À propos de la culture européenne (avril 1963)d e
J’ai lu avec un étonnement croissant le petit article de▶ M. Chiti-Batelli dans votre numéro ◀de▶ décembre. Je me demandais au début à quels « Européens » l’auteur s’en prenait, qui d’une part refuseraient ◀de▶ reconnaître les apports judaïque, chrétien et arabe, à la formation ◀de▶ la culture européenne, d’autre part réduiraient l’Europe à l’anticommunisme, même pas philosophique mais « géographique ». N’ayant jamais connu ◀d’▶« Européens » à ce point illettrés et fanatiques, j’attendais avec curiosité des précisions, des noms. On nous les donne à la deuxième colonne : c’est le Centre européen de la culture et ses publications qui sont « l’exemple typique » ◀de▶ l’altitude visée. Le CEC se livrerait donc à « l’effort vain et absurde ◀de▶ présenter une culture européenne unitaire » ; il nierait que l’Europe soit « la patrie des contradictions » ; et il pratiquerait le « nationalisme culturel » au nom d’un « anticommunisme ◀de▶ type maccarthyste ».
Si vos lecteurs prennent la peine ◀de▶ se reporter à l’une quelconque des publications du CEC (l’un ◀de▶ nos 52 bulletins , ou à Vingt-huit siècles ◀d’▶Europe , ou le Dialogue des cultures ou Les Chances ◀de▶ l’Europe , etc.), ils partageront notre stupeur.
M. Chiti-Batelli accuse le CEC ◀d’▶un « défaut capital ◀d’▶esprit critique » qui « vicie » ses travaux. Quelle est donc sa méthode à lui ? Elle consiste à lire « unitaire » là où nous disons « pluraliste » ; à lire « caractère unifiant » là où nous écrivons « trait distinctif », à déplorer que nous éliminions le judaïsme ou le christianisme, quand nous ne cessons ◀d’▶écrire qu’avec Rome et Athènes ils sont les éléments fondamentaux ◀de▶ notre culture, à nous opposer ma propre définition ◀de▶ l’Europe comme « patrie des contradictions », etc. Bref, la méthode critique ◀de▶ votre auteur consiste à lire à rebours tous nos écrits, et non pas à les interpréter ◀d’▶une manière qui pourrait prêter à discussion, mais à les falsifier radicalement.
Qu’il y ait une tradition « européenne » du fascisme et ◀de▶ ses procédés, comme le rappelle votre auteur — non sans une évidente Schadenfreude — c’est indéniable. Il y a eu ◀de▶ tout en Europe, ◀de▶ la sottise aussi, autant qu’ailleurs. La seule question qu’on se pose est ◀de▶ savoir quelles sont les traditions qui doivent collaborer à notre « Europe en formation », et à la vôtre.