouchetées ◀d’▶arbres rouges et rose pourpre ◀d’▶une intensité ◀de▶ couleur que je n’ai jamais vue ailleurs. Arrêt dans une auberge faite ◀d’▶un vieux wagon ◀d’▶aluminium déposé au bord de ◀la▶ route, dans une clairière et ◀l’▶on est ami du patron et ◀de▶ ◀la▶ fille superbe qui nous sert ◀le▶ café après quelques échanges ◀de▶ phrases banales.
Vivre ici serait une belle aventure intérieure. Air des hauteurs, plateaux boisés aux ondulations infinies, dernier pays du monde occidental où dominent encore ◀l’▶espace, ◀la▶ distance et ◀la▶ solitude.
Un VIP2 de New York me disait l’autre jour : « Toutes ◀les▶ personnes ◀de▶ mon espèce s’arrangent pour avoir des maisons, cabanes, pavillons, ce que vous voulez, à deux heures ◀de▶ New York par avion, ou à quatre ou cinq heures par ◀l’▶autoroute, dans ◀les▶ Alleghanys, ◀les▶ Appalaches, ◀le▶ Vermont, sur ◀la▶ mer, dans des lieux déserts où nous allons passer ◀le▶ week-end, du vendredi après-midi au lundi matin. J’ai une cabane en poutres (log cabin) près de ◀la▶ frontière du Canada, sans électricité ni aucun confort. Pas une maison à 20 km à ◀la▶ ronde. ◀La▶ paix totale. Je coupe du bois, je lis, je dors, je médite et je récupère. Je ne trouverais pas cela en Europe, toutes vos maisons se touchent, vous n’êtes plus jamais seuls. » Je lui ai dit qu’il exagérait, qu’il y avait encore en Europe des refuges à peu près comparables. Mais j’ai dû dire : encore. D’ici vingt ans…
New England
Williamstown est ◀le▶ site ◀d’▶un célèbre collège ◀de▶ jeunes gens. Nous y entrons par une avenue bordée ◀d’▶arbres immenses aux petites feuilles jaune vif et ◀de▶ larges bandes ◀de▶ gazons ; en retrait, des maisons ◀de▶ bois blanc ◀d’▶un ou deux étages, régulièrement espacées et spacieuses. Au fond, ◀l’▶église au clocher fin, toute blanche elle aussi, sur un tertre. Et subitement voici tomber de toutes parts, sans une brise, un ruissellement ◀de▶ feuilles rondes, comme des pièces ◀d’▶or. Je ne sais rien qui égale en Europe ◀la▶ splendeur ◀de▶ ◀l’▶indian summer aux villages ◀de▶ Nouvelle-Angleterre.
Un collège ◀de▶ jeunes filles dans ◀le▶ Vermont
Longue avenue sinueuse dans un parc aux prairies nues, en pente douce vers un bâtiment rouge. Parking sous ◀de▶ grands arbres aux branches horizontales. On nous conduit par des sentiers dallés vers une maison ◀de▶ brique dominant ◀le▶ campus : vaste pelouse entourée ◀d’▶une douzaine ◀de▶ bâtiments ◀de▶ bois blanc à un étage et toits ◀d’▶ardoises. Dans ◀l’▶escalier ◀de▶ ◀la▶ maison ◀de▶ brique une toile ◀de▶ quatre mètres ◀de▶ haut, long paraphe blanc et rouge sur un fond noir, signée Georges Mathieu. Tout en haut, notre appartement pour quelques jours. Une musique bien rythmée remplit ◀l’▶étage. Je pousse des portes et me trouve dans une salle ◀de▶ théâtre, vide ◀de▶ sièges. Groupes ◀de▶ jeunes filles assises sur ◀le▶ parquet, vêtues ◀de▶ collants. Sur ◀la▶ scène, on répète un ballet assez acrobatique et symbolique.
Cocktails dans ◀le▶ cottage ◀d’▶un doyen ◀de▶ faculté. Une vingtaine ◀de▶ professeurs, pour la plupart auteurs connus, poètes, romanciers, critiques et sociologues, et un vieil ami suisse, Paul Boepple, chef du département ◀de▶ musique. (Il a dirigé ◀le▶ Roi David lors de sa création à Mézière, puis Nicolas de Flüe pendant ◀la▶ guerre à New York.) Une proportion considérable des écrivains et des artistes américains, plus des deux tiers sans doute (◀de▶ Faulkner aux plus jeunes compositeurs) vit ainsi, quelques mois par an ou en permanence, dans ◀les▶ petites universités ◀les▶ mieux dotées ◀de▶ ◀la▶ côte Est ou ◀de▶ ◀la▶ Californie. Ils y enseignent en général ◀la▶ substance même, ou ◀la▶ technique, des œuvres qu’ils sont en train d’écrire. Combien ◀d’▶écrivains véritables, ◀de▶ peintres et ◀de▶ musiciens, se voient offrir chez nous ces possibilités — à tous égards enrichissantes — ◀de▶ contact avec ◀la▶ jeunesse ?
◀Le▶ lendemain matin, j’assiste à une classe ◀de▶ creative writing. Salle meublée comme un salon. ◀Le▶ professeur (qui est un poète) s’assied sur un canapé, ◀les▶ étudiantes sur un long divan, dans des fauteuils en demi-cercle, sur des chaises, ou sur ◀la▶ moquette. La plupart sont en pantalon et blouses ◀de▶ sport. Quelques-unes ont gardé leurs bigoudis, comme cela se fait dans ce pays, ◀la▶ veille ◀d’▶une fête ou ◀le▶ samedi.
Elles s’installent longuement, disposant autour ◀d’▶elles cendriers, paquets ◀de▶ cigarettes, blouses, cahiers et livres, et leurs jambes sur des poufs ou ◀le▶ bras ◀d’▶un fauteuil. ◀Le▶ professeur annonce que ◀la▶ leçon sera consacrée à ◀l’▶examen ◀d’▶un court poème écrit par l’une d’entre elles, dont il taira ◀le▶ nom. Il lit ◀la▶ pièce, puis ◀la▶ relit lentement. Une vingtaine ◀de▶ vers brefs, irréguliers. À la seconde lecture, je comprends qu’il s’agit ◀de▶ deux vieillards dans une cuisine regardant par ◀la▶ fenêtre une fin ◀d’▶automne. Mais ◀le▶ réalisme du sujet — apparemment imposé — disparaît dans ◀le▶ traitement imagiste et presque abstrait qu’a choisi ◀l’▶auteur anonyme. Plusieurs girls manifestent leur intention ◀de▶ s’exprimer en levant un doigt discret ou un très long fume-cigarette. Elles parlent posément avec un sérieux et une assurance imperturbables : je pense, je trouve, à mon avis, I feel… ◀Le▶ professeur intervient peu, se borne à orienter ◀la▶ discussion, à proposer quelques critères ◀de▶ jugement poétique. ◀La▶ « stratégie » ◀de▶ ◀la▶ pièce, ◀l’▶emploi « stratégique » ◀de▶ certains mots leur donnant une efficacité particulière, semble son thème favori. Ici comme ailleurs, ◀la▶ technique tend à devenir ◀la▶ préoccupation dominante, et presque ◀la▶ réalité ◀d’▶une activité humaine quelconque, en ◀l’▶occurrence ◀l’▶expression littéraire. Il est exclu ◀de▶ parler ◀de▶ sentiment, bien entendu, ça ne se fait plus, mais ◀l’▶horizon ◀de▶ cet art poétique me paraît aussi sec et gris que ◀l’▶automne abstraitement évoqué par une ramure sèche et fragile devant ◀la▶ fenêtre contemplée par ◀le▶ vieux couple. Ces jeunes filles, dont plusieurs sont ravissantes dans leur tenue savamment négligée, parleront désormais ◀de▶ poésie avec ◀l’▶assurance ◀d’▶un expert diplômé par l’un des collèges ◀les▶ plus « avancés » ◀de▶ ◀l’▶Amérique.
Pendant quatre ans, elles vivent ensemble dans ce luxueux campus perdu au milieu des forêts du Vermont, quelques centaines ◀de▶ girls patiemment cultivées — humanités, religion, sciences, arts, musique et danse — pour 3 à 4000 dollars par an. Et ce seront elles qui domineront ◀la▶ société américaine ◀de▶ demain, avec une infaillible compétence.
Berkeley
À une heure ◀de▶ San Francisco, l’une de plus grandes universités du monde : 36 000 étudiants en additionnant ◀les▶ divers campuses dispersés sur tout ◀l’▶État. Ici, à Berkeley, ils sont plus ◀de▶ 25 000. Je vais y rencontrer une bonne trentaine ◀de▶ professeurs, en tête-à-tête ou en groupe, déjeuner et dîner. J’arrive à 11 heures au campus, pour mon premier rendez-vous. Labyrinthe ◀d’▶allées entre des bâtiments ◀de▶ style mal défini, allant du gothique xixe siècle au fonctionnel 1950 en passant par ◀le▶ rococo américain 1910. Des centaines ◀d’▶étudiants déambulent, se groupent au soleil ou sur des bancs, jonchent ◀les▶ marches des divers halls. Beaucoup sont ◀de▶ couleur, toute nuance. Tous portent ◀le▶ même accoutrement si commode et si négligé, que ◀la▶ jeunesse européenne semble avoir adopté depuis quinze ans, croyant copier ◀les▶ « existentialistes » parisiens.
Wheeler Hall, je m’annonce au concierge et j’attends dans un corridor en lisant ◀les▶ panneaux ◀d’▶annonces. Soudain, mon nom en très grosses lettres sur une affiche. « À 3 heures, dans ◀la▶ Salle ◀de▶ Bal, D. ◀de▶ R., président du Congrès pour ◀la▶ liberté ◀de▶ ◀la▶ culture, et auteur ◀de▶ ◀L’▶Amour et ◀l’▶Occident donnera une conférence sur ◀La▶ guerre totale et ◀les▶ valeurs occidentales. Sous ◀les▶ auspices des Americans for Democratic Action, ADA. »
On m’avait parlé, très vaguement, ◀d’▶une éventuelle discussion avec un groupe ◀de▶ professeurs, portant sur un débat récent organisé à Berkeley entre Sidney Hook, C. P. Snow et Hans Morgenthau, et qui semble avoir fait du bruit, ◀d’▶une côte à l’autre, mais c’est vraiment tout ce que j’en sais.
◀La▶ série ◀de▶ mes rendez-vous commence quelques secondes après, je n’ai plus ◀le▶ temps ◀de▶ m’inquiéter ◀de▶ rien. Tout occupé à satisfaire ◀d’▶ardentes curiosités sur ◀l’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe et ◀le▶ Marché commun que ◀l’▶Amérique découvre subitement, et déjà elle croit que c’est fait…
À 3 heures, ◀la▶ grande salle est pleine ; et ◀l’▶on me conduit sur ◀l’▶estrade. Fragments ◀d’▶interventions des trois célèbres philosophes et sociologues, transmis d’après une bande magnétique, et bien sûr je comprends assez mal. Better red than dead, a dit ◀le▶ pacifiste Bertrand Russell. (Plutôt rouges que morts.) À quoi mon ami Sidney Hook a répondu : « Cette attitude nous conduirait à être à la fois rouges et morts. » Ils ont parlé surtout ◀de▶ ◀la▶ guerre froide et ◀de▶ ◀la▶ Bombe, et très peu des valeurs occidentales. Je vois donc ce qui me reste à faire.
Improvisation ◀d’▶une demi-heure. Sachant que mon auditoire est composé ◀d’▶étudiants « très à gauche » et dont plusieurs se demandent, m’a-t-on dit, si ◀l’▶URSS ne détient pas ◀les▶ clés ◀de▶ ◀l’▶avenir du monde uni, je leur rappelle que c’est ◀l’▶Europe qui a fait ◀le▶ monde, en créant ◀les▶ moyens ◀de▶ relier ◀les▶ continents et en formulant ◀les▶ valeurs ◀d’▶où résulte ◀le▶ concept ◀de▶ genre humain. Je leur rappelle aussi que ◀le▶ communisme russe est une création ◀de▶ ◀l’▶Europe. (Marx, juif rhénan dont ◀le▶ père s’était fait, protestant, écrit au British Museum, des articles que publie ◀le▶ New York Herald Tribune : on ne fait pas plus Européen.) Où sont ◀les▶ successeurs ◀de▶ ◀l’▶Occident ? Je ne vois que des imitateurs. ◀Le▶ but des Soviétiques, à ◀les▶ en croire, est ◀de▶ rattraper ◀l’▶Amérique, qui est une invention ◀de▶ ◀l’▶Europe. Croyons à nos valeurs et prouvons-◀le▶, c’est ce que ◀le▶ monde attend ◀de▶ nous, pour nous rejoindre en fin de compte, Russes compris.
J’ai terminé, ◀les▶ questions pleuvent : j’en reçois 42 par écrit. Rien n’est plus caractéristique ◀de▶ ◀l’▶opinion actuelle des jeunes Américains. J’en recopie quelques exemples :
« ◀Le▶ plus grand homme ◀de▶ notre temps était Gandhi. Pourquoi ne pas défendre nos valeurs en étant prêts à mourir, mais non pas à tuer, en leur nom ? »
« Nous devons incarner nos valeurs. Mais comment peut-on faire cela, compte tenu des tensions politiques actuelles ? »
« Comment ◀la▶ nécessité ◀de▶ ◀l’▶action individuelle peut-elle être présentée ◀de▶ telle manière qu’elle ne soit pas méprisée comme un simple sermon ? »
« ◀La▶ décision n’appartient-elle pas aux Soviets ? Car s’ils décident ◀la▶ guerre, a) ils sont victorieux et ils établissent ◀le▶ communisme mondial ; b) nous sommes vainqueurs et nos chères valeurs occidentales sont détruites ◀de▶ toute façon. »
« Admettez-vous que ◀l’▶État-nation est une conception archaïque, et que ◀la▶ tendance à créer des marchés communs peut conduire à ◀la▶ formation ◀de▶ communautés internationales permettant ◀le▶ désarmement nucléaire ? »
« À votre sens, serait-ce une bonne idée que tous ◀les▶ Américains intelligents se mettent à aimer (pas Éros mais Agapè) tous ◀les▶ Russes du commun peuple ? »
À la dernière question, j’ai répondu : « J’espère bien que vous n’attendez pas ma permission pour aimer ◀les▶ Russes ! » (◀la▶ salle croule.)
Un couvent laïque. — Près de Stanford, autre université voisine ◀de▶ San Francisco, 9000 étudiants seulement, mais un très haut niveau intellectuel, ◀la▶ Fondation Ford a créé un Centre ◀d’▶études avancées pour ◀les▶ sciences du comportement.
Un club-house domine ◀la▶ colline : restaurant, salles ◀de▶ réunions, piscine, en style champêtre ultramoderne. Tout autour, sur ◀les▶ pentes, des rangées ◀de▶ cabanes ◀d’▶une seule pièce dénommée cubicles sont réservées aux moines laïques qui viennent y passer une année ◀d’▶études personnelles et ◀de▶ conversations approfondies avec ◀les▶ collègues d’autres branches. Quarante-huit professeurs choisis parmi ◀les▶ plus brillants ◀de▶ tout ◀le▶ continent (il y a 3000 candidatures par an) composent ◀l’▶écurie ◀de▶ course ◀de▶ ◀l’▶année. J’ai déjeuné avec plusieurs d’entre eux, puis une vingtaine sont venus discuter ◀le▶ plan ◀d’▶une conférence sur ◀l’▶Europe et ◀le▶ monde que je leur ai brièvement exposé. Critiques et suggestions ◀d’▶une pertinence parfaite.
Je visite ◀la▶ colline avec Abe Lerner, économiste barbu qui compose des « mobiles » à temps perdu et en décore son cubicle, et Sidney Hook, ◀le▶ philosophe et sociologue. « Je n’ai jamais fait ◀de▶ ma vie autant ◀de▶ mathématiques, me dit ce dernier, c’est ◀le▶ langage commun que nous avons trouvé, entre nos différentes spécialités. ◀Les▶ historiens recourent aux maths pour évaluer ◀les▶ coalitions politiques, ◀les▶ luttes internes du régime soviétique, ou ◀le▶ pouvoir des dictateurs. ◀Les▶ économistes appliquent ◀les▶ dernières théories mathématiques à ◀l’▶analyse conjoncturelle. ◀Les▶ philosophes suivent un cours quotidien sur ◀les▶ matrices algébriques. Bref, c’est notre latin moderne. »
Je me demande où ◀l’▶on trouve en Europe rien qui ressemble à ce concours des meilleurs esprits ◀d’▶avant-garde. ◀D’▶un instrument pareil nous ferions sans nul doute un usage assez différent, plus philosophique au sens large. Mais encore faudrait-il ◀le▶ créer. Où sont nos fondations, à quoi pensent ◀les▶ mécènes ?